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Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 36 : Le Prix à Payer (deuxième suite)


Publié le 31/10/2010 à 17:45:30 par SyndroMantic

Quelqu'un s'était introduit dans notre campement. Je voulus appeler mon ami à l'aide, mais la peur m'étouffait. Une ancestrale phobie de l'intrusion m'envahit, alors que Jehak sortait de l'ombre. Je ne comprenais plus rien. Depuis combien de temps n'avais-je plus eu le malheur de voir ce visage ? Sa toge de zervaniste flottait dans ses mouvements. J'étais terrifiée d'en revoir une. A nouveau, je réalisai le sens de mon aversion pour la couleur rouge. Dans la panique, j'avais mal refermé le compartiment contenant la lettre. Il le remarqua bien vite.

- Qu'est-ce que tu étais en train de fouiller ?! fit-il en me bousculant pour ouvrir le tiroir, comme si ce bureau était le sien.

Il trouva la feuille en haut de la pile. Ses joues devinrent alors rouges de colère. Je tremblais de tout mon long. Ses doigts crispés la froissèrent partiellement, honteux que son délire épistolaire soit révélé. Ses lèvres gesticulèrent dans le vide. Une lueur démente apparut dans ses yeux. Je revis à ce moment le Jehak bizarrement intimidé par ma personne. Haineux et craintif à la fois. Puis sa masculinité orgueilleuse lui prétendit de l'assurance. Il me fixa droitement, un sourire au coin des lèvres.

- Petite fouine... siffla-t-il d'un ton grave. Tu es bien curieuse... ! Ma vie t'intéresse, n?est-ce
pas ?
- Non... ! Non, pas du tout ! Jehak...

Il ne m'écoutait pas. Sans réagir, il jeta de coups d'oeil vers la porte, la respiration haletante. Je fis un pas en retrait, mais il me prit le bras et me retint fermement.
- Pas si vite... Je n'ai encore rien dit... !

Il était donc bien réel ! Ce n'était pas une hallucination. Sa poigne me serrait douloureusement.
- S'il te plaît... me plaignis-je.

Il rangea la lettre en boule dans sa poche, ses narines retroussées. Le souffle précipité, il mit ses mains sur mes épaules, se baissant à ma hauteur. Ses yeux étaient perçants. Mais c'était sa rage à lui, que moi je devinais à travers son sourire machiavélique.

- Tout d'abord, c'est à une femme comme ta mère, que je l'ai vouée, ma vie...
Des larmes perlèrent, sur ses paupières, laissant paraître sa nervosité dépressive. Il essayait pourtant de garder son naturel, en parlant.
- C'est à cause d'une femme comme elle, que je n'ai pas pu La sauver, tu comprends... ?
Il y avait beaucoup d'émotion, dans sa voix.

- Je suis désolée... Je... fis-je d'une voix tremblotante.
- Tout ça pour... ! rugit-il sans terminer, en se levant brusquement.

Des sanglots me grimpèrent dans la gorge. Que se passait-il ? Je sentais que ces révélations n'auraient jamais du me parvenir. Quelque chose ne tournait pas rond. Ou plutôt deux acollés. Une discontinuité dans l'infini.

Il me tira vers la sortie, hors de lui. L'homme était à bout de nerfs. Je me débattais, mais il était malheureusement beaucoup plus costaud. Dans la pénombre, il me fit monter des escalier étroits, la main sur le col.
- Ma vie t'intéresse ? Celle que tu auras m'intéresse aussi...

Alors que nous progressions, la maison se mit à tanguer. Les murs se penchèrent. Je perdais mon équilibre. Impatient, Jehak enserra mon ventre de son grand bras et me porta, les pieds dans le vide, jusqu'à l'air libre.
- Elle sera le reflet de celle qu'Il lui a faite vivre ! »

