Note de la fic :
Conjuring Book #1
Par : MrBlackOrigami
Genre : Action, Fantastique
Statut : Terminée
Chapitre 7 : LE DÎNER
Publié le 25/07/2012 à 02:42:08 par MrBlackOrigami
CHAPITRE 6 : LE DÎNER
Un fossoyeur doté d’un étrange couvre-chef et éclairé par la seule lueur vacillante d’une lanterne qui le préservait des ténèbres environnantes m’avait déterré et me guidait à travers des couloirs sans fins et des escaliers infernaux. Je n’étais qu’un cadavre bien habillé, le miroir horrifié me l’avait dit. Ressemblais-je à présent à celle qui dormait aux côtés de mon cercueil lorsque j’étais revenu en ce bas monde ? Moi ou elle ? Mon âme, avait-elle tué Daniel et pris sa place ? Mon corps morcelé semblait accepter ce nouvel hôte, le seul capable de le ramener, le seul capable de lui donner la force nécessaire. Mon esprit avait été exilé dans la tourmente, rappelé pour déchiffrer cette inconnue qui m’avait brûlé la main. Mes doigts meurtris serraient le premier testament, et mon âme s’enracinait dans mes membres au fur et à mesure que l’on me sortait de cette fosse emplie de neige pourpre et que l’on brisait les fers qui m’enchaînaient à ma plume et aux chandelles. Que restait-il à présent ? Un jeune homme malade aux pupilles évaporées.
Laissez-moi me présenter. Je me nomme Daniel Rosuae, étudiant en droit à Londres, capitale d’un royaume totalitaire décadent dirigé par des tyrans et ayant juré la perte d’une science occulte, anciennement nommée « philosophie ». Fils d’un homme et d’une femme accusés de sorcellerie et brûlés vifs devant la plèbe venue se repaître du spectacle. Un scientifique et un chercheur ayant promis vengeance à ce monde et qui l’obtiendra, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, lui ou ce qui subsistera de son cadavre. Une coquille vide habitée par la solution qu’elle recherchait désespérément. Une source d’énergie incommensurable, quelque chose qui n’appartenait pas au réel et qui s’éveillait maintenant. L’âme, la mienne, qui découvrait lentement ce qu’elle avait rattaché à l’autre monde avec ces chaînes rouillées. Elle était maintenant forcée de descendre parmi nous autres mortels et la cohabitation avec mon corps n’était pas aisée; mais ces deux-là, bien qu’issus de deux univers différents, apprenaient vite. J’avais tout appris, tout lu et tout rédigé : il me ne me restait plus qu’à savoir si tous les engrenages pouvaient tourner à l’unisson. Le raisonnement était absurde et pourtant si évident : si l’on voulait obtenir ce qui n’appartenait pas à la réalité, il fallait quitter celle-ci et aller trouver ce que l’on cherchait ailleurs. Mourir.
J’ai égaré tant de choses à la proximité de ce tunnel mais j’en suis revenu avec la seule qui m’importait vraiment. Alors me voilà, moi ou mon âme, parcourant les couloirs d’un lieu abritant des êtres semblables à ce que je suis devenu. Des couloirs vides et hantés par des échos et des sons résonnants contre ces pierres froides.
- « On ne passe pas par les axes majeurs j’espère ? Si c’est le cas, j’ignorais que les nobles habitaient dans les catacombes de la ville…
- Non, je préfère qu’on emprunte les passages dérobés… Disons que… Ca deviendrait chiant s’ils te voyaient tous arriver comme ça, Monsieur l’écrivain…
- Plait-il ?
- Tout le monde sait que tu es là, mais peu de gens savent vraiment qui tu es. A vrai dire, ton bouquin est le principal sujet de conversation en ce moment et ils se demandent tous qui a bien pu écrire tout ça… Un grimoire, récent qui plus est, c’est plutôt exceptionnel, non ?
- Comment…
- Quand tu retombais dans le coma.
- Tu faisais circuler mes notes dans toute la maisonnée ?! m’écriais-je.
- On m’y a quelque peu obligé. soupira Kangitsar en glissant une clé argentée dans la serrure de la porte qui nous faisait face.
- Après toi. me dit-il en s’écartant.
