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Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 54 : La Pierre Qui Emporte Le Vent (4)


Publié le 28/12/2010 à 17:01:45 par SyndroMantic

Les cicatrices sont ce qui fonde chacun de nos principes, avec la force du marteau que le maçon abat sur son idole figée. Elles gravent, à la pointe du burin, ce que jamais nous ne voudrons oublier. C'est parfois si beau, de souffrir, parce qu'il n'y a rien de plus élévateur, quand on en ressort aguerri. La douleur fait partie de la mort, ce long chemin dont nos âges se souviennent. Et quoi que l'on puisse dire, ce sont les traumatismes qui permettent au monde de se créer. D'aucun n'y trouverait certain charme, qu'il soit fictif ou non. Pourtant, la raison veut que ces choses-là soient secrètes. L'exception veut même qu'elles le soient pour l'intéressé lui-même. Les ennemis sont plus répandus qu'on ne le croit, parfois même à l'intérieur, et c'est folle inconscience que de les laisser tirer des leçons de nos leçons intimes. La vérité est un trésor. Il faut se garder de l'exhiber gratuitement à qui la retournerait contre soi. La confrérie des zervanistes... Le sacrifice des femmes... L'existence des pierres de vent... Moi... Le pouvoir des Sables... je ne saurais compter le nombre de connaissances que vous ne soupçonniez même pas, du temps que j'aurai vécu. Toutes sont mes cicatrices, écrites avec mon sang, ma chair. Ce faisant, j'ai ouvert une faille, dans mon cœur. Libre à vous d'y plonger, si les ténèbres vous fascinent. Penchez-vous donc au bord du précipice. La terre aussi connaît les blessures. Descendez dans l'abîme. La lumière y fait défaut. Dominez cette peur qui vous démange. Apprivoisez le désir de l'inconnu. Cela m'apprendra une chose, sur vous. C'est que vous n'êtes pas poursuivis par un vieillard psychotique voulant se venger.

Zohak sortit du boyau souterrain en grognant derrière sa barbe, et prit ses marques avant de continuer. La vieillesse produisait en lui un effet de vertige, à la vue des crevasses hadales. Du fait de mon ignorance, ou bien de ma puissance divine, je n'en étais pas intimidée le moins du monde, ne voyant que celles du plafond par lesquelles des rayons du soleil passaient depuis la surface, finalement pas si lointaine pour peu qu'on oubliât le vide retors qui nous en séparait. Cette caverne que nous avions pénétrée était en effet immense, dans toutes ses dimensions. Un colosse aurait pu y loger, tant nous y étions infimes. Je n'avais jamais vu de salle aussi prodigieuse, comparée à ma cellule sur le navire, ou la cabane au campement. Même le ciel ouvert ne procurait cette impression d'espace. Il faut pour cela qu'il y ait des limites apparentes, car la perception des vivants se perd sans elles. D'autre part, la pénombre qui régnait en ces lieux suscitait un certain mystère, où l'on voit toujours plus que ce qu'il y a. Par des fissures, la lumière descendait vers le centre, composé de passerelles, de gravats et de ponts, mais délaissait les parois, ses stalactites et ses reliefs. Quant aux précipices, le chaos résonnait de ses entrailles, dans l'ombre impénétrable. Néanmoins, c'était sur lui que se basait tout le reste, y compris les piliers rocheux sur lesquels je me déplaçais. De quoi presser ma vitesse, tandis que je fuyais Zohak jusqu'à l'autre bord du souterrain. Ce parcours me rappelait assez la fois où j'avais sauté sur les rochers des sources, à cela près qu'il n'y avait plus d'Eau, alors. C'était bien ce qui semblait gêner le vieil humain, craintif d'une maladresse fatale. Avachi de tout son poids sur ses appuis, l'obstiné progressait au ralenti, les bras tendus de manière aléatoire dans toutes les directions. Il craignait tellement de basculer dans le vide qu'au lieu de songer à faire demi-tour, il m'impliqua moi-même dans les risques qu'il prenait.

