Note de la fic :
Kaileena, l'Impératrice des Papillons
Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée
Chapitre 25 : Le Palais des Zervanistes (1ère suite)
Publié le 12/09/2010 à 19:06:46 par SyndroMantic
Un air incroyablement pur se propagea dans mes narines, et de nouveau je perdis toute sensation de mon corps. Mes membres parrurent s'alléger, tandis que je me sentais léviter soudain, même si ce n'était encore que de quelques décimètres. Les sables circulaient dans tout mon être, dans tous les recoins de ma conscience, et doucement je le sentis me pencher vers l'abîme céleste, en son sein merveilleux et universel. Brusquement, je perdis mes repères. La verticale et l'horizontale se mélangèrent. Je basculai de je ne sais quel coté, si tant est que je basculasse. Cette tourmente me monta au cerveau, jusqu'à me faire couler des larmes, vers le haut ou le bas. Peut-être les deux. Je me sentis tellement dépassée que je voulus rentrer en moi-même, à la souche de ma création. Fut-ce t-il ainsi que je choisis ma destination ? Mes genoux remontèrent machinalement vers ma petite poitrine. Mes bras s'y collèrent aussi, les poings devant mon front lourd.
Des flashs m'assaillirent alors.
~°~.~ Plusieurs feuilles bronchèrent derrière moi. Je n'osais me retourner, focalisée sur ma course terrifiée. ~.~°~
Ce n'était pas les mêmes que sur la plage. Ils s'agissaient cette fois de plans toujours fixes, comme latents.
~°~.~ L'expression de Zohak se déconfit, les lèvres tremblantes. ~.~°~
Mais ce qu'ils montraient était d'un extraordinaire dynamisme. Un rythme aussi saccadé que le battement de mes paupières devant le soleil.
~°~.~ Il me saisit les cheveux et m'entraîna vers la chambre. ~.~°~
Heureusement, un filtre pâle et opaque était appliqué sur ces furieuses images et n'en gardait nulle propriété aveuglante.
~°~.~ Je cavalais à nouveau dans la jungle, ne songeant qu'à une chose : fuir ce maudit prêtre. ~.~°~
Quelques fois, la luminosité était si altérée que les couleurs s'inversaient, passant à une fréquence négative.
~°~.~ Zohak se mira dans la rivière. Il grimaça de choeur avec son reflet. ~.~°~
Les contours semblaient davantage assombris, tellement que je crus à travers ces visions percer l'obscurité, déchirer les voiles d'un mystère.
~°~.~ Nous descendîmes au fond du terrier obscur. Les parois portaient l'écho de ma voix jusqu'à lui, à tâtons dans le noir. ~.~°~
Et je contemplais tout cela avec un omniprésent murmure, comme une voix venant à la fois de derrière et de dedans. Une voix qui répétait insistante : "les Sables du Temps..."
~°~.~ Un homme titubait dans des oubliettes, des tentacules frétillants sur son dos et l'attitude infirme. Son visage parut à la lumière du jour : il arborait un masque carcéral, ancré de deux barres sur chaque oeil... ~.~°~
Un bourdonnement dans mes oreilles vint se superposer au son de l'eau. Des battements cardiaques résonnèrent, mais ce n'était pas les miens. Mes dents faillirent presque se briser. Prise de panique, je hurlai à pleins poumons, sans savoir s'il leurs restait de l'air. Tout d'un coup je me sentis comme happée hors de la réalité, chassée de ma propre enveloppe. J'aurais pensé que mon coeur lâcherait, si je n'avais compris qu'il ne battait plus. La vérité, c'était que je n'avais plus de coeur. Je réalisai bien vite que j'avais abandonné mon corps. J'avais abandonné la terre ferme. J'avais abandonné la forêt. J'avais abandonné l'île. J'avais abandonné l'océan. J'avais tout abandonné de mes raccords à l'univers d'autrefois. Néanmoins, il demeurait une chose au monde que je n'avais sûrement pas abandonnée : les Sables du Temps. Car en enfer autant qu'au paradis, ces derniers me suivraient jusqu'à la mort.
