On est le 7 Octobre, et il commence à faire froid. Bien sûr, dans ma baraque de riches, on met le chauffage à 24.
Je suis dans le salon avec Yun, et on a étendu nos cours sur le tapis pour réviser. On se fait réciter à tour de rôle. Elle a du mal à lire le vocabulaire médical bien barbare, et on rit. Ana écoute de la musique dans sa chambre, et je regarde l’heure.

18H23. Cécilia n’est toujours pas rentrée de classe, et ça commence à m’inquiéter. Elle envoie toujours un message pour prévenir quand elle est en retard. Peut-être qu’elle n’a plus de batterie. Je vais chercher à boire dans la cuisine, et je perçois un bruit sourd dehors, et des cris. J’entends une clé tourner fébrilement dans la serrure, et la porte d’entrée s’ouvre à la volée. C’est une Cécilia presque hystérique qui entre, avant de claquer violemment la porte derrière elle. Elle a visiblement couru, et s’écarte de l’entrée, apeurée. Je vais pour lui demander ce qu’il se passe, pourquoi elle tremble et sanglote comme ça, quand de puissants coups sont frappés. Une voix masculine hurle derrière.

Je pose mon verre et vais ouvrir. C’est un mec blond d’environ 25 ans. Il est à peu près aussi grand que moi, plus carré et plus musclé. Son regard croise le mien, et il m’étend d’un direct à la mâchoire. Comme ça, sans dire bonjour. Je m’écroule au sol comme un con. Le coup était si facile à parer que je souris, alors que des étoiles défilent devant mes yeux. Si le vieux Sarö avait vu ça il m’aurait direct envoyé à l’entraînement avec les moins de 15 ans. ( -15 )

Le mec pousse la porte et entre. Yun nous a rejoints, attirée par le bruit. Le blond attrape le bras d’une Cécilia pétrifiée et la tire avec force dehors. Je vois ma petite coréenne s’agenouiller près de moi, toute paniquée. Elle se cache la bouche, ses yeux reflètent la peur, et je me demande ce que je fous encore par terre. Je me lève, congédie gentiment sa main posée sur mon bras, et je sors.

À trois mètre de la porte, Cécilia essaie de se débattre, le mec hurle et tente de l’emmener. J’avance sur lui, tentant de me contrôler.

Il me remarque, libère la belle italienne et me balance un crochet du gauche. Même le petit Arnaud en deuxième année de Kung Fu aurait fait mieux.

Je le pare avec une facilité déconcertante, et profite de son air stupide et étonné pour le gifler. Beah. Ma main s’écrase, sèche, humiliante. Il recule. Ses bras sont imposants, mais c’est que de la gonflette. Et en plus, il est furieux. Deux raisons qui lui donnent toutes les chances de perdre. Il retente une attaque aussi ridicule qu’imprécise, et je le gifle à nouveau. Plus violemment.

Il fait deux pas en arrière, perd l’équilibre et s’étale comme une merde. Il se relève rapidement, bouillonnant de rage. Sa joue est toute rose, et de petits vaisseaux ont éclaté aux endroits où mon anneau l’a touché. Je n’attends pas qu’il me charge, je veux qu’il sorte de mon jardin. J’avance donc vers lui et le pousse. Il est presque à la grille. Il semble hésiter, mais la colère prend le dessus. Il tente de m’atteindre avec ses poings, mais c’est comme un petit scarabée tombé sur le dos qui se débat pour se relever.

Il n’a strictement aucune chance de me toucher. On a dépassé la grille maintenant. Je balaie sa jambe, et il tombe sur un genou. Je le gifle, il tombe. Il essaie de se relever, je le gifle. Il souffle comme un bœuf, et ne peut retenir sa main pour masser sa joue désormais rouge vif. Je vois des larmes de colère dans ses yeux, et il tente de se relever. Punitive, nette, ma main s’écrase. Il reste au sol, et je ne bouge pas. Je ne dis rien, mais je lève un doigt au loin, qui veut dire : « File, dégage. »

Je le mitraille du regard, et il paraît hésiter. Finalement, il se lève et s’écarte de moi, avant de s’éloigner, honteux et blessé dans son orgueil. Il se retourne fréquemment vers moi, mais ne dit rien. Pas de menaces, pas d’insultes. C’est mon territoire, j’ai gagné. Je ferme la grille, et retourne tranquillement vers la porte en chaussettes.

Yun a pris Cécilia par le bras, et elles m’attendent sur le pas de la porte, toutes tremblantes. Mon amie italienne ne peut pas prononcer un mot, mais je lis une reconnaissance infinie dans son visage ravagé par les larmes. Je vois que Yun a envie de pleurer aussi, et je l’enlace, protecteur. Elle m’étreint de toutes ses forces. Elle a eu très peur, ma petite Yun.


-Il me dit qu’il m’aime et pense à moi longtemps, nous dit Cécilia, difficilement.
On s’est assis dans la cuisine, et la main de Yun ne lâche plus la mienne.
-Il veut que j’aille avec lui, mais j’ai dit non. Alors il est devenu en colère. Et je suis partie. Mais il était derrière et il criait fort, donc j’ai couru.
Elle met la tête dans ses mains, et pousse un soupir de soulagement. Elle a eu aussi très peur, ma petite Cécilia.
-Je vous accompagnerai à l’école demain, je les rassure.

Ça va me faire arriver en retard en amphi, mais je m’en fiche. La sécurité de mes filles passe avant tout. « Mes filles ». Un monstre légendaire pousse un gigantesque hurlement à l’intérieur de ma poitrine. Je suis tellement un héros.
Ana se pointe pieds nus, en string et débardeur, une pomme à la main.
-J’ai loupé quoi ? demande-t-elle en croquant le fruit à pleine dents.


Le soir, j’éteins la lumière et m’allonge à côté du corps brûlant de Yun. Je lui dis tendrement de ne pas s’inquiéter, et que je ne veux jamais la voir pleurer.

Elle se lève, rallume la lumière, et vient se mettre à genoux entre mes jambes. Elle me lance un regard mêlé de crainte et d’admiration, et me dit : « Fais-moi pleurer. » Puis elle regarde Courage en se mordant la lèvre inférieure.

Ah, bon, okay.