Note de la fic :
Kaileena, l'Impératrice des Papillons
Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée
Chapitre 59
Publié le 11/02/2011 à 20:55:34 par SyndroMantic
[c]~°~.~{ Hijodelaputava - présent }~.~°~
Le douzième jour[/c]
La réunion du Dôme touchait à sa fin. Les neufs vizirs de la cour se levèrent, dans les opaques rayons pénétrant entre les colonnes. L'ombre seule du maharadjah recouvrait les cartes et traités de loi éparpillés sur la grande table, pour la plupart rejetés. Ce n'était pas la première fois que les décisions manquaient au Conseil. Mais celle-ci était particulière dans le fait qu'elle succédait juste à un évènement majeur pour l'histoire indienne. Cela faisait douze jours que le royaume s'était vu enrichi par les trésors fantastiques d'une île perdue, située à des semaines et des semaines de la côte, et qui avaient fait la gloire du souverain, comme de moult guerriers. Mais pourtant, son ministre principal avait indistinctement dédaigné toute proposition de s'en servir dans le cadre du commerce, à l'extérieur comme à l'intérieur. Contrairement à ce que ses semblables espéraient, le triomphe de cette fabuleuse expédition n'avait rien changé à la morosité du vizir Jägdish et à ses caprices diplomatiques. Or, c'était lui qui détenait seul le Sceau Royal, à même d'authentifier les actes le plus importants de l'empire. Autrefois, le maharadjah Subodh Gupta avait vu en lui un grand dirigeant, un homme de tête et de charisme, dont il s'était beaucoup inspiré durant son règne. Et c'est pourquoi il l'avait choisi comme bras droit, l'unique parmi cent, tel un génie sur son épaule qui lui tenait la main quand son c½ur la déraisonnait. Il existait alors une profonde confiance entre les deux hommes, tour à tour élève et professeur l'un de l'autre. Mais avec le temps, Jägdish était devenu quelqu'un de fermé, d'insociable, un solitaire que le grand roi peinait à reconnaître, ce soir-là.
Tandis que les autres membres du Conseil vaquaient maintenant à diverses occupations et discussions agrémentées d'alcool, le monarque se rendit au jardin avoisinant où, sans surprise, le vieil homme s'était empressé de s'isoler. Certains conseillers le regardèrent avec intérêt marcher dans sa direction, depuis la terrasse du palais. Sans manifester la moindre attention à l'ami qui s'approchait, le vizir observait le soleil couchant qui devant lui dessinait les ombres tranquilles des arbres. Le long des murs, des serviteurs royaux commençaient à allumer les torches, vu l'heure tardive qui sonnait à ce moment. Enfin, le maharadjah s'arrêta aux cotés de son associé pour contempler le tableau de ce crépuscule.
« Je vous ai trouvé ce soir bien discret, Vizir...
Ce dernier lui soutint un visage noir et mélancolique. Étonnante recherche de contact avec le grand homme, comme s'il voulait lui communiquer son chagrin... Subodh Gupta décida de profiter de l'occasion.
- Y aurait-il quelque chose dont vous aimeriez me parler ?
Ses yeux descendirent, en signe de réflexion. L'illustre roi saurait être patient. Toutefois, un rapide mouvement du sourcil démontra dans un sarcasme que sa réponse était prise depuis longtemps, dès l'instant où il avait accepté cette réunion. Le Grand Vizir l'avait lui-même organisée dans ce but, justement. Celui d'aborder le sujet une fois pour toutes, en privé s'il le fallait...
- C'est... commença-t-il pensivement, c'est étrange, cette façon qu'ont les choses de se compliquer... au fur et à mesure qu'on cherche à les éclaircir...
Son interlocuteur l'écoutait en le fixant.
- Jägdish, je ne vous suis pas...
Le vieillard étouffa un rictus amusé.
- Ce serait presque un privilège, pour moi... Si longtemps habitué à votre brouillard... Et je n'étais pas le seul dans ce cas...
Son roi soupira faiblement, croyant deviner sa pensée.
- Vizir, nous en avons déjà parlé...
- Oh, que non, nous n'en avons jamais parlé... contredit le vieux sage. Vous n'avez jamais voulu parler de Zohak.
Subodh Gupta fronça immédiatement les sourcils. A vrai dire, le vieil homme ne s'attendait effectivement pas à ce qu'il eût connu son nom, même s'il avait marché sur ses traces.
- Qui est Zohak ? demanda le grand homme.
Son camarade laissa planer un court silence, préparant la réponse qu'il devait lui servir.
