Note de la fic :
Kaileena, l'Impératrice des Papillons
Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée
Chapitre 44 : Zohak, Le Prêtre Obstétricien (1)
Publié le 26/11/2010 à 11:42:47 par SyndroMantic
[c]Zohak, Le Prêtre Obstétricien[/c]
Les tracés de la plage s'allongeaient sur une dizaine de mètres, plus proches de l'intérieur de l'île que de ses rivages. Ils semblaient tournés vers la mer, d'après le sens de ses lignes directrices à partir des quatre puits étriqués. Celles-ci se rejoignaient sur les deux niveaux de ce qui s'apparentait à un tronc principal. Tels les racines et les branches d'un arbre. Tels les jambes et les bras d'un homme. Son épaisseur était de cinq centimètres tout au plus. Sa profondeur, en revanche, était telle qu'elle laissait dans l'ombre ses renfoncements, cette ombre elle-même favorisée par un ciel de plomb. Cette grande marque était tellement prononcée, et tellement uniforme, qu'il était impossible d'en supposer le caractère naturel. C'était là un ouvrage humain, dans tout ce qu'ils ont de plus ténébreux. En m'y penchant de plus près, je vis que ces fossiles découvraient sous le sable une surface de pierre, presque lumineuse et argentée, mais surtout si froide, étendue devant les éclairs de ma tempête. Au milieu du segment principal, la forme d'une goutte d'eau coulait vers une étrange spirale à laquelle toutes les courbes aboutissaient - le premier embranchement y était accolé. Le centre de cette figure, son origine, son coeur, était voilé dans un halo de poussière. Autour de moi, les sables ne cessaient de se déchaîner...
Dans les brumes flamboyantes, derrière les rideaux cycloniques, des images se formèrent peu à peu. Ces ombres devinrent des corps, que mes yeux touchèrent bientôt. Au large, le navire des zervanistes avait jeté l'ancre. Le ciel, au fond, baignait dans une nappe de lumière dorée, diffuse par-delà les nuages houleux. Les marins avaient hissé la voile, attendant le retour de leurs maîtres débarqués sur les côtes. Leurs camarades qui les y avaient menés à la rame, rangeaient maintenant dans les barques pelles et outils leur ayant servis à creuser les fameux dénivelés. Arhak en tenait encore le schéma dans sa main nerveuse. Les matelots restèrent à l'écart et s'allongèrent de fatigue, prêts néanmoins à détacher leurs embarcations à tout moment pour le retour. Je regardais les prêtres discuter à voix basse, devant les symboles. Jehak y était accroupi à quelques centimètres, dos à ses confrères. La mine plus mauvaise que jamais, il mordait son poignet, régulièrement saisi de rictus paniqués. Confronté à des images frénétiques de ses souvenirs, il était complètement en dehors de la situation. Seuls ses trois collègues avaient encore en vue le projet qu'ils s'étaient fixés depuis le début.
Tout au fond, Zohak couvrait Kaileena de sa large manche, en caressant sa joue, à deux pas de l'orée du bois. Il lui parlait, profondément, avec intimité, la main sur son épaule tremblante. Je n'entendais pas ce qu'il lui disait, mais son expression contenait je ne savais quoi d'hypocrite. Ce jour-là déjà, il avait commencé sa vocation paternaliste, qui lui survivrait huit ans encore. Je me rendis soudain compte, à cet instant, que la petite fille n'avait nul besoin de père dans le bateau qu'elle était sensée rejoindre. Mais elle connaissait déjà ce regard rassurant et ses paroles consolantes du grand homme, en dehors du rôle pour lequel il était fait. Non, nous ne devrions jamais nous focaliser sur nos desseins personnels : tôt ou tard, ils finissent par nous compromettre.
