Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 29 : Un Baiser Volé (dernière suite)


Publié le 27/10/2010 à 18:03:40 par SyndroMantic

Je revins de la plage bien plus tard que ce que je m'en serais crue capable. J'étais restée un bon moment assise au pied d'un arbre, recluse des vents de sables que la tempête avait soulevés. Je les voyais tournoyer devant moi, semblables à des invitations extrêmes. Je n'avais pas bougé de ma place. Bien fait pour eux. A cause des sables, je me trouvais privée de la réalité dont je désirais. Me faire pénétrer le seuil de ce palais, ce n'était que pour m'en chasser la seconde suivante. Un sadisme plus machiavélique encore que celui des zervanistes. Pour cela, je les boudais.

Pour autant, je ne me sentais pas la force de m'en aller. Une chute de motivation que certains connaissent, après avoir essuyé un chagrin plus pointu que d'autres. Le venin se propage dans nos idées, pas dans nos muscles. Je restais donc là, le regard dans la purée des nuages, sur lesquels je soufflais à soupirs réguliers. Ils ne voulaient pas partir. De toute façon, ce climat convenait mieux à mon moral. C'est important de pouvoir s'identifier à une situation selon sa mentalité. Je n'aurais jamais cru que des éclairs puissent être si agréables d'écoute. La mer furieuse imitait leurs rugissements, croulant ses flots sur cette plage meurtrie. J'en avais toujours aussi peur, et frémissais de la même manière, surprise de temps à autre par une vague plus bruyante que les autres, mais c'était justement cette frustration qui me procurait tant de jouissance, pour me refuser à partir. Elle crevait mon coeur lourd aussi violemment et avec autant de délivrance que ma plume ensanglantée, lorsque j'étais sur le navire des zervanistes. Cette retrouvaille n'était pas pour me réjouir. Mais c'était toujours mieux que de sentir mon impuissance, face à ce qui m'était le plus cher.

Et j'eus tort de revenir au campement sans en avoir correctement cicatrisé. Parfois, l'on aimerait mettre certaines scènes en suspens, histoire de se reposer, quelque part où rien ne peut venir nous perturber outre mesure, un espace clôt, un espace sourd. Mais les choses s'avèrent parfois joueuses, et surenchérissent encore les malheurs qui peuvent décorer les mésaventures pathétiques d'un misérable sujet. Dormir : un acte pour le moins simple. Je n'étais pas retournée vers la cabane pour autre chose. La cueillette des tomates pouvait bien attendre. Nous n'étions pas à la minute près. Zohak, en revanche, semblait avoir été pressé d'une tout autre affaire... Alors que je baissai la planche de bois par laquelle j'étais rentrée au campement, il me héla, assis sur un drap tendu entre deux arbres. Je m'arrêtai dans mon trajet, le regard interrogatif. Il me fit signe de l'approcher. Je lui obéis.

« Kaily... J'ai vu ton dessin, déclara-t-il, d'un ton presque naturel.

Je le foudroyai immédiatement des yeux. Il avait osé ! Il avait osé fouiller dans mes affaires ! Violer mes affaires privées, dont je l'avais pourtant interdit ! Devant mon regard furieux, il se hâta de justifier maladroitement :
- Je faisais la poussière, je suis tombé dessus par hasard. Ce... ce n'est pas très propre de ranger ça là. Et...

Il ne termina pas sa phrase. Son propos n'était pas là. Un silence parcourut les lieux. On aurait dit qu'autre chose lui tenait à coeur.

- Quoi ? demandai-je sévèrement.
Il releva alors son visage vers moi, à la fois soucieux et plaintif.
- Tu ne te plais pas, ici ? fit-il avec je ne sais quel pic de regret dans la voix. Je veux dire... avec moi, avec tout ça, cette vie que je te prépare, ces repas... Je...
- Si ! Si, ça me va, le rassurai-je, sans comprendre. C'est... c'est très bien, cet endroit.
- Alors pourquoi tu... pourquoi tu as dessiné ce palais, derrière le... sorte de géant ?

