Note de la fic :
Anh Hao
Par : Roi_des_aulnes
Genre : Réaliste, Science-Fiction
Statut : Terminée
Chapitre 7 : Transition (2)
Publié le 20/12/2012 à 22:51:38 par Roi_des_aulnes
Transition (2)
J'ai longtemps étudié les carnets d'Anh Hao.
Je savais comment il opérait. Je pouvais saisir son fonctionnement. Mais comprendre un grand joueur ne vous transformait pas en grand joueur, et ce qui n'avait pas été mis en lumière par les recherches de Lâm restait pour moi dans l'ombre.
Mais il restait l'énergie. L'agressivité qui se détachait des coups. Par une chance certaine, cette force se reflétait en moi, sans doute parce que j'avait été d'une certaine manière, touchée par Anh Hao. Si je n'avais pas rencontré Lâm, je n'aurais rien eu à perdre dans ce monde. J'aurais été indifférent aux colossaux affrontements qui se déroulaient.Il est même bien possible que, en esprit, je les auraient supportés.
Anh Hao avait peut-être raison sur ce point : quel que soit la force de la culture, le mouvement historique nous place toujours dans le camp des gagnants et des perdants, des prolétaires et des capitalistes. J'avais été un perdant. Mais l'univers m'avait donné Lâm, elle et lui ne faisait qu'un, et je ne pouvais les abandonner tout les deux.
L'idée de Lâm était que les mouvements fictionnels n'allaient pas recréer le communisme, mais une forme abâtardie, plus violente et plus cruelle encore. Ce monde était dur pour les Anh Hao, il n'y avait plus les belles idées messianiques pour cacher la haine et le ressentiment. J'imagine qu'ils s'étaient cachés pendant tant de décennies parce qu'ils avaient honte, parce que quelque chose de l'histoire de la civilisation était restée en eux, et refusait que le meurtre et la violence ne soit pas justifiée pour une idée. Mais cela avait été trop loin, il y avait eu trop de poudre accumulés. Sur les écrans, les hologrammes d'informations, tout n'était plus que pancartes furieuses, chiens enragés, foules noires qui vomissaient des hurlements pour l'unité. Anh Hao était fatigué des Noldors, il voulait la Grande Colère. Pour éviter son retour, nous devions arrêter les Valars.
Nous n'avions pas cette énergie, et pas le temps pour la mettre en ordre. Il nous fallait quelque chose qui nous dépassait. Je ne savais pas à quel point Anh Hao pouvait avoir prévu que des gens comme nous s'opposent à son nouveau régne, mais je savais qu'il n'était roi que dans son propre royaume. La fiction, le grand terrain vierge qu'il avait autrefois fondé, avait saisi les terres du politiques et du réels. Mais il ne comprenait rien à la politique.
Si l'on prévenait les foules, les médias, les chefs d'entreprises, nous échapperions à son ordre. Nous pourrions rendre son monde visible. Et ensemble, nous pourrions former une nouvelle conspiration, une conspiration ouverte des individus contre la nouvelle marche de l'histoire. Dans les caves des ventrus de la Terre, dans les palais des Directeurs-Présidents, et dans les parkings anonymes remplies de foules bleues.
Le rendez-vous fut pris. Nous -enfin, surtout Lâm- avions invité une foule immense de riche donateurs, d'intellectuels et de chefs d'entreprises. Le dixième vint. Ils croyaient qu'on allait les voler. La plupart n'attendirent pas les dix premières minutes pour s'endormir.
Mais mon exposé réussit à en convaincre quelques uns. La fureur et la puissance d'Anh Hao montrait quelque chose qu'ils n'avaient jamais vu. Quelque chose que je n'avais jamais réussi à exprimer pour moi-même. J'eus droit à un papier le lendemain dans la presse. Deux autres la semaine d'après. Et, comme prévu, le monde me choisit contre Anh Hao.
Je continuais ma logique, parce qu'il n'y en avait pas d'autre. Contre le système de fictions complexe qu'il avait mit en place, j'opposais les armes et la plume. Contre son monde de rêve et de douceur, j’exaltais la violence, l'assassinat, l'argent. Oui, le sang pouvait étouffer le retour d'Anh Hao. Nous n'avions plus besoin de lui pour conserver notre monde. Les compagnies de sécurité et les grandes entreprises écoutèrent mon conseil. Vous avez du me voir à cette époque sur les canaux de l'Internet 8, expliquant que le monde n'était pas prêt à se diviser à nouveau.