Le prêtre obstétricien se leva, considérant affectueusement sa protégée, avant d'aller rejoindre ses collègues. La pauvre enfant lui adressa des appels plaintifs, apeurée par sa soudaine solitude. Mais le zervaniste ne pouvait pas rester avec elle. Les autres avaient besoin de lui. Il devait les accompagner. Il fit signe à Kaileena de rester à sa place et la laissa, figée dans ses tourments intérieurs, en soufflant d'exaspération une fois le dos tourné, pour ces harcèlements pleurnichards. J'aurais fait moi-même preuve de la même indulgence, vis-à-vis du bas âge de cette enfant. Mais il n'était pas moi, et rien ne l'avait forcé à mimer cette image. Le découvrir ainsi me froissait quelque peu.
Lorsque ses confrères le virent, il détourna leur attention par un froncement de sourcils exagéré et un soupir qui montrait davantage une tension plutôt qu'un mépris pour la déesse. On aurait presque vu de la tristesse, dans cette expression malaisée. Mais les autres hommes avaient fini par ne plus prêter foi à cela, quoi qu'eût pu tenter le zervaniste. Alors qu'il arrivait près d'eux, Gulhak essaya d'ignorer cette comédie, et ne lui laissa pas le temps de rien prononcer :
« Zohak, tu es prêt ? Nous allons commencer le rituel.
- Oui... Hum... répondit-il distraitement.
- Allez-y. Nous allons d'abord essayé une combinaison à partir de Nîbhak. Je prendrai le relais. Puis ce sera ton tour, Arhak. Enfin, Jehak... Et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on tombe sur la bonne combinaison. Huit tentatives nécessaires, tout au plus, normalement.
J'observais attentivement. Chacun sortit sa gourde, en dehors du grand homme songeur. Je laissai passer Nîbhak qui se positionna derrière un trou, en prenant garde de ne pas l'ensevelir avec ses grands pieds. La fumée avait cessé de s'en élever. Gulhak tapa l'épaule du sacrificateur pour le motiver, sans obtenir de lui aucune réaction significative. Il continuait de fixer le sol, tant qu'il pouvait retarder la vue de son rival, quelques pas derrière. A l'autre bout, le mastodonte dévissait le goulot de sa cruche, avant de regarder son ami venir vers lui. Seul Arhak demeura au coté de mon hôte. Il avait compris que son approche parmi eux n'était pas désintéressée. Zohak avait quelque chose à leur demander :
- Excusez moi... dit-il avec pondération. Je me disais... Il faudrait penser à s'occuper de la petite.
Son interlocuteur fit des yeux dubitatifs. Gulhak plissa le front. De mon côté, J'interprétais avec une certaine réserve ce qu'il voulait dire par là. Il n'avait jamais tenu compte des avis de ses semblables, lorsqu'il s'agissait de la distraire. Personne d'autre n'avait cette attention là.
- Quoi ? l'interrogea Arhak. Mais... la petite, on lui demande pas son avis... ?
- Une petite qui a un nom, s'il faut te le rappeler, ajouta son compère.
Il confirmait ce sur quoi j'étais tombée d'accord : Kaileena n'était restée qu'à la demande personnelle de Zohak de lui faire un peu changer d'air. C'était lui-même qui me l'avait dit.
- Non, ce que je voulais dire, c'est...
Zohak n'eut pas le temps de terminer avant d'être interrompu par Nîbhak, plus attentif au reste de la scène :
- Attention. Elle se ramène.
Les prêtres se retournèrent. Kaileena s'était levée, debout sur ses jambes chétives, et fit quelques pas vers nous. Ses craintes l'avaient dominée. Elle s'avança toute peureuse dans notre direction. Tous les hommes fixèrent son protecteur, qu'ils avaient explicitement désigné responsable d'elle. Ce dernier s'en rendit compte et chercha la tonalité appropriée pour son ordre. Le ménagement doit toujours être fait avec soin.
- Pet... hum... Kaileena ! appela-t-il d'une voix forte. Reste là-bas quelques secondes ! Nous devons parler de choses très importantes !
La petite marqua un arrêt, l'expression inquiète. Elle était malgré tout suffisamment proche pour que l'on pût noter cela. Arhak pouffa avec cynisme des mots employés par le grand homme. La jeune enfant ne fit plus d'autre geste, intimidée par leur autorité. Les hommes revinrent à leur occupation, sans prêter la moindre attention à leur collègue. Arhak se tourna brièvement vers lui, sarcastique :
- Des choses très importantes, hein... ?