Justement pour ce qui est de ma mort, s'il fut un moment où j'en étais le plus éloignée, c'était bien celui qui allait suivre. Il faisait également nuit, mais celle-ci était bien plus profonde. Le ciel était couvert par-dessous les étoiles de funeste augure. Même la lune avait disparu derrière les brumes. Tout le pays était plongé dans le noir, à l'ombre d'une montagne enneigée. Vers son sommet scintillaient quelques brasiers allumés sur d'immenses piliers de pierre. Ces colonnes délimitaient l'enceinte d'un grand château protégé par plusieurs couches de murailles. Elles-mêmes étaient difficiles d'accès du fait qu'elles longeaient le bord des parois très abruptes du mont. D'autre part, l'odeur de sang séché qui émanait de l'intérieur n'encourageait personne à les traverser, hormis ceux de qui en dépendait la vie, par la mort des autres. Dans la cour, une foule silencieuse d'une centaine de chauves attendait, certes patiemment, mais avec beaucoup d'intérêt un événement décisif. Ils étaient tous vêtus de robes pourpres aisément visibles la nuit, ce qui ne semblait pas les arranger. Sur leur torse était brodé un huit d'or couché : il s'agissait bien sûr du sigle des zervanistes, même si aucun d'eux n'était alors coiffé de sa mitre rituelle. On pouvait lire l'inquiétude sur chaque visage, tout comme dans les regards qu'ils ne cessaient d'échanger. Cette inquiétude, c'était celle du châtiment proféré aux hors-la-loi, comme ceux dont ils avaient pris le rôle, ce soir-là.
La scène témoignait d'une platitude malsaine, comme au lendemain d'une apocalypse. Les seules conversations se résumaient à des balbutiements, et les seules contemplations étaient celles destinées à un dôme plaqué d'or, siégeant en hauteur dans le dos de cette petite assemblée. A l'intérieur dormait paisiblement une grande créature de lumière à tête de lion. De l'autre coté, une cavité se prolongeait dans le noir sous une autre paroi du château. En tendant l'oreille, on pouvait y entendre quelque gémissement étouffé, accompagné de paroles préoccupées. Certains des prêtres allaient jusqu'à se boucher les oreilles, de peur de défaillir sous la tension environnante. L'air leur était pesant, laborieux à respirer. L'un d'eux, incapable de supporter cette attente, se recula vers une grande clepsydre d'un mètre de hauteur. La teinte rougeâtre du liquide qu'elle contenait ne permettait aucune équivoque sur sa provenance. Son niveau semblait absolument immobile, à la différence de l'expression du jeune prêtre qui y penchait ses yeux vrillés.
Un camarade vint le rejoindre, à peine moins troublé que lui.
« Alors, Dihak ? Ça fait combien, maintenant ?
- On arrive à la sixième heure... J'espère que Zohak y arrivera à temps...
- C'est... hésita son interlocuteur. C'est le plus... compétent de nous tous. Nous ne pouvions pas mieux faire.
- Vous pensez qu'il reste encore beaucoup à attendre... ?
- Je n'en sais rien. C'est l'accouchement le plus difficile que nous ayons eu à faire. Je ne sais pas si Keilanah pourra aller jusqu'au bout, avec le peu d'air qu'elle respire.
- Elle est asthmatique ?
Le grand homme marqua un temps d'arrêt, avant de lâcher dans un soupir :
- Nous l'avons bâillonnée. Ses hurlements faisaient trop de bruit.
Dihak déglutit en songeant au calvaire de cette malheureuse femme, lui qui l'avait souvent désirée quand il l'apercevait dans le harem maudit de Zervan. Mais ce qui se jouait dépassait de loin les intérêts de chacun. Toutes les précautions étaient primordiales, dont bien sûr celle de la discrétion. Si le Dieu Lion venait à le savoir, quand le fils prodigue verrait le jour, ce pourrait alors être celui de leur plus grande félicité... comme de leur pire cauchemar. Un risque qu'ils n'étaient pas prêts à tenter. Mais il y avait encore tant d'épreuves avant d'en arriver là...
- Enhak, ça ne peut tout de même pas...
- Il y arrivera. Réconforta son frangin. C'est tout ce qu'il nous reste à espérer, maintenant que notre pénitence est sur le point de finir. Qu'importe le sexe de cet enfant : s'il décède dans le ventre de sa maternelle, nous traînerons le pire crime que le Damâvand ait jamais connu.
- Mais s'il naît et qu'il s'agit d'un fils... rêva Dihak.
- Calme toi, pauvre ami... glissa une voix particulièrement sévère, dans leur dos. Sur ce point-là, Zohak est encore moins fiable que sur le précédent.
