Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 48 : Zohak, Le Prêtre Obstétricien (5)


Publié le 17/12/2010 à 18:58:52 par SyndroMantic

 
Des filets d'Eau se propageaient au sol, assombris par la boue qu'elle avait accumulée, les cendres qu'elle avait rincées, et le bois qu'elle avait imbibé. Sa pâle vapeur s'était amoindrie, le long des ossements noirs. La braise crachait encore quelque râle imperceptible au creux des carcasses carbonisées. Quand Zohak s'était réveillé de sa sieste, il s'était aperçu des effets du soleil sur les restes de son repas. L'exceptionnelle intensité de son rayonnement avait continué la lente combustion, pendant une demi-heure que le vieil homme était inconscient. Il dut lui-même éteindre ses grillades en aspergeant le tout, avec de l'eau de pluie qu'il avait recueillie dans sa bassine. Les yeux plissés, il étira son dos fatigué après l'avoir reposée près du toit. A son âge, entretenir un foyer n'était pas de tout repos, et la moindre besogne s'était transformée en douloureuse épreuve. Il souffrait de courbatures, se sentait tous les jours dans un état vaseux, et ses mains commençaient à faiblement trembler. La mort aux aguets... La santé de Zohak déclinait progressivement, en même temps que son morale. Difficile d'imaginer qu'un tel homme eût pu sereinement anticiper la fin prochaine d'une existence comme la sienne... au point qu'il se sentît obligé de m'en parler, moi qui n’attendais rien... Toujours aussi bavards, ces malheureux...

Le vieillard soupira avec lassitude. Il inspecta sa chère résidence, et rangea quelques affaires, des draperies ou d'autres planches traînantes. L'on est jamais plus vain que dans son agonie. Zohak réajusta une nappe brune, et rassembla les couverts du midi. Tout devait être en ordre, avant que les Sables ne l'emportassent. Il n'était pas fait pour s'éteindre dans la crasse et la cohue, ou du moins l'espérait-il. Parfois, il arrive que certains excentriques fassent construire leur mausolée avant même qu'ils ne soient décédés. Je n'aurais pas été surprise que son double de l'autre soir eût lui-même préparé son discours à l'avance, au cas où son Heure fût avancée. Cela avait produit un tel effet sur moi... C'est naturel, de prendre soin de son image. Nous voulons tous laisser un beau souvenir aux autres. Poser son empreinte sur les sentiers de l'Histoire. Car, bien sûr, il est souvent aisé de contrôler ses apparences. Un regard, un sourire, une pitié... Cela suffit, pour déguiser nos faiblesses. Chaque jour, nous créons le jugement des autres. C'est après tout justifiable par ce qu'il est aussi lui-même notre créateur. Il ressort toujours quelque chose d'artificiel, dans la position de ces miroirs rivaux. Cependant, il y reste toujours certains faits qui, lorsqu'ils brisent ce lien chimérique,... ne peuvent pas être ignorés.

La température fit grimacer Zohak, dont le front était couvert de sueur. Il l'épongea de sa main osseuse, puis se rendit à l'ombre sur son hamac. Le grincement des troncs se confondirent avec ceux de ses articulations. Si ses maux persévéraient, il ne pourrait bientôt plus s'en relever tout seul. Si ce n'était pire - en ce qui me concernait, du moins. Quel dommage pour lui : il se verrait dans la nécessité de mendier la gentillesse de la première venue, une personne suffisamment généreuse pour s'occuper de lui, le peu qu'il avait encore à vivre... Heureusement que j'étais là. Enfin... tout est une question de point de vue, bien sûr.

Sa vue aussi lui faisait défaut. A moins qu'il n'eût tout simplement et tout hypocritement pas voulu réagir, alors que j'avançais au milieu de notre petite enceinte en durcissant mon regard. Il se massa les tempes avec son pouce et son majeur, le squelette avachi. J'enjambai les récentes inondations et passai devant le vieil homme sans lui prêter d'attention. Je m'interdisais de le fixer dans les yeux. Il s'en serait trop réjoui. Dos à Zohak, je m'arrêtai quelques mètres plus loin, la tête baissée par l'amertume.
« Ah, tiens... où étais-tu passée ?
Mes sanglots me tentèrent une fois de plus, rien qu'à l'idée de lui répondre. Cela me faisait réellement souffrir, de l'entendre m'adresser la parole comme à sa chère et petite fille. Son ton était presque affectif, envers moi. La haine peut bien accepter les meurtres, les trahisons, et toute autre infamie... mais il lui est insupportable d'être ignorée, comme inexistante. Je lui fis serrer mes paupières afin d'éviter qu'elle ne m'envahît. Enfin maîtresse de moi, je me sentis de lui parler.
- Est-ce que je t'ai manqué... ?

Zohak attendit avant de répondre. Cette question l'indisposait, comme j'en avais l'intention. Le vieil homme essaya de rire de cette méchante plaisanterie, tout en étant soucieux de ne remarquer aucun amusement chez moi.
- N... Non... Excuse moi.... bredouilla-t-il, contrit. Je... Je voulais juste demander ça comme ça...

