Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 47 : Zohak, Le Prêtre Obstétricien (4)


Publié le 15/12/2010 à 23:02:57 par SyndroMantic

Le zervaniste face à lui détendit son expression, et posa les doigts à ses lèvres, en geste de réflexion. Il se retourna indifféremment, presque calme, puis, hors de la vue du prêtre, mordit férocement le haut de son poing à pleine dent, des nerfs, le visage enragé. Il avait la preuve. Ce n'était pas vraiment une preuve, en fait. C'était une foi. Une croyance viscérale. Celle en la culpabilité de Zohak. J'avais personnellement quelques doutes, encore, sur la question. Avait-il vraiment caché de jeunes filles sur le mont, en les faisant passer, y compris à elle-même, pour des garçons ? Volontairement ? Et dans quel but ? Il m'avait caché à moi-même sa véritable motivation de partir en forêt. Mes yeux se figèrent. Ainsi les zervanistes allaient-ils accepter...

Arhak lâcha sa main, avant de la masser de l'autre, toujours retourné vers ses amis. Un bref instant que ses pattes se détachaient, il me fit entrevoir des marques rouges sur le dos de celle qu'il avait mordue. Ses phalanges, au contraire, avaient la peau très claires tant ses doigts étaient serrés. Il soupira profondément, toujours dans le plus grand silence. Un silence qui mentait.

- Il te faudra combien de temps, demanda-t-il sans la moindre intonation.
Le visage du grand homme s'immobilisa, stupéfait. Jamais il n'aurait cru obtenir cette aubaine. Et toujours il aurait eu raison.

- Euh... je ne sais pas... répondit-il, embarrassé. Une heure... ? Peut-être deux... ?
Les zervanistes étaient tous rivés sur leur chef. Il ne les avait pas encore mis au courant de la teneur de ses agissements. Il dut se maîtriser, pour ne pas la laisser éclater au grand jour. Zohak attendait la suite avec consternation, visiblement tourmenté par le regard du zervaniste.
Je ne connaissais pas à ce dernier ces talents de comédien. Un millimètre trop bas, l'inclinaison de ses sourcils était énervée. Deux millimètres plus haut, c'était de la pitié. Il ferma enfin les yeux, pour aider sa crédibilité, alors que sa bouche s'ouvrait une nouvelle fois.
- Allez. Vas-y, déclara-t-il, la voix éteinte. Vas la rejoindre. On attendra.

On ne put lire aucune réaction chez Zohak, abasourdi par ce renversement. Il se voyait étripé depuis longtemps. Ses paroles montraient encore mieux son sentiment.
- Vous... vous dites vrai ? bredouilla-t-il. Malgré ce que je viens de dire ?
- On parlera de tout ça après, répartit Arhak, très impatient maintenant.
- Merci...
- Je t'en prie. »

Ils échangèrent des regards quelques secondes de plus. Arhak ne bougeait pas d'un cil, voulant manifester l'immuabilité de ses discours, de laquelle Zohak s'interrogeait toujours. « Vite, qu'il s'en aille ! » semblaient dire ses yeux. L'entrevue était finie. Tout ce qu'il fallait avait été dit. Le moment était venu pour le prêtre obstétricien de se retirer. Il jeta quelques autres regards vers les spectateurs, avant de se dépêcher vers Kaileena, qui était secouée au loin par la découverte des Sables du temps. Les zervanistes l'observèrent, le visage sombre, à part Arhak, qui gardait les yeux sur moi située à sa gauche. Il y avait biens sûr des remords, dans ses pupilles. Mais il y avait surtout du devoir, une lourde responsabilité que tous doivent un jour assumer. Au moins, dans ces pupilles, il n'y avait pas de honte.

Gulhak restait un peu en recul, par rapport au groupe. L'expression de chaque zervaniste avait sa gravité, y compris celle surprenante de Jehak. Aucun, non, pas un seul d'entre eux, n'appréciaient ce qu'ils acceptaient maintenant. On fut presque étonné d'en entendre un s'exprimer à voix haute.
« Il va la violer... déclara Gulhak, le ton sans vie.