Voyons ! Quand avait-il pu penser que notre maisonnette puisse être un modèle de confort ? Évidemment, que j?aurais préféré quelque chose de plus prestigieux. Mais il mettait tellement de coeur, dans ce qu'il m'offrait. Il voyait cette bâtisse comme un véritable palace... Il me fallut jouer les diplomates, pour ne pas le vexer. Je me mis à réfléchir :
- Je... hum... je pensais pas le faire si gros. Au... au départ c'était juste une petite pyramide p... pas bien méchante.
Zohak examina à nouveau mon dessin. Il ne paraissait pas du tout convaincu de mon excuse. Ce château était trop beau pour que je nie mon aspiration à un tel rêve.
- C'est après que j'ai voulu un peu... décorer tout ça, rajoutai-je vainement.

Il haussa les épaules dans un soupir découragé, sentant bien que je disais cela pour ne pas lui faire de peine. Malheureusement, il n'avait aucun moyen de vérifier mon honnêteté. D'ailleurs, s'y obstiner aurait été pour le moins étrange et déraisonnable. Il étudia encore cette image. Anxieuse, je savais très bien ce qu'il fixait maintenant avec attention :

- Et ce monsieur ? Qui est-il ?

- Qu... Qui ça ? balbutiai-je.
- Le... monsieur que tu as dessiné, là, devant le monstre ? répéta Zohak, navré par mon apparente hypocrisie. Je... Hmpf... C'est le seul que tu ais dessiné, à ce qu'il me semble...

Je marquai un très bref silence, le coeur battant.

- C'est personne, répondis-je directement.
Cette réponse avait été automatique, presque même pas passée par la phase réfléchie de mon cerveau. A la limite m'étais-je dit que la vérité serait invraisemblable. Et puis un personnage de dessin n'était pas forcé d'avoir une identité définie...

Le prêtre n'en fut pas plus persuadé que le reste. Son regard s'absenta de longues secondes. Il était littéralement plongé dans ses pensées. Ses sourcils étaient renfrognés. Comme si quelque chose lui avait échappé... J'aurais presque voulu m'éloigner pour voir s'il le remarquerait. Finalement, il toucha du doigt le sujet de sa réflexion. Ce ne pouvait tout de même pas être ma précédente escapade ! Rien n'était capable de m'en trahir. Ni même mon pouvoir des sables : il n'avait encore jusque là jamais eu la moindre influence sur ma vie extérieure. Non, en fait, les songes de Zohak s'étaient dirigés vers un épisode bien moins récent :
- Kaily, commença-t-il en se raclant la gorge. Écoute... hum... Il y a huit ans, je ne sais pas si tu t'en rappelles, tu... tu as eu une sorte de crise... Sans raison, tu t'es mise à paniquer. Tu m'as parlé d'une île maudite et... et d'une bête... !

Je m'en souvins d'un coup. J'étais sur une souche de bois, ce jour-là. Jehak venait de me rouspéter. J'avais accumulé tellement d'angoisse, à partir de ce moment, que la suite effaça ce souvenir de ma mémoire, en gardant seulement quelques vagues impressions. Cette vision s'était plus tard ranimée en moi, vers ma puberté, reprenant le travail où les zervanistes l'avaient laissé. Ramené à tous ces souvenirs, je songeais que ce tout premier contact avait été bien plus secoué que les suivants. Zohak lui aussi avait été heurté par ce phénomène, quand je l'en avais alarmé.

- Sur le coup, je n'ai pas bien compris ce qui te prenait, continuait-il. Tu m'as fait une belle frayeur, je dois dire... Au final, nous sommes allés nous promener, et... et tu ne m'en as plus jamais reparlé.
Et pour cause. Je l'avais totalement oublié, tandis que ma candeur l'aurait alors estimé digne d'un confident. Il retourna le parchemin et m'indiqua le colosse noir.
- Est-ce à cette créature, que tu faisais allusion ?

J'approuvai une fois de plus, la voix éteinte. Cela ne me plaisait pas d'avoir à répondre à ses questions. J'avais bien le droit de me créer pareille fantaisie ! Je ne voyais pas du tout ce que ça faisait avancer. Le prêtre comprendrait quand il faudrait l'importance qu'avaient ces témoignages. Je n'étais certainement pas celle qui la trouverait, bien que je fusse la principale intéressée. Ni celle qui le prétendrait.