Ma saute d’humeur avait réveillé mes plaies endormies par la morphine. Je n’allais pas si bien que je le prétendais : mon buste me faisait toujours souffrir le martyr. Pourtant, je me devais d’avancer. J’avais soif de réponses. Mes yeux déjà embués de douleur furent éblouie par une lumière flamboyante. Je me retrouvai sur un balcon offrant une vue stupéfiante de l’endroit dans lequel je venais de pénétrer. Une cathédrale. Du moins, le mirage de l’architecture que je percevais à travers ce brouillard de souffrance me rappelait ces édifices monumentaux. Les seules choses que je pus voir furent des colonnes gigantesques qui s’élevaient vers une voute s’apparentant à celle dont « céleste » était l’épithète. Des arcs colossaux, des sculptures dorés et des vitraux ensanglantés se mêlaient à des tentures qui ruisselaient le long des murs telles des cascades d’améthystes frappées des armoiries des De Mähleg. Mon regard perdu dans la brume chuta le long de ses reflets violets. La rambarde chancelante sur laquelle je m’appuyais était suspendue dans le vide entre terre et ciel. J’arrivais à percevoir, plusieurs dizaines de mètres plus bas, le sol en marbre rose recouvert de tapisseries foulées par les pas d’innombrables personnes qui s’activaient telles les abeilles d’une ruche qui n’avaient que pour seule mission de nourrir la reine endormie.
- Tu aurais préféré que l’on passe par là ? me demanda un tintement de clochettes sceptique.
- C’est… impressionnant… réussis-je sottement à articuler.
- Ouais, l’aile ouest est plutôt immense, faut bien l’admettre. La suite c’est par là.
Je suivis de nouveau le fossoyeur avec sa lanterne tout en peinant à détacher mon regard d’un tel spectacle.
- Regarde où tu marches, la passerelle est étroite et je ne tiens pas à ce que tu réduises tout à néant en allant t’écraser en bas. Déjà que tu boites pas mal…
- Tu penses que je m’écraserai ? dis-je sur un air de défi.
- Ah ! N’y songe même pas… ricana mon interlocuteur.
Je ne sais plus si je m’étais réellement effondré par terre après cet échange. La douleur voilait les souvenirs et les réduisait en une fine poussière s'infiltrant dans les recoins de l'encéphale. Ce dont je suis certain, c’est que notre voyage prit fin devant d’énormes portes gardées par deux armures impassibles. Nous devions sans doute être au sommet de la voûte à présent.
- Je vous l’amène, comme promis !
Les gardes stoïques comme deux cerbères pétrifiés s’écartèrent lentement puis, d’un signe de tête, nous laissèrent pénétrer dans l’antre des démons.
L’architecture du manoir me coupa le souffle une nouvelle fois. Des chandeliers de la taille d’un astre éclairaient de leurs milles flammes une salle de bal rayonnante. Au coeur de la brume, des rayons de cristal et des dallages noirs et blancs se dressaient une table de banquet en marbre, drapée d’une nappe immaculée rappelant la voile d’un vaisseau navigant sur un océan d’or et d’azur. Tout en m’approchant de cet autel vermeil, je distinguai avec peine trois silhouettes noires qui se détachaient. La princesse Lyla attendait sur son trône orné de cercles de carrosses, un masque sans expression, blanc et strié de noire sur le visage. Sa toilette semblait la confondre avec la salle dans laquelle nous étions : ses bijoux flamboyants et sa robe de cristal faisait d’elle une statue souveraine parmi les merveilles de son manoir. Ses cheveux flamboyants étaient sa couronne, emprisonnée dans deux broches de rubis asservis. Deux ombres scintillantes encadraient la sculpture d’or et de diamant. La première, à ma grande stupéfaction, était une jeune femme à l’apparence étrangère, une elfe : race ennemie du royaume pour des raisons tombées dans l'oubli. Un peuple contre lequel le roi menait une guerre centenaire. Rien ne semblait répondre à une quelconque logique ici, pourquoi devais-je être étonné par si peu ? Durant ces deux mois passés ici, n’avais-je pas déjà vu des choses bien plus incongrues que le fait de voir une noble et une elfe assises à la même table ? Cette dernière semblait attendre notre arrivée et patientait en jouant avec ses longs cheveux mordorés. Ses douces oreilles de chat et ses fines moustaches étaient d’une couleur similaire. Sa peau et ses yeux, quant à eux, semblaient faits d’ivoire et de velours. Elle était vêtue d’un kimono rouge irisé de blanc qui laissait le haut de son buste et ses jambes nus. De larges manches lui cachaient les bras et les mains tandis que des bottes noires remontaient jusqu’en haut de ses cuisses. Deux pupilles jaunes se tournèrent dans notre direction :
- « Kan’ ! N’étais-tu pas censé me ramener la rose dont nous avions convenu ? dit une voix veloutée visiblement déçue.