Un zervaniste venait d'apparaître derrière eux. Ses yeux bleus était plus âpres que ceux des autres. Dague à la ceinture, il faisait partie des prêtres sacrificateurs dont personne n'espérait avoir besoin d'ici peu.
- Jehak, s'il te plait... Ce n'est vraiment pas le moment.
- Vous... vous me pensez peut-être plus détaché que tous nos frères... ?! s'exclama-t-il.
D'autres hommes se retournèrent pour réclamer le silence. Il ne fallait surtout pas réveiller le dragon qui dormait au-dessus de leurs têtes.
- Bien loin de là, déclara Enhak en jetant des regards inquiets vers le balcon du dôme. Mais ce n'est pas une raison pour nous empoissonner de tes doutes.
- Des doutes ? interrogea l'autre spectateur. Ce Zohak est un expert, non ? J'ai entendu dire qu'il approchait de son centième accouchement...
- Si tu crois qu'il y a là tout ce qu'il faut savoir de ce type...
- Jehak, c'est bon... Laisse le.
- Je ne comprends pas... indiqua le jeune homme.
- Oublie ce qu'il vient de dire. Nous te l'expliquerons une autre fois.
- Tu as quel âge ? lui demanda Jehak.
- Seize ans.
- Je vois... Ils ont dû garder le silence, devant toi. Ça peut se comprendre, vu ta jeunesse. Ce qui touche à cet individu a de quoi glacer le sang...
- J'ai entendu parler de cette affaire, il y a quelques années... Il a failli être banni, c'est cela ?
Un court silence suivit ces paroles. Tout le monde savait qu'il n'en avait rien été, puisque ce prêtre était encore en fonction à l'instant même, et que leur sort à tous dépendait de son savoir.
- Zervan n'était pas d'accord. Il était... trop "compétant" pour qu'on lui trouve un remplaçant assez vite, expliqua Enhak. Nous avons été contraints de le tolérer, et depuis il s'est tenu à carreau. Certains ont même réussi à lui pardonner... ce qui n'est pas notre cas, je préfère te le dire.
- Si ça ne tenait qu'à moi, renchérit Jehak, même pour ça je me ferais un plaisir de l'envoyer au diable...
- Méfies toi vraiment, quand tu parles, le coupa-t-on sèchement. Personne ici n'a envie de rire avec le diable, quand il repose à moins de cent mètres de nos manigances...
- Mais expliquez moi : que lui reprochez-vous, à ce Zohak, pour être si agressifs envers lui ? questionna Dihak.
Ses deux interlocuteurs se turent un moment. Jehak semblait bouillonner d'envie d'y répondre, aussi violemment eût-il été. Mais son collègue prit avant lui la parole et, se plaçant devant, apprit au jeune novice ce qu'il voulait :
- Dans le temple, il circule de drôles de rumeurs. Certaines sont pétrifiantes... Depuis que nous le connaissons, cet homme a toujours eu un comportement en marge de notre confrérie... Il est possible que sa fonction ait quelque peu influencer certains pans de... sa personnalité.
Jehak fulminait en l'écoutant.
- Les... lesquels ? s'enquit le jeune homme.
- Par exemple,... ses tendances sexuelles...
- Où voulez-vous en venir, lâcha sombrement Dihak.
- Tout simplement qu'il s'agit d'un pédaufile !
- ... Nous n'avons jamais eu de preuves tangibles, Jehak, ajouta son comparse. Pour le moment, ce ne sont que des suppositions.
- Pourquoi aurait-il fait autant d'erreurs, sinon !?
- Il ne s'agit que de trois cas, pour le moment. On peut encore lui accorder quelques mesures atténuantes... Cela fait plusieurs décennies qu'il est chargé de cela. Personne n'est parfait.
- Si. Reihak l'était.
Un long silence suivit cette réponse. L'émotion qui avait vibré dans sa voix avait fait se retourner plusieurs zervanistes. Mais, pour la plupart, ils s'en détournèrent négligemment, comme s'ils y étaient habitués. Quoiqu'il en soit, aucun d'eux n'en fut surpris. Chacun savait quel était le sujet sensible à éviter en sa présence. Ses yeux étaient devenus luisants, presque larmoyants. Il crispa sa bouche pour retenir une exclamation de révolte, jusqu'à ce qu?Enhak s'adressât à lui :
- Je t'en prie, Jehak... Cette rancoeur ne te mènera à rien... Tu dois arrêter de ressasser les souvenirs. Tu dois faire le deuil.