Lâm était partout derrière moi. Elle me trouvait trop violent, et souvent, elle me permit de trouver des mots justes, plus doux, mais en même temps plus radical. Nous avions choisi de faire silence sur notre relation, et aussi, sur ce que nous avions fini par découvrir, en élargissant notre cercle d'étude.
Ces recherches concernaient Yen. Alors que je parvenais à traduire le dynamisme de pensée d'Anh Hao, qui couvrait tout son journal, j'avais transposé cette méthode de lecture sur le journal de la petite princesse. Il n'y avait pas de trace de manipulation de l'histoire, comme j'avais pu en découvrir avec Anh Hao. Mais il y avait définitivement quelque chose.
Ce n'était pas forcément plus fort. C'était plus direct. Plus rapide. Les raisonnements d'Anh Hao prenait la forme de dizaines de pages ennuyeuses, se recoupant sur des mois, des années, mais avait quelque chose de majestueux. Yen était plus insignifiante, mais beaucoup, beaucoup plus vive.
Je commençais à me dire que Yen avait sans doute joué un rôle plus grand que celui d'un simple déclencheur. Quelque part, les dragons, que nous avions laissé à l'univers des goban, touchait son écriture, sa façon de marcher, de danser, de parler. Une énergie cosmique, léguée par la série infinie de gardiens, de princes et de princesse. Etait-ce parce qu'elle avait été la première cible ratée de l'homme capable de détruire le monde ? En évitant les dards, elle avait peut-être été tout de même la victime de la lame des Nazgûls.
Pendant ce temps, la peur commençait à prendre place, les foules bruissaient en frissonnaient autour d'Anh Hao. Parfois, je montais sur de grands échafaudages, et, devant une foule de gagnants et de terrifiés, des anciens martyrs de tous les conflits du monde, je disais que la paix était la seule chose valable. Que l'homme ne devait compter que sur lui-même pour vaincre ce moment. Je disais qu'on était libre, et, parfois, j'y croyais. Alors je descendais dans l'arrière-thêatre, celui ou peut-être les grands mouvements de l'histoire ne pouvait nous atteindre, et Lâm m'embrassait.
Nous avons peut-être vécu six mois comme cela. Mais je continuais, dans mon temps libre, à embrasser le monde fictionnel d'Anh Hao, à essayer de comprendre ses ressorts. Je faisais des recherches sur ses étudiants, sur sa famille, sur tout ceux qu'il avait pu toucher, pour voir si il restait des traces comme il en avait laissé sur Yen. Après tout, même endormi, un dragon reste empoisonné. Ce géant les avait peut-être rendu aussi fort que lui-même. Je crains un moment un peuple endormi d'Anh Hao. Mais il n'y avait personne d'autre, juste Yen. Parfois, je pensais avoir juste rêvé, mais il me suffisait de replonger ans ce journal pour voir les mêmes foules, les mêmes murmures, les ruines d'Edrenté et les créatures étranges de Sonria, les terres de Hiloth qu'on appelle en Indochine Samaranth, et les lunes télescopées d'Orientis.
Mes vêtements devenaient noirs, et ma tête rentrait dans mes épaules. Nous étions heureux, je pense.
Et puis, un jour, je retourna à l'université. J'avais des papiers à signer : je renonçais à ma carrière de chercheur pour me consacrer à mon existence médiatique. J'y ait croisé l'artiste, celui qui avait fait le bal d'hologramme ou j'avais rencontré Lâm. Après les salutations d'usages, qui m'ennuyaient chaque jour un peu plus, je le félicita chaudement pour son travail, quelques mois plus tôt. Il avait eu du flair de mettre Anh Hao au centre de l'anticommuniste.
Je sentis une étrange hésitation.
-Vous avez vu la première partie ?
Je l'avais à peine suivi, et maintenant, je m'en moquais. Je parla des foules rouges, des différents héros, mais il m'arrêta.
-Je veux dire, la princesse Yen. Celle qui suivait Anh Hao.
En effet. Il me remontra la vidéo. Elle était là, flottant, vêtue de vêtement modernes, mais ne marchait pas. Elle attendait, juste, le visage sévère et sublime, comme si ses yeux voulaient voir le monde brûler.