Nous débouchâmes alors sur le pont du navire zervaniste. La stupeur me souleva un haut le coeur. La nuit avalait l'horizon bruyant. Je me sentais plus que jamais isolée. Où était passé Zohak ? Je n'arrivais plus à y croire. La brise soufflait dans les voiles élevées. Que faisais-je là ? Nous avions passé des années à espérer qu'un bateau croisât notre île pour y embarquer. Mais le fait de me trouver sur celui-là me donnait la nausée. Depuis le temps que je l'avais quitté, le mal de mer me reprit. Je perdais tous mes repères. Jehak m'agitait comme une poupée désarticulée. Tous mes appuies se dérobaient à la moindre secousse. Mes yeux étaient inondés de larmes, sans que je les eusse vues venir. Le prêtre me traîna vers le mat, avant de me jeter contre les planches au sol. Une houle m'envoya sur le coté. Allongée sur le dos, je contemplais le ciel mouvant, face à moi. Le sillage des étoiles tourbillonnait dans l'espace. Mes forces m'abandonnèrent. Je ne sentais plus mes jambes. Le regard hasardeux, je distinguai Jehak revenir, une corde dans les mains. Son expression était toujours aussi fanatique.

« Jehak ! Je t?en supplie... !
- Continue de pleurnicher ! C'est ça ! Il sera plus rapidement attiré !

Il me souleva et me tira vers le grand tronc du mât. Le poids de la vigie faisait grincer ses solides bases métalliques. Je m'empressais de m'y appuyer afin de ne pas défaillir dans mon malaise. Le grand homme se campa derrière moi, de l'autre coté du mat, et me tira les poignets vers lui.
- Jeh... Aïe ! Tu me fais mal... »

Mes épaules souffraient. Mes bras n'étaient pas aussi longs que sa circonférence. Le prêtre retint mes deux mains et les ficela par derrière. Après avoir rigidifié les noeuds qui les maintenaient attachées, il garda dans sa paume les mètres qu'il restait à sa corde, puis tourna autour de moi pour les y enrouler au niveau de ma taille. Lorsqu'il passait devant moi, ses allées et venus me faisaient tourner la tête. Après je ne sais combien de tours, il refit un noeud de l'autre coté et serra encore plus fort. Tout le haut de mon corps était immobilisé. J'étais imparablement attachée au mat du bateau.

Tandis que Jehak se redressait, satisfait, quelqu'un ouvrit une porte vers le fond du bateau. Les rares torches qui éclairaient le pont, en plus de mes vertiges, ne me permirent pas de l'identifier avant que la scène ne l'attirât plusieurs pas vers nous. Jehak prit ses appuis, face à lui, devant moi, prêt à se défendre.
« Hey ! C'est quoi, ces gémissements !?!
- Ne t'approche pas, Gulhak !
- Oh... Bordel ! »

Le zervaniste se figea. Pendant que les deux hommes s'observaient, je m'acharnai sur mes liens. En vain. Je ne connaissais rien au cordages. Impossible de m'en défaire. Peut-être que Gulhak... J'espérai qu'il me vienne en aide, mais à ma grande épouvante, celui-ci s'enfuit par là d'où il était venu, sans demander son reste. J'étais à nouveau seul, avec mon oppresseur. Dès que l'intrus fut parti, il s'en revint vers moi, et dégaina sa dague tranchante...
« Jehaaak ! Pitiééé ! hurlai-je dans la peur la plus totale.

- Continue... C'est bien...
Il approcha la lame vers mon bassin. Terrorisée, je fixai en pleine crise l'arme qui avait assassiné ma mère. J'étais livide.
- Ne bouge pas tant... » chuchota-t-il en baissant le poignard au dessus de mes genoux.

D'un geste calme, il déchira ma robe tendue entre mes jambes, et poursuivit cette fente jusqu'à mes pieds engourdis. A quelques centimètres du sol, il entendit des bruits et des murmures empressés, sous les planches. Il y avait de l'activité, dans la coque. Je me taisais, à l'écoute. Gulhak était en train de prévenir ses congénères. Le sacrilège présent était en train de se répandre dans le bâtiment. Confronté à l'équipage, Jehak aurait sûrement beaucoup moins de répondant. Je ne pus m'empêcher de laisser paraître un sourire, à l'idée d'être secourue. Le zervaniste le remarqua et me frappa la joue de sa main brutale.
« Quand est-ce que je t'ai dit d'arrêter de pleurer ! grogna-t-il.