- Pas avant que la vérité ne soit révélée au grand jour... rétorqua-t-il. Et qu'il l'ait payé comme il doit.
Les deux zervanistes échangèrent un long regard, yeux dans les yeux. Enhak paraissait de son avis, à en juger par son expression macabre. Après qu'il eût jeté quelques regards vers des oreilles indiscrètes, il céda :
- Nous verrons cela plus tard. Pour le moment, il nous faut attendre.
C'est à cet instant qu'une tension nouvelle se fit sentir dans le cercle. Un peu plus loin, un zervaniste avait fait remarquer le silence provenant de la crypte. Les gémissements s'étaient tus, et on sentait émaner du souterrain une appréhension sans égal. Enhak se retourna vers Dihak :
- Combien de temps avant le réveil... ?!
Il consulta la clepsydre :
- Encore une bonne heure... ! » affirma le jeune homme, soucieux de ce qu'il venait d'apprendre.
La foule immobile resta muette devant l'imminence de l'évènement. La scène était comme figée. Quelqu'un lâcha de grosses larmes, sanglotant derrière sa manche. La main qui me tenait se mit à trembler. On me mit sur le ventre, et je reçus une violente gifle dans mon dos qui comprima mes poumons neufs. Jamais je n'avais su à qui je la devais. Mes pleurs accompagnèrent ceux d'une multitude. Je fus dirigée vers plusieurs autres mains toutes plus tremblantes les unes que les autres, avant d'être posée sur des draps pourpres.
Des pas résonnèrent le long de la galerie. Certains compagnons s'épaulèrent à l'anticipation de la nouvelle fatidique. Le suspens était pour certains insoutenable. Ils l'avaient ressenti, depuis que s'était installé le silence. La réaction à laquelle ils assistaient n'était en aucun cas celle qu'ils auraient attendue. Même à distance, ils voyaient la lenteur et la morosité de leur messager final. Zohak parut enfin, à l'antre de la crypte, la barbe encore brune. Son visage était rougie et sa mâchoire crispée. Il lui était inutile de parler. Ses yeux injectés de sang exprimaient suffisamment la nature de l'annonce qu'il était chargé de faire.
Personne ne se sentit le courage de lui demander la confirmation de mon sexe... Jehak baissa tristement ses yeux. Il serra nerveusement le pommeau de sa dague, tout en jetant des regards malaisés vers ses collègues qui avaient déjà sortis la leur. Après un lourd soupir, il s'avança en leur compagnie à l'intérieur de la crypte. Ma mère était déjà évanouie, sur ses draps humides. Elle n'avait même pas eu le temps de me voir, ne serait-ce que le millénarisme d'une seconde...
Des flashs m'assaillirent alors.
~°~.~ Plusieurs feuilles bronchèrent derrière moi. Je n'osais me retourner, focalisée sur ma course terrifiée. ~.~°~
Ce n'était pas les mêmes que sur la plage. Ils s'agissaient cette fois de plans toujours fixes, comme latents.
~°~.~ L'expression de Zohak se déconfit, les lèvres tremblantes. ~.~°~
Mais ce qu'ils montraient était d'un extraordinaire dynamisme. Un rythme aussi saccadé que le battement de mes paupières devant le soleil.
~°~.~ Il me saisit les cheveux et m'entraîna vers la chambre. ~.~°~
Heureusement, un filtre pâle et opaque était appliqué sur ces furieuses images et n'en gardait nulle propriété aveuglante.
~°~.~ Je cavalais à nouveau dans la jungle, ne songeant qu'à une chose : fuir ce maudit prêtre. ~.~°~
Quelques fois, la luminosité était si altérée que les couleurs s'inversaient, passant à une fréquence négative.
~°~.~ Zohak se mira dans la rivière. Il grimaça de choeur avec son reflet. ~.~°~
Les contours semblaient davantage assombris, tellement que je crus à travers ces visions percer l'obscurité, déchirer les voiles d'un mystère.
~°~.~ Nous descendîmes au fond du terrier obscur. Les parois portaient l'écho de ma voix jusqu'à lui, à tâtons dans le noir. ~.~°~
Et je contemplais tout cela avec un omniprésent murmure, comme une voix venant à la fois de derrière et de dedans. Une voix qui répétait insistante : "les Sables du Temps..."