- Luscinia… Ma chère Luscinia, tu sais bien qu’il n’y a que des roses blanches qui poussent ici. minauda le joueur d'harmonica.
- C’est que tu ne saignes pas suffisamment dessus… répliqua l’elfe avec un sourire en coin et en croisant ses bras sous sa poitrine.
La seconde personne aux côtés de la princesse était à l’opposé de la première. C’était un colosse au crâne rasé dont le teint rapellait la pierre, rivalisant aisément avec celui qu’ils nommaient "Érèbe" au niveau de la taille. Son visage était couvert d’une multitude de cicatrices et dégageait une certaine sérénité, la froide assurance des vétérans. L’homme paraissait si calme que c'en était presque dérangeant. Rien ne semblait pouvoir lui échapper et rien ne pouvait l’affecter. De plus, on sentait qu’une force passive émanait de ce colosse immobile ainsi qu’une étrange impression d’asymétrie dont la cause m’échappait. Il portait d'épais gants en cuir et un manteau assorti qui m'était devenu familier : un philosophe sans doute…
- Content de te revoir Alghar. le saluèrent les grelots d’un signe de tête en s’approchant.
- Tu ne devrais pas faire languir une femme Kangitsar, on ne sait jamais ce que ces créatures peuvent nous réserver. Lui répondit l’homme qui avait esquissé un sourire amusé.
- Content également de vous revoir toutes les deux. dit Kan’ en serrant les deux mains de son ami.
Ne pas chercher à comprendre, me disais-je : mon cerveau ne pouvait plus se permettre à présent de penser à des choses aussi futiles qu’une poignée de main originale. Néanmoins, je fis malgré moi le rapprochement entre les bras d’Alghar et son caractère dissymétrique apparent : ses bras n’étaient pas identiques. L’un paraissait bien plus grand et plus large que l’autre. Ces membres et notamment ses doigts semblaient dotés d’une vie propre, comme s’ils étaient devenus indépendants du reste du corps du titan. Je détournai le regard, ne voulant pas en savoir plus sur cette difformité inquiétante. Mes yeux plongèrent dans les miroirs jaunes de la beauté féline.
- Alors te voici ? Monsieur l’écrivain ? dit-elle visiblement surprise.
- Que peut bien faire un elfe dans cette ville maudite ? soufflai-je.
- Ce doit être la première fois que tu en vois un, non ?
Un soupir agacé nous fit taire. La statue à la chevelure rousse s’anima devant nous :
- Eh bien, je vois que malgré tout j’ai réussi à réunir trois d’entre vous autour de cette table. Aurions-nous établit un nouveau record ? siffla la princesse visiblement agacée.
- Y a toujours des engueulades quand on dîne en famille. m’expliqua Kan’ en riant dans son harmonica.
- Où sont les autres ? demanda sèchement Lyla en faisant taire le ricanement de l’instrument.
- J’en connais qui doivent bien s’amuser en tous cas…
- Et à qui songes-tu mon cher Kan’ ? ronronna Luscinia.
Nous entendîmes les lourds battants s’ouvrirent au fond de la pièce. Une petite silhouette apparut dans l’embrasure des deux portes.
- Oh ! Vous avez déjà commencé ? s’enquit une voix grave pourvue d’un fort accent nordique.
Un nain vint à notre rencontre. J’en avais déjà aperçu dans les bas-quartiers de la ville : des immigrants qui venaient généralement travailler dans les usines et les mines. C’était une main d’œuvre peu coûteuse, endurante et efficace. Ma théorie sur les origines des habitants de ce lieu semblait confirmée par ces nouvelles rencontres. Un elfe puis un nain… Y avait-il des orcs ou des centaures au sein de cette communauté aussi improbable qu'extraordinaire ? Le nouvel arrivant défroissa sa petite redingote cousue de vert et de rouge puis ôta son béret. Ses deux longues oreilles étaient rabattues dans son dos, marque de respect et d’humilité chez ce peuple de travailleurs acharnés. Le lapin au pelage gris nous rejoignit en quelques bonds et pris place tout en s’excusant promptement auprès de la princesse.