- Zohak est le zervaniste que vous avez vu là-bas... Toujours la position d'un suppliant, j'imagine... ? fit-il en pensant au terrible condamné. "Zervaniste", oui, je sais que ce mot vous dit quelque chose. Un serviteur du dieu Zervan. Presque aucune religion n'en parle. Mais vous avez déjà vu ce dernier nom, je le sais.
Le monarque était figé, maintenant, un sérieux déconcertant sur le visage. Son expression était très tendue. Le voilà qui était pris au dépourvu. Pour autant, il n'avait pas l'air de craindre quoi que ce soit. Il ne faisait qu'écouter le plus attentivement qu'on pût ce que son sujet avait à lui dire.
- C'est ce que vous avez vu dans ce masque, continuait Jägdish. C'est ça, ce que vous avez vu et que vous vouliez nous cacher... Vous avez vu le calvaire de cet homme, n'est-ce pas ? Le cauchemar qu'il a dû vivre pour donner naissance à ce qui nous a sauvés... Le masque des revenants. Je sais ce qu'il y avait d'écrit dessus, et qui l'est encore probablement à cette heure. Et vous aussi, vous l'avez lu. Mais peut-être pas de la même manière...
- Jägdish... fit le maharadjah avec regret, mais celui-ci ne voulait pas encore entendre sa réaction, à défaut de ses réponses.
- Dites-moi... demanda le conseiller avec une profondeur nouvelle. A quoi ressemble un homme qui ne sait pas qui il est ? A quoi ressemble cette errance qui fait qu'on ne sait pas de quel coté pencher... jusqu'au dernier cri... ? C'est ce que vous avez vécu, n'est-ce pas, lorsque vous avez mis ce masque ?
Son supérieur soupira de lassitude. Il chercha quoi répartir dans les images du ciel en dégradé, où son regard s'absenta. La voûte s'était considérablement assombrie, du turquoise au bleu marine. Quand il eut réfléchit, il hésita à lâcher les mots auxquels il pensait. De toute façon, Jägdish réalisa bien vite l'erreur de son interprétation. Il pouffa dans un rictus navré, déçu de lui-même, et se reprit d'entendre la réponse du souverain.
- C'est ce que Nous avons tous vécu...
Un long silence s'installa entre les deux individus, légèrement troublé par le modeste bruit d'une fontaine, plus loin. Le vizir l'avait senti venir depuis le début. A peine quelques jours après leur départ pour l'île. Les merveilles que le grand monarque avait faites miroiter aux yeux de ses hommes avaient dès le début nourris d'instables convoitises, que Jägdish n'avaient pas tardé à constater pendant le voyage. Et comme il l'avait prévu, un miracle avait été nécessaire pour que l'expédition réussît. Pour que la peur du danger n'égarât jamais personne dans ses propres vices... Mais sûrement était-il encore loin du compte, vis-à-vis de ce à quoi le maharadjah lui-même avait assisté.
- Je sais, reprit gravement le vieil homme, que vous ne voudrez jamais que l'on s'approche du masque, où qu'il soit là-bas. Vous pouvez compter sur moi pour garder le secret de son pouvoir, et qu'aucun autre des guerriers l'ayant vu ne sache à quoi il sert vraiment. Ce qu'il s'est passé ce jour-là restera un mystère, pour toute notre nation. Je ne suis pas en mesure de vous poser des conditions pour cela... C'est... c'est donc par la pitié, que je vous demande de me dire... ce qu'il s'était passé, avant que vous ne mettiez ce masque.
Le maharadjah détourna le regard, non pas vraiment en signe de refus mais plutôt de trouble. Il ne voulait pas nuire à leurs relations amicales, ni à cette entente qui avait depuis si longtemps caractérisé leur collaboration. Mais il connaissait aussi le prix de son aveu...
- Qu'avez-vous souhaité empêcher, en l'utilisant ? insista le vieux mage. Pourquoi était-ce si dramatique que vous avez préféré nous laisser dans l'ignorance ?
Son monarque resta muet, le visage durci par l'obstination.
- Je vous en prie ! gémit presque le conseiller. Mettez-vous à ma place, depuis ce jour vous... vous avez totalement changé de regard sur moi. Je me pose tant de questions... ! De quoi le masque vous a-t-il averti ?
Cette dernière phrase fit fermer ses yeux au souverain.
C'était à peine s'il voulait se le rappeler lui-même.
- Comment l'histoire s'est-elle finie, la première fois ?