~°~.~ Un homme titubait dans des oubliettes, des tentacules frétillants sur son dos et l'attitude infirme. Son visage parut à la lumière du jour : il arborait un masque carcéral, ancré de deux barres sur chaque oeil... ~.~°~
Un bourdonnement dans mes oreilles vint se superposer au son de l'eau. Des battements cardiaques résonnèrent, mais ce n'était pas les miens. Mes dents faillirent presque se briser. Prise de panique, je hurlai à pleins poumons, sans savoir s'il leurs restait de l'air. Tout d'un coup je me sentis comme happée hors de la réalité, chassée de ma propre enveloppe. J'aurais pensé que mon coeur lâcherait, si je n'avais compris qu'il ne battait plus. La vérité, c'était que je n'avais plus de coeur. Je réalisai bien vite que j'avais abandonné mon corps. J'avais abandonné la terre ferme. J'avais abandonné la forêt. J'avais abandonné l'île. J'avais abandonné l'océan. J'avais tout abandonné de mes raccords à l'univers d'autrefois. Néanmoins, il demeurait une chose au monde que je n'avais sûrement pas abandonnée : les Sables du Temps. Car en enfer autant qu'au paradis, ces derniers me suivraient jusqu'à la mort.
Justement pour ce qui est de ma mort, s'il fut un moment où j'en étais le plus éloignée, c'était bien celui qui allait suivre. Il faisait également nuit, mais celle-ci était bien plus profonde. Le ciel était couvert par-dessous les étoiles de funeste augure. Même la lune avait disparu derrière les brumes. Tout le pays était plongé dans le noir, à l'ombre d'une montagne enneigée. Vers son sommet scintillaient quelques brasiers allumés sur d'immenses piliers de pierre. Ces colonnes délimitaient l'enceinte d'un grand château protégé par plusieurs couches de murailles. Elles-mêmes étaient difficiles d'accès du fait qu'elles longeaient le bord des parois très abruptes du mont. D'autre part, l'odeur de sang séché qui émanait de l'intérieur n'encourageait personne à les traverser, hormis ceux de qui en dépendait la vie, par la mort des autres. Dans la cour, une foule silencieuse d'une centaine de chauves attendait, certes patiemment, mais avec beaucoup d'intérêt un événement décisif. Ils étaient tous vêtus de robes pourpres aisément visibles la nuit, ce qui ne semblait pas les arranger. Sur leur torse était brodé un huit d'or couché : il s'agissait bien sûr du sigle des zervanistes, même si aucun d'eux n'était alors coiffé de sa mitre rituelle. On pouvait lire l'inquiétude sur chaque visage, tout comme dans les regards qu'ils ne cessaient d'échanger. Cette inquiétude, c'était celle du châtiment proféré aux hors-la-loi, comme ceux dont ils avaient pris le rôle, ce soir-là.
La scène témoignait d'une platitude malsaine, comme au lendemain d'une apocalypse. Les seules conversations se résumaient à des balbutiements, et les seules contemplations étaient celles destinées à un dôme plaqué d'or, siégeant en hauteur dans le dos de cette petite assemblée. A l'intérieur dormait paisiblement une grande créature de lumière à tête de lion. De l'autre coté, une cavité se prolongeait dans le noir sous une autre paroi du château. En tendant l'oreille, on pouvait y entendre quelque gémissement étouffé, accompagné de paroles préoccupées. Certains des prêtres allaient jusqu'à se boucher les oreilles, de peur de défaillir sous la tension environnante. L'air leur était pesant, laborieux à respirer. L'un d'eux, incapable de supporter cette attente, se recula vers une grande clepsydre d'un mètre de hauteur. La teinte rougeâtre du liquide qu'elle contenait ne permettait aucune équivoque sur sa provenance. Son niveau semblait absolument immobile, à la différence de l'expression du jeune prêtre qui y penchait ses yeux vrillés.
Un camarade vint le rejoindre, à peine moins troublé que lui.
« Alors, Dihak ? Ça fait combien, maintenant ?
- On arrive à la sixième heure... J'espère que Zohak y arrivera à temps...
- C'est... hésita son interlocuteur. C'est le plus... compétent de nous tous. Nous ne pouvions pas mieux faire.
- Vous pensez qu'il reste encore beaucoup à attendre... ?