« Kaileena ! reprit-il inlassablement. Je t'en pris, ne fais pas l'idiote ! Reviens ici ! Tu n'es pas en sécurité ! Je ne veux pas avoir ta mort sur la conscience !
- Alors vas-t-en ! Laisse-moi tranquille ! répliquai-je, tandis qu'un raccordement rétréci entre deux pierres demandait toute mon attention. Je serai pas obligée de faire tout ça pour que tu me lâches !
- Te mettre en danger ne fera que m'en dissuader ! Je veux d'abord m'assurer que tu sois saine et sauve, après je m'en irai ! Tu n'as pas conscience des risques que tu prends !
- C'est parce que je pense d'abord à ceux que je TE fais prendre ! Si tu pouvais crever, ça m'arrangerait !
Quand vint le silence qui suivit, je bondis pour tomber sur une roche plus basse, mais hélas trop proche pour délimiter une séparation entre moi et le zervaniste. Après un atterrissage nerveux, je persévérai dans ma course.

- Je ne veux pas mourir, Kaileena... déclara le vieil homme. Pas après ce que je t'ai fait... Je n'ai plus d'honneur... ! J'ai besoin d'une victoire, tu comprends ?! Quelque chose dont je sois fier, quand viendra ma dernière seconde ! Sinon je ne peux me résoudre... Espèce de minable ! Moi, je t'en parle de plusieurs, de secondes, bon dieu ! Qu'est-ce qu'on en a à foutre, de ton honneur !? Tu crois que tu es là pour ça !? Ce que tu m'énerves ! Si seulement t'avais eu les burnes de lui régler son cas dès le départ, tu ne viendrais pas autant compliquer les choses ! La barbe, de cette petite putain, au bout d'un moment !
Sa voix était furieuse, maintenant. Et cette colère avait tendance à me contaminer. Décidément, cela devait lui plaire, de me traiter de péripatéticienne, depuis les nombreuses fois que c'était déjà arrivé. J'eus ce mauvais réflexe de vouloir lui répliquer qu'il n'y en avait pas sans obsédé, avant de me rendre compte qu'il n'en valait pas la peine. Le maudit le perçut, néanmoins, quelques plates-formes derrière. Comme pour me défier, il me lança personnellement :
- Ah, et au fait, Kaily ! Tu me demandais tout à l'heure... Ça t'intéresse, la réaction que j'aurais, si tu devais mourir ? Tu veux savoir, ce qui changerait, si je trouvais ton cadavre ?
Je tournais le regard dans sa direction, mais ne lui répondis pas. Le vieux prêtre stoppa ses mouvements les yeux rivés dans les miens. Sa bouche souriait d'un air sournois. Étant donné l'aubaine que je l'écoutasse, il profita de ces instants, savourant chaque syllabe qu'il apposait à ma conscience.
- Riieeen... absolument rien-du-tout, acheva-t-il sur un ton morbide, celui avec lequel il m'avait la veille menacée de me gifler. Un pervers de ma race ne renonce jamais à une déesse... Et quelle déesse !

Ainsi, même ma mort ne serait pas un obstacle, pour lui, tant sa démence était critique. Je frémis de tout mon corps, puis reprit mon chemin vers l'autre coté. La marche de Zohak redémarra, avec davantage de hâte cependant. Et s'il parvenait à me rattraper, comme il l'avait miraculeusement fait près de la rivière ? Même l'Eau ne venait à bout de son entêtement. Sept mètres plus loin, une cavité se creusait dans le mur de roche, située par dessus une corniche d'à peu près ma taille. Le cœur vibrant, j'accélèrai vers cette issue, dans l'espoir qu'elle me permît enfin de me débarrasser du zervaniste.
- Cours ! me cria-t-il, sur mes talons. Sors-toi de là, mon am... euh... !
Je sautai vers le rebord et me hissai de mes bras dans le même élan.
- Ne le laissa pas t'attraper ! continua-t-il en s'arrêtant lui aussi. Zohak te veut du mal ! Enfuis-toi !
Je m'aidai du genou pour grimper sur le plateau et me relevai derechef.
- Kaily ! Attention !