Arhak baissa les yeux.
- Je n'en doute pas...
La rage monta alors en moi. Je fixai à mon tour cet être ignoble qui s'approchait innocemment de ma jumelle cadette. Si ma mémoire était bonne, ce que comptait faire le prêtre obstétricien n'était pas seulement me trahir, mais aussi, voire surtout... me forcer de procréer. Cet acte m'apparaissait d'autant plus immonde que j'en ignorais tout le déroulement, Zohak me l'ayant toujours caché. Cependant, je ne doutais pas que ce vaurien m'y formerait sous peu d'une manière pour le moins révoltante. Moi. Une fillette de six ans. Alors qu'il en avait cinquante de plus. Jamais la nature n'aurait autorisé un tel assemblage. Il aurait fallu souffrir d'un problème mental, pour suivre cet individu dans cette folie. Ce devait être cela, un pédauphile. Tout le monde l'avait prévu, depuis des décennies, et plus encore. Voilà pourquoi Zohak fut jadis tellement rejeté par ses semblables...

- Et tu comptes le laisser faire ? interrogea Gulhak en se retournant.
Les deux autres ne tardèrent pas non plus à le faire. Arhak se plaça devant eux. Ils méritaient en effet qu'il justifiât son choix, même si tous l'avaient déjà compris.
- Elle était perdue depuis le début, de toute façon, répondit-il en cachant sa sensibilité, puis, observant le prêtre obstétricien rejoindre la petite fille, mais lui, je ne pouvais vraiment plus supporter sa gueule.

Tous adoptèrent le même sentiment. Celui de Jehak se traduisit par un large sourire, heureux de sentir un certain soutien, de la part de ses congénères. Les zervanistes portèrent ensemble les yeux sur l'arbre mort, par curiosité. Il eût paru que la jeune déesse avait senti ce qui l'attendait, tandis qu'elle se dressait nerveusement, avant même que son bourreau ne fût arrivé. Ce dernier s'accroupit à sa hauteur et tenta de consoler sa panique. Toujours à coté de la plaque, ce pauvre Zohak. Les zervanistes observaient attentivement. Elle était intégralement secouée, les bras saisis de tremblements visibles même à une vingtaine de mètres.
Subitement, on l'entendit crier. Les quatre hommes allèrent pour intervenir, révoltés à l'idée de voir leur collègue commencer sur le champ son horrible sacrilège. Mais la fille n'appela pas à l'aide, Si ce n'est, à la limite, à l'attention de son "protecteur" venu la rejoindre. Personne ne comprenait les possibles raisons de son affolement soudain. Ils essayèrent de tendre l'oreille pour percevoir ce qu’elle disait :
- Zohak... ! Cette île est hantée... ! Laisse-moi partir... !

Je frémis également, de revoir à nouveau la panique qu'elle éprouvait ce jour-là. Depuis que je m'étais livrée aux Sables du temps, je n'étais plus sereine, et ce furent ces troubles qui resurgirent, à la vue de sa toute première hantise. Rien à voir, pourtant, avec le malheur imminent qui la guettait.

- La bête... ! continuait-elle de gémir, hors d'elle, devant l'incompréhension générale.
Mes proches, quant à eux, demeuraient dubitatifs à l'entente d'une malédiction de cette île. Ils n'y avaient pas accostés par hasard, depuis le temps qu'ils la cherchaient, mais, pour autant, ils n'avaient jamais eu vent d'un quelconque danger surnaturel pouvant régner dans ses forêts. Ils comprenaient tout à fait l'agitation dont témoignait Zohak, qui allait bientôt dévoiler ce secret. C'était son choix personnel, après tout. Ils étaient loin de s'en plaindre.
- Il n'y a aucun danger à l'intérieur de cette île, tu m'entends... !? beuglait le prêtre dans son angoisse. Alors tu te tais maintenant... !