- Je n'en sais rien. C'est l'accouchement le plus difficile que nous ayons eu à faire. Je ne sais pas si Keilanah pourra aller jusqu'au bout, avec le peu d'air qu'elle respire.
- Elle est asthmatique ?
Le grand homme marqua un temps d'arrêt, avant de lâcher dans un soupir :
- Nous l'avons bâillonnée. Ses hurlements faisaient trop de bruit.
Dihak déglutit en songeant au calvaire de cette malheureuse femme, lui qui l'avait souvent désirée quand il l'apercevait dans le harem maudit de Zervan. Mais ce qui se jouait dépassait de loin les intérêts de chacun. Toutes les précautions étaient primordiales, dont bien sûr celle de la discrétion. Si le Dieu Lion venait à le savoir, quand le fils prodigue verrait le jour, ce pourrait alors être celui de leur plus grande félicité... comme de leur pire cauchemar. Un risque qu'ils n'étaient pas prêts à tenter. Mais il y avait encore tant d'épreuves avant d'en arriver là...
- Enhak, ça ne peut tout de même pas...
- Il y arrivera. Réconforta son frangin. C'est tout ce qu'il nous reste à espérer, maintenant que notre pénitence est sur le point de finir. Qu'importe le sexe de cet enfant : s'il décède dans le ventre de sa maternelle, nous traînerons le pire crime que le Damâvand ait jamais connu.
- Mais s'il naît et qu'il s'agit d'un fils... rêva Dihak.
- Calme toi, pauvre ami... glissa une voix particulièrement sévère, dans leur dos. Sur ce point-là, Zohak est encore moins fiable que sur le précédent.
Un zervaniste venait d'apparaître derrière eux. Ses yeux bleus était plus âpres que ceux des autres. Dague à la ceinture, il faisait partie des prêtres sacrificateurs dont personne n'espérait avoir besoin d'ici peu.
- Jehak, s'il te plait... Ce n'est vraiment pas le moment.
- Vous... vous me pensez peut-être plus détaché que tous nos frères... ?! s'exclama-t-il.
D'autres hommes se retournèrent pour réclamer le silence. Il ne fallait surtout pas réveiller le dragon qui dormait au-dessus de leurs têtes.
- Bien loin de là, déclara Enhak en jetant des regards inquiets vers le balcon du dôme. Mais ce n'est pas une raison pour nous empoissonner de tes doutes.
- Des doutes ? interrogea l'autre spectateur. Ce Zohak est un expert, non ? J'ai entendu dire qu'il approchait de son centième accouchement...
- Si tu crois qu'il y a là tout ce qu'il faut savoir de ce type...
- Jehak, c'est bon... Laisse le.
- Je ne comprends pas... indiqua le jeune homme.
- Oublie ce qu'il vient de dire. Nous te l'expliquerons une autre fois.
- Tu as quel âge ? lui demanda Jehak.
- Seize ans.
- Je vois... Ils ont dû garder le silence, devant toi. Ça peut se comprendre, vu ta jeunesse. Ce qui touche à cet individu a de quoi glacer le sang...
- J'ai entendu parler de cette affaire, il y a quelques années... Il a failli être banni, c'est cela ?
Un court silence suivit ces paroles. Tout le monde savait qu'il n'en avait rien été, puisque ce prêtre était encore en fonction à l'instant même, et que leur sort à tous dépendait de son savoir.
- Zervan n'était pas d'accord. Il était... trop "compétant" pour qu'on lui trouve un remplaçant assez vite, expliqua Enhak. Nous avons été contraints de le tolérer, et depuis il s'est tenu à carreau. Certains ont même réussi à lui pardonner... ce qui n'est pas notre cas, je préfère te le dire.
- Si ça ne tenait qu'à moi, renchérit Jehak, même pour ça je me ferais un plaisir de l'envoyer au diable...
- Méfies toi vraiment, quand tu parles, le coupa-t-on sèchement. Personne ici n'a envie de rire avec le diable, quand il repose à moins de cent mètres de nos manigances...
- Mais expliquez moi : que lui reprochez-vous, à ce Zohak, pour être si agressifs envers lui ? questionna Dihak.
Ses deux interlocuteurs se turent un moment. Jehak semblait bouillonner d'envie d'y répondre, aussi violemment eût-il été. Mais son collègue prit avant lui la parole et, se plaçant devant, apprit au jeune novice ce qu'il voulait :
- Dans le temple, il circule de drôles de rumeurs. Certaines sont pétrifiantes... Depuis que nous le connaissons, cet homme a toujours eu un comportement en marge de notre confrérie... Il est possible que sa fonction ait quelque peu influencer certains pans de... sa personnalité.
