Publié le 09/08/2010 à 23:47:52 par MassiveDynamic
" Crois-moi, tu n'as pas envie de la connaître. "
Nous sommes tous-trois installés sur le capot cabossé d'une épave de voiture. Et des épaves, il n'y a que ça, pas une seule en bon état, et cet endroit n'est peuplé que de véhicules abandonnés et en mauvais état, un genre de fourrière souterraine.
Gray, qui était salement amoché, et qui l'est toujours, se porte comme un charme. Et pire encore, cet enfoiré se la joue mystique tout comme Malak. J'ai l'impression d'être le dernier des abrutis à présent.
" C'est fou. J'ai voulu faire demi-tour, j'ai marché pendant je ne sais pas combien de temps, puis elle m'est tombée dessus. Elle avait une arme. Je me suis pris beaucoup de coups, elle m'a profondément entaillée, mais je n'ai pas mal. Sur le moment, j'avais juste l'impression d'être blessé. Puis au final, rien du tout. Ce sang qui coule ne témoigne pas de ma douleur. Je ne ressens rien. "
Nous l'avions trouvé allongé au milieu de la route dans le tunnel, mal en point en apparence, mais il était juste évanoui. Une fois levé, il se mouvait sans la moindre peine et a mis un moment avant de reprendre totalement conscience et se rendre compte qu'il était blessé, car oui, il ne semblait et ne semble pas souffrir.
" Tu ressens rien ? Mon cul ouais ! Avec le sang que tu perds, douleur ou pas, tu vas finir par y rester si on te sort pas rapidement d'ici ! "
J'avais essayé de stopper l'hémorragie avec un garrot mais les plaies étaient bien trop profondes. Et alors que je m'inquiétais pour lui, Gray semblait illuminé, dans son monde.
" On sortira pas d'ici, Gray. Crois-moi, tu ne veux pas sortir d'ici. "
"Putain, tu vas pas t'y mettre toi aussi ?! On est bloqué dans un enfer, tu t'es fait agressé, et maintenant tu délires alors que t'es dans un sale état ! Et puis, attends, merde, comment t'as pu arriver ici ?! "
Si de mes exclamations émanaient de plus en plus de questions, je savais déjà que celle-ci, à son tour, ne se contenterait que d'une réponse vague.
"Je ne me suis pas fait agresser. Tu avais raison, on ne doit pas faire marche arrière ! Ecoute, je sais que tu ne m'aimes pas, après tout je t'ai fait du mal en foutant la merde dans ton couple, et j'en suis désolé. Mais faut qu'on se fasse confiance maintenant, et que tu me fasses confiance. On ne doit pas reculer. Mais je ne peux plus avancer non plus. Et si tu sors, tu seras déçu. "
Gray me paraissait en plein délire, j'avais du mal à le reconnaitre, c'est comme s'il me faisait des adieux couplés à des mises en garde.
" Mais putain, Gray, de quoi tu parles à la fin ?! "
Et je me tourne vers Malak jusqu'alors silencieuse.
"Et c'est quoi ce délire avec ce tunnel ?! Qu'est-ce qu'il a de spécial ?! Pourquoi on se fait attaquer en faisant demi-tour ? C'est qui la créature qui s'amuse à attaquer tout le monde ?! Et vous êtes qui à la fin ?! "
De mon explosion d'incompréhension découlait un sentiment net qui m'effrayait. Nous n'étions plus seulement en train de traverser un simple tunnel quelconque, non, j'étais carrément en train de me demander si tout cela, l'espace d'un instant, était réel. Pourtant ça l'est. Gray, je ne l'invente pas, et il est bien dans la même galère que moi. En tout cas, il l'était à notre arrivée jusqu'à notre séparation. C'est peut-être à partir de là que j'ai commencé à délirer ? Non, qu'est-ce que je dis, le cadavre, on l'a vu tous les deux. Non, je ne rêve pas. Je suis juste tombé avec une tarée et sa créature assoiffée d'humains. Pourtant le comportement de Gray m'intrigue. Je veux partir en courant, droit devant, mais je sais très bien qu'en faisant ça je le regretterai. Oui, je le regretterai, car je ne saisis pas encore ce qui se passe ici. Je dois attendre, juste encore un peu.
La voix de Malak apaise un peu mon ardeur.
