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Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 19 : La Limythe


Publié le 30/07/2010 à 15:42:32 par SyndroMantic

[c]La Limythe[/c]




Cela durait depuis le début. Zohak faisait tout pour me rendre heureuse. Il m'était entièrement dévoué. Sa servilité se lisait sur toutes les rides de son sourire âgé. Je ne manquais jamais ses déjeuners attentionnés, dès le réveil. Malgré notre infortune, il était un père quasiment exemplaire. C'était une autre de ses fantaisies comportementales. Après qu'il ait été mon ami, mon poursuivant, mon hôte, puis mon tuteur,... il s'était métamorphosé en le plus présent des compagnons. Il m'était désormais impossible de résumer nos affinités à de simples rapports amicaux. Il perfectionnait les moindres de nos interactions, qu'il s'agisse de discussions, de services, ou de simples regards. Ce changement s'était opéré sur plusieurs années, par conséquent je n'avais pu y prêter attention. Moi-même, je m'étais adaptée à cette nouveauté. Bien que mon évolution dans l'âge ne m'octroie des réactions de plus en plus répulsives, cette image de protecteur avait également déteint sur ma façon d'être. Il était la seule personne que j'avais jamais eue, et n'étais pas indifférente à ses attentions. Il incarnait tellement d'images, pour moi... Il était un père. Un mentor. Un confident. Un guide. Un phare. Ma bonne étoile.

Oui. Très longtemps, Zohak fut pour moi un emblème impérissable. Immortel - et bien sûr, il est vrai que pour moi l'immortalité avait encore un autre sens. Contrairement à ce que j'aurais prévu, mon chemin identitaire s'engouffrait bien loin de ce que représentait Zohak...


Je l'appris six jours plus tard, lors d'une journée pour le moins stupéfiante. Le ciel avait rarement été si lumineux. La mer était assez calme. Nous étions en début d'après-midi, et le soleil scrutait au mieux la terre de son socle fuyant. La chaleur tapait rude. Zohak transpirait, sur son hamac, un drap bandant ses yeux de la lumière. L'air était pesant, tout comme l'odeur de grillé qu'émanaient encore les restes de notre repas. Mon sang bouillonnait le long de mes bras, tandis que j'essuyais les gouttes qui perlaient sur mon front. Le souffle brûlant de la mer m'étouffait la gorge, et ma chevelure brune n'était pas pour m'accommoder. Mes lèvres se tendaient machinalement, à la fois implorantes et furetantes une douce fraîcheur, coulantes comme mes pensées...

J'ose à peine juger qui de moi ou de mon comparse endormi était le plus conscient. Il me fallut un certain temps pour m'apercevoir de sa sieste, pendant que je traînais les pieds vers son corps avec nonchalance, fixant d'un regard mou la noix de coco percée qu'il avait laissée en équilibre sur une roche.
« Zohak... bredouillai-je. Je peux avoir du jus de coco... ? »
J'eus pour toute réponse un ronflement vrombissant. Je crois qu'il était déjà bien loin, à ce moment. Tant mieux. Je n'aimais pas lui demander de permission. J'abattis mes doigts fébriles sur la coque de noix et la prit à deux mains, gardant toujours un oeil sur la mâchoire relâchée de mon tuteur. Je me rendis pourtant vite compte de l'inutilité de m'en méfier. Zohak avait plus de jus de coco à me revendre que je ne l'aurais jamais pensé. Hélas, pire que de le lui avoir subtilisé pour rien, je constatais, langue brandie, que le fruit était vide. Asséché. Mon ami au sommeil innocent était moins attentionné que j'aurais pu le croire. C'était en effet notre dernière boisson.

Lui avait bien mis quelques récipients d'eau douce en réserve, à la suite de réguliers trajets jusqu'à la source de la rivière, pour lesquels il ne manquait pas de s'armer de sa machette. Mais ma révulsion pour ce liquide sans goût allait jusqu'à le régurgiter. Les rares fois que Zohak avait insisté pour m'en faire boire, j'avais presque fait une crise d'épilepsie. Depuis, il ne m'avait plus jamais forcé. J'avais donc pris l'habitude de me désaltérer aux jus de fruits, mon favori demeurant celui de la noix de coco. Le prêtre avait étudié un régime qui m'ait été adapté, selon mes désirs, mais je gardai la fierté d'avoir toute seule déniché une grande allée de cocotiers desquels je pouvais m'approvisionner, à tout juste dix-huit minutes de notre campement. Et devant la sécheresse de ce jour-ci, j'étais bien forcée d'y retourner.

Le chemin passait par la plage. Une occasion supplémentaire de défier la mère de mes phobies. Aucun vent ne plissait ses écailles de fer. Mes battements de coeur suivaient ma marche concentrée, au bord de son écume paresseuse. Son silence observait ma gorge crispée. Cette fois-là, je ne lui prêtai guère attention, et arrivai sans m'en apercevoir à destination. L'un des arbres avait un peu plus poussé, depuis ma précédente venue. Le parcours m'avait quelque peu essoufflée, mais j'avais pris le coup d'escalader leur tronc. Je savais comment tenir l'écorce de mes membres, où poser mes talons. Hormis les gestes, l'ascension se faisait spontanément. J'atteignis le sommet du végétal. L'effort valait bien sa récompense. Depuis le piédestal de feuillages, l'immensité de l'océan m'était mieux affichée. Je pouvais contempler la plage d'où je venais, ses paisibles rivages, et de l'autre coté la falaise abrupte. Au loin, il m'arrivait de percevoir la fumée du dîner que Zohak me faisait réchauffer (me donnant par ailleurs le signal de rentrer à temps). Derrière moi proliférait une vaste jungle, et devant s'étendait l'horizon. L'infini horizon... Le zervaniste était parfois pris de vertiges, lorsqu'il me le mentionnait. Pourtant, jamais je ne ressentis cela de toute mon enfance. Au contraire, j'étais comme attirée, attractée par ces champs illimités. Et je sentais, alors que ma main se levait vers le ciel changeant, que seuls quelques centimètres m'en séparaient...