Menteur. Il était capable de fouiller dans mes affaires, pour connaître ma vie dans ses aspects les plus anodins. Il attachait beaucoup plus d'intérêt à mes déplacements en fonction des siens. Sans cesse à vouloir me retenir près de lui et de son palais... S'il avait sincèrement voulu ma liberté, il m'aurait appris davantage de choses.

- J'avais envie d'être un peu seule... déclarai-je en direction du mur de notre cabanon, dédaigneuse.
Je savais très bien comment réagirait le vieil homme. Jamais je n'avais tenu de tels propos, et il n'avait jamais su les deviner.
- Ah bon... ? fit-il, stupéfait.
Zohak n'aimait pas mon comportement. Il avait bâti notre survie sur le soutien mutuel et le renoncement à l'individualisme. C'était selon lui une mesure indispensable à notre sécurité. Mais je ne voulais plus rien juger selon lui. Les idées reçues étaient le pire de tous les dangers, je m'en étais bien rendue compte.

- Dis moi, Zohak... l'interpelai-je, la tête sur le coté. Si je devais un jour disparaître... je ne sais pas... un malencontreux accident... pourquoi aurais-tu de la peine ?
Il plissa les sourcils, interrogatif. Songer à la disparition d'une fille de quinze ans n'est pas ce qui se fait le plus.
- Je... je ne sais pas... fit-il, avant de se taire.
- On dirait que tu as horreur des questions, n'est-ce pas ? soupirai-je, lasse.
- M... Mais... ! bégaya-t-il de stupeur. Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Laisse tomber, Zohak... ! pestai-je. Tu es tellement insignifiant que je n'ai même pas besoin de toi, pour connaître les réponses...
- Mais de quoi parles-tu ? s'enquit le prêtre obstétricien, quelque peu contrarié.

- De ce qu'il y avait sur la plage, il y a huit ans, répondis-je alors.
Cette nouvelle secoua le vieillard, qui riva promptement la tête vers moi avec tourment. Je lui fis face, le regard plein de défi.
- Je sais tout, Zohak.

L'expression du vieillard se déconfit, les lèvres tremblantes. J'avais été évasive à souhait, le laissant dans le doute de savoir ce que je voulais dire par là. Que savais-je exactement ? "Tout" peut avoir de nombreux sens. Ils n'étaient même pas au courant des limites de mon pouvoir. Grâce à lui, j'avais dans tous les cas appris assez d'horreur pour mettre mon interlocuteur dans l'embarras.

- Tu n'as jamais voulu être mon ami, sale petit obsédé, proférai-je, venimeuse. Tout ce qui t'intéressait, c'était d'assouvir ton ego et ton sexe, deux choses qui vont effectivement bien ensemble, je te l'accorde...
Son expression devint terrorisée, dans la forme de la plus grande épouvante. Il étira toutes les rides de sa bouche et de ses yeux, comme témoin du Démon. Il se leva, les mollets à moitié fléchis, et adjura :
- Kaily ! Par pitié, je te demande Pardon...
- Non ! me récriai-je. Tu ne le mérites pas ! Je n'aurais jamais du rester avec toi ! Si tu m'avais laissée partir dans la forêt, je m'en serais très bien sortie toute seule ! Je peux très bien me débrouiller, en pleine jungle ! C'est à cause de toi, si j'ai failli tomber dans la crevasse, ce jour-là !

Les larmes revinrent aussi aux yeux du vieil homme. Il grimaça, les joues fissurées en maints replis. Je venais clairement d'éradiquer son estime de lui. Encore restait-il à la remplacer par une autre empoisonnée...
- Mais toi, ce n'est pas ce qui te préoccupe le plus...
- Kaily, attends... !
- Que je meure ou que je te quitte, le résultat sera le même. Cela reviendrait à renoncer aux pulsions auxquelles tu tiens tellement !
- Ce n'est pas vrai ! se défendit-il.
- Si ! Cesse de le nier ! Tu ne peux mentir à la déesse du Temps ! Avoues-le, Zohak ! Tu préférerais mieux mourir, plutôt que de passer à coté de mon cul et de mes seins ! Même si ça te filerait un infarctus, ensuite...
C'était ma nudité, le jour d'avant, qui avait poussé son cœur à bout.

- Kaily ! Arrête ! implora-t-il, la voix ébranlée.
- T'as qu'à me gifler, si tu veux pas l'assumer ! T'en es très bien capable !
- Tais-toi, je t'en prie... !
- Espèce de Salaud !
Son expression se partagea entre chagrin intense et immense colère, ces deux sentiments qu'inspirent les frustrations masculines.
- Tu ne comprends pas, Kaileena ! gémit-il avec une triste indignation. Ça n'a rien à voir avec tout ça !
- Ah ouais ? Alors pourquoi est-ce que tu tiens tant à moi ? Qu'est-ce qui te dérangerait tellement, si tu me perdais ? Dis-le ! C'est quoi, l'importance que tu me donnes ?!

Zohak était hors de souffle. Je revis les battements de son cœur, à travers les saccades de sa toge. Cette peine se serait vaguement confondue avec de la rage. Une sorte de hargne à ne pas pouvoir comprendre ni exprimer sa réponse. Je n'avais, moi, rien vu venir, emportée par ma rancœur. Il leva les yeux vers moi, et déclara alors  plaintivement :


- C'est que je t'aime...


Commentaires