"Ce tunnel, tu es ici à cause de tes actes. Rappelle-toi. Rappelle-toi de ce que tu as fait AVANT d'arriver dans ce tunnel. Est-ce que tu te rappelles comment tu y es arrivé ? Hein ? "
"Comment j'y suis... Oui, je marchais avec Gray et on a fini par atterrir ici puisque c'est la seule façon de rejoindre la ville voisine. "
"Et pourtant ça ne concorde pas avec la version de Gray. Il prétend que vous avez fait du stop et êtes arrivés devant le tunnel déposés par des gens qui quittaient la ville et qui prenaient une autre direction. Deux versions différentes. "
"Quoi ? Gray vous a déjà parlé ? C'est quoi ces conneries ? "
Puis... C'est Gray à son tour qui s'adresse à moi.
"On est baisé, vieux. Tu ne te rappelles vraiment pas de ce que tu nous a fait ? "
"Mais de quoi tu parles putain ? On est simplement arrivé ici à pied en cherchant Marion et en suivant son itinéraire ! "
" Non, je ne te parle pas de ça. Tu te gourres, gars. Souviens toi de ce que tu nous à fait, à toi, à moi, et à Marion. C'est pour ça qu'on est ici. "
Puis, alors que je me perds dans un océan d'incompréhension, Malak m'assomme par des paroles que je crois sur le champ.
"T'es dans le coma, tout simplement. Arrivant numéro 4302950 dans Le Tunnel, lieu dans lequel se retrouvent tous les comateux entre la vie et la mort et sur le point de faire leur choix. Certains choisissent inconsciemment de faire marche arrière et meurent tout simplement, d'autres marchent sans cesse et errent sans but dans leur Tunnel, et certains faisant demi-tour sont tout simplement tués par la Mort, qui les envoie directement dans les limbes. Enfin, ça c'est pour le topo. Moi je suis censé m'assurer que les arrivants ne prennent pas conscience de leur situation et fassent leur choix délibéré de continuer ou rebrousser chemin après leur rencontre avec le personnage que j'ai simulé lors de notre première entrevue. La Mort, elle, sert d'arbitre. Il n'y a que deux chemins. Les âmes en peine qui errent finissent déchirés par celle-ci. Mais il peut arriver qu'elle tue dès le départ. Ca dépend beaucoup du passé de la personne qui arrive ici. "
Un temps est marqué. Un grand silence. Mes yeux vides continuent de la fixer, et mes oreilles boivent ses paroles.
" Ce qu'essayait de te dire Gray, c'est que, par jalousie, après qu'il ait trompé ta copine, Marion, tu l'as entrainé lui et elle dans un soit disant road trip, et tu as en réalité poussé la voiture à son maximum pour vous tuer tous les trois. Tu as foncé dans un muret d'autoroute, et Gray, qui n'avait pas sa ceinture, est passé à travers le par-brise. Il se trouve dans le même hôpital que toi, lui aussi dans le coma, mais avec des blessures bien trop sérieuses. "
"Co... Conneries ! Je ne me rappelle de rien ! "
"Et c'est normal. Ce lieu n'affecte pas ta mémoire. Ceux qui sortent du tunnel ne se rappellent d'absolument rien et ont juste l'impression d'avoir beaucoup dormis. Ceux qui y arrivent ont un vague faux souvenir de leur arrivée qui diffère, interprété et établi par les minutes qui précèdent leur coma. Tu dois voir ce tunnel comme un passage, un couloir, le couloir de la mort, avec deux issues possibles. "
" Je... Attendez ! Pourquoi me dire tout cela ? Je me dirigeais de toute façon vers la sortie avec vous, non ? Alors quel intérêt de me révéler ça maintenant si de toute façon je vais tout oublier ? "
" Crois-moi, tu as encore beaucoup de choses à savoir. Et je devais te mettre au courant pour que tu saches quel danger tu cours. En dehors comme ici, tu es désormais un criminel, étant donné tes actes. La Mort ne te laissera pas quitter ce tunnel. Elle ne fait que de te laisser t'approcher de la sortie, toujours un peu plus, te laisse te torturer seul psychologiquement, pour qu'au final, proche de la sortie, elle t'expédie là où les gens comme toi finissent. La Mort, ici personnifiée, instaure ses propres règles. En théorie il ne devrait pas y avoir de distinction entre qui ressort et qui fait demi-tour... Mais je n'ai pas mon mot à dire. "
Maintenant qu'elle le dit, j'ai de vagues souvenirs d'un accident de voiture. Elle dit la vérité, j'en ai l'intime conviction. Et pourtant, je ne sais plus. Alors qu'elle continue de parler et de déverser sa science, je me remet en question, et remet en question mon crime. Un tel acte ne me ressemble pas. Oui, je suis impulsif, mais pas à ce point, pas au point de vouloir me foutre en l'air avec eux. Je ne sais plus... Et elle n'est pas avec nous, Marion. Je... Je devrais peut être mourir, au final. Si j'ai causé sa mort. Elle morte, je n'aurai qu'à la rejoindre...
