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Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 45 : Zohak, Le Prêtre Obstétricien (2)


Publié le 04/12/2010 à 17:11:50 par SyndroMantic

Aucun débordement n'avait eu lieu, à l'approche de l'île, et Jehak n'avait toujours pas trouvé comment utiliser Kaileena pour sa vengeance. C'était la première fois qu'ils touchaient terre, depuis des mois et des mois. Pourtant, le sacrificateur semblait aussi limité que sur le bateau, peut-être même davantage. Je remarquai soudain que sa dague était passée à la ceinture de Zohak. Son moyen de pression. Sa virilité incarnée. Mon ami l'avait sûrement réclamée, après le drame dont il avait été la cible. La revanche du maudit était comme nue, à présent. D'aucun n'ignorait la rancune qu'il éprouvait, pour cette demi défaite.

Maintenant, il rabattait sa haine sur la jeune enfant, sachant exactement l'importance qu'elle avait, pour le prêtre obstétricien. Je l'avais aussi compris, ce n'était pas après moi qu'il en voulait. Cette violence n'avait d'autre but que de consoler le désir de châtiment qui le rongeait depuis si longtemps, mais qu'il ne pouvait satisfaire. D'où la méchanceté de sa menace, lorsqu'on l'entendit s'adresser à Kaileena :
- Écoute-moi bien... Si tu lèves ne serait-ce qu'une seule fois ton derrière de cet arbre mort,... je te jure que tu verras en "détails"... ce qu'il y a sous le sable... Est-ce que tu m'as compris... ?

Les visages des zervanistes étaient graves, à présent. Certains de pitié, pour elle ou pour lui. L'un de mépris. Tel est le remède, lorsqu'on n'ose regarder ses propres conséquences. Une occasion de plus pour Nîbhak de s'amuser des pensées du grand homme.
- T'en fais pas, Zohak... c'est juste un petit mal de terre, plaisanta-t-il sur un ton de confidence malsaine.
- Vous avez bientôt fini, les gamins ? On peut envisager de se remettre à des affaires plus sérieuses ? s'immisça Gulhak, agacé. Bien. Sinon, il ne faut pas exagérer, c'est pas demain la veille que Jehak ne sera même plus apte à verser un peu d'eau dans un trou, j'espère...
- Avec tout le sang dont il a inondé l'Autel, ce serait un comble...
- Toi la ferme, Zohak, rouspéta le jeune homme.
- Lui au moins, ça l'affecte ! renchérit Arhak.
A coté, Nîbhak s'esclaffait en silence.
- Hein, parce qu'en attendant, toi, tu te foules pas pour améliorer les choses, monsieur "Compassion"... !
- Je... je ne veux pas blesser quiconque, devant elle.
J'apprenais ainsi que les fauves n'entraient pas dans la catégorie des "qui", dans l'estime du grand prêtre.
- Ouais, ouais... C'est ça... grommela Arhak, désinvolte, signifiant son désintérêt pour lui au profit du retour de mon tortionnaire.

Ce dernier fulminait, en arrivant. Au loin, la petite fille baissait le regard, immobile, sur ce pauvre tronc mort. Aucune surprise à ce que le sacrificateur eût plus d'influence sur elle que Zohak n'en aurait jamais, sans qu'il dût employer la force. Ses premiers mots à leur encontre donnèrent immédiatement le ton :
- Bon ! On y va ?! J'en ai marre de rester ici !
Les autres allèrent pour le confirmer, mais Zohak s'indigna, s'avançant vivement :
- Hey ! Je parle, s'il vous plaît ! Laissez-moi terminer, à la fin !

Un sursaut de folie passa dans les yeux grands ouverts de mon oppresseur qui se retourna instantanément vers lui. En trois enjambés rapides, il put lever les mains sur mon ami, avant d'être rapidement attrapé par ses camarades. Gagné par ses emportements, il se débattit avec nervosité.
- Tu veux que je t'y aide ?! gronda-t-il avec fureur, tandis que Nîbhak accourait pour le maîtriser.
- Holà, doucement...
- Lâche-moi !