- Et elle voulait te tuer...
Je ne répondis pas. Effectivement cette bête me faisait peur, lorsque j'en rêvais. Je n'avais jamais deviné pourquoi elle m'apparaissait tellement hostile. Mais oui, maintenant que le vieil homme le mentionnait, il était vrai que j'avais attribué à cette créature le projet de m'assassiner. Les réflexes de la jeunesse... Mon silence répondit à ma place. C'était bien cela.

- Tu sais... Sss... C'est normal, pour une jeune fille comme toi, d'avoir peur d'un prédateur... au point de... de t'inventer tout un univers. Je... Je comprends que tu ais besoin de soutien... De quelqu'un pour partager tes malheurs... Quelqu'un qui puisse te venir en aide, quand tu es confrontée à ces sortes d'horreur.
Il s'arrêta tout seul, pour me scruter dans les yeux l'espace de quelques secondes. Son intonation était la plus malaisée que je lui aie jamais connue. Il persévéra néanmoins :
- C'est... j'aimerais simplement savoir... Cet homme... Il est sensé te protéger ?

Qu'en savais-je ? J'ignorais jusqu'à son nom. Certes, cela m'aurait enchantée. Mais rien ne me l'avait jamais certifié. Cette question était totalement inutile. Il commençait à m'exaspérer.

- Ce... c'est juste un dessin, Zohak. Te bile pas, je...
- Mais... Voyons... tu n'as quand même l'impression de manquer de protection... !? Qu'est-ce qui a bien pu t'inspirer un tel défenseur ? Dis moi juste qui il est...

Mes lèvres tremblaient. De quoi se mêlait-il ? C'était Mon dessin, d'abord. Il n'avait pas à enquêter sur mes inspirations. C'était personnel, ce type d'informations. Il n'était même pas censé l'avoir vu. Et maintenant, c'était à moi de me justifier ?!

- C'est...
Je ne pus répondre à cela. C'était au dessus de mon honneur. Il m'était horripilant d'avoir à subir ce genre d'interrogatoire. J'étais la fille du Temps, quand même ! Pas n'importe quelle gamine prise sur le fait ! Je n'avais pas à m'abaisser jusqu'à répondre à un sénile comme lui. Qu'il se débrouille ! me dis-je.
- Une autre de tes visions ? devina-t-il.

Je ne bougeais pas les yeux de mon vide. S'il m'avait avoué mon héritage divin, il connaissait également le pouvoir qui en découlait, contrairement à ce que je pensais. J'avais entrepris de le lui cacher, pour qu'il me laisse tranquille. J'aurais hélas dû me méfier de mes propres meubles, et ne pas leur confier quoique ce fût de plus. Même pas un dessin qui puisse établir ce raccord. Mais à présent, le mal était fait. Zohak savait très bien les états dont j'étais capable. Il s'en souvenait. Des hallucinations, sorties de rien. Sans fondement, à part celui de la peur. Il ne m'avait pas prise au sérieux, quand je lui fis part de ma première vision. Le faisait-il aujourd'hui ? Ou bien se moquait-il de moi, désespéré de me voir à nouveau inventer des choses irréelles ? Je n'avais pas le sentiment que c'était cela qui le troublait. Comme si mon dessin le heurtait de plus près, là où j'avais le moins de soupçons... Comme si j?étais passée à coté de quelque chose... Et lorsqu'on se croit dans le faux, il ne vient pas à l'esprit de s'accaparer une réalité que l'on méconnaît. Tant pis pour le mensonge.
- Oui. Concédai-je finalement.

Et alors ? Ces visions aussi m'appartenaient ! Ma liberté de pensée. La seule chose qu'il me restait encore à défendre, en considération du logis, de la nourriture, et enfin de ces satanées discussions que je partageais avec lui.

- S'il te plaît, réponds moi... Insista-t-il encore. Qui est-il ? D'où t'est venu ce portrait ?

