Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Le No-life, le Wesh, et la Kikoo.


Par : Jose_sperer
Genre : Nawak
Statut : C'est compliqué



Chapitre 10 : Kikoo sava ? XD


Publié le 16/05/2010 à 16:50:17 par Jose_sperer

3927. C'était le nombre de visiteurs ce mois-ci sur l'un des blogs de Lucie. Le plus fournit. 200 pages, rien que ça. 200 putain de pages de superfluité, d'anecdotes en tout genre, que même 50 minutes inside serait en droit de refuser. 200 pages de « mwa & ma best », de « il è cro bo nan ? », de sondages à la con, de paragraphes à l'intérêt plus que discutable, oscillant en de nombreuses occasions du rire aux larmes (l'ado des années 2000 est extrêmement versatile). 200 pages de clichés photoshopés, de stéréotypes éhontés, de résumés de journées édulcorées. C'était plat, répétitif, et pourtant, ce blog avait été visité près de 4000 fois. Cyril ne comprenait décidément pas grand chose à cette génération, qui était pourtant la sienne.
« J'aurais dû naitre dans les années 70 » pensa t-il. Ça vous est déjà arrivé ? De ne pas se sentir à sa place, pas supérieur ni inférieur, juste différent. Ne pas rentrer dans le moule façonné par des années de médiatisation à outrance, de mode et de surconsommation. Cyril ressentait cela de plus en plus. Le trip « Into the wild », plus il parcourait ce concentré de matérialisme, cette avalanche de conditionnement, plus il y songeait.
Il examina la longue liste de commentaires, et un pseudo en particulier attira son attention. Il revenait plusieurs fois, sur plus de la moitié des articles. Cyril ne s'intéressait pas particulièrement à la vie privée de Lucie (qui n'avait rien de privé depuis bien longtemps d'ailleurs), mais il l'aurait su si elle comptait parmi ses amis et/ou admirateurs un certain « Jail », déjà parce-que c'était peu commun, ensuite parce-qu'à la vue des remarques qu'il laissaient, il y avait de quoi se pencher sur son cas. 4000 visites, rien d'étonnant quand on est roulée comme Gisele Bundchen et qu'on prend des photos de soi en petite tenue. Jail avait cependant tendance à complimenter la plastique parfaite de Lucie d'une façon bien trop correcte selon Cyril, quand d'autres étaient bien plus crus, « t'es bonne » « j'veux te baiser » « putain ce cul » et les nombreuses autres éloges sur les formes de Lucie ne choquaient pas Cyril, les ados sont comme ça, certains développeront plus de subtilité et de maturité à l'avenir, ou pas. Sur internet, on se sent vite intouchable. En tout cas, le ton plus mesuré et tout en retenue de ce Jail avait plus tendance à inquiéter Cyril. « Tu es une déesse », « je veux être avec toi ». Ça sonnait plus comme quelqu'un d'amoureux, plutôt que quelqu'un qui veut juste tirer son coup. Il passa le curseur sur le pseudo, mais il n'avait pas de blog.
Il parcouru le dernier article en date, Jail avait commenté, « tu es trop trop belle » (un « trop » de trop) sur une photo où Lucie posait en bikini sur une plage barcelonaise. Cyril connaissait cette photo. C'est lui-même qui l'avait prise. Il se souvenait de ces vacances, particulièrement désastreuses. Il avait dû aller chercher sa soeur, le lendemain du fameux cliché, en boite de nuit, à plus de quatre heures du matin, ivre morte. Elle était aux bras d'un type qui devait avoir le double de son âge, 4 grammes dans le sang, à en juger par ses propos incohérents et son haleine à réveiller un chevreuil mort. Il avait gentiment sommé sa soeur de rentrer, non pas parce-que ses parents s'inquiétaient (c'est ce qu'on disait dans ce cas-là non ?), mais parce-qu'elle n'avait que 16 ans, et qu'il préférait de loin venir la chercher à quatre heures à la sortie d'un night club, que le lendemain à la morgue. Le bonhomme n'avait pas apprécié qu'un merdeux de 17 ans remette en question la confiance que Lucie pouvait avoir en un homme qui pouvait être son