Zohak n'était pas du tout leur porte parole. Les prêtres zervanistes n'avaient plus rien à se dire depuis un moment. Le temps jouait contre eux, et il n'était plus question d'aucune délibération. Mais ce dernier persistait pourtant à vouloir les entretenir d'une chose que personne ne désirait seulement présumer. Arhak dédaigna sa conversation et marcha vers un trou inoccupé. Le zervaniste alla pour insister auprès de lui, en regard de son influence sur le groupe. Mais Gulhak avait moins de temps à perdre. Il s'avança lui-même et l'appela :
- Bon. C'est quoi ton problème ? Accouche.
- Voilà... euh... Vous n'allez pas avoir besoin de moi, là, n'est-ce pas ?
- Si. Qu'est-ce que tu crois ? répliqua sèchement le jeune homme.
Les yeux de Zohak se perdirent un instant dans la perplexité. Il leur fit part de son étonnement, presque anxieux :
- Mais... nous sommes cinq prêtres... or, il n'en faut qu'un seul, sur les quatre orifices... chercha-t-il à se justifier.
- Et tu en cherches désespérément un, c'est ça ? lança Nîbhak.
- Je t'emmerde.
Le colosse alla pour réagir, mais il fut surpris par Jehak qui venait brusquement de se lever. Ils le suivirent du regard, abasourdis - depuis le temps qu'on l'en croyait incapable. Il se précipita vers la jeune fille, ayant vu qu'elle allait encore s'approcher. Ses membres tressaillirent, en voyant venir sur elle le monstre qui l'avait martyrisée tant de fois.
- Ça suffit, petite ! On t'a dit que ça ne te regardait pas ! rugit-il, à m'en faire serrer les poings.
Pendant qu'il la prenait par le col, nous observions tous la réaction de Zohak, dont la tête était rentrée dans les épaules. Son regard paraissait obscurci par le ressentiment de voir une fois de plus la petite maltraitée. Mais j'avais appris la veille que ce n'était peut-être pas par altruisme, qu'il s'indignait de cela. En tout cas, quelle qu'en fût sa raison, elle n'était pas suffisante pour venir à son secours. Comme précédemment, Zohak ne bougeait pas d'un pouce, malgré les gémissement de la pauvre petite. Une preuve de faiblesse indigne, selon ses collègues :
- A quoi cela me servirait-il de te frapper ?... questionna Nîbhak, derrière son épaule. On a tous déjà compris que t?avais rien dans le ventre, de toutes façons...
Le prêtre ne releva pas, se contentant seulement de le foudroyer du regard. Il n'avait jamais été bavard, en dehors de mon cas. Personne n'arrivait à cerner ses véritables sentiments, qu'il cherchait constamment à dissimuler. Ses contemporains ne comprenaient pas de quel fardeau il s'était chargé, eux qui avaient toujours été les plus libres des hommes. Jamais on ne l'avait vu faire exercice de la puissance que tous avaient reçue. Malgré sa haute fonction, Zohak était resté quelqu'un d'extrêmement discret, même dans notre futur campement. Il ne faisait jamais la moindre vague, ou du moins volontairement. En général, tant qu'il n'était pas directement offensé, il n'y avait pas à craindre de lui la moindre hostilité. Auquel cas cette dernière ne se traduisait que par de médiocres insultes, comme celle qui l'avait auparavant mêlé à une bagarre presque sanglante. Cela n'avait cependant jamais servi de leçon, à son insolence fébrile.
- Pas la peine de prendre la mouche, reprit Arhak à son attention. Tu restes jusqu'au bout. On sait jamais, si ça se trouve, tu peux servir à quelque chose. Je me demande si Jehak ne ferait pas mieux d'aller se reposer, depuis qu'il s'est levé du pied gauche. Tu le remplaceras, si on doit se passer de lui.
