Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 18 : Prévanescent (suite)


Publié le 28/07/2010 à 15:38:51 par SyndroMantic

Ce qu'il m'avait appris ? Si seulement il savait combien il se trompait... Je connaissais la date de maturité de ces plans de culture depuis l'instant même où nous les avions plantés. J'avais jusque là feinté de ne pas en avoir la moindre idée, enrobant mes prévisions d'incertitudes. Mais cette fois-là, je ne pus songer à grossir davantage mon mensonge, quoique j'aurais très bien pu annoncer la minute. En vérité, je n'étais pas allée du tout vers les champs. Et je savais tout aussi bien quand les tomates seraient comestibles. Et lorsque l'on est au courant d'autant de paramètres secrets, il est assez peu évident d'imiter l'ignorance. Fort heureusement, nul autre n'est plus simple à tromper que celui qui ne cherche pas à savoir. Si Zohak avait été plus curieux de mes sentiments, il aurait infailliblement su de quelle manière j'occupais mes journées, depuis voilà quatre mois et deux jours.

~°~.~
Car on ne peut guérir de l'hostile besoin d'ailleurs. Or, je n'étais en fait pas seulement recluse à l'intérieur des côtes de l'Île. J'étais aussi assiégée par ses deux environnements : d'un coté la jungle beaucoup trop dangereuse de par ses pièges exotiques, et de l'autre une mer interminable dont la seule idée me glaçait le sang. Je n'en avais jamais trop discuté avec mon compagnon. Ce thème était presque aussi tabou que les dénivelés de la plage. Pour résumer, tout ce qui touchait de près ou de loin à la terrible journée que nous vécûmes cette fois-là était déconseillé de mention. Pourtant, l'un comme l'autre nous avions gardé des traces indélébiles de cette tragédie. Zohak était tiraillé par la solitude. Et moi, j'écopai d'un traumatisme à l'égard de l'eau. Sa simple vue me faisait grimacer. La pêche était bien l'activité qui m'horripilait le plus. Mais Zohak n'en avait jamais remarqué mon dégoût, et continuait naïvement de m'y emmener. Après tout, c'était une occasion supplémentaire de m'entraîner, bien que l'agaçante présence de mon camarade me dissuade de trop me concentrer. Je tenais à ce que cela reste secret. Peut-être parce que je voulais que les secrets s'équilibrent, dans la balance...
Zohak ne l'avait jamais vraiment su - Moi non plus, pour être sincère : je ne pouvais me résoudre à me réfugier à ses cotés, et fuir les deux fronts. Je ne voulais pas être une lâche. Mon orgueil m'encourageait à ne point céder. Et même s'il fallait durement lutter, un jour, je me débarrasserais de cette hantise de la mer. Ainsi, je serais préparée pour un éventuel départ, le plus tôt possible, et de ce rocher infect, et du zervaniste. Et plus rien ne me contraindrait jamais. Sauf que pour cela, patience était de mise. La solution était une question d'expérience et d'entrainement.
C'est pourquoi chaque fois que la vigilance du prêtre défaillait, je me postais face à la mer, immobile, recueillie... J'essayais de calquer mes soupirs et mes tressaillements sur le bruit des vagues échouées. Je sentais le vent vibrer, ma tête flotter. Mais mes névroses reprenaient toujours le dessus, faisant jaillir des larmes flétries de mes paupières crispées. Je me tenais à six bons mètres de l'océan, et il parvenait malgré tout à verser par mes yeux gémissants...
~.~°~

La corde de Zohak se tendit. Un poisson avait mordu. Le prêtre brandit sa perche dans les airs et l'eau éclaboussa mon épaule. J'étouffai une inspiration exaspérée, tandis qu'il empoignait sa prise fièrement. Retenir mon animosité n'était pas une mince affaire. Je restai recroquevillée contre mes jambes, les muscles raidis.
- Eh bien ! se félicita Zohak, constatant goulûment la carpe qui s'agitait dans ses mains. Quelle prise ! Nous allons nous régaler, ce soir... »
J'avais horreur du poisson.

Nous revînmes au campement, après que mon ami ait vérifié ses pièges à oiseaux. Il possédait déjà une collection de sept colibris, enfermés dans trois étroites cages. Dénigrant la piètre intelligence de ces volatiles, il avait accroché la clé même de leur prison sur le crochet qui la suspendait au dessus des outils agricoles. Le grand homme avait établi une grande palissade qui encerclait notre résidence sur un diamètre de quarante mètres. Un épais buisson en dissimulait l'entrée. Un système de poulies et de cordes permettait de faire pivoter une planche et de créer un passage à travers la barrière. La cabane était faite de bambous et de tamarins, soutenant un toit de branches d'hévéa. D'un oeil bénin, j'avais une grande facilité à différencier toutes ces sortes de végétaux. Sans l'étudier soigneusement, je distinguais chacune de leurs façons de pousser, d'évoluer, de grandir. Dire que Zohak ne savait même pas que la manière dont il avait planté son cocotier allait d'ici quelques mois soulever l'angle de son bureau. A ce qu'il disait, le vieil homme avait besoin d'un tel aménagement pour gérer ses cultures. Et puisque cela l'occupait...