- Vous êtes en retard pour le thé. plaisanta Kangitsar.
Lyla observait sa montre de gousset doré et la tendit à celui-ci.
- Je crois que nous avons suffisamment tardé comme cela, ne pensez-vous point ? Bien. Assieds-toi Daniel, je t’en prie.
- J’ai bien réfléchi vous savez… dis-je tout en m’asseyant aux côtés du nain.
- Et tu attends toujours des explications de ma part, je me trompe ?
- Votre invitation : j’en ignore toujours les closes. remarquai-je. A quoi bon réfléchir à ce qui nous est inconnu ?
- Tout ne te semble pas si inconnu, tes lecteurs en témoigneront.
- C’est vous que je ne connais pas.
- « Nous sommes en tout points semblables » est-elle une réponse satisfaisante ?
- Cela dépend…
- Tu apprendras à connaître ce que nous sommes et qui tu es si tu désires demeurer ici mais notre cause sera la tienne.
- Détruire le royaume ? Terroristes que nous sommes... Admettons que nous ayons au moins cela en commun...
- Oui, comme je te l’ai déjà dit.
- Et comment comptez-vous vous y prendre ? En rassemblant et en entraînant une armée de partisans de la philosophie dans vos sous-sols ?
- Sûrement pas. répliqua sèchement la princesse.
- Alors pourquoi tout cela si vos desseins sont tout autres ?
- « Nous oeuvrons dans l’ombre et nous frapperons le moment venu ».
- Et nous n’attendrons pas l’échéance d’une prophétie. commença Kan’.
- Nous ferons en sorte que ce moment se produise. continua Luscinia.
- Car le battement des ailes d’un papillon peut provoquer la furie des mers à l’autre bout du monde. renchérit le lapin qui se frottait précautionneusement le museau avec ses pattes avants.
- Nous ne nous servirons que de notre pouvoir pour forcer la main en destin : la philosophie ne doit servir que pour le bien du peuple. Et toi Daniel, tu partages cette idéologie malgré ton désir de vengeance.
- Vous métaphorisez. m’impatientai-je.
- En gros hein. me répondit Kan’. C’est plutôt simple à résumer. Ca consiste à…
- Mon couronnement. coupa la princesse De Mähleg.
Le dîner fut servi l’instant suivant cette réponse cinglante.
Un fossoyeur doté d’un étrange couvre-chef et éclairé par la seule lueur vacillante d’une lanterne qui le préservait des ténèbres environnantes m’avait déterré et me guidait à travers des couloirs sans fins et des escaliers infernaux. Je n’étais qu’un cadavre bien habillé, le miroir horrifié me l’avait dit. Ressemblais-je à présent à celle qui dormait aux côtés de mon cercueil lorsque j’étais revenu en ce bas monde ? Moi ou elle ? Mon âme, avait-elle tué Daniel et pris sa place ? Mon corps morcelé semblait accepter ce nouvel hôte, le seul capable de le ramener, le seul capable de lui donner la force nécessaire. Mon esprit avait été exilé dans la tourmente, rappelé pour déchiffrer cette inconnue qui m’avait brûlé la main. Mes doigts meurtris serraient le premier testament, et mon âme s’enracinait dans mes membres au fur et à mesure que l’on me sortait de cette fosse emplie de neige pourpre et que l’on brisait les fers qui m’enchaînaient à ma plume et aux chandelles. Que restait-il à présent ? Un jeune homme malade aux pupilles évaporées.
Laissez-moi me présenter. Je me nomme Daniel Rosuae, étudiant en droit à Londres, capitale d’un royaume totalitaire décadent dirigé par des tyrans et ayant juré la perte d’une science occulte, anciennement nommée « philosophie ». Fils d’un homme et d’une femme accusés de sorcellerie et brûlés vifs devant la plèbe venue se repaître du spectacle. Un scientifique et un chercheur ayant promis vengeance à ce monde et qui l’obtiendra, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, lui ou ce qui subsistera de son cadavre. Une coquille vide habitée par la solution qu’elle recherchait désespérément. Une source d’énergie incommensurable, quelque chose qui n’appartenait pas au réel et qui s’éveillait maintenant. L’âme, la mienne, qui découvrait lentement ce qu’elle avait rattaché à l’autre monde avec ces chaînes rouillées. Elle était maintenant forcée de descendre parmi nous autres mortels et la cohabitation avec mon corps n’était pas aisée; mais ces deux-là, bien qu’issus de deux univers différents, apprenaient vite. J’avais tout appris, tout lu et tout rédigé : il me ne me restait plus qu’à savoir si tous les engrenages pouvaient tourner à l’unisson. Le raisonnement était absurde et pourtant si évident : si l’on voulait obtenir ce qui n’appartenait pas à la réalité, il fallait quitter celle-ci et aller trouver ce que l’on cherchait ailleurs. Mourir.