Il écarta les lambeaux de tissus de ma robe rouge, découvrant mes jambes nues.
- Je suis sûr que ça va l'exciter... »

Les marins sortirent enfin des cales, par les deux portes qui y menaient aux extrémités. Arhak et Nîbhak en faisaient partie. Un instant de stupéfaction coupa leurs élans. Du peu d'intelligence qu'il possédait, Jehak avait anticipé cette occurrence. Il se retourna violemment :
« Le premier qui fait un pas, je l'éventre ! C'est clair ?! » cria-t-il ivre de fureur, en agitant son couteau vers les spectateurs.

Au moins n'étais-je pas personnellement menacée. Il n'aurait pas osé. Le cercle de marins s'écarta de la lumière des torches, rendant ses regards plus impénétrables. Gulhak reparut, derrière les rangs, muni d'une lampe. Arhak la lui emprunta et s'avança devant tout le monde, en face de Jehak. Je compris à sa prudence le danger qu'incarnait le prêtre sacrificateur. Plus que quiconque sur le vaisseau, voir plus que ses autres semblables, Jehak savait sciemment se servir de son outil. Je ne l'avais jamais vu à l'oeuvre, mais d'autres avaient assisté à nombre de ses carnages au Temple. Un curriculum vitae qui recommandait de la distance, lorsque le prochain sacrifié pouvait être soi-même. Arhak s'avança d'un pas hésitant. Il n'avait jamais eu affaire à son collègue dans de telles conditions. Il ne le reconnaissait plus.

« Jehak ! Non mais qu'est-ce qui te prend ?!
- Je viens de trouver cette petite garce en train de foutre son nez dans mes tiroirs !
- Quoi !? C'est pour ça que tu veux la punir !?
- Ferme la !
- Jehak ! insista le prêtre.

Il le tenait toujours en garde, de sa lame, les dents contractées.
- Où est Zohak !? s'exclama-t-il
- Pardon ?!
Je me rappelai soudain de son absence.
- Zohak ! Viens m'aider ! appelai-je, presque à m'en rendre aphone.
- Je veux que vous voyez tous... !
- Pourquoi t'as ouvert sa... ! interrogea Nîbhak, mais mon persécuteur lui coupa la parole.
- Où est-il ?!

- Il était derrière nous, je... balbutiait Arhak, complètement dépassé par les événements. Sa porte était ouverte...
- Il ne devrait pas tarder, renchérit son collègue.
Le fou furieux se tourna vers la proue, excité comme un chien.
- Qu'est-ce que tu lui veux ? demanda Gulhak.

Jehak ne lui répondit pas, concentré sur ses arrières pour de ne pas être surpris de dos. Derrière lui, le prêtre en question émergeait d'une ouverture, le visage blanc.
- Zohak ! Ramène toi ! brailla Jehak sans le voir.
- Il est là ! alerta un marin.
- Oh mon dieu... Kaileena... marmonna ce dernier dans sa main.
Ses cernes étaient si prononcées qu'on l'aurait plutôt cru bailler.
- Zohak ! m'exclamais-je en le retrouvant.

Son crâne chauve était moins ridé que cette après-midi. Sa barbe s'était rembrunie et il était déjà habillé en robe de nuit. Je me sentais moi-même plus petite, en dehors du fait qu'il se tenait moins voûté. Nous n'avions pas uniquement changé d'endroit.

Il resta d'abord en retrait, pour ne pas être blessé. Il avait déjà manqué de l'être à la taverne. De quoi se méfier du tranchant de cette dague. Jehak se braqua vers lui, si bien qu'on aurait pu le contourner pour l'attaquer, sans obstacle ni risque. Mais personne n'osa. Malgré leur discrétion, ils étaient curieux, au fond, de savoir ce qui allait se passer. Ils n'étaient pas encore bien conscients de ce qui me pendait au nez. Tout ce qu'ils voulaient, c'était savoir pourquoi le grand prêtre avait fait venir mon responsable. Un lien nous avait toujours unis, mais je ne comprenais pas comment Jehak comptait l'exploiter.