Le grand homme inspira l'air de cette humide soirée, puis le souffla nerveusement. Ce n'était pas qu'il était surpris, ou alors bien peu, mais quelque chose le dérangeait dans cette conversation. Une déception. Il aurait aimé que son vizir respectât son ordre, et se détournât du mystère de l'île comme il le lui avait demandé. Mais une fois encore, ce dernier lui avait désobéi, comme il aurait dû le prévoir...
- Avant toute chose, Vizir, déclara-t-il avec une note de sévérité dans la voix, j'aimerais savoir ce qui vous fait dire qu'il y a eu une "première" fois. Où avez-vous appris toutes ces choses sur le masque ?
Le vieillard se mordit les lèvres, regardant le vide pour oser se lancer. Puis il regarda de nouveau son ami dans les yeux.
- Voila... répondit alors Jägdish. De tous les livres que nous avons ramenés de cette île, j'en ai trouvé un qui retrace la vie entière de la mère de cet endroit, à travers ce qui est en fait son autobiographie. Il s'avère qu'elle portait autrefois le nom de "Kaileena". C'est à elle, que fait référence le zervaniste, dans son masque. Elle était là, lors de sa création. La seule, d'ailleurs, qui en soit revenue pour en parler... A cette époque, elle et Zohak étaient les deux seuls habitants de cette île et, de ce fait, vous vous en doutez bien, étaient très proches. Mais... la jeune femme découvrit chez son compagnon un passé abominable, et ce dernier fut incapable de le lui confesser. Un masque l'emprisonnant dans ses souvenirs fut sa punition. Une prison où il chercherait désespérément à se racheter de sa faute...
Le maharadjah Subodh Gupta comprit ainsi le lien qu'il y avait avec son propre exploit. Muni de cet artefact, il avait pu reproduire dans la réalité ce que le malheureux subissait en rêve, et remonter dans son passé pour éviter que le pire n'arrivât. Une deuxième chance, en somme.
- Et le masque confronte chaque porteur à ses démons...
Le vieux conseiller approuva par un hochement de tête la déduction de son roi. Néanmoins, celui-ci n'arrêta pas là ses réflexions. Il fallait dire que le sujet le concernait de plus près que son subordonné.
- Et si j'avais échoué ? questionna le grand monarque avec préoccupation. Et si je n'avais pas réussi à changer le passé avant que celui-ci ne me rattrape ? Aurais-je fini comme cet homme ?
Jägdish le rassura d'un sourire, et lui répondit, amusé :
- Il faut être un dieu, pour faire qu'un évènement se répète malgré la connaissance qu'on en a. Il est impossible tant qu'on est conscient d'une chose de ne pas agir sur elle. C'est une chose tellement aisée que sa négation relève du divin. Ne me dites pas que vous n'avez pas ressenti cette puissance, mis au courant de tout ce qui allait arriver... ! Oui, il aurait fallu être un dieu, pour la contrôler, voire l'étouffer. Un dieu ou... une déesse.
Son ami voyait ce qu'il voulait dire par là.
- Kaileena en était une...
- En effet... confirma doucement le vieil homme. C'est comme ça qu'elle a su pour son ami. Elle se donnait elle-même pour titre "l'impératrice". Son autobiographie ne cesse de faire mention d'une "ligne du temps"... qu'elle aurait été la seule à voir...
Sur ces mots, le vizir s'interrompit, regardant profondément le maharadjah dans les yeux. Non, elle n'avait pas été la seule.
Subodh Gupta ne savait trop comment prendre sa comparaison avec l'être divin, quelque peu arrogant si l'on en jugeait par ce que venait de dire son camarade. Était-ce l'image qu'il lui donnait ? Était-ce l'image qu'elle-même lui avait donnée ? Sûrement la lecture de son autobiographie nuançait-elle cet opinion, pour qu'il n'apparût pas dans paroles du conseiller à l'égard de l'être surnaturel. A moins que cette absence ne fût due à l'autre facette qui l'importait...
- Elle dit qu'elle connaît tout de la destinée, lâcha-t-il bientôt, et que nous en sommes tous esclaves. Elle y compris...
Le ton morne du vieux conseiller affichait clairement ce coup-ci sa contestation des dires de la déesse. Ils en avaient parlé trop peu de temps avant pour l'oublier. Kaileena avait eu tort, ils le savaient bien. Tous deux se comprirent mentalement. C'était toujours la même question qui revenait sur le tapis.