père, et qu'elle connaissait depuis deux heures à peine. Il s'était approché, Cyril n'avait pas bougé. Il avait brandi le poing à une vitesse telle que Cyril aurait pu faire une partie de tétris avant d'esquiver. Cyril avait riposté, d'un direct au foie. L'homme s'était effondré et avait vomi. Cyril prit Lucie par la main, et la ramena, elle riait. Il ne l'avait pas sermonnée, c'était pas son genre. Mais le fait est qu'il avait dû jouer des poings, comme à chaque fois qu'il tirait sa soeur d'un mauvais pas, et ça, ça l'ennuyait profondément. Il n'allait pas jouer les chaperons jusqu'à ce que sa soeur réalise que la crise d'ado n'est considérée comme telle que pendant un temps, après, il n'y avait plus d'appellation derrière laquelle se cacher, plus de prétexte, plus d'invention d'hormone, pour justifier une puérilité notoire. Elle devrait se dédouaner. Personne n'avait évoqué cet énième sauvetage, le lendemain. La reconnaissance est un terme qui écorchait les lèvres de Lucie. La fierté était le plus gros défaut de Cyril. Dans ces conditions, difficile d'instaurer un climat d'écoute mutuelle...
Ce Jail l'inquiétait, il commentait un peu trop, et sur un peu trop de photos suggestives. Puis ce pseudo...
-Bon, Facebook maintenant.
800 amis. Eh ben, on était pas 800 au déménagement du mois dernier, songea Cyril. On enlève ceux qui ne connaissent pas Lucie, les célébrités, les amis des amis des amis : 400. Ceux qui l'ont entraperçue, et qui ont flashé sur elle, des hommes pour la plupart, quelques femmes pourquoi pas : 350. Ceux qui lui ont parlé une ou deux fois, mais qui se considèrent comme ses « bestah » : 250. La famille : 200. Et enfin, ceux que Lucie avait accepté par automatisme, car elle ne refusait personne, elle aimait trop être aimée (ou avoir le sentiment de l'être). Cette tranche pouvant comprendre la lie d'internet, parmi les pires détraqués, les pédophiles, les tueurs en tout genre. 15. Ça ne laissait pas beaucoup de véritables amis, de ceux sur qui l'on peut compter. Alors pourquoi cette abondance ? Cet étalage, cette surenchère ? Cette culture du toujours plus ? La toile est un univers à part.
Sur Facebook, tout le monde était sous son vrai patronyme. Peu de chance de retrouver ce Jail. Il jeta néanmoins un coup d'oeil à sa liste d'amis.
-H...I...J.... Cyril arqua un sourcil. Bizarre, il s'y trouvait bel et bien. On pouvait croiser des pseudonymes sur Facebook, c'était répandu, mais en règle générale, on s'efforçait d'apparaitre sous son nom de naissance, pour que les gens vous retrouvent plus facilement, c'était le principe même. Surtout si vous vouliez que la fille que vous convoitez sorte avec vous...Ce gars avait forcément quelque chose à cacher.
Lucie était bien équipée – et je ne parle pas que du physique. Les tout derniers plugin, logiciels etc. Il n'y avait pas besoin de passer des heures sur le net pour être un crack en informatique de nos jours, le net fourmillait de tutoriaux divers et variés. Elle possédait entre autres un outil vraiment utile, qui permettait de savoir qui consultait votre profil à heures fixes. Cette fameuse fourchette des 15 amis se démarquait nettement. Puis, il y avait Jail...
Quand un élément apparaît plusieurs fois, c'est une constante, et c'est étrange, au stade supérieur, ça devient du harcèlement, et c'est suspect, très suspect.
L'énigmatique Jail ne collectionnait pas les amis, en réalité, il n'en avait que deux, Lucie, et un certain Marc.
OK, c'était un compte de couverture, pas de doute là-dessus. Soit c'est un pauvre type tombé amoureux d'un jpeg 350 par 250, soit ce type la côtoie régulièrement et est responsable, pourquoi pas, de la disparition de Lucie. Cyril venait d'abdiquer, c'était une disparition. C'était sérieux à présent.
-OK Jail, je vais exaucer ton voeu.
Cyril cliqua sur l'onglet de messagerie, et mit de l'huile sur le feu.