J’ai égaré tant de choses à la proximité de ce tunnel mais j’en suis revenu avec la seule qui m’importait vraiment. Alors me voilà, moi ou mon âme, parcourant les couloirs d’un lieu abritant des êtres semblables à ce que je suis devenu. Des couloirs vides et hantés par des échos et des sons résonnants contre ces pierres froides.
- « On ne passe pas par les axes majeurs j’espère ? Si c’est le cas, j’ignorais que les nobles habitaient dans les catacombes de la ville…
- Non, je préfère qu’on emprunte les passages dérobés… Disons que… Ca deviendrait chiant s’ils te voyaient tous arriver comme ça, Monsieur l’écrivain…
- Plait-il ?
- Tout le monde sait que tu es là, mais peu de gens savent vraiment qui tu es. A vrai dire, ton bouquin est le principal sujet de conversation en ce moment et ils se demandent tous qui a bien pu écrire tout ça… Un grimoire, récent qui plus est, c’est plutôt exceptionnel, non ?
- Comment…
- Quand tu retombais dans le coma.
- Tu faisais circuler mes notes dans toute la maisonnée ?! m’écriais-je.
- On m’y a quelque peu obligé. soupira Kangitsar en glissant une clé argentée dans la serrure de la porte qui nous faisait face.
- Après toi. me dit-il en s’écartant.
Ma saute d’humeur avait réveillé mes plaies endormies par la morphine. Je n’allais pas si bien que je le prétendais : mon buste me faisait toujours souffrir le martyr. Pourtant, je me devais d’avancer. J’avais soif de réponses. Mes yeux déjà embués de douleur furent éblouie par une lumière flamboyante. Je me retrouvai sur un balcon offrant une vue stupéfiante de l’endroit dans lequel je venais de pénétrer. Une cathédrale. Du moins, le mirage de l’architecture que je percevais à travers ce brouillard de souffrance me rappelait ces édifices monumentaux. Les seules choses que je pus voir furent des colonnes gigantesques qui s’élevaient vers une voute s’apparentant à celle dont « céleste » était l’épithète. Des arcs colossaux, des sculptures dorés et des vitraux ensanglantés se mêlaient à des tentures qui ruisselaient le long des murs telles des cascades d’améthystes frappées des armoiries des De Mähleg. Mon regard perdu dans la brume chuta le long de ses reflets violets. La rambarde chancelante sur laquelle je m’appuyais était suspendue dans le vide entre terre et ciel. J’arrivais à percevoir, plusieurs dizaines de mètres plus bas, le sol en marbre rose recouvert de tapisseries foulées par les pas d’innombrables personnes qui s’activaient telles les abeilles d’une ruche qui n’avaient que pour seule mission de nourrir la reine endormie.
- Tu aurais préféré que l’on passe par là ? me demanda un tintement de clochettes sceptique.
- C’est… impressionnant… réussis-je sottement à articuler.
- Ouais, l’aile ouest est plutôt immense, faut bien l’admettre. La suite c’est par là.
Je suivis de nouveau le fossoyeur avec sa lanterne tout en peinant à détacher mon regard d’un tel spectacle.
- Regarde où tu marches, la passerelle est étroite et je ne tiens pas à ce que tu réduises tout à néant en allant t’écraser en bas. Déjà que tu boites pas mal…
- Tu penses que je m’écraserai ? dis-je sur un air de défi.
- Ah ! N’y songe même pas… ricana mon interlocuteur.
Je ne sais plus si je m’étais réellement effondré par terre après cet échange. La douleur voilait les souvenirs et les réduisait en une fine poussière s'infiltrant dans les recoins de l'encéphale. Ce dont je suis certain, c’est que notre voyage prit fin devant d’énormes portes gardées par deux armures impassibles. Nous devions sans doute être au sommet de la voûte à présent.
- Je vous l’amène, comme promis !
