"Que les choses soient claires. Vous n'aurez pas d'avenir. Vous ne deviendrez pas quelqu'un. Vous ne fonderez jamais de famille. Vous n'aurez même jamais votre bac. Quant à une éventuelle petite amie ou âme soeur... N'y pensez même pas. Il n'y a plus de possibilité d'avenir désormais, et vous vous en êtes sûrement déjà doutés. Mais je suis sûr que malgré tout vous espérez que je me trompe. Vous espérez évidemment que je me trompe. Je ne peux pas vous prendre l'espoir, même si vous savez qu'une issue positive dans tout cela est impossible. Allez savoir pourquoi. Je le sais bien que vous continuerez d'y croire même quand tout espoir ne sera plus, car moi-même, après tout ce que j'ai vécu et vu, je continue d'espérer, bêtement, alors que j'ai déjà pris un aller simple vers l'enfer. Je vous le redemande une dernière fois. Voulez-vous attendre la date échéante, celle de votre mort, une fois que George Scherff aura synchronisé tous les continents, voulez-vous rester passif comme tous ces gens là-dehors, largués par les évènements, ou voulez vous agir avec nous ? Même vainement ? "

Car malgré tout le mystère qui entour Treeves et ses hommes, le fait est qu'il était d'une sincérité pure. Flynt les avait conduit dans un sous-sol qui les avait fait atterrir dans un lieu de la taille d'un hangar à avions. La salle était grande, remplie d'ordinateur, un écran géant face à eux qui prenait tout le mur du fond, des bureaux, sur les murs de gauches à droites se trouvaient des armes à feu mais également à énergie. La plupart semblaient venir d'une autre époque, car Shaun, familier aux armes et initié par le métier de son père policier, n'en reconnaissait pas une seule. Une dizaine de personnes s'acharnaient sur les ordinateurs, à taper des algorithmes incompréhensibles pour les adolescents. Pour ce qui était de la présence des adolescents, ils en avaient cure. Alors que Shaun observait la salle tout autour de lui, Roxanne et Raphaël s'étaient déjà ralliés à la cause de Treeves, touchés par son discours. Mais Roderick, bien que témoin de la bonne foi de son hôte, n'était pas totalement convaincu.

"Nous en sommes en danger, oui, j'avais compris ça. Et le fait que nous n'aurons jamais de vie normale, ça aussi je l'avais compris. Mais si vous êtes de notre côté, pourquoi avoir voulu nous tuer dans l'entrepôt abandonné ? C'était vos hommes, non ? Les mêmes qui pianotent sur les ordinateurs actuellement, pas vrai ? "

Mehdi tilta également sur un point particulier à l'écoute de la question de Roderick. Mais avant qu'il put en rajouter, Treeves reprit la parole.

"Vous vous méprenez. Nous n'avons pas voulu vous tuer. J'ai promis de tout vous expliquer, mais pour cela, je vais devoir commencer par le commencement. "

Treeves, toujours vêtu de son même costume et de sa même montre prit une profonde inspiration et se mit à parler, captant l'attention de Shaun qui, jusque là, avait le regard vagabond.

"J'ai déjà expliqué ce passage tellement de fois... Enfin... Comment le redire sans que cela paraisse ridicule... ? Tout d'abord, laissez-moi vous parler de mes parents. D'abord ma mère, Emma. Je n'ai jamais eu l'occasion de la connaître, mais à attendre mon père qui sans cesse me répétait que sans moi elle serait toujours vivante, elle devait être la plus noble des femmes. Je n'ai connu son visage qu'en photo, et déjà sa beauté me frappait. Mon père ne m'avait pas menti sur ce point. Je fleurissais la tombe de ma mère à chaque début de printemps, et aujourd'hui, cela fait vingt-quatre ans qu'elle a rejoint l'autre monde. Cela me fait également vingt-quatre ans aujourd'hui... Enfin, le temps n'a pas d'importance en ces lieux. Ainsi, mon père vouait un amour impérissable à ma mère, quant bien même son décès. Il se refusait à l'oublier. "

Treeves marqua une pose et regarda les adolescents un à un droit dans les yeux. Jusque-là, tous semblaient le croire, et ils étaient tous plus ou moins à l'écoute.