Pas non plus de protestation, comme toujours. L'autre sauvage tirait maintenant la pauvre gamine vers la souche d'un arbre mort, de nombreux mètres plus loin.
Les tracés de la plage s'allongeaient sur une dizaine de mètres, plus proches de l'intérieur de l'île que de ses rivages. Ils semblaient tournés vers la mer, d'après le sens de ses lignes directrices à partir des quatre puits étriqués. Celles-ci se rejoignaient sur les deux niveaux de ce qui s'apparentait à un tronc principal. Tels les racines et les branches d'un arbre. Tels les jambes et les bras d'un homme. Son épaisseur était de cinq centimètres tout au plus. Sa profondeur, en revanche, était telle qu'elle laissait dans l'ombre ses renfoncements, cette ombre elle-même favorisée par un ciel de plomb. Cette grande marque était tellement prononcée, et tellement uniforme, qu'il était impossible d'en supposer le caractère naturel. C'était là un ouvrage humain, dans tout ce qu'ils ont de plus ténébreux. En m'y penchant de plus près, je vis que ces fossiles découvraient sous le sable une surface de pierre, presque lumineuse et argentée, mais surtout si froide, étendue devant les éclairs de ma tempête. Au milieu du segment principal, la forme d'une goutte d'eau coulait vers une étrange spirale à laquelle toutes les courbes aboutissaient - le premier embranchement y était accolé. Le centre de cette figure, son origine, son coeur, était voilé dans un halo de poussière. Autour de moi, les sables ne cessaient de se déchaîner...
Dans les brumes flamboyantes, derrière les rideaux cycloniques, des images se formèrent peu à peu. Ces ombres devinrent des corps, que mes yeux touchèrent bientôt. Au large, le navire des zervanistes avait jeté l'ancre. Le ciel, au fond, baignait dans une nappe de lumière dorée, diffuse par-delà les nuages houleux. Les marins avaient hissé la voile, attendant le retour de leurs maîtres débarqués sur les côtes. Leurs camarades qui les y avaient menés à la rame, rangeaient maintenant dans les barques pelles et outils leur ayant servis à creuser les fameux dénivelés. Arhak en tenait encore le schéma dans sa main nerveuse. Les matelots restèrent à l'écart et s'allongèrent de fatigue, prêts néanmoins à détacher leurs embarcations à tout moment pour le retour. Je regardais les prêtres discuter à voix basse, devant les symboles. Jehak y était accroupi à quelques centimètres, dos à ses confrères. La mine plus mauvaise que jamais, il mordait son poignet, régulièrement saisi de rictus paniqués. Confronté à des images frénétiques de ses souvenirs, il était complètement en dehors de la situation. Seuls ses trois collègues avaient encore en vue le projet qu'ils s'étaient fixés depuis le début.
Tout au fond, Zohak couvrait Kaileena de sa large manche, en caressant sa joue, à deux pas de l'orée du bois. Il lui parlait, profondément, avec intimité, la main sur son épaule tremblante. Je n'entendais pas ce qu'il lui disait, mais son expression contenait je ne savais quoi d'hypocrite. Ce jour-là déjà, il avait commencé sa vocation paternaliste, qui lui survivrait huit ans encore. Je me rendis soudain compte, à cet instant, que la petite fille n'avait nul besoin de père dans le bateau qu'elle était sensée rejoindre. Mais elle connaissait déjà ce regard rassurant et ses paroles consolantes du grand homme, en dehors du rôle pour lequel il était fait. Non, nous ne devrions jamais nous focaliser sur nos desseins personnels : tôt ou tard, ils finissent par nous compromettre.
Le prêtre obstétricien se leva, considérant affectueusement sa protégée, avant d'aller rejoindre ses collègues. La pauvre enfant lui adressa des appels plaintifs, apeurée par sa soudaine solitude. Mais le zervaniste ne pouvait pas rester avec elle. Les autres avaient besoin de lui. Il devait les accompagner. Il fit signe à Kaileena de rester à sa place et la laissa, figée dans ses tourments intérieurs, en soufflant d'exaspération une fois le dos tourné, pour ces harcèlements pleurnichards. J'aurais fait moi-même preuve de la même indulgence, vis-à-vis du bas âge de cette enfant. Mais il n'était pas moi, et rien ne l'avait forcé à mimer cette image. Le découvrir ainsi me froissait quelque peu.