Les gardes stoïques comme deux cerbères pétrifiés s’écartèrent lentement puis, d’un signe de tête, nous laissèrent pénétrer dans l’antre des démons.
L’architecture du manoir me coupa le souffle une nouvelle fois. Des chandeliers de la taille d’un astre éclairaient de leurs milles flammes une salle de bal rayonnante. Au coeur de la brume, des rayons de cristal et des dallages noirs et blancs se dressaient une table de banquet en marbre, drapée d’une nappe immaculée rappelant la voile d’un vaisseau navigant sur un océan d’or et d’azur. Tout en m’approchant de cet autel vermeil, je distinguai avec peine trois silhouettes noires qui se détachaient. La princesse Lyla attendait sur son trône orné de cercles de carrosses, un masque sans expression, blanc et strié de noire sur le visage. Sa toilette semblait la confondre avec la salle dans laquelle nous étions : ses bijoux flamboyants et sa robe de cristal faisait d’elle une statue souveraine parmi les merveilles de son manoir. Ses cheveux flamboyants étaient sa couronne, emprisonnée dans deux broches de rubis asservis. Deux ombres scintillantes encadraient la sculpture d’or et de diamant. La première, à ma grande stupéfaction, était une jeune femme à l’apparence étrangère, une elfe : race ennemie du royaume pour des raisons tombées dans l'oubli. Un peuple contre lequel le roi menait une guerre centenaire. Rien ne semblait répondre à une quelconque logique ici, pourquoi devais-je être étonné par si peu ? Durant ces deux mois passés ici, n’avais-je pas déjà vu des choses bien plus incongrues que le fait de voir une noble et une elfe assises à la même table ? Cette dernière semblait attendre notre arrivée et patientait en jouant avec ses longs cheveux mordorés. Ses douces oreilles de chat et ses fines moustaches étaient d’une couleur similaire. Sa peau et ses yeux, quant à eux, semblaient faits d’ivoire et de velours. Elle était vêtue d’un kimono rouge irisé de blanc qui laissait le haut de son buste et ses jambes nus. De larges manches lui cachaient les bras et les mains tandis que des bottes noires remontaient jusqu’en haut de ses cuisses. Deux pupilles jaunes se tournèrent dans notre direction :
- « Kan’ ! N’étais-tu pas censé me ramener la rose dont nous avions convenu ? dit une voix veloutée visiblement déçue.
- Luscinia… Ma chère Luscinia, tu sais bien qu’il n’y a que des roses blanches qui poussent ici. minauda le joueur d'harmonica.
- C’est que tu ne saignes pas suffisamment dessus… répliqua l’elfe avec un sourire en coin et en croisant ses bras sous sa poitrine.
La seconde personne aux côtés de la princesse était à l’opposé de la première. C’était un colosse au crâne rasé dont le teint rapellait la pierre, rivalisant aisément avec celui qu’ils nommaient "Érèbe" au niveau de la taille. Son visage était couvert d’une multitude de cicatrices et dégageait une certaine sérénité, la froide assurance des vétérans. L’homme paraissait si calme que c'en était presque dérangeant. Rien ne semblait pouvoir lui échapper et rien ne pouvait l’affecter. De plus, on sentait qu’une force passive émanait de ce colosse immobile ainsi qu’une étrange impression d’asymétrie dont la cause m’échappait. Il portait d'épais gants en cuir et un manteau assorti qui m'était devenu familier : un philosophe sans doute…
- Content de te revoir Alghar. le saluèrent les grelots d’un signe de tête en s’approchant.
- Tu ne devrais pas faire languir une femme Kangitsar, on ne sait jamais ce que ces créatures peuvent nous réserver. Lui répondit l’homme qui avait esquissé un sourire amusé.
- Content également de vous revoir toutes les deux. dit Kan’ en serrant les deux mains de son ami.
Ne pas chercher à comprendre, me disais-je : mon cerveau ne pouvait plus se permettre à présent de penser à des choses aussi futiles qu’une poignée de main originale. Néanmoins, je fis malgré moi le rapprochement entre les bras d’Alghar et son caractère dissymétrique apparent : ses bras n’étaient pas identiques. L’un paraissait bien plus grand et plus large que l’autre. Ces membres et notamment ses doigts semblaient dotés d’une vie propre, comme s’ils étaient devenus indépendants du reste du corps du titan. Je détournai le regard, ne voulant pas en savoir plus sur cette difformité inquiétante. Mes yeux plongèrent dans les miroirs jaunes de la beauté féline.