- Maintenant que je vous ai vu retirer ce masque, poursuivit le vieillard, que je sais le destin faillible et qu'on peut Revenir sur ses actes... je veux savoir desquels vous m'avez écarté.
Le douzième jour[/c]
La réunion du Dôme touchait à sa fin. Les neufs vizirs de la cour se levèrent, dans les opaques rayons pénétrant entre les colonnes. L'ombre seule du maharadjah recouvrait les cartes et traités de loi éparpillés sur la grande table, pour la plupart rejetés. Ce n'était pas la première fois que les décisions manquaient au Conseil. Mais celle-ci était particulière dans le fait qu'elle succédait juste à un évènement majeur pour l'histoire indienne. Cela faisait douze jours que le royaume s'était vu enrichi par les trésors fantastiques d'une île perdue, située à des semaines et des semaines de la côte, et qui avaient fait la gloire du souverain, comme de moult guerriers. Mais pourtant, son ministre principal avait indistinctement dédaigné toute proposition de s'en servir dans le cadre du commerce, à l'extérieur comme à l'intérieur. Contrairement à ce que ses semblables espéraient, le triomphe de cette fabuleuse expédition n'avait rien changé à la morosité du vizir Jägdish et à ses caprices diplomatiques. Or, c'était lui qui détenait seul le Sceau Royal, à même d'authentifier les actes le plus importants de l'empire. Autrefois, le maharadjah Subodh Gupta avait vu en lui un grand dirigeant, un homme de tête et de charisme, dont il s'était beaucoup inspiré durant son règne. Et c'est pourquoi il l'avait choisi comme bras droit, l'unique parmi cent, tel un génie sur son épaule qui lui tenait la main quand son c½ur la déraisonnait. Il existait alors une profonde confiance entre les deux hommes, tour à tour élève et professeur l'un de l'autre. Mais avec le temps, Jägdish était devenu quelqu'un de fermé, d'insociable, un solitaire que le grand roi peinait à reconnaître, ce soir-là.
Tandis que les autres membres du Conseil vaquaient maintenant à diverses occupations et discussions agrémentées d'alcool, le monarque se rendit au jardin avoisinant où, sans surprise, le vieil homme s'était empressé de s'isoler. Certains conseillers le regardèrent avec intérêt marcher dans sa direction, depuis la terrasse du palais. Sans manifester la moindre attention à l'ami qui s'approchait, le vizir observait le soleil couchant qui devant lui dessinait les ombres tranquilles des arbres. Le long des murs, des serviteurs royaux commençaient à allumer les torches, vu l'heure tardive qui sonnait à ce moment. Enfin, le maharadjah s'arrêta aux cotés de son associé pour contempler le tableau de ce crépuscule.
« Je vous ai trouvé ce soir bien discret, Vizir...
Ce dernier lui soutint un visage noir et mélancolique. Étonnante recherche de contact avec le grand homme, comme s'il voulait lui communiquer son chagrin... Subodh Gupta décida de profiter de l'occasion.
- Y aurait-il quelque chose dont vous aimeriez me parler ?
Ses yeux descendirent, en signe de réflexion. L'illustre roi saurait être patient. Toutefois, un rapide mouvement du sourcil démontra dans un sarcasme que sa réponse était prise depuis longtemps, dès l'instant où il avait accepté cette réunion. Le Grand Vizir l'avait lui-même organisée dans ce but, justement. Celui d'aborder le sujet une fois pour toutes, en privé s'il le fallait...
- C'est... commença-t-il pensivement, c'est étrange, cette façon qu'ont les choses de se compliquer... au fur et à mesure qu'on cherche à les éclaircir...
Son interlocuteur l'écoutait en le fixant.
- Jägdish, je ne vous suis pas...
Le vieillard étouffa un rictus amusé.
- Ce serait presque un privilège, pour moi... Si longtemps habitué à votre brouillard... Et je n'étais pas le seul dans ce cas...
Son roi soupira faiblement, croyant deviner sa pensée.
- Vizir, nous en avons déjà parlé...
- Oh, que non, nous n'en avons jamais parlé... contredit le vieux sage. Vous n'avez jamais voulu parler de Zohak.
Subodh Gupta fronça immédiatement les sourcils. A vrai dire, le vieil homme ne s'attendait effectivement pas à ce qu'il eût connu son nom, même s'il avait marché sur ses traces.
- Qui est Zohak ? demanda le grand homme.
Son camarade laissa planer un court silence, préparant la réponse qu'il devait lui servir.