Zohak manqua de piétiner, dans la surprise. Nul besoin de permettre la vérification pour saisir ce que ce diable lui réservait. Lorsqu'il reprit son équilibre, ce dernier pointait vers lui un doigt assassin :
- Tu vas voir ce que je vais terminer, moi !
Le pauvre zervaniste s'écarta de quelques pas, la main au fourreau de sa lame. Ses doigts s'en emparèrent avec détermination. Au courant de ce détail, Arhak s'interposa pour éviter le pire :
- Oh ! On se calme !

L'enragé grognait presque, à ce moment. Gulhak félicita leur ami d'avoir jugé plus sage, dès le départ, la compagnie d'une forte carrure, pour gérer de semblables débordements : même le colosse zervaniste avait du fil à retordre, pour épuiser les gesticulations hystériques de son camarade. Lorsque Jehak se fut un peu affaibli, le jeune homme lui glissa à l'oreille :
- Putain, Jehak, tu vas pas tout gâcher...

Le grand énervé ne dit mot, verrouillant ses yeux sur Zohak. Les joues gonflées, il soufflait comme un taureau, mais heureusement pour relâcher sa tension. Il savait que ces réactions, de la part de ses frères, ne cherchaient en aucun cas à prendre la défense de son ennemi, mais à le protéger lui-même. La leçon de la taverne avait un peu tardé à lui revenir. Il savait que le danger résidait aussi, et surtout, lorsque son contrôle lui échappait. Quand le silence se fut rétabli, Arhak s'employa à précipiter l'issu de ce conflit.
- Magne toi, Zohak, crache le morceau... siffla-t-il tout aussi vilainement. Ou je te jure qu'on s'y met à quatre...

Le prêtre obstétricien ravala sa salive, avant de reprendre sa respiration. Tout le monde en vint à espérer la fin. Cette aventure avait pris des aspects bien pénibles, pour chacun d'eux. Mon compagnon pouvait déjà s'estimer heureux d'être arrivé jusqu'à avoir la parole dans ces conditions précises. Il se voyait déjà étripé par ses collègues. Avant ou après sa demande, qui pût le prévoir ? Cette épée de Damoclès avait le même poids. Le cœur battant, il s'efforça de ciseler ses mots avec autant de soin que pour une dernière estocade :

- Je voudrais simplement l'emmener faire une dernière promenade...

- Quoi ?! réagit violemment le sacrificateur, encore maintenu.
- Vous savez... Cela fait un moment que... je me suis pris de sympathie pour elle... Je 'ai rien trouvé de commun avec son père, au fil de nos conversations. Finalement, on dirait presque qu'elle est comme nous...
- "Nous" ? corrigea Arhak. Tu t'imagines encore qu'on t'accepte dans notre groupe ?
- Zervan continue, lui, en tout cas. C'est bien toujours notre dieu commun ?
- Oui, et à mon souvenir, les excursions pédagogiques, c'était pas vraiment son truc.
- Les secrets non plus, vous ferais-je dire. Quoi que l'on fasse sur cette île, nous nous sommes affranchis des règles du Temple.
Jehak sauta sur l'occasion :
- Ça veut dire que ton acquittement ne vaut plus rien ?
- Sauf si tu admets une fois pour toute que je suis innocent...

Le sacrificateur ne répondit rien, pas même un geste. Ses camarades estimèrent le moment de le lâcher, ce qui ne manqua pas d'effrayer Zohak par cette soudaine liberté. Son rival ne le regarda pas dans les yeux, la tête plongée ailleurs, comme un enfant grognon. Au moins cela avait-il ôté un peu de ses ardeurs... Mais on attendait néanmoins sa réponse, au vu de la sensibilité qu'il éprouvait pour le sujet. Alors il releva les yeux vers mon ami et lui lança :
- Quelque part... même si t'étais innocent... je te tabasserais quand même... Comme tout le monde, en fait.
Zohak pouffa de dédain.
- Arrête de faire porter le chapeau à ta fichue communauté, répliqua-t-il. C'est seulement toi qui couves un sérieux problème psychologique !