"Marion ! Pourquoi est-ce qu'elle n'est pas ici, avec nous ?! "
"Parce qu'elle est en vie. "
"Où ?!"
"Elle te regarde, dans ton lit d'hôpital. "
Je ne sais pas comment elle sait tout ça. J'ai des tas de questions à ses réponses, j'ai du mal à tout assimiler, mais je le sais, elle m'attend, en dehors de ce putain d'endroit, et maintenant, plus que jamais, je dois sortir d'ici.
"Une dernière question... Comment vous savez tout ça ? "
" Je t'ai déjà dit que j'avais un rôle à jouer ici. Je suis un peu, tout comme La Mort, un arbitre, au rôle plus poussé cela dit. Je suis le médiateur entre les deux mondes, et je vois à travers les yeux du sujet dans le monde réel, j'entends avec ses oreilles, je fusionne un peu avec lui en permanence, je suis prise entre deux mondes, mais laisse tomber, tu n'as pas la perception requise pour tout saisir ici. Tu en apprendras un peu plus quand nous serons proche de la sortie, en attendant, nous devons nous dépêcher, et vite. "
S'il y a beaucoup de choses que je pouvais à présent comprendre de moi-même, comme par exemple le fait que la douleur, la faim, et toutes ces choses physiques n'étaient pas ressenties ici, j'étais encore largué, avec ou pas ses pseudos explications mystiques. Et tout ça n'expliquait pas le soudain comportement étrange de Gray, ni même ce qu'il faisait ici, puisqu'apparemment chaque comateux a son prendre tunnel. Du moins, je pense. J'en sais rien... Toutes ces épaves de voiture... Ca me paraissait bizarre. C'est probablement ma vision du Tunnel. Et je ne sais toujours pas ce que Gray foutait devant nous. Ah, et, à moindre mesure, je ne sais toujours pas ce que je fous ici. Je suis dans le coma, je l'ai bien compris, mais putain, avoir le choix entre la vie et la mort, c'est stupide. J'en sais rien, à probablement quelques kilomètres de la sortie, voir moins, je ne sais définitivement plus où j'en suis.
Commentaires
- sebb73
10/08/2010 à 11:26:10
Très bonne fic j'accroche vraiment bien. Sweet demandée
- SyndroMantic
10/08/2010 à 01:26:09
"sens original du terme" originel, plutôt. excuse moi, j'étais sur ma lancée
- SyndroMantic
10/08/2010 à 01:23:47
(tiens, je savais pas que y avait une version instrumental, de "Fire")
Super chapitre Certes, le concept de "toute ce merdier, c'est dans ta tête" n'est pas nouveau, mais tu le traites quand même de manière très original. J'adore voir dans les fictions des idées aussi simples que le mythe de la lumière au bout du tunnel, mais dont il faut qu'un type finisse par s'y coller pour se rendre compte qu'elles sont intéressantes. Je ne crois pas l'avoir jamais vue traitée, et c'est un super bon point de ta fic.
J'reprocherais peut-être un problème de rythme, mais bon, moi et le rythme, c'est peut-être pas la meilleure alliance. Disons que le tout est selon moi trop vite traîté. Franchement, j'crois rien avoir à reprocher dans les idées, mais ta manière de les mettre à plat me semble trop rapide. D'une part, je pense que le pavé explicatif n'est pas pour améliorer ça. Après, je dirais que c'est comme un top-model, les mensurations, la démarche et le regard, c'est bien, mais encore faut-il lui trouver de bonnes fringues et pas l'habiller comme une pouilleuse. Là, en dehors des idées, je trouve que tu ne décris pas assez la scène, alors qu'une telle scène a trop de valeur pour qu'on bâcle ses descriptions.
Parce que oui, ta scène est vraiment de qualité. Si les ornementations manquent, la charpente, elle, est très bien construite. Tu amènes tranquillement toutes les révélations et, mise à part une réplique un peu longuette (celle "assomante", justement), aucune ne fait HS ni ne destabilise le lecteur, à défaut de le mettre sur le cul.
Tu as aussi fait de ce chap un passage vraiment dramatique, dans le sens original du terme, avec l'hostilité de la mort, les enjeux du monde des vivants, etc...
Par contre, je ne trouve pas que la musique ait été la plus adaptée à cette ambiance, c'est dommage.
Voilà, et pour finir, j'dirais que ton style d'écriture est toujours aussi fluide, et que les questionnements du héros se suivent sans problème, tu rends cela vraiment très vivant. Chapeau bas.
Et sweet, sale râcl'