- Zohak est le zervaniste que vous avez vu là-bas... Toujours la position d'un suppliant, j'imagine... ? fit-il en pensant au terrible condamné. "Zervaniste", oui, je sais que ce mot vous dit quelque chose. Un serviteur du dieu Zervan. Presque aucune religion n'en parle. Mais vous avez déjà vu ce dernier nom, je le sais.
Le monarque était figé, maintenant, un sérieux déconcertant sur le visage. Son expression était très tendue. Le voilà qui était pris au dépourvu. Pour autant, il n'avait pas l'air de craindre quoi que ce soit. Il ne faisait qu'écouter le plus attentivement qu'on pût ce que son sujet avait à lui dire.
- C'est ce que vous avez vu dans ce masque, continuait Jägdish. C'est ça, ce que vous avez vu et que vous vouliez nous cacher... Vous avez vu le calvaire de cet homme, n'est-ce pas ? Le cauchemar qu'il a dû vivre pour donner naissance à ce qui nous a sauvés... Le masque des revenants. Je sais ce qu'il y avait d'écrit dessus, et qui l'est encore probablement à cette heure. Et vous aussi, vous l'avez lu. Mais peut-être pas de la même manière...
- Jägdish... fit le maharadjah avec regret, mais celui-ci ne voulait pas encore entendre sa réaction, à défaut de ses réponses.
- Dites-moi... demanda le conseiller avec une profondeur nouvelle. A quoi ressemble un homme qui ne sait pas qui il est ? A quoi ressemble cette errance qui fait qu'on ne sait pas de quel coté pencher... jusqu'au dernier cri... ? C'est ce que vous avez vécu, n'est-ce pas, lorsque vous avez mis ce masque ?
Son supérieur soupira de lassitude. Il chercha quoi répartir dans les images du ciel en dégradé, où son regard s'absenta. La voûte s'était considérablement assombrie, du turquoise au bleu marine. Quand il eut réfléchit, il hésita à lâcher les mots auxquels il pensait. De toute façon, Jägdish réalisa bien vite l'erreur de son interprétation. Il pouffa dans un rictus navré, déçu de lui-même, et se reprit d'entendre la réponse du souverain.
- C'est ce que Nous avons tous vécu...
Un long silence s'installa entre les deux individus, légèrement troublé par le modeste bruit d'une fontaine, plus loin. Le vizir l'avait senti venir depuis le début. A peine quelques jours après leur départ pour l'île. Les merveilles que le grand monarque avait faites miroiter aux yeux de ses hommes avaient dès le début nourris d'instables convoitises, que Jägdish n'avaient pas tardé à constater pendant le voyage. Et comme il l'avait prévu, un miracle avait été nécessaire pour que l'expédition réussît. Pour que la peur du danger n'égarât jamais personne dans ses propres vices... Mais sûrement était-il encore loin du compte, vis-à-vis de ce à quoi le maharadjah lui-même avait assisté.
- Je sais, reprit gravement le vieil homme, que vous ne voudrez jamais que l'on s'approche du masque, où qu'il soit là-bas. Vous pouvez compter sur moi pour garder le secret de son pouvoir, et qu'aucun autre des guerriers l'ayant vu ne sache à quoi il sert vraiment. Ce qu'il s'est passé ce jour-là restera un mystère, pour toute notre nation. Je ne suis pas en mesure de vous poser des conditions pour cela... C'est... c'est donc par la pitié, que je vous demande de me dire... ce qu'il s'était passé, avant que vous ne mettiez ce masque.
Le maharadjah détourna le regard, non pas vraiment en signe de refus mais plutôt de trouble. Il ne voulait pas nuire à leurs relations amicales, ni à cette entente qui avait depuis si longtemps caractérisé leur collaboration. Mais il connaissait aussi le prix de son aveu...
- Qu'avez-vous souhaité empêcher, en l'utilisant ? insista le vieux mage. Pourquoi était-ce si dramatique que vous avez préféré nous laisser dans l'ignorance ?
Son monarque resta muet, le visage durci par l'obstination.
- Je vous en prie ! gémit presque le conseiller. Mettez-vous à ma place, depuis ce jour vous... vous avez totalement changé de regard sur moi. Je me pose tant de questions... ! De quoi le masque vous a-t-il averti ?
Cette dernière phrase fit fermer ses yeux au souverain.
C'était à peine s'il voulait se le rappeler lui-même.
- Comment l'histoire s'est-elle finie, la première fois ?