Kikoo sava ? XD
Je me disais que depuis le temps que tu lâches des com' sur mon blog et mon facebook, on pouvait se rencontrer nan ? T'en dis quoi ? Chez Henry à Erua' demain vers 17h ça te va ? Tu dois connaître. J'espère que tu diras oui, j'ai hâte de pouvoir mettre un visage sur ton pseudo...
Biz, Luce.

Cyril peaufina les fautes (un ratio de deux par mot environ), et envoya le message. Ou il mordait à l'hameçon et on était fixés, ou une petite visite à Marc-le-seul-ami s'imposait.

-Mon poussin ! Ton colis est arrivé !
Déborah, un masque à l'argile sur le visage, ressemblait au bouffon vert. Mais celui-ci n'aurait pas pu rivaliser, vocalement parlant. Dans le jargon, on dirait que cette femme a « une grande gueule »
Jail accourra :
-Crie pas m'man, je suis pas sourd. Il l'inspecta.
Bien Jim Carrey ? Tu ressembles au smiley :malade: .
-Ah.
-Et je suis pas ton « poussin » OK ? Ça c'est quand on a 7 ans. Je tolère déjà limite le « mon ange » d'accord ? Et « mon chéri » tu le réserves pour p'pa OK ?
-Oh ça va, épargne moi tes cours de sémantique, je pensais que ton colis te mettrait de meilleure humeur.
-Ouais...je suis dans ma chambre.
-Comme la majeure partie du temps mon poussin.
Jail claqua la porte de sa chambre.
-Ouais c'est ça, t'as qu'à insinuer c'que tu veux, je sortirai de ma piaule quand l'extérieur aura autre chose à m'offrir que des wesh à chaque coin de rue et des kebabs. Jerry de sa connerie...
Jail déballa son paquet, il était sous papier bulle. La réplique parfaite de l'ocarina de Link dans l'opus « ocarina of time ». Le néophyte aurait hurlé à l'achat inconsidéré.
-Voilà, dit-il en posant délicatement l'objet sur son étagère, à côté de plusieurs autres « goodies ». Le chapeau de lutin de Link, un diadème (celui de la princesse Zelda, par déduction), et quelques autres figurines.
Quand d'autres payent le ciné à leur copine, font des voyages en Australie, se bourrent la gueule entre potes, moi poursuivit-il amèrement, j'achète un putain d'instrument de musique. Il se pinça les yeux avec son pouce et son index.
-J'aime pas l'alcool, mais putain ce que j'aimerais me bourrer la gueule entre potes...
Il balaya brutalement le dessus de son étagère avec son bras, les figurines de collection s'effondrèrent, il tira dans la tête de Ganondorf qui roula jusqu'au pas de la porte. Il saisit l'ocarina, le considéra, comme on considère un objet sacré, que l'on espérait tenir entre ses mains depuis toujours. Une larme perlait au coin de son oeil droit.
-J'suis un putain de gamin. Fait chier !
Il lança l'ocarina, qui alla s'écraser contre son radiateur, pour retomber, fracturé en deux endroits, fendu sur le côté. Inutilisable.
-Ça va mon poussin ? Cria sa mère du salon.
-Tout va bien m'man, cria à son tour Jail. Tout va bien, dit-il tout bas.

Marc était assis en tailleur, sur son pallier. Il lisait « Le syndrome de la grenouille » de Michel Bassi, l'histoire d'un complot américano-allemand fomenté par la CIA pour maintenir la suprématie de Boeing face à l'avance de l'aéronautique française. Intéressant, pour quiconque s'y intéressant évidemment.
-Qu'est ce vous faites là Marc ?
Il leva les yeux de son ouvrage, et écarta une mèche de cheveux qui lui obstruait la vue.
-Ah, Madame Bardigand...comme vous le voyez, je lis.
-Vous ne voulez pas lire chez vous ? Interrogea Mme Bardigand.
-Je vous ai déjà expliqué, dit Marc, visiblement vexé, il est 18h. Je suis rentré plus tôt aujourd'hui. Habituellement, je laisse aux esprits jusqu'à 19h pour errer comme bon leur semble chez moi, ensuite, je les chasse. C'est un pacte qu'on a passé entre nous il y a des années. Vous vous souvenez ?
-Je me souviens Marc. Elle tourna la clef dans sa serrure. Bonne soirée, dites bonjour aux esprits de ma part.
-Je n'y manquerai pas.
Marc vivait seul, il subvenait à ses besoins en travaillant dans un quotidien régional tous les week-end, il rédigeait des pamphlet pour la rubrique « faits divers et insolites », je vous laisse deviner...
Ses parents l'aidaient de leur côté, leur fils était spécial s'étaient-ils dit, il ne faudrait pas interférer dans ses désirs d'émancipation. Marc, lui, et cette fois-ci, n'y voyez aucune paranoïa, pensa très sincèrement les avoir délesté d'un poids, en quittant le domicile familial. Papa-Maman ne se l'avouerait jamais (car ce serait faillir au devoir parental), mais c'était clairement le cas. Ils respiraient de nouveau, n'avaient plus à jongler entre les délires récurrents de leur fils et les échos du lycée à ce sujet.
Il était au bas de la page 148 quand Marc se releva. Il fit pivoter la clef deux fois au milieu de la porte, deux fois encore sur le verrou du haut, et trois fois sur celui du bas, plus discret.
Marc consulta ses mails. Un des correspondants au quotidien dont il dépendait lui avait écrit.