Mon estomac se resserra et la soif me gagna encore. Mon perchoir avait produit une grappe de cinq noix. A coups de pieds répétitifs et insistants, je fis céder leur prise à la tige, faisant platement chuter les coques rigides. Le sol sablonneux assona leur impact, si bien que je me distrayais à nouveau de ma contemplation spacieuse. En haut, l'astre intense entamait sa lente descente vers l'ouest. Dans quelques heures, il serait à l'endroit précis d'où je l'avais admiré entre les nuages, huit ans plus tôt. Sur la plage... avec Zohak... qui pleurait... Mes tempes se mirent à trembler. Le temps de le penser, j'avais posé mes pupilles sur l'iris incendié de la toile d'azur. Sa clarté m'aveugla, et mon crâne bourdonna tout entier. Une nouvelle chaleur grimpa dans mon cerveau. Je ressentis un point au milieu du front. Le sang remontait dans ma tête. Mon équilibre déclina, du haut du cocotier.

De nouveau sur la terre ferme, je me rendis compte que je peinais à retrouver le sens de la gravité. La plage tournait, et je ne savais de quelque coté pencher, hasardant quelque mouvement pachydermique. Les couleurs du zénith m'agressaient la vue. Ma tête était lourde, mon cerveau comme écrasé. Il me fallut attendre, avant de retrouver la direction de notre masure. Le souffle allégé, je continuai prudemment mon chemin de retour. Néanmoins, j'éprouvai de sensibles maux de tête. Je m'aperçus soudain que j'avais oublié d'emporter mes boissons. Cette étourderie ne me ressemblait pas. D'ordinaire, j'étais bien plus attentive. Je ne devais alors pas être dans mon état normal...

Je marchai sur quelques mètres, les yeux brûlants, balayant du regard le sol alentour. Arriverais-je à revenir ? Mon regard passa sur mon ombre lancinante. Cette apparition mis en évidence la nature du responsable de mes symptômes. Ma vision devint rouge. La lumière diurne inondait toutes mes cavités crâniennes. Le soleil m'écrasait de son éclat. C'était la première fois que je souffrais d'une telle insolation. Elle m'avait assaillie si brutalement, si implacablement, que je ne tardais pas à m'effondrer sur le sable, les yeux envahis de firmaments.

Cet élan faillit m'emporter contre terre. Ma crinière de jais tira vers mes mains tremblantes. Ma transpiration se déversa sur mes paupières. Une de ses gouttes longea mon nez. Cette chatouille alla pour me faire éternuer, mais au moment d'inspirer, une bouffée de sable se souleva et vint crépiter dans mes conduits nasaux. Avalant de travers, je raclai ma gorge endolorie. C'est alors qu'une sensation m'envahit les sinus. Loin des vapeurs de braise dégagées par le sol blanc, je crus respirer un air aseptisé, purifié, lavé de toute corruption. Cet oxygène filtra dans mes narines engourdies, montant jusqu'à mes centres nerveux. Dès cet instant, ma perception s'affaiblit promptement. Mes appuis basculèrent sur le flanc. Je m'assoupis maladivement sur le lit de sable, mon visage pâlot baignant dans la lumière. Un voile opaque se propagea devant ma vue. Mes forces m'abandonnèrent. Ma conscience s'éteignait peu à peu. Mon dernier souvenir fut une vive sensation de vertige. Comme si je perdais pieds...

Ma vision me revint soudain. Cependant, le monde que je découvris n'était en rien celui de l'île. Je faisais la différence avec l'absence d'hostilité. Ou du moins apparente. Tout danger avait été dissipé. Même la mer s'était retirée. L'ambiance était un peu plus froide. Mon coeur s'accéléra. Il faisait sombre. J'avais un morbide sentiment de familiarité. Comme si j'avais déjà connu ces lieux, dans un passé ancien et oublié. Le chemin était tout juste éclairé par quelques torches à la couleur éteinte. Les marches aveugles menaient jusqu'à un édifice mystique ressemblant à une terrasse circulaire. De nombreuses silhouettes en gardaient l'entrée. Leur posture immobile était fort sollenelle. Jetant des coups d'oeil autour de l'allée, je reconnus la guilde des zervanistes, muets sous leur mitre à trois cornes. Mes visions alternaient les bouches closes et les sourires. Parmi eux, celui de Zohak heurta mon inconscient. Il retint ma bretelle, tandis que j'avançais entre les rangées, vers le centre de la plate forme.

Une statue y siégeait. Elle représentait un colosse divin à tête de lion. Il faisait bien quatre mètres de haut, surplombant les colonnes qui protégeaient son enceinte. Sa stature imposante se tenait fièrement cambrée, les bras croisés devant son torse puissant. Ses mains empoignaient de chaque coté une clé et un sceptre d'or. Dans le dos de sa toge impeccable, quatre ailes parfaites s'étaient repliés majestueusement. Je m'apprêtais à en frôler une de ma main tendue, quand soudain la créature baissa vers moi sa tête féline. Ses yeux étaient de luisantes perles de verre. La transparence de ce regard m'hypnotisait. Au delà de mon reflet incertain, je plongeai à travers une nouvelle dimension...


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