Le grand homme inspira l'air de cette humide soirée, puis le souffla nerveusement. Ce n'était pas qu'il était surpris, ou alors bien peu, mais quelque chose le dérangeait dans cette conversation. Une déception. Il aurait aimé que son vizir respectât son ordre, et se détournât du mystère de l'île comme il le lui avait demandé. Mais une fois encore, ce dernier lui avait désobéi, comme il aurait dû le prévoir...
- Avant toute chose, Vizir, déclara-t-il avec une note de sévérité dans la voix, j'aimerais savoir ce qui vous fait dire qu'il y a eu une "première" fois. Où avez-vous appris toutes ces choses sur le masque ?
Le vieillard se mordit les lèvres, regardant le vide pour oser se lancer. Puis il regarda de nouveau son ami dans les yeux.
- Voila... répondit alors Jägdish. De tous les livres que nous avons ramenés de cette île, j'en ai trouvé un qui retrace la vie entière de la mère de cet endroit, à travers ce qui est en fait son autobiographie. Il s'avère qu'elle portait autrefois le nom de "Kaileena". C'est à elle, que fait référence le zervaniste, dans son masque. Elle était là, lors de sa création. La seule, d'ailleurs, qui en soit revenue pour en parler... A cette époque, elle et Zohak étaient les deux seuls habitants de cette île et, de ce fait, vous vous en doutez bien, étaient très proches. Mais... la jeune femme découvrit chez son compagnon un passé abominable, et ce dernier fut incapable de le lui confesser. Un masque l'emprisonnant dans ses souvenirs fut sa punition. Une prison où il chercherait désespérément à se racheter de sa faute...
Le maharadjah Subodh Gupta comprit ainsi le lien qu'il y avait avec son propre exploit. Muni de cet artefact, il avait pu reproduire dans la réalité ce que le malheureux subissait en rêve, et remonter dans son passé pour éviter que le pire n'arrivât. Une deuxième chance, en somme.
- Et le masque confronte chaque porteur à ses démons...
Le vieux conseiller approuva par un hochement de tête la déduction de son roi. Néanmoins, celui-ci n'arrêta pas là ses réflexions. Il fallait dire que le sujet le concernait de plus près que son subordonné.
- Et si j'avais échoué ? questionna le grand monarque avec préoccupation. Et si je n'avais pas réussi à changer le passé avant que celui-ci ne me rattrape ? Aurais-je fini comme cet homme ?
Jägdish le rassura d'un sourire, et lui répondit, amusé :
- Il faut être un dieu, pour faire qu'un évènement se répète malgré la connaissance qu'on en a. Il est impossible tant qu'on est conscient d'une chose de ne pas agir sur elle. C'est une chose tellement aisée que sa négation relève du divin. Ne me dites pas que vous n'avez pas ressenti cette puissance, mis au courant de tout ce qui allait arriver... ! Oui, il aurait fallu être un dieu, pour la contrôler, voire l'étouffer. Un dieu ou... une déesse.
Son ami voyait ce qu'il voulait dire par là.
- Kaileena en était une...
- En effet... confirma doucement le vieil homme. C'est comme ça qu'elle a su pour son ami. Elle se donnait elle-même pour titre "l'impératrice". Son autobiographie ne cesse de faire mention d'une "ligne du temps"... qu'elle aurait été la seule à voir...
Sur ces mots, le vizir s'interrompit, regardant profondément le maharadjah dans les yeux. Non, elle n'avait pas été la seule.
Subodh Gupta ne savait trop comment prendre sa comparaison avec l'être divin, quelque peu arrogant si l'on en jugeait par ce que venait de dire son camarade. Était-ce l'image qu'il lui donnait ? Était-ce l'image qu'elle-même lui avait donnée ? Sûrement la lecture de son autobiographie nuançait-elle cet opinion, pour qu'il n'apparût pas dans paroles du conseiller à l'égard de l'être surnaturel. A moins que cette absence ne fût due à l'autre facette qui l'importait...
- Elle dit qu'elle connaît tout de la destinée, lâcha-t-il bientôt, et que nous en sommes tous esclaves. Elle y compris...
Le ton morne du vieux conseiller affichait clairement ce coup-ci sa contestation des dires de la déesse. Ils en avaient parlé trop peu de temps avant pour l'oublier. Kaileena avait eu tort, ils le savaient bien. Tous deux se comprirent mentalement. C'était toujours la même question qui revenait sur le tapis.
- Maintenant que je vous ai vu retirer ce masque, poursuivit le vieillard, que je sais le destin faillible et qu'on peut Revenir sur ses actes... je veux savoir desquels vous m'avez écarté.