Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 50 : La Pierre Qui Emporte Le Vent (1)


Publié le 23/12/2010 à 13:24:58 par SyndroMantic

[c]La Pierre Qui Emporte Le Vent [/c]




Qu'est-ce que le Temps ?

J'aurais aimé que mon Père me l'apprenne, lui qui m'en laissa la garde. Mais cette révélation ne peut être découverte que de sa propre expérience, jamais transmise d'une conscience à une autre. Parce que le Temps est relatif, d'une micro seconde à un macro millénaire. La pierre traverse les siècles après les siècles. Les papillons s'envolent, brillent, puis s'éteignent. Les étoiles meurent. La feuille naît. Chaque grain de sable est unique, dans le sablier. Les uns s'emboîtent avec les autres, se compilent, se dépassent, attendent, sursautent, et toujours plongent dans l'entonnoir, du ciel jusqu'à l'abysse. Au centre du vortex, le courant se précipite. Sereins demeurent les êtres qui se tiennent contre ses bords. Le rythme de ces chutes varie, cependant que notre coeur danse, à cloche pied, irrégulier, le long du cours de cette marche funèbre. Tantôt accéléré, tantôt ralenti. Mais c'est toujours la même musique que celle de notre vie.

J'expire... Mon histoire a été profitable, mon château a été somptueux, mes journées ont été actives, mes soldats ont été serviles.

J'inspire. La nuit va tomber dans quelques heures, la marée va partir dans quelques jours, les oiseaux vont migrer dans quelques mois, je vais mourir dans quelques années...

Ainsi va la mécanique de ce souffle qui nous pousse. Le Temps y est un océan en pleine tempête, où le vent dans notre tête résonne, en simultané, l'écho du passé, et l'appel du futur. Comme toute voix raconte ce qui fut déjà, ou ce qui sera encore.



Le matin se levait, entre les arbres. Le coq célébrait le soleil nouveau de son chant, dans le poulailler, trois semaines avant que Zohak ne le plumât pour le repas du midi. Ce dernier me regardait boire son jus de coco, en souriant.

« Hé, Kaileena... Tu sais quoi ? Le jour de ta naissance, j'ai du te mettre la fessée, pour que tu respires. »

Le liquide coulait dans ma bouche avec viscosité. Son goût était immonde. Presque à m'en faire pleurer. Mon hôte en était lui-même allé faire la cueillette, armé d'une perche. Par dessous la grosse noix, je cachais mes grimaces tordues. Zohak avait des cernes, depuis la nuit d'avant. Le bois n'était pas encore sur les braises endormies. Le vent ne cessait toujours pas de vrombir. Je soupirais, une fois le déjeuner terminé, sous les palmiers branlants. Un rayon passait entre les nuages. Le vieil homme me faisait un clin d'oeil. En se levant, il jetait les pépins dans un gobelet, et se rendait dans la cabane. Je bondissais de mon tabouret et allais cracher dans un coin. Des filets blanchâtres aspergeaient les herbes murales de ce que je n'avais pu ingurgiter. Puis je me retournais, à la venue du zervaniste maintenant affublé d'un chapeau végétal. Malgré le temps gris dont j'avais fait une généralité, il se moquait du ridicule et avait confectionné ce couvre-chef, aussi mal eût-il pu lui aller. Je feintais de m'en divertir, jusqu'à ce qu'il me tournât le dos. Mon ventre n'allait pas très bien. Je me sentais bizarre depuis que, la veille, j'avais commencé un dessin très particulier...