Le calme retomba. Les deux êtres s'embrassaient, maintenant, la jeune enfant encore toute ébranlée de sa vision. C'était bien une position qu'elle ne devait qu'à Zohak, obsédé de tenir sa chair. Malgré le dégoût que ressentait la petite assemblée pour ce spectacle, les zervanistes ne purent détourner le regard du phénomène auquel ils venaient d'assister. Il planait dans l'air quelque chose d'étrange. De puissant et d'inquiétant. Comme leur Maître. Zohak retourna brièvement le regard, pour surveiller leur réaction, mais seul Jehak lui manifestait encore de l'attention. Ces deux-là ne changeraient jamais. Les autres prêtres s'en détournèrent. Ils avaient toujours été habitués à cette ambiance, de toute la vie qu'ils avaient passée au temple du Damãvand. Mais tout cela était loin, pour eux... Si loin qu'ils ne comprenaient pas comment leurs fantômes communs pouvaient persister ici. Et c'était cela qui les interpelait. La pauvre petite avait toujours eu la chance de ne jamais rien savoir, sur ses origines, mais elle semblait tout aussi réceptive à l'effroi coutumier qu'inspirait cette île. Ou peut-être quelque chose de moins visible...

- Kaileena a senti quelque chose, affirma Gulhak, dont le malaise se faisait sentir dans son obstination à extérioriser tout ce qu'il appréhendait.

Un autre silence s'installa. Le couple incongru était parti, derrière les broussailles, dans la jungle. Je fus surprise par une satisfaction, de les voir enfin nous laisser en paix. Les vagues échouées sur les bords de la plage constituaient le seul bruit dominant. Au loin, quelques cris d'oiseaux se détachaient de la forêt. Cependant, l'air semblait lui aussi parler. Comme dans un murmure. Quelque chose d'invisible s'était superposée à la vie de la plage. Un secret, pourtant depuis si longtemps connu. Tellement qu'il a sombré dans l'oubli... Une délicieuse anxiété... Les arbres paraissaient plus grands, presque écrasants, dans cette masse vertigineuse qu'est l'infini mystère. Ces lieux avaient fini par m'être habituels, depuis ces huit années que je les habitais. Mais leur point de vue était opposé, et leur horizon contraire. Ils sentaient comme le souffle d'une tempête prochaine, partout sous leurs pieds. Les zervanistes surveillaient les décors, sans pouvoir déterminer l'importance d'aucun. Cette menace familière était beaucoup plus diffuse. J'étais la seule à pouvoir l'entendre, à la voir... et à la respirer. Les sables étaient devenus luminescents, sous mes pas.

- On dirait qu'un malheur va frapper cette île...

Un instant, je crus que les zervanistes pouvaient me voir, au delà des brumes tourbillonnantes. Leurs regards avaient l'air de sentir ma présence. J'étais importante, quels que fussent mes désirs. De nombreuses consciences gravitaient autour de moi, peureuses de ne jamais pouvoir révéler ma nature. Je vis les doutes s'insinuer, dans le cœur des zervanistes. On aurait d'un coup eu l'impression qu'ils regrettaient tous ce qu'ils venaient de faire. Tous leurs actes étaient maintenant associés à de possibles erreurs. Mais eux, par contre, ne pouvaient revenir en arrière.

- Vous pensez vraiment que c'était la meilleure solution ? s'inquiéta Gulhak.
- Oui, répondit Arhak, languissant d'en finir une fois pour toutes. Plus personne n'est au courant à part nous de l'existence de cette île. Et grâce aux pierres de vent, tout cet endroit deviendra vite isolé par la tempête, y compris de notre navire. On décampe illico, et toute cette affaire ne sera plus qu'à enterrer.

Derrière eux, les marins s'impatientaient, se demandant si leurs travaux avaient servis à quelque chose. Les dénivelés dans le sable n'avaient pas bougé.
- Tu as raison... admit Gulhak en marchant vers ces traces.
Arhak le suivit rapidement.
- Allons-y. Il ne va pas falloir traîner...
Il fit quelques pas à l'écart des deux restants. Son autre compagnon mit aussi un temps, à comprendre ce qu'il venait de dire. Arhak remarqua leur sentiment. Il fit mine de se rappeler de quelque chose, et se retourna vers eux.
- Oh... ! Et, rassurez moi, personne n'avait l'intention d'attendre ce bâtard, j'espère... ? »