A peine s'en fut-il exclamé que mon épaule fut percutée par un projectile poreux. Une bouffée de terre me vint en plein visage dans un bruit d'éclatement. Par instinct, j'en inspirai une grande dose. Cela n'empêchait qu'une telle attaque m'irritât fortement. C'était qu'il aurait pu me faire mal, si la roche n'avait pas eu cette fragile propriété ! L'indigent, déjà, s'emparait d'un nouveau caillou et le jeta bientôt vers moi. Son lancer était plutôt faible, ce qui me permit de le parer d'un simple geste de mon avant bras. Le pavé de pierre explosa sur mon poignet, rabattu vers l'extérieur. Les grains brumeux dévoilèrent graduellement l'expression de désarroi de Zohak. Son regard se durcit.
- Peste ! Franchement, tu étais obligé de la prévenir, petite vermine ?! Voilà le résultat, à cause de toi... ! Espèce d'ordure... Je t'avais défendu de la toucher ! maugréa-t-il en serrant les poings. Je devrais te... ! Sois raisonnable ! On ne va pas se battre ici ! Eh bien dès que j'en aurai l'occasion, je te démolirai la face, pourriture ! »

Pendant ce temps, je m'essuyais le bras tout en m'éloignant dans la galerie suivante. La luminosité retomba à mesure que j'avançais, restant quand même suffisante pour me permettre de me repérer dans le passage. Le vieillard finit par se taire, dans la grande caverne, ce dont je déduisis qu'il repartait à mes trousses. Vu l'effort que requerrait son franchissement de la corniche, il se pouvait que j'eusse de quoi prendre une avance considérable sur lui. Ainsi, j'en profitai pour me presser un peu plus, droit devant moi. C'est alors j'y vis d'autres taches blanchâtres, mais bien plus sombres que les précédentes dans la carrière. Avec une appréhension non refoulée, je m'approchai doucement de ces étranges objets que je finis par vaguement reconnaître. Il s'agissait de squelettes, comprenant les côtes, le crâne, et tout ce qui démontrait le cadavre d'un être laissé en l'état depuis son décès. Immédiatement, les images du passé me revinrent, lorsque nous étions allés dans l'antre du tigre où déjà d'autres humains s'étaient faits dévorés par ce dont ils espéraient la protection. Les souvenirs claquèrent devant mes paupières agitées. L'orage et les éclairs, assaillant mes pensées, firent briller mes visions de la pâle mort, oublieuse de l'ombre réelle. Seul restait ce mirage laiteux, superposé à ma vue traumatisée. Plus encore, le son de la pierre se mua en appels timides, émis depuis le fin fond de ce berceau noir. Un soupir me submergea, avec la nostalgie de mes caresses, à fleur du pelage de ces merveilleux bébés. Pour ce qui était de la suite, elle m'était excessivement bouleversante, au point que je refusasse de me la remémorer. Mais, sauf cela, quelle qu'eût pu être ma panique subite, ce fameux jour, jamais je n'aurais imaginé être, plus tard, frappée avec ce même poids par la tristesse. Progressivement, je repris contact avec le présent. Je n'avais pas cessé de marcher, durant tout cet intervalle. Ainsi, j'étais maintenant suffisamment près pour reconnaître en détails les corps décharnés.

C'étaient ceux des jeunes fauves, âgés de trois années quand le destin interrompit autrefois leur croissance par son éternité glaciale. Il y avait cinq ans, ces pauvres nouveaux nés trinquaient pour l'apprentissage qu'ils n'avaient pas reçu à renforcer leur organisme. C'étaient des orphelins. Zohak, dans sa folie, avait tué leur père. Il l'avait tué, certes... mais avec mon aide ! Grâce à moi, son bassin fut assez bas pour exposer son point faible. J'étais fautive de leur tragédie. Parce que Zohak me l'avait ordonné. Il m'avait manipulée. Pour devenir mon prédateur. Pour condamner ces nourrissons innocents. A présent que je m'étais libérée de son emprise, je décidai de ne plus lui faire la moindre concession. En mémoire de la chance qu'eux n'avaient pas eue.


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