Jehak fulminait en l'écoutant.
- Les... lesquels ? s'enquit le jeune homme.
- Par exemple,... ses tendances sexuelles...
- Où voulez-vous en venir, lâcha sombrement Dihak.
- Tout simplement qu'il s'agit d'un pédaufile !
- ... Nous n'avons jamais eu de preuves tangibles, Jehak, ajouta son comparse. Pour le moment, ce ne sont que des suppositions.
- Pourquoi aurait-il fait autant d'erreurs, sinon !?
- Il ne s'agit que de trois cas, pour le moment. On peut encore lui accorder quelques mesures atténuantes... Cela fait plusieurs décennies qu'il est chargé de cela. Personne n'est parfait.
- Si. Reihak l'était.
Un long silence suivit cette réponse. L'émotion qui avait vibré dans sa voix avait fait se retourner plusieurs zervanistes. Mais, pour la plupart, ils s'en détournèrent négligemment, comme s'ils y étaient habitués. Quoiqu'il en soit, aucun d'eux n'en fut surpris. Chacun savait quel était le sujet sensible à éviter en sa présence. Ses yeux étaient devenus luisants, presque larmoyants. Il crispa sa bouche pour retenir une exclamation de révolte, jusqu'à ce qu?Enhak s'adressât à lui :
- Je t'en prie, Jehak... Cette rancoeur ne te mènera à rien... Tu dois arrêter de ressasser les souvenirs. Tu dois faire le deuil.
- Pas avant que la vérité ne soit révélée au grand jour... rétorqua-t-il. Et qu'il l'ait payé comme il doit.
Les deux zervanistes échangèrent un long regard, yeux dans les yeux. Enhak paraissait de son avis, à en juger par son expression macabre. Après qu'il eût jeté quelques regards vers des oreilles indiscrètes, il céda :
- Nous verrons cela plus tard. Pour le moment, il nous faut attendre.
C'est à cet instant qu'une tension nouvelle se fit sentir dans le cercle. Un peu plus loin, un zervaniste avait fait remarquer le silence provenant de la crypte. Les gémissements s'étaient tus, et on sentait émaner du souterrain une appréhension sans égal. Enhak se retourna vers Dihak :
- Combien de temps avant le réveil... ?!
Il consulta la clepsydre :
- Encore une bonne heure... ! » affirma le jeune homme, soucieux de ce qu'il venait d'apprendre.
La foule immobile resta muette devant l'imminence de l'évènement. La scène était comme figée. Quelqu'un lâcha de grosses larmes, sanglotant derrière sa manche. La main qui me tenait se mit à trembler. On me mit sur le ventre, et je reçus une violente gifle dans mon dos qui comprima mes poumons neufs. Jamais je n'avais su à qui je la devais. Mes pleurs accompagnèrent ceux d'une multitude. Je fus dirigée vers plusieurs autres mains toutes plus tremblantes les unes que les autres, avant d'être posée sur des draps pourpres.
Des pas résonnèrent le long de la galerie. Certains compagnons s'épaulèrent à l'anticipation de la nouvelle fatidique. Le suspens était pour certains insoutenable. Ils l'avaient ressenti, depuis que s'était installé le silence. La réaction à laquelle ils assistaient n'était en aucun cas celle qu'ils auraient attendue. Même à distance, ils voyaient la lenteur et la morosité de leur messager final. Zohak parut enfin, à l'antre de la crypte, la barbe encore brune. Son visage était rougie et sa mâchoire crispée. Il lui était inutile de parler. Ses yeux injectés de sang exprimaient suffisamment la nature de l'annonce qu'il était chargé de faire.
Personne ne se sentit le courage de lui demander la confirmation de mon sexe... Jehak baissa tristement ses yeux. Il serra nerveusement le pommeau de sa dague, tout en jetant des regards malaisés vers ses collègues qui avaient déjà sortis la leur. Après un lourd soupir, il s'avança en leur compagnie à l'intérieur de la crypte. Ma mère était déjà évanouie, sur ses draps humides. Elle n'avait même pas eu le temps de me voir, ne serait-ce que le millénarisme d'une seconde...