La nostalgie et l'espoir sont les seuls présents qu'on ait de l'existence. Tout ce qui traverse le tube n'est que chaos irrationnel, sans chair ni lumière. A ce niveau, le simple fait de connaître un état actuel détruit l'actualité de cet état. Tant que les sables n'ont pas quitté ce nulle part, on ne peut sentir le monde qui s'en libère. Encore moins le mesurer, lorsqu'un grain perturbe les connexions d'un cerveau. Dans l'ombre de notre crâne tourbillonnent les sangs jumeaux du combat et du rejet, inspiré, expiré, inspiré... C'est la ponctuation de nos destins élastiques, ondulant sur la Ligne du Temps. L'équilibre ne se trouve que dans l'éternel mouvement, de ces ailes qui volent autant que de ces coudes rampants. C'est là qu'on trouve le vrai sens de sa vie, jalonné de squelettes et de bébés, dans la pénombre d'une caverne sauvage. Les aveugles s'y reposent comme en un refuge moral, mortifiés de leur survie. Mais si l'éclair vint à frapper cet abri... par sa lumière il révélerait ces cimetières chaotiques de blancs nus et d'orbites évidés, de côtes et de tibias qu'un tigre sédentaire dévora. Cet éclair atroce révélerait à leurs cotés les premiers pas de bestiaux innocents, nouvellement éclos parmi les os, qu'ils rongeront pour leur santé. L'univers prend, l'univers crée. Si un Big Bang doit le secouer, peu importe quand la dynamique de mort et de naissance démarre enfin. L'esprit garde, l'esprit rend. Au confort de l'expérience succède l'angoisse de l'inconnu. Comment une guitare joue-t-elle, sans qu'une griffe n'en pince la corde ? Telles fonctionnent les vibrations de l'âme, où son tympan voyage. Entre souvenir et projection.

Bien que mon sablier à moi mesure plus de vingt-six siècles, il n'en va pas de même pour les animaux. La mémoire et l'imagination ne sont pas des valeurs fixes. Les aspirations de ces êtres-là se résument en quelques infinitifs. Quant à leur mémoire, elle disparaît passée quelques quarts d'heure. Car justement je me souvenais encore de ce fauve rencontré dans la jungle, qui me retrouva par la suite avec mon ami dans son antre en train de caresser le poil jeune de ses enfants. Ne me reconnaissant pas, il nous attaqua sans réfléchir, quand le prêtre dégaina sa dague tranchante. Après tout, c'est normal d'avoir peur. Tellement logique, malheureusement. Comment savoir le sort que réserve la bête qui vous charme, avant de vous peloter, vous pousser contre la paroi, vous immobiliser, vous traîner, vous jeter, vous déshabiller, pour finalement vous dévorer crue ? Tous ces supplices, déjà je les avais vécus, dans la grotte, à travers l'agression de Zohak. Cette fois-là aussi, j'avais crié. Tout avait été perdu, devant le prédateur. Sauf que nous en étions venus à bout. La moins faible de mes surprises. Comment cela était-il arrivé ? Seul le zervaniste en avait connu le secret, deux secondes sous le bon angle. Est-il des mystères plus importants que d'autres, si l'on ignore ce qu'ils nous cachent ? Non.
Sûrement pas.

Surtout pas lorsque l'appui du bassin révèle le point sensible de tout oppresseur. Le seul organe que rien ne laisse entrevoir en d'autres circonstances. Il faut pour cela que l'ennemi soit affamé, qu'il en néglige ainsi la maîtrise. Et c'est dans le dos que la mégarde parvint .~° à lui faire fléchir les pattes arrières. Le tonnerre criait, dehors. Ses hautes épaules m'empêchèrent de voir plus loin qu'elles. Je suspendis ma respiration. Le postérieur de la créature se rapprocha du pied masculin, sur le point d'enfin taper son partenaire. L'eau des pluies remua les fleuves. Cette manière d'opérer me répugnait, presque aussi vile que ce dont elle venait à bout. Il n'y avait plus que cela à faire. J'inspirai de toute la force de mon diaphragme. Il s'employa tout entier à violemment écraser les parties génitales du grand animal. La roche se détruisit sous la tempête. Le taureau gémit. La détonation se perdit dans le vent. Son dernier soubresaut fit voler mon coeur. Je repris conscience de mon monde reconstruit. La douleur l'immobilisait °~.


Le vieillard plaqua ses mains entre ses cuisses, recroquevillé sur lui-même. Un rugissement étouffé lui grimpa dans la gorge. Sa bouche le libéra quand je le frappai de mes ongles, nerfs à vif. Mon cerveau se dilata lourdement, emporté par l'émotion de la rage. Au lieu de me faire pousser un cri, la posture tétanisée de mon corps expulsa dans une déflagration plusieurs bouffées de poussière étincelante. Zohak chavira sur le plancher. La chambre s'élargit dans ma vue, celle-ci débarrassée de l'horrible tyran. Mon buste s'éleva machinalement. Mes poumons se gonflèrent de par la fin de ma mise en apnée. Le monstre se releva, des blessures à la joue. Vite, je devais rejoindre la surface...


Commentaires

Aucun commentaire pour ce chapitre.