"Maintenant... Laissez-moi vous parler de mon père. Je sais que ce que je vais dire va paraître invraisemblable, mais ça n'est que la plus stricte des vérités. Mon père est prix Nobel de physique pour ses découvertes sur la physique quantique, la régénération cellulaire et la "distorsion" temporelle, terme inventé d'où je viens pour définir plus simplement la téléportation, qu'elle soit à travers le temps et l'espace. "

Les lèvres de Roderick firent le grand écart, et un sourire moqueur le lisait sur son visage. Mehdi au contraire affichait la plus pâle des expressions, comme profondément marqué par les mots de Treeves. Il en allait de même pour Raphaël. Ils venaient de faire le lien, d'un coup, entre ses dires et les évènements qui déchiraient leur monde.

"Vous commencez à comprendre... Mon père a prouvé l'existence de mondes parallèles. Certains semblables au notre, d'autres sensiblement différents, comme le votre. S'il s'avère que le temps reste immuable, l'espace-temps lui ne l'est pas. On ne peut pas aller dans le futur, encore moins retourner dans le passé, néanmoins nous pouvons traverser des mondes parallèles qui évoluent tous en même temps sans jamais se rencontrer. Vous êtes en 2010, mon monde est en l'an 2034, mais tous les mondes existants, c'est à dire une infinité, ont vu le jour en même temps. Cependant, le temps semble passer plus rapidement dans certains mondes, et plus lentement dans d'autres. Mon père a publié plusieurs articles à ce sujet avec quelques brèves explications, mais il est des choses qui nous dépasse encore actuellement. Quoi qu'il en soit, vous l'avez compris, je viens d'un monde parallèle, similaire au votre sur certains points. "

Treeves s'arrêta de parler un moment, et si Roxanne semblait déboussolée, le regard vide, les quatre autres mitraillaient Treeves de questions.

"Attendez, comment se fait-il que vous pouvez voyager et donc traverser le temps mais pas aller en arrière ni en avant ? "

Questionna Raphaël.

"Il y a des règles. Le voyage dans le temps est théoriquement possible, mon père aurait très bien pu mettre une machine au point, mais notre protocole nous l'interdit. "

Shaun s'insurgea.

"Mais pourquoi ? En remontant le temps, on pourrait corriger nos erreurs ! Tout reprendre à nouveau ! Empêcher Fermi... enfin, Georges, de faire tout ça... "

"Impossible. "

Déclara Treeves.

"Il y a un ordre moral dans cette décision à ne pas toucher au temps, reprit-il, par exemple, quelque chose de tout bête, imaginez qu'Hitler ait été tué à la naissance par un voyageur temporel... "

"Le monde ne s'en serait que mieux porté. "

Répondit Roderick au quart de tour.

"Peut-être, oui, mais combien de familles ne se seraient jamais formées ? Combien de personnes ne se seraient jamais rencontrées ? Combien de personnes ne se seraient jamais trouvé à l'endroit où elles auraient dû, les européens majoritairement ? Vous voyez les questions que le simple fait qu'un voyage dans le temps soulève ? Sans compter que voyager dans le temps est très risqué, cela pourrait conduire à l'anéantissement pur et simple du monde, puisque les normes physiques en seraient bouleversées. "

Répondit Treeves.

"C'est pas faux, ce que vous dites, mais voyager à travers les mondes, ce n'est pas bouleverser les normes physiques peut-être ? "

Questionna Mehdi.

"Non, puisque nous ne modifions rien. "

Répondit simplement Treeves.