Ils éclatèrent d'un rire mauvais et volontaire, mais aussi douteux étant donné leur trouble, avant de retourner à leurs préoccupations de départ. Il leurs fallait terminer avant le retour du prêtre obstétricien .~° Lorsque ce dernier reviendrait ici, ils auraient déjà distancé la plage jusqu'à disparaître de l'horizon, alliés des vents, ou de ces pierres, j'ignorais ce dont il s'agissait. Alors, une tempête interminable ferait de ce secteur le moins fréquenté par la flotte humaine. Des siècles durant, je serais recluse du monde, en cette terre exilée dont personne ne se souviendrait, à part Moi °~. Arrivés au niveau des marques dans le sable, chacun se positionna derrière un trou. Ils dévissèrent le bouchon de leur gourde et attendirent le signal d'Arhak. Celui-ci désigna le moment pour Nîbhak de faire couler son liquide, dans la première fente. Un filet d'eau salée sillonna le long des tracés. Avant d'avoir atteint la spirale, le filtre de Gulhak vint le rejoindre. Le liquide continuait de s'écouler, plus épais maintenant. Il tourna au fil des cercles. Lorsqu'il atteignit le cœur de la figure, Arhak versa de l'eau à son tour là où il était positionné. Le niveau augmenta légèrement. Enfin, ce fut au tour de Jehak d'apporter sa contribution. Il pencha sa gourde et abreuva lui-même les dénivelés. Tous les segments étaient remplis. Nous attendîmes 7 secondes.

Rien ne se produisit.

Personne n'en était étonné. Les zervanistes se contentèrent de convenir d'un autre ordre, avant de recommencer. J'étais réellement intriguée par leurs activités. Le rituel se renouvela.
Gulhak engagea la marche. Sa gourde se vidait plus rapidement que les autres.
Arhak suivit son geste, avec un peu plus de modération toutefois.
Jehak répéta le mouvement, les mains plus maladroites.
Nîbhak ferma la danse, plus attentif.
1, 2, 3, 4, 5, 6 secondes.

Toujours rien.

Huit tentatives maximum, avait prédit Gulhak. Les prêtres persévèrent dans cet exercice. Jehak, ensuite Nîbhak, ensuite Gulhak, enfin Arhak. Je me tournais vers la forêt, révulsée par tant d'eau en mouvement. Le temps continuait de marcher, de s'approcher, inlassablement. Toujours venir... Et ne jamais arriver... A peine saisissons-nous le présent, qu'il est déjà trop tard. Mais il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, car je connaissais tout ce qui allait advenir, fort heureusement. Ce n'était pas encore pour cette fois ? Eh bien ce serait une autre. Si ce n'était maintenant, ce serait plus tard. Ce Serait, quoiqu'il en fût. Les sables absorbaient l'eau immobile. Aucun effet visible.

Recommencement.
Arhak.
Jehak.
Nîbhak.
Gulhak.
1, 2, 3, 6, 7, 8 ans...



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L'herbe palpitait parmi les troncs morts. Les oiseaux s'étaient enfuis vers les champs océaniques. Le soleil hésitait à disparaître de cette atmosphère illuminée. L'air chassait les flots en direction du large. Le ciel plein de brouillard se mit à danser. Et moi, mouillée de larmes, je voulus tout changer... Le vent souffla. Pour la joie du quatuor, des nuées s'élevèrent sur la grande spirale. Ces formes accélérèrent, aspirant toute particule au-delà du sol. Elles entraînèrent avec elle mes yeux, mes cheveux... et enfin moi toute entière. Mon corps décolla d'un mètre. Je crus que mon cœur était sur le point de lâcher. Des éclairs d'obscurité assaillirent la plage. Les vagues devinrent ultra rapides, tellement que je discernai mal leur sens. Celui-ci, comme les nuages, paraissait régresser... Les Sables m'emportèrent, virevoltant comme féeries. Mon calme revenu, je vis qu'autour de moi les événements étaient en train de s'inverser. L'astre solaire grimpait. Je courais à reculons. Mes colères se faisaient sourires. Zohak ressuscitait. Je m'habillais devant lui. Le prince m'approchait de ses lèvres. Les sables coulaient de mon nez. Je descendais de la montagne. Le prêtre me réveillait au crépuscule. Je m'éloignais de Zervan. Une lumière incandescente irradiait dans ma rétine...


Ma conscience retomba sur la terre ferme. Le souffle coupé, je recouvris toutes mes sensations physiques. Chaleur, poids et fatigue. En balayant du regard l'endroit où j'avais atterri, je reconnus les falaises, le banc de cocotiers, et au loin... la fumée de notre campement...
 


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