Note de la fic :
Kaileena, l'Impératrice des Papillons
Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée
Chapitre 61
Publié le 11/02/2011 à 21:18:53 par SyndroMantic
De longues minutes après le départ de son supérieur, il soupira mélancoliquement et marcha dans les sombres allées. Jaipur dormait, à ce moment, et les seuls bruits que l'on pouvait entendre étaient ceux des grillons cachés dans les fourrés. Pour une fois, ce soir-là, le silence était apaisant, propice à la méditation qui s'imposait alors au vieux vizir. Bizarrement, il n'avait pas peur, il ne ressentait aucune anxiété, malgré les soupçons qu'il venait de faire naître chez son souverain. Pour tout dire, il ne songeait même plus à leur précédente conversation. Mais seulement au léger bonheur qu'elle lui laissait maintenant. Cela faisait des semaines qu'il n'avait plus discuté ainsi avec le grand homme, comme avec tout autre collègue du palais, et ce simple évènement le réconfortait en soi. Peut-être le motif secret qui l'avait poussé à lire toutes ces journées durant ne l'avait-il après tout pas totalement reclus du monde où il vivait encore. Peut-être cette peur qui l'étreignait depuis tout ce temps ne l'avait-elle pas mis à l'écart des gens qu'il aimait. Quoique... elle venait justement de le faire mentir au plus cher d'entre eux. C'était à se demander si Jägdish avait encore de l'amour, face à ce qui l'attendait. Y aurait-il jamais quelque lueur pour dissiper ses doutes ? Le vieillard leva les yeux dans la nuit étoilée, contemplant cœur battant sa lune ronde...
Quel âge Kaileena lui avait-elle donné, finalement ? Peut-être sa fleur, en regard de la pureté de cet astre. Il fallait l'admettre, elle était belle, et de nombreuses générations le diraient encore plus tard, sans doute. Mais combien précisément ? Zohak fut le seul, jusqu'à sa mort, dont la jeune femme voulut en connaître la date, et même avec son pouvoir elle ne put deviner que la sienne arriverait si vite, avant de remonter le temps... Si ce n'était pas elle, qui d'autre pourrait dire à Jägdish le temps qu'il lui restait à vivre rongé par la tuberculose ? Qui pourrait lui dire le nombre d'années ? Le nombre de jours ? Le nombre de minutes ? Il avait l'impression d'être le seul à le voir. Les autres ne semblaient jamais s'en préoccuper. Que le corps pouvait lâcher toutes les secondes. Pendant son déjeuner, pendant son sommeil, pendant la gestation, et même pendant cette contemplation de la lune pâle. L'âge n'est qu'un retard, pensait le vieil homme. Et l'espoir, une infraction à la réalité. Une "illusion plaisante", comme il l'avait lu la nuit dernière. Et pourtant...
Le vizir s'arrêta près d'un banc et s'y assit, le regard fixé devant lui. Ces récits ne l'avaient plus quitté depuis la veille.
Qui aurait pu dire qu'en lisant l'œuvre de l'impératrice, ce ne serait pas elle, bien qu'elle eût également anticipé sa mort, qui apprendrait au vieux conseiller la manière dont il fallait la voir ? Certainement pas ce dernier, qui avait misé sur son expérience à elle pour soulager son inquiétude. Non, ce rôle revenait en fait au propre ennemi de celle-ci, le dénommé Zohak. Le soir de son décès, il disait être arrivé à une victoire. Jamais Kaileena n'avait cherché à en comprendre la nature, trop focalisée sur celle véritable du zervaniste. Et quelque part, le vizir même n'y était parvenu. Mais pourtant il ne pouvait, contrairement à la jeune fille, se convaincre que ces paroles eussent pu être dues à un délire d'agonie. Zohak emporta avec lui le secret de cette victoire macabre, de ce paradis mortuaire, mais Jägdish, lui, était tenté d'y croire. Désespérément. Et il était d'autant plus enclin à cette croyance qu'il avait lu l'autre version des faits. Certes, il n'y avait pas plus de preuve de son bonheur lorsqu'il rendit l'âme que de son éternel malheur quand la déesse choisit de revenir dans le passé, et le condamna à la malédiction du masque. Toutefois ses cris de douleurs et tout ce qui l'avait précédé n'inspiraient guère de doutes, vis-à-vis de ce que le pauvre homme y trouverait. Mais il était devenu immortel. Mais il était devenu martyr. Tel était ce que Jägdish semblait avoir poursuivi, depuis quelques années. Et tel était le "mais" que l'histoire de Zohak venait de suggérer à ses idées. Le vizir ne savait plus vraiment quoi penser de son dessein.
La réponse du maharajah avait fait un écho à celui du moribond. Jägdish s'en souvenait, il avait parlé de "l'esprit". Selon le zervaniste, c'était là le seul ordre dans lequel on pouvait trouver du sens. Il y avait mentionné l'immortalité avant même de subir celle de son enveloppe physique. L'avait-il trouvée dans sa conscience ? Cela aurait expliqué pourquoi il avait évoqué des morts, en plus multiples, auxquelles il aurait survécu durant sa vie. Et il fallait avouer que l'esprit était chez lui une question très délicate, étant donné les démons de son passé. On ne pouvait pas ignorer le combat, la lutte intérieure, qu'un tel être avait dû vivre au cours de son existence. Une bataille dont la volonté aurait été le sabre, et le lâcher-prise, le bouclier. Y avait-il une autre façon de mourir ? Jägdish commençait à le penser, maintenant qu'il se retournait vers toutes les années qu'il avait gâchées dans sa vaine quête. Grâce à l'autobiographie, même si ce n'était vraiment du fait de son auteur, le vizir prenait peu à peu conscience de la raison de son mal. Même si rien n'était encore résolu, cette seule conscience valait autant qu'un remède, ou presque.
Et, qui sait, l'aube prochaine serait peut-être celle d'une nouvelle vie, pour Jägdish...
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~ FIN DE LA BIDESQUE AUTOBIOGRAPHIE DE KAILEENA ~[/c]