Lorsque ses confrères le virent, il détourna leur attention par un froncement de sourcils exagéré et un soupir qui montrait davantage une tension plutôt qu'un mépris pour la déesse. On aurait presque vu de la tristesse, dans cette expression malaisée. Mais les autres hommes avaient fini par ne plus prêter foi à cela, quoi qu'eût pu tenter le zervaniste. Alors qu'il arrivait près d'eux, Gulhak essaya d'ignorer cette comédie, et ne lui laissa pas le temps de rien prononcer :
« Zohak, tu es prêt ? Nous allons commencer le rituel.
- Oui... Hum... répondit-il distraitement.
- Allez-y. Nous allons d'abord essayé une combinaison à partir de Nîbhak. Je prendrai le relais. Puis ce sera ton tour, Arhak. Enfin, Jehak... Et ainsi de suite jusqu'à ce que l'on tombe sur la bonne combinaison. Huit tentatives nécessaires, tout au plus, normalement.
J'observais attentivement. Chacun sortit sa gourde, en dehors du grand homme songeur. Je laissai passer Nîbhak qui se positionna derrière un trou, en prenant garde de ne pas l'ensevelir avec ses grands pieds. La fumée avait cessé de s'en élever. Gulhak tapa l'épaule du sacrificateur pour le motiver, sans obtenir de lui aucune réaction significative. Il continuait de fixer le sol, tant qu'il pouvait retarder la vue de son rival, quelques pas derrière. A l'autre bout, le mastodonte dévissait le goulot de sa cruche, avant de regarder son ami venir vers lui. Seul Arhak demeura au coté de mon hôte. Il avait compris que son approche parmi eux n'était pas désintéressée. Zohak avait quelque chose à leur demander :
- Excusez moi... dit-il avec pondération. Je me disais... Il faudrait penser à s'occuper de la petite.
Son interlocuteur fit des yeux dubitatifs. Gulhak plissa le front. De mon côté, J'interprétais avec une certaine réserve ce qu'il voulait dire par là. Il n'avait jamais tenu compte des avis de ses semblables, lorsqu'il s'agissait de la distraire. Personne d'autre n'avait cette attention là.
- Quoi ? l'interrogea Arhak. Mais... la petite, on lui demande pas son avis... ?
- Une petite qui a un nom, s'il faut te le rappeler, ajouta son compère.
Il confirmait ce sur quoi j'étais tombée d'accord : Kaileena n'était restée qu'à la demande personnelle de Zohak de lui faire un peu changer d'air. C'était lui-même qui me l'avait dit.
- Non, ce que je voulais dire, c'est...
Zohak n'eut pas le temps de terminer avant d'être interrompu par Nîbhak, plus attentif au reste de la scène :
- Attention. Elle se ramène.
Les prêtres se retournèrent. Kaileena s'était levée, debout sur ses jambes chétives, et fit quelques pas vers nous. Ses craintes l'avaient dominée. Elle s'avança toute peureuse dans notre direction. Tous les hommes fixèrent son protecteur, qu'ils avaient explicitement désigné responsable d'elle. Ce dernier s'en rendit compte et chercha la tonalité appropriée pour son ordre. Le ménagement doit toujours être fait avec soin.
- Pet... hum... Kaileena ! appela-t-il d'une voix forte. Reste là-bas quelques secondes ! Nous devons parler de choses très importantes !
La petite marqua un arrêt, l'expression inquiète. Elle était malgré tout suffisamment proche pour que l'on pût noter cela. Arhak pouffa avec cynisme des mots employés par le grand homme. La jeune enfant ne fit plus d'autre geste, intimidée par leur autorité. Les hommes revinrent à leur occupation, sans prêter la moindre attention à leur collègue. Arhak se tourna brièvement vers lui, sarcastique :
- Des choses très importantes, hein... ?