- Alors te voici ? Monsieur l’écrivain ? dit-elle visiblement surprise.
- Que peut bien faire un elfe dans cette ville maudite ? soufflai-je.
- Ce doit être la première fois que tu en vois un, non ?
Un soupir agacé nous fit taire. La statue à la chevelure rousse s’anima devant nous :
- Eh bien, je vois que malgré tout j’ai réussi à réunir trois d’entre vous autour de cette table. Aurions-nous établit un nouveau record ? siffla la princesse visiblement agacée.
- Y a toujours des engueulades quand on dîne en famille. m’expliqua Kan’ en riant dans son harmonica.
- Où sont les autres ? demanda sèchement Lyla en faisant taire le ricanement de l’instrument.
- J’en connais qui doivent bien s’amuser en tous cas…
- Et à qui songes-tu mon cher Kan’ ? ronronna Luscinia.
Nous entendîmes les lourds battants s’ouvrirent au fond de la pièce. Une petite silhouette apparut dans l’embrasure des deux portes.
- Oh ! Vous avez déjà commencé ? s’enquit une voix grave pourvue d’un fort accent nordique.
Un nain vint à notre rencontre. J’en avais déjà aperçu dans les bas-quartiers de la ville : des immigrants qui venaient généralement travailler dans les usines et les mines. C’était une main d’œuvre peu coûteuse, endurante et efficace. Ma théorie sur les origines des habitants de ce lieu semblait confirmée par ces nouvelles rencontres. Un elfe puis un nain… Y avait-il des orcs ou des centaures au sein de cette communauté aussi improbable qu'extraordinaire ? Le nouvel arrivant défroissa sa petite redingote cousue de vert et de rouge puis ôta son béret. Ses deux longues oreilles étaient rabattues dans son dos, marque de respect et d’humilité chez ce peuple de travailleurs acharnés. Le lapin au pelage gris nous rejoignit en quelques bonds et pris place tout en s’excusant promptement auprès de la princesse.
- Vous êtes en retard pour le thé. plaisanta Kangitsar.
Lyla observait sa montre de gousset doré et la tendit à celui-ci.
- Je crois que nous avons suffisamment tardé comme cela, ne pensez-vous point ? Bien. Assieds-toi Daniel, je t’en prie.
- J’ai bien réfléchi vous savez… dis-je tout en m’asseyant aux côtés du nain.
- Et tu attends toujours des explications de ma part, je me trompe ?
- Votre invitation : j’en ignore toujours les closes. remarquai-je. A quoi bon réfléchir à ce qui nous est inconnu ?
- Tout ne te semble pas si inconnu, tes lecteurs en témoigneront.
- C’est vous que je ne connais pas.
- « Nous sommes en tout points semblables » est-elle une réponse satisfaisante ?
- Cela dépend…
- Tu apprendras à connaître ce que nous sommes et qui tu es si tu désires demeurer ici mais notre cause sera la tienne.
- Détruire le royaume ? Terroristes que nous sommes... Admettons que nous ayons au moins cela en commun...
- Oui, comme je te l’ai déjà dit.
- Et comment comptez-vous vous y prendre ? En rassemblant et en entraînant une armée de partisans de la philosophie dans vos sous-sols ?
- Sûrement pas. répliqua sèchement la princesse.
- Alors pourquoi tout cela si vos desseins sont tout autres ?
- « Nous oeuvrons dans l’ombre et nous frapperons le moment venu ».
- Et nous n’attendrons pas l’échéance d’une prophétie. commença Kan’.
- Nous ferons en sorte que ce moment se produise. continua Luscinia.
- Car le battement des ailes d’un papillon peut provoquer la furie des mers à l’autre bout du monde. renchérit le lapin qui se frottait précautionneusement le museau avec ses pattes avants.
- Nous ne nous servirons que de notre pouvoir pour forcer la main en destin : la philosophie ne doit servir que pour le bien du peuple. Et toi Daniel, tu partages cette idéologie malgré ton désir de vengeance.
- Vous métaphorisez. m’impatientai-je.
- En gros hein. me répondit Kan’. C’est plutôt simple à résumer. Ca consiste à…
- Mon couronnement. coupa la princesse De Mähleg.
Le dîner fut servi l’instant suivant cette réponse cinglante.