Il faisait très chaud, d'un coup. Zohak remarqua ma main qui éventait de l'air vers mes joues rouges. Il n'allait pas me lâcher, têtu comme il l'était. Rapidement, je sentis mes murailles s'effondrer. A une vitesse pour le moins déstabilisante. J'avais l'impression que toute la jungle était pendue à mes mots, aux aguets du moindre aveu inattentif. J'étais comme écrasé par la suspicion. Et le pire venait encore de l'intérieur. J'avais beau essayer de me maîtriser, je ne contrôlais plus mes nerfs. Je ne contrôlais plus mes dires. Le problème, c'était qu'à la vérité, l'image de cet individu, auquel s'intéressait le prêtre, ne m'avait plus quittée depuis que j'avais fait ce voyage temporel. Son visage restait gravé au fond de moi. Sa chevelure brune. Ses yeux bleus. Son torse bombé. Ses muscles. Son baiser... Il était trop présent à ma conscience pour que je puisse le taire bien longtemps. Ses aspects assaillaient ma sensibilité de toutes parts. Mes pensées ne cessaient de s'y rapporter, et je ne pouvais les en détourner. Je luttais, pourtant. Ne surtout rien lâcher. Mais c'était une force implacable qui me dominait alors. J'avais beau résister, je n'avais pas le choix de mes paroles. Je sentis soudain l'ardeur avide de laisser éclater toute ma passion. Ma gorge déborda de ces sanglantes révélations :

- C'est un prince... révélai-je enfin. Il vit dans un château, sur le continent... Son père est un homme très puissant, et très riche. Il... il parcourt son royaume à la recherche de trésors. C'est un grand guerrier... Il est beau... et fort... Très agile, aussi. On... on le croirait danser, quand il se bat. Il sait nager... ! Il n'a pas peur de prendre la mer... C'est un aventurier... Impétueux... Parfois téméraire... Mais il est responsable, quand même... Il... il est poursuivi sans relâche par un monstre malfaisant. Il doit faire preuve de malice, pour lui glisser entre les doigts... Alors il cherche partout un quelconque moyen d'échapper à son chasseur.

Je me tus enfin, épouvantée d'avoir franchi ce pas. C'était un réel soulagement que de décharger un peu ma conscience. Mais quelles allaient donc en être les conséquences, maintenant ? J'appréhendais déjà ses moqueries. Un prince ! Et pourquoi pas un prophète, tant qu'on y était ? Je me sentais vraiment mal à l'aise. Je ne savais pas du tout comment il allait me juger. Le silence plana entre nous.

En fin de compte, il ne releva pas. Il demeura quelques minutes encore, recueilli en lui-même. A intervalles irréguliers, je voyais ses sourcils se froncer sèchement, comme pris d'une colère furtive. Son regard distrait resta planté sous mes cuisses, inconscient du monde extérieur. Après une longue attente pour le moins particulière, il m'adressa à nouveau la parole :

- Mais ce guerrier... Ce... Prince. Tu ne l'as jamais vu ? Tu ne l'as jamais rencontré ? Je veux dire...peut-être qu'il n'existe pas... ?

- Peut-être, oui...»
Je me mordis la lèvre. Combien je souffrais qu'il puisse avoir raison... Je n'aurais pas dû pourtant. Mais me préservais bien toutefois de contredire mon compagnon ! Je n'étais pas censée lui attacher le moindre crédit. C'était un parfait inconnu, pour moi. Et pour Zohak aussi, il me semble. Tout nous était étranger à Lui. J'ignorais tout de sa personne. En soit, ce n'était qu'une sorte d'esprit incorporel, un mythe, une obsession que je devais chasser dès l'instant. Voilà en tout cas tout ce que j'entendis, dans le sourire cynique du vieillard. Je lui répondis par un sourire tout aussi hypocrite. Nous échangeâmes un même signe de la tête, tels deux farceurs complices. Deux faux farceurs. Cette histoire était loin d'être résolue. Je le savais. Il le savait. Impossible de manquer le rougeâtre de ma peau, mes tremblements à la moindre prononciation de ce "Prince", les battements de mon coeur qui faisaient vibrer ma robe, la tension de mon tempérament, cette mélancolie dans mon regard,...


J'étais folle amoureuse.


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