- Elle a l'air contente de te voir... ! remarqua-t-il de façon énigmatique.
Je fis une nouvelle tentative, pour défaire mes liens. Sans succès.
- Jehak ! Laisse la tranquille ! le somma Arhak.
- Détache Kaileena, maintenant ! ajouta Nîbhak.
- Arrêtez... Vous allez me faire croire que vous tenez à elle ! ricana le sadique.
Arhak ne partageait pas cet humour, pour une fois :
- Mais arrête tes conneries !
- S'il vous plaît... Je vous en prie... me lamentais-je.
- Quoi !? Tu oses me parler de connerie !?
- Calme toi... ! déclara Nîbhak.
Je commençais à avoir des crampes dans les épaules.
- Mais regardez-vous ! On est des zervanistes ! Vous croyez quoi ?!
- Qu'est-ce qu'il lui prends... se demandait Gulhak.
- La connerie, c'est notre opium !
- Il fait une dépression ? questionna un marin, à l'écart, près de Zohak.

Mon protecteur ne prononça mot. Les paroles de Jehak le marquait plus que ses confrères. Il semblait y prêter beaucoup plus de foi qu'Arhak, qui était toujours devant le groupe :
- Tu ne sais plus ce que tu dis...
- Et vous ? Vous savez encore, ce que vous avez fait ?!
Gulhak fronça les sourcils.
- C'est pas vrai...
- Vous avez comptés, le nombre de morts ?!!
Nîbhak tendit sa puissante main avec détermination.
- Jehak, donne nous ce couteau...
- Vous l?avez pris en compte, son âge à Elle ?!
Arhak hésita à comprendre.
- Que... !
- De quoi avez-vous conscience, finalement ?!!
- Il veut parler de Reihak. Résolut Nîbhak.

Gulhak fit la mou, navré :
- Oh non...
- Qu'est-ce qu'elle a à voir avec ça ?! demanda Arhak.
- Le rapport, c'est Zohak, qui l'a trouvé !
Mon ami tourna la tête vers nous, surpris.
- Comment ? lâcha-t-il, comme tombé des nues.
Arhak se posait la même question. Son collègue n'avait jamais parlé aussi étrangement.

- Zohak a élevé plein d'autres enfants, au Damãvand, l'informa-t-il, en désarroi.
D'ordinaire, le sacrificateur restait souvent discret, et ne parlait jamais de sa vie privée ou de ses tristes souvenirs. Le débit auxquelles il voulait faire tomber les barrières lui présentait certaines difficultés d'éloquence. Les choses n'étaient pas aussi claires pour ses interlocuteurs que pour lui...
- Et des filles, il en a fréquentées combien ?!
Les prêtres s'échangèrent des regards sidérés.
- Quatre. Avec Kaileena... calcula Nîbhak.
Personne ne se retourna vers le concerné pour lui demander confirmation : Zohak sentait les préjugés planer sur lui. Comme avant.

- C'était un accident... se justifia-t-il.
Gulhak perdit de sa patience :
- Puisqu'on te le répète, Jehak ! Personne ne savait que c'était une fille !
- Même pas toi ! ajouta Arhak, compatissant.
Jehak les foudroya des yeux. Son regard était on ne peut plus sinistre. Malgré la lenteur avec laquelle il pronoçait ces mots, il se rappelait promptement comment l'affaire s'était produite. Habitué à constamment la ressasser...

- Oui... Personne n'a jamais rien su... Tout s'est passé dans l'ombre...
- Tu es paranoïaque, ma parole !
- Vous verrez tous... Toi aussi, Arhak...
Ce dernier secoua la tête. A croire que l'ami qu'il avait connu avait définitivement disparu. Il n'aurai jamais cru que ses démons puissent le faire chuter jusque là.

- Ce soir, nous sommes réunis sous une bonne clarté, psalmodia Jehak.
Mais ces craintes étaient vaines. Son projet était maintenant limpide. Il l'avait entendu en discuter avec Enhak, le soir de ma naissance. Tout ce à quoi aspirait Jehak, c'était de lever le voile, sur l'affaire de sa fille. La vérité sur l'implication de Zohak, dans sa mort. Il voulait montrer à tous. Il voulait que tous le voient. Il voulait prouver ce que personne n'avait cru. Ce qu'avait réellement planifié Zohak. Le mensonge de son ignorance.

Et l'objet d'étude, c'était moi.

- Oh merde... jura Gulhak, qui venait aussi de comprendre.


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