Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 22 : Que l'Obscurité Soit... (première suite)


Publié le 07/08/2010 à 17:43:39 par SyndroMantic

Je relevai la tête, ébahie, sans dire un mot.
« Tiens, ma petite. Tu aimes le jus d'ananas ?

Le vieux prêtre me tendit la boisson. Il y avait quelque chose d'indécis dans son humeur. Ses yeux me fixaient avec mal-être. Quand je répondais à son regard, il le baissait plusieurs fois, puis je vis apparaître dans sa lueur des rictus de pardon. Je l'avais rarement vu si triste, et c'est pourquoi je ne comprenais rien à son attitude.
- Zohak ?
- Oui, ma chérie ?
- Dans... dans mon sommeil, j'ai entendu les plaintes de quelqu'un...
Le vieil homme mordit ses lèvres gercées. Il me regarda sans dire un mot.
- ... Il n'arrêtait pas de prier : "pas elle ! pas elle ! jamais !"...
- Non... "pas toi...", approuva-t-il, s'appropriant les paroles dont il était l"auteur. N'importe qui, mais pas toi...
- A vrai dire, il n'y a que toi et moi, sur cette île. De quel Autre pourrions-nous parler ? Depuis le temps, on l'aurait su...
Je m'interrompais. Le regard du zervaniste était absent. Il continuait de ne rien dire, abyssalement plongé dans ses réflexions. Je vis alors des pics de tristesse, dans les mouvements de ses sourcils. Il ne semblait même pas avoir senti que j'avais cessé de parler.

- Tout va bien, Zohak ? le rappelai-je.
- Oui... ! Oui... C'est juste... Aujourd'hui, j'ai failli croire que... que tu t'étais en allée pour de bon...
Le pauvre vieillard soupira en fermant les paupières. Je le réconfortai, la main sur son dos frileux.
- Je suis là, maintenant...
Il esquissa un mince sourire, toujours regardant ailleurs. Je résolus qu'il était temps de le laisser, que tout avait été dit et traité. Mais pourtant, il restait toujours...
- Par contre,... repris-je, pensive, j'ai l'impression d'avoir entendu autre chose, aussi.

Cette fois-là, Zohak se tourna enfin vers moi, le front plissé. Il semblait absolument ne pas voir ce qui pouvait encore m'interpeller, bien qu'il brûlait de le savoir.
- Quoi donc ? demanda-t-il de sa voix grave.
- Il me semble avoir aussi entendu quelque chose du genre : "Arrête ! Jamais ! Ça suffit !". Qu'est-ce que ça voulait dire ?
Il ouvrit la bouche, sans qu'aucun bruit n'en résonne, malgré sa forme circulaire. Je sentis une idée traverser son esprit.
- Rien ! Non, je... Je n'ai jamais dit cela ?! dit-il pourtant.
Il me fixa dans les yeux, presque à m'en déstabiliser. Je crus passer pour folle, à travers son reflet.
- Ah bon. Mais alors...
Je ne sus quoi répondre. A dire vrai, tout cela était bien flou, dans ma mémoire. Je n'avais aucun fait auquel me rattacher, et je commençais à me méfier de mon inconscient. Peut-être m'avait-il trompée... ?
- Ce n'est pas grave, mon enfant... affirma Zohak. Tu as été très épuisée, ce soir. Maintenant, il faut que tu te reposes, et que tu relâches un peu. Ne te torture pas trop l'esprit... Pour ma part, j'en ai bien assez fait l'expérience.

Il se leva. Songeuse, je balayais de ma main les grains de sable encore infiltrés dans les plis de mes draps. Avait-il une idée de ce qu'ils faisaient partout sur mon corps, jusque dans ma gorge ?
Non, il n'en savait rien. Et c'était mieux ainsi. L'expérience que j'avais vécue était unique. Maintenant encore, je demeure la seule à avoir su ce qu'il s'était produit en moi, jusqu'à ce que vous lisiez ces lignes. L'oxygène purifié. L'évanouissement. Les visons du temple zervanistes. Une incroyable acuité visuelle apposée à une analyse effrénée des moindres détails. Et bien sûr le malaise... Toutes ces sensations inédites m'appartenaient, transcendant les dimensions. Par orgueil, peut-être... ou bien par intuition, je me refusais à en faire part à mon protecteur .~° Notre liberté se bâtit sur ce qu'autrui ignore de nos existences °~. Et ce phénomène là, je comptais bien le renouveler aussi souvent que je le désirerais, sans risquer la moindre contrainte de mon tuteur.

Excitée par l'anticipation de cette prochaine expérience, je me remis en mémoire tout ce que j'avais éprouvé à mon réveil, tandis que j'étais le mieux consciente. Observant mon ami qui surveillait le feu, je sentis que j'aurais été bien incapable de renouveler la dissection que j'avais faite de sa physionomie. Quant à deviner son âge...
- Très bien, repris-je en souriant. Alors parlons de sujets futiles : quel âge as-tu ?
Zohak marqua un temps, et se tourna à nouveau vers moi, intrigué.
- L'âge que j'ai ? hésita-t-il. Euh... Combien me donnerais-tu ?
Soixante-sept ans.
- Alleeez... ! Vas-y, dis...
- Eh bien... fit-il, indolent. Oh, je ne m'en souviens plus. Comme tu le dis, c'est assez futile.
Je le dévisageai d'un air malicieux.
- Donne moi une estimation... ?
- Tu y tiens vraiment ? Oh, je crois que j'ai bien du dépasser la soixantaine. Je ne les fais pas, hein ? ironisa-t-il.
Toujours le mot pour rire. Je fis la grimace pour le taquiner.

Il s'esclaffa et me fit un clin d'oeil, avant de retourner à ses affaires. Cependant, je n'avais pas l'intention d'en rester là :
- Quand est-ce que tu es né ?
- Quand est-ce que... ? répéta-t-il. Mais pourquoi veux-tu absolument le savoir ?
- T'occupes pas... Dis moi la réponse.
- Alors... murmura-t-il, pensif. ça remonte à très longtemps, tu sais... Ah. oui : Je suis né en 209.

Il y avait soixante-sept ans de cela.

- Autre chose ? reprit-il.
- Hein ? Euh, non... Non, c'est tout.
- Pourquoi ces questions ?
- Pour rien. »
Zohak me lança un regard surpris. J'avoue que je n'avais pas été bien discrète, dans mon détachement, et en particuliers lorsque je me rendis compte que j'avais deviné à l'année près son âge, quand bien même il ne m'ait jamais rien dit.

Pas une seule fois. Je le savais aussi certainement que l'heure qu'il était. C'était la première fois que nous avions cette conversation, ce qui justifiait son étonnement. Mais le mien était aussi de taille. Jamais je n'avais été jusque là capable d'évaluer l'âge d'un objet à sa simple vue. Par ailleurs, je ne l'avais pas non plus fait dans des conditions ordinaires. Je n'avais absolument pas pu le maîtriser, et c'était peut-être ce vertige, dû à cette perte de contrôle inexpliquée, qui me bouleversa au point d'en vomir. Mais après tout, c'était là un potentiel de taille. Cette précision chez moi n'avait jamais atteint un point aussi élevé. J'aurais pu certifier l'âge de notre îlot ! J'aurais pu donner la date de n'importe quelle création...
Telles furent mes pensées, alors que le zervaniste éteignait le feu, avant de se coucher. Le temps que l'obscurité se fasse, je me concentrai sur ses mouvements, sa posture, ses grognements... Et tout en le regardant, je calculai dans ma tête...

Zohak, tu n'as plus que deux ans à vivre.


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