Zohak n'était pas du tout leur porte parole. Les prêtres zervanistes n'avaient plus rien à se dire depuis un moment. Le temps jouait contre eux, et il n'était plus question d'aucune délibération. Mais ce dernier persistait pourtant à vouloir les entretenir d'une chose que personne ne désirait seulement présumer. Arhak dédaigna sa conversation et marcha vers un trou inoccupé. Le zervaniste alla pour insister auprès de lui, en regard de son influence sur le groupe. Mais Gulhak avait moins de temps à perdre. Il s'avança lui-même et l'appela :
- Bon. C'est quoi ton problème ? Accouche.
- Voilà... euh... Vous n'allez pas avoir besoin de moi, là, n'est-ce pas ?
- Si. Qu'est-ce que tu crois ? répliqua sèchement le jeune homme.
Les yeux de Zohak se perdirent un instant dans la perplexité. Il leur fit part de son étonnement, presque anxieux :
- Mais... nous sommes cinq prêtres... or, il n'en faut qu'un seul, sur les quatre orifices... chercha-t-il à se justifier.
- Et tu en cherches désespérément un, c'est ça ? lança Nîbhak.
- Je t'emmerde.
Le colosse alla pour réagir, mais il fut surpris par Jehak qui venait brusquement de se lever. Ils le suivirent du regard, abasourdis - depuis le temps qu'on l'en croyait incapable. Il se précipita vers la jeune fille, ayant vu qu'elle allait encore s'approcher. Ses membres tressaillirent, en voyant venir sur elle le monstre qui l'avait martyrisée tant de fois.
- Ça suffit, petite ! On t'a dit que ça ne te regardait pas ! rugit-il, à m'en faire serrer les poings.
Pendant qu'il la prenait par le col, nous observions tous la réaction de Zohak, dont la tête était rentrée dans les épaules. Son regard paraissait obscurci par le ressentiment de voir une fois de plus la petite maltraitée. Mais j'avais appris la veille que ce n'était peut-être pas par altruisme, qu'il s'indignait de cela. En tout cas, quelle qu'en fût sa raison, elle n'était pas suffisante pour venir à son secours. Comme précédemment, Zohak ne bougeait pas d'un pouce, malgré les gémissement de la pauvre petite. Une preuve de faiblesse indigne, selon ses collègues :
- A quoi cela me servirait-il de te frapper ?... questionna Nîbhak, derrière son épaule. On a tous déjà compris que t?avais rien dans le ventre, de toutes façons...
Le prêtre ne releva pas, se contentant seulement de le foudroyer du regard. Il n'avait jamais été bavard, en dehors de mon cas. Personne n'arrivait à cerner ses véritables sentiments, qu'il cherchait constamment à dissimuler. Ses contemporains ne comprenaient pas de quel fardeau il s'était chargé, eux qui avaient toujours été les plus libres des hommes. Jamais on ne l'avait vu faire exercice de la puissance que tous avaient reçue. Malgré sa haute fonction, Zohak était resté quelqu'un d'extrêmement discret, même dans notre futur campement. Il ne faisait jamais la moindre vague, ou du moins volontairement. En général, tant qu'il n'était pas directement offensé, il n'y avait pas à craindre de lui la moindre hostilité. Auquel cas cette dernière ne se traduisait que par de médiocres insultes, comme celle qui l'avait auparavant mêlé à une bagarre presque sanglante. Cela n'avait cependant jamais servi de leçon, à son insolence fébrile.
- Pas la peine de prendre la mouche, reprit Arhak à son attention. Tu restes jusqu'au bout. On sait jamais, si ça se trouve, tu peux servir à quelque chose. Je me demande si Jehak ne ferait pas mieux d'aller se reposer, depuis qu'il s'est levé du pied gauche. Tu le remplaceras, si on doit se passer de lui.
Pas non plus de protestation, comme toujours. L'autre sauvage tirait maintenant la pauvre gamine vers la souche d'un arbre mort, de nombreux mètres plus loin.