Marc,
Un braquage à main (faiblement) armé s'est déroulé à la galerie Erutatcid ce matin, si tu bosses pas dessus, c'est que t'as pas eu d'échos. En tout cas, c'était du vrai boulot d'amateurs, repartis avec des jeux vidéos, et d'après le témoignage du vendeur, c'était certainement pas ça qu'ils étaient venus chercher...bref ça n'a rien d'anormal, d'insolite, ou même de palpitant, mais moi je suis sur autre chose, un truc plus sérieux, une gamine battue à mort retrouvée dans une benne, tu vois le truc. Je te laisse t'occuper du casse.

Antoine.


Marc relut le mail. Antoine avait raison, ça n'avait rien de palpitant, et ça n'entrait pas dans ses cordes, mais il fallait bien payer le loyer.



Jail se connecta à MSN, il avait un message différé. Camille. Il sourit. Même pas besoin de le lire. Elle voulait sûrement qu'il aille toucher deux mots à son père. Il le lut quand même finalement, pour pouvoir regarder en même temps l'avatar de Camille.

Slt ^^
tu peux dire à ton père que je rendrai le DM sur Hugo au plus tard lundi prochain ? J'ai pas eu le temps d'aller à la biblio. Stpl. T'y mets les formes, t'es convaincant hein ? Bye.


La biblio ? Et internet alors ? Ouais, il y mettrait les formes. « P'pa, y a Camille qui me dit qu'elle pourra pas rendre le devoir parce-qu'elle est au Brésil avec son chéri, c'est pas grave hein ? »
Connasse. Ça faisait des années qu'il ruminait sa vengeance envers Camille, elle était bien froide à présent. Il aurait pu écrire des bouquins entiers sur la façon d'appliquer la loi du talion. Seulement, il lui en manquait une bonne paire, entre les deux poches de son Jean usé.
Jail ne faisait plus la bise à personne dans le lycée, l'acné comme fort pouvoir dissuasif, mais aussi et surtout depuis ce fameux épisode. Camille le sollicitait très souvent pour le genre de choses évoquées plus haut, l'imagination aidant, Jail s'était dit au minimum, sans vraiment aucune arrière pensée, que Camille et lui étaient amis. Alors un matin, elle était avec un groupe de copines, et lui s'était dirigé vers elle pour lui faire la bise.
Ouch. Deux fois Ouch. Elle lui mit une honte mémorable, volontaire ou non (Jail penchait pour la première hypothèse), Jail ne put plus jamais regarder une fille en face. Camille, elle, semblait s'en être vite remise. Elle avait crié haut et fort que « Ça va pas ou quoi ! Tu me touches pas ! T'as vu ta peau, c'est dégueux, j'veux pas choper des saloperies », et ça, devant une vingtaine de filles. Jail avait d'abord, dans l'ordre : pas compris, puis rougi, il s'était enfin enfui pour pleurer dans les sanitaires du lycée. Il faisait partie des gens facilement ébranlable. Quand la coupe est pleine, on va dire que c'est plus simple de vous faire vaciller, les jeunes sentent ça, et ils sont cruels entre eux, ne se rendent pas compte que les mots peuvent blesser, plus que les coups. Depuis le collège, Jail se prenait les deux, alors comme ça...
Il clôtura MSN et se connecta sur Facebook.
-Tiens, un message.
Aucun suspens, il avait deux amis, c'était soit Marc (qui ne communiquait jamais directement, son Facebook lui servait exclusivement pour son site en fait, il y répertoriait les nombreux dangers et les failles de cet immense réseau, s'inscrire lui demanda un effort presque surhumain). Ça aurait pu tout aussi bien être quelqu'un d'extérieur, qui avait flashé sur l'inexistence de photos ou je ne sais quoi. J-L préférait croire que c'était son amour de toujours, Lucie.
Bingo. Il lut le message, une fois, puis deux, puis cinq, puis dix. Il n'en croyait pas ses yeux. Luce, la Luce, voulait le rencontrer. Le reflet de l'écran lui renvoyait son image. Il avait une sale tête, plus que d'habitude je veux dire. Il ne pouvait pas se montrer dans ce état-là.
Le réverbère sur le trottoir d'en face s'éteignit. La petite lumière à l'intérieur du cerveau de Jail, elle, s'alluma, brièvement certes, mais assez pour éclairer tout New York.
C'est alors qu'il pensa à Marc.


Commentaires