Personne ne le contredit, sauf le concerné :
- Moi ?! C'est moi, que tu traites de psychopathe !? injuria-t-il sans bouger de sa position, les mots ayant remplacé les poings. Tu t'es regardé, la petite tarlouze dégénérée !?
Trop sensible pour eux, Zohak n'avait jamais démontré sa valeur d'homme.
- "Tarlouze" si tu veux, mais moi je viens pas saouler les autres, au moins !
- Si ! Ça fait deux heures que tu nous casses les burnes pour aller t'amuser avec ta nana et cueillir des ban... !
- C'est pas nana, vas te payer des yeux.
- Pas les tiens, j'y veillerai !
- Vivement notre retour au pays, que tu t'en retrouves une, toi, justement ! Tu ne peux jamais t'empêcher de forcer ta douleur !
- Et toi, ton sentimentalisme !
- C'est juste de la maturité, mais tu peux pas comprendre !
- Pardon !? Répète !
- Y en a assez, de tes réactions de gamin ! C'est une petite fille, bon sang !
- Ta gueule, Zohak ! Tu n'es pas son père !
- Si je l'avais été, cela ferait un moment que je t'aurais éjecté hors de ce monde !
- Ça suffit, vous deux ! intervint d'une forte voix leur chef présumé. Jehak : ferme-la maintenant. Zohak : à quoi tu joues ? C'est quoi, cette idée de partir avec elle ?

Il est vrai que cette requête m'apparut assez étrange, à ce moment. Quelle jouissance cela était-il sensé m'apporter ? Un bref silence plana, avant qu'il ne répondît. Sa justification n'allait pas d'elle-même. Zohak était visiblement trop différent d'eux pour espérer leur faire comprendre. Un brin désabusé, il avoua tout de même :
- Voilà. Je... J'en ai marre... qu'on opère de cette façon ! Elle... elle ne mérite pas ça.
S'il voulait parler des six années de punition pour le sexe de la petite, bien qu'il eût tout mon accord, je trouvais l'occasion un peu tardive, de le leur faire remarquer. Sûrement n'était-ce pas la première fois, puisqu'ils savaient son vœu de compassion, mais sa remarque apparaissait du coup très naïve. Elle lui valut naturellement des sarcasmes stupéfaits de la part d'Arhak.
- Qu'est-ce qu'il y a... ? T'as envie de l'adopter, maintenant ? La fille de Zervan lui-même ?
- Je dis pas ça, non... répartit mon compagnon, mais... Bon sang ! Vous allez la traumatiser... !

La terreur me gagna tout à coup. J'attendais le "à force", mais il était résolument absent. Ce dont parlait Zohak n'était pas une phrase en l'air, un avertissement qui doute déjà de sa réalisation,... car cette réalisation était littéralement Annoncée. Je revoyais son doigt, quand il le balançait devant mon nez pour me prévenir d'un excès de jus de coco, persuadé de sa dissuasion. Et là, je constatais ses yeux tristement fatalistes, pour un traumatisme qu'il savait devoir se produire. Moi aussi, je savais qu'un drame allait bientôt arriver, et qu'il le concernait aussi. Mais lui n'était pas sensé en avoir le moindre soupçon. Lui n'avait pas le don de Vision. Je pris peur, alors, de ce que ces brigands pouvaient m'avoir réservé.

- Ha ! Tu crois qu'elle en a pas déjà vu assez ? interrogea Gulhak.
En plus de cela, ils assumaient publiquement les infamies dont ils étaient auteurs.
- Honnêtement ? Non, garantit pourtant Zohak l'air déterminé. Vous savez ce qu'est le pire cauchemar d'un enfant. Il n'y a rien de plus important, à ses yeux. Tout ce qu'elle a pu vivre... ç... ça ne représente rien, pour elle !

Je tombais des nues : alors comme cela, tout ce que j'avais pu supporter, l'exclusion, le mépris, l'isolement, les punitions, les secrets, l'ennui,... et bien sûr la torture de Jehak, tout cela, disait-il, n'avait aucune importance pour moi ! De quel droit se permettait-il donc d'en juger ?
- ... Tout cela est encore tôt. Elle n'a que six ans... Mais d'avoir quelqu'un sur qui compter... Ça ! Ça, elle s'y accroche...

Et c'était donc cela que concernerait mon traumatisme. Les paroles de Zohak soulevèrent des rires tonitruants, dans son auditoire. Ils auraient selon lui prévu de me trahir... De quelle façon, je l'ignorais : je l'ignorais de toutes mes forces, parce qu'il m'était trop horrible d'admettre que les possibilités se resserrassent dans une idée pétrifiante. Je priais mon père qu'elle n'eût pas lieu d'être pensée. Le Temps ne vient jamais à bout des idéalistes. Je prenais les moqueries des zervanistes pour moi, alors qu'ils visaient en fait la niaiserie de mon compagnon.