Ce soir-là, nous mangeâmes des brochettes accompagnées de légumes secs. Zohak prenait toujours soin à la présentation de ses plats. Il semblait considérer que le moindre produit de ses mains était d'une préciosité rare. Bien que je lui laissais croire le contraire, je ressentais pour lui un relatif agacement. Mes sourires diplomatiques cachaient en eux des rictus méprisants. Ce germe désinvolte poussait de jour en jour, dans mon coeur, et le retenir était de plus en plus douloureux. Je ne sais pourquoi j'avais cette difficulté à m'habituer à ce mode de vie. Je ne pouvais convenir à cette crasse, cette sueur, cette sauvagerie. Chaque repas que m'offrait mon tuteur m'inspirait d'exécrables crachats. J'avais fréquemment envie de déchirer son emploi du temps. J'avais besoin d'autre chose, je ne savais quoi de plus grand et de moins déshonorant. Zohak aurait pris ça pour de l'ingratitude. En était-ce vraiment ? Je ne sais pas. Le comportement inverse n'aurait pas mieux valu. Car je n'étais docile qu'en apparence, et aussi par ignorance. Ignorance de ce qui se trouvait dans la jungle. Du vrai visage de la sauvagerie. Et j'espérais y échapper simplement en restant dans ce qui m'était le plus familier. Cette vie pourtant si pénible en ces temps. Elle faisait partie de mon quotidien depuis toujours, me semblait-il. Et pourtant, du haut de mes quinze longues années, je me sentais toujours étrangère à ce sort. Après plus de huit ans, je restais toujours une Naufragée.

Zohak avala son dernier bout de chair. J'avais posé les miens depuis quatre minutes. Je n'avais pas la patience de retirer les arêtes. Il esquissa une grimace compatissante, débarrassa nos plateaux en bois et enterra les restes dans la basse fosse. A peine revint-il que je m'étais déjà glisser sous la couette de mon lit, dans ma chambre. Zohak resta un moment navré, sous la lueur éteinte de la lune, avant de se coucher à son tour.


Quelques heures plus tard, je me réveillai. J'avais cette faculté, je pouvais inconsciemment décider de la temporalité de mon éveil. Je fixais une horaire, mon inconscient la respectait, m'extirpant doucement du pays des rêves. Je me redressais lentement de mon matelas de tiges, aux aguets. Les ronflements du prêtre parvenaient jusqu'à moi. Comme convenu, mon ami dormait. Je sautai discrètement de mon lit et me baissai sous un meuble, tendis mon bras et en ramenai un parchemin encrassé. Pendant que je m'emparais du pot d'encre et de la plume d'un perroquet, je me remémorais le voyage que je venais de faire... et la personne que j'y avais accompagnée.

« Hmmm... Les yeux bleus... »

Je complètai donc le dessin que j'avais commencé depuis quelques semaines. C'était celui d'un guerrier face à une terrible bête noire. Ses griffes acérées se tendaient vers le jeune homme, agrippant de son autre main le corps d'un soldat en armure. Sa carrure était immense, parsemée de symboles lumineux. Ses deux yeux pâles perforaient son crâne de jais, à l'ombre de cornes inversées. Son corps fondaient sur le quidam se protégeant avec les bras. Son dos était allongé sur une dalle brisée. Derrière le monstre de ténèbres était planté un amandier fantastique encré dans le sable.

Il s'agissait d'un rêve. Un rêve récurrent. Je le faisais presque chaque nuit, ou du moins chaque fois que je m'en souvenais. Je n'avais aucune idée de ce qu'il représentait. Je ne savais pas ce qu'il pouvait bien faire dans mes songes, mais c'était comme une obsession, une focalisation, responsable de nombreuses impressions quotidiennes, qu'il s'agisse d'émotions, de pressentiments, ou de rêveries. Ce songe semblait accompagner ma respiration, chaque fois que mon regard s'émerveillait du vol d'oiseaux migrateurs. Ce rêve était si vieux que je ne me souvenais même plus de son origine (mes pouvoirs en ces temps étaient bien entendu moins développés qu'aujourd'hui). Cela faisait sûrement partie des anecdotes qui montrait comme quoi je vivais une double vie. Déjà j'effleurais une certaine ubiquité : alors que ma vie se construisait en compagnie d'un homme, c'était à un tout autre que je pensais, lorsque mon esprit s'évadait. J?'éprouvais une grande curiosité à l'idée de découvrir qui il était. Et c'était bien ce parchemin, ce petit bout d'image, qui m'apparaissait capable de m'y aider. Ainsi, chaque soir, dès que je retournais à cette étrange scène, je ne manquais pas de reproduire tous les souvenirs que j'en gardais sur cette toile enfantine. Au fur et à mesure qu'elle s'enrichissait, l'identité du guerrier devenait de plus en plus claire.

Avec application, je pointai deux iris bleus autour de ses pupilles effarées. Cela lui donnait un regard pour le moins séduisant. Aussi fascinant que les reflets tropicaux de la mer...




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