"Euh... Faux ? Le simple fait de nous avoir adressé la parole et dit tout ça, c'est... vous venez de changer notre futur ! Et les disparitions de monuments... C'est exactement ce que vous avez dit ! Combien de couples ne se rencontreront jamais en visitant ces lieux, combien de personnes éviteront un accident mortel en se trouvant ailleurs à quelques heures près... ? Vous avez changé le futur ! "

Mehdi paraissait complètement perdu, et les autres n'en étaient pas plus avancés. Même Raphaël ne parvenait pas à rationaliser les évènements.

"Tu te trompes. Je n'ai pas modifié le futur puisque je n'ai absolument rien changé. Tu ne saisies pas les deux notions. Je viens d'un autre monde, mais le mien évolue en même temps que le tien, tu comprends ? Si je suis ici, il n'y aura pas un double de moi dans mon monde, puisque c'est le présent ! Seul l'espace physique change, le temps continue d'être omniprésent partout. Par conséquent, je ne change pas ton futur, puisque je devais te parler. Nous devions nous rencontrer. Et ces monuments devaient disparaître ! "

"Je..."

Mehdi était à court de mots.

"Ecoutez, écoutez-moi bien. Tout ça est déjà très compliqué et dur à avaler pour vous en une fois, alors je vais tout vous simplifier. "

Treeves voyait bien que les adolescents semblaient complètement largués, à des kilomètres de leur détermination d'il y a encore une heure.

" Nous avons du faire une bonne vingtaine de mondes avant le votre, par conséquent, nous nous sommes déjà rencontré des tas de fois, et nous avons déjà eu cette discussion également. Evidemment, vous ne pouvez pas vous en souvenir, car c'était vous tous, mais dans un autre monde, par conséquent vous étiez complètement différent. Certains ne se trouvaient même pas ici, parfois, et votre groupe changeait sans cesse. Le seul qui a toujours subsisté, c'était toi, Mehdi. Cela fait six ans que mon père a commencé son projet, et jusqu'ici il avait toujours échoué, la synchronisation entre les deux mondes ne marchaient pas. Mais cette fois-ci, votre monde, c'est le bon. C'est celui qui causera notre perte à tous. Beaucoup de monde est au courant à présent pour les mondes parallèles, et avec le votre, cela va faire plus d'une vingtaine de mondes au courant de notre but. Autant dire que vous êtes les derniers au courant. "

Treeves se perdait dans des explications qui n'avaient déjà plus aucun sens pour les adolescents. Mais Raphaël y trouvait encore à redire.

"Attendez, vous nous avez déjà rencontré des tas de fois... Dans les autres mondes, que se passe-t-il au juste ? Si les mondes évoluent à vitesse différente, vous savez donc plus ou moins ce qu'il va nous arriver car les évènements sont similaires, pas vrai ? "

Treeves eut un tic nerveux. Le premier depuis qu'ils le connaissaient.

"Vous mourrez. Tous. Toujours de la même façon. Pendant la synchronisation en Australie, nous nous trouvons au Carillon national, le "lieu" qui sert de synchronisation, puis lors de la téléportation, vous perdez connaissance. Et lorsque nous arrivons, dans mon monde, vous êtes tous morts. Sauf Mehdi, qui lui, est simplement introuvable. Ni dans son monde d'origine, ni dans le mien. "

Grand silence.

"Donc... On meurt... et tous les monuments se téléportent dans votre monde... ? "

"Oui. C'est pour ça que je combat George Scherff. Il a transformé notre monde en poubelle expérimentale pour ses expériences. Il a perdu la raison... Cette pourriture égoïste. "

"Mais... Pourquoi-êtes vous ici dans ce cas ? Vous ne pouvez pas le tuer tout simplement ? "

"Il est immortel. On ne peut pas le tuer. C'est pour ça que j'ai besoin de votre aide. Vous êtes d'un autre monde, par conséquent les codes physiques qui vous régissent sont différents des nôtres. Nous avons besoin de vous. Mais pour ce qui est du but que vous devrez accomplir, vous le saurez, mais pas maintenant."