- Je suis désolé. Moi je n'arrive pas à en rire, reprit-il avec dignité. Laissez-moi juste me charger de cette dernière étape ! Je... je sais que pour vous, ça peut paraître fantaisiste...
- Oh... voyons... On te connaît... murmura Nîbhak qui n'en loupait jamais une.
- ... mais j'ai envie de lui apporter quelque chose.
- On ne veut pas savoir quoi, le coupa brièvement Arhak sans que je comprisse pourquoi.
- Je ne peux pas me résoudre à simplement la regarder s'éloigner, comme ça... faire comme si les choses allaient pour le mieux... alors que ça fait deux ans qu'elle pense que je suis son ami...

Et ce n'était donc pas le cas... ?! Les bras m'en tombaient. Non, il ne fallait pas parler de deux pauvres petites années... ! Cela ne faisait pas moins de dix ans que je le croyais de mon coté ! Tout ce temps, il m'avait protégée. Tout ce temps ! Je pensais compter pour lui. Il avait toujours cherché à me parler, à lier des contacts, faire la conversation. Pas une heure, sans se soucier de mon bien-être... Qui cela pouvait-il être, sinon un Ami ?!

- Ça, c'est pas notre problème, trancha Arhak toujours aussi cinglant. T'avais qu'à réfléchir avant de faire copain copine avec elle...
- Justement ! Tout ce que je veux... t... tout ce que je voulais !...
J'étais pendu à ses mots.
- ... c'était lui faciliter cette épreuve. Laissez-moi aller la rejoindre ! Je ne vous suis d'aucune... d'aucune utilité dans l'invocation des pierres de vent. Alors laissez-moi la promener dans la jungle. Je la guide un petit moment dans les fourrés jusqu'à l'évanouissement... Je m'assure qu'elle ne craint rien là où je la laisse... Et je rapplique peu de temps après que vous ayez terminé !

Mes muscles se paralysèrent. Je ne lui en voulus même pas encore avant de sentir des larmes inonder mon visage. Il n'y avait plus d'équivoque, désormais. Je me mis à pleurer, focalisée sur cette révélation. Tel était Zohak depuis le début. Pourquoi ? - "pourquoi" parce qu'on aimerait tellement qu'il y ait un sens, à l'univers. Une justice, un pourquoi, une raison, en ce bas monde. Une raison qui porte à croire, à Croire, tout simplement, que l'amour n'est pas un poison. L'horrible réalité... Même tête, même corps, même rouge. Il n'y avait aucune différence entre lui et eux.

Mêmes origines. Mêmes fins. Avant ou après ma naissance, un zervaniste ne se refait pas. Zohak était un traître. Un poignard dans le dos, d'une fille à reculons. L'alter-ego d'une autodestruction. Ce n'était pas mon ami, hélas. Il était dans leur clan. Fatalement. La solitude me pesait tant, qu'il s'était joué de ses espoirs. Oserais-je dire des miens ? Je m'appartenais si peu... Tout ce que j'avais n'était qu'idées reçues. Avalées sans résistance par une orpheline nécessiteuse.

Incapable du moindre mouvement, ma bouche tremblotante secouait tous mes membres, pétrie de chagrin. Le sang appuyait sur ma peau la sensation d'une glace volcanique. La lourdeur du ciel s'abattit sur moi. Le même qu'eux. Depuis toujours. Je ne pouvais plus croire en rien. Pourtant... sa compassion...

- Ah bon ? reprit Nîbhak. Moi je trouvais l'idée de Jehak bien plus intéressante... On l'ensable jusqu'aux cheveux, et on aura même pas besoin de se presser, pour détacher les barques ! Enfin... j'espère que t'auras pas les oreilles trop sensibles, Zohak, quand elle gueulera ton nom... ?
- S'il vous plaît... vous n'êtes pas sérieux !
- Ferme-la ! Pour toi, ça reviendra au même ! lui hurlai-je d'une voix stridente à la figure, complètement terrassée. Enfoirééééé !


Mais il ne pouvait m'entendre, lui qui n'était plus qu'un mirage dans le cyclone...




 


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