Elle venait du journal d'Anh Hao.
-Anh Hao ne parle jamais de...
-Bien sur que si. J'ai encore une copie si vous le voulez.
Il avait fait des recherches pour lui-même. Un membre de sa famille était tombé dessus par hasard. Quand il l'avait mentionné, quelques années plus tard, à Unimonde, on avait voulu le lui racheter, mais on avait fini par se résigner, et on lui avait demandé de l'inclure dans la valse holographique. Un très beau journal.
-Même si c'est vrai que ça m'a paru étrange, à la première lecture.
Il regarda les grands miroirs déformants qui nous entouraient.
-Quelque chose qui aurait pu se trouver dans un roman. Pas dans le monde réel. C'était pas vraiment des faits, plus, disons, de la mythologie.
Je suis reparti en bredouillant un au revoir agacé. Il y avait un raisonnement qui commençait à se former, et que je n'aimais pas, pas du tout. Il m'a fallut plusieurs nuits pour le formuler correctement, plusieurs nuits où je sentais le corps chaud de Lâm, les battements de la Terre, les menaces d'Anh Hao. Les lumières du dehors, élargie chaque soir désormais par le halo des fumigènes, me donnaient l'impression d'une brume qui arrivait à sa fin.
J'ai hésité longtemps, une nouvelle fois, avant de lui demander les copies des documents. Une partie de moi avait sans doute déjà abandonnée la recherche de la vérité qui m'obsédait autrefois. J'étais allé trop loin. Mais j'ai fini par avoir le courage de le lui demander. Je ne sais pas si je regrette vraiment d'avoir demandé le corpus de Lâm, mais je suis certain que si je pouvais changer les choses maintenant, je refuserais de voir les documents détruits.
Il n'y avait pas de codes. Tout était clair. Parfaitement écrit, dans un style sans faute, sans formulations qui sonnaient chinoises, sans génie.
Je me pencha sur mon balcon. Je vis la foule rouge qui continuait de crier, malgré les fumigènes, les balles, le sang. Les flots bleus que j'avais envoyé vivaient défaite après défaite. J'ai fermé les rideaux, et j'ai regardé vers l'intérieur. Ma chambre était pleine de ténèbres rampantes, de vents à traverser. De papillon à écraser pour changer le futur. J'ai pris une grande respiration, et j'ai allumé mon ordinateur.
Je jeta d'abord les papiers que m'avait envoyé l'artiste. Je posa une question, j'eus une réponse. Puis, avec un grand mouvement trop brutal, je déposa sur le scanner en trois dimension le gigantesque bloc de papier de Lâm, le carnet, les archives financières. Le monde perdu et détruit d'Anh Hao gisait en feuilles éparses, les ruines d'Ardenté et les chevaux, les rêves et les fictions, la voix unique de Melkor, l'univers impossible qui avait renversé l'histoire et ma vie m'attendait. Ma voix tremblait, et je dut m'éclaircir la gorge avant de pouvoir dire clairement :
-Vérification d'authenticité.
J'ai longtemps étudié les carnets d'Anh Hao.
Je savais comment il opérait. Je pouvais saisir son fonctionnement. Mais comprendre un grand joueur ne vous transformait pas en grand joueur, et ce qui n'avait pas été mis en lumière par les recherches de Lâm restait pour moi dans l'ombre.
Mais il restait l'énergie. L'agressivité qui se détachait des coups. Par une chance certaine, cette force se reflétait en moi, sans doute parce que j'avait été d'une certaine manière, touchée par Anh Hao. Si je n'avais pas rencontré Lâm, je n'aurais rien eu à perdre dans ce monde. J'aurais été indifférent aux colossaux affrontements qui se déroulaient.Il est même bien possible que, en esprit, je les auraient supportés.
Anh Hao avait peut-être raison sur ce point : quel que soit la force de la culture, le mouvement historique nous place toujours dans le camp des gagnants et des perdants, des prolétaires et des capitalistes. J'avais été un perdant. Mais l'univers m'avait donné Lâm, elle et lui ne faisait qu'un, et je ne pouvais les abandonner tout les deux.
L'idée de Lâm était que les mouvements fictionnels n'allaient pas recréer le communisme, mais une forme abâtardie, plus violente et plus cruelle encore. Ce monde était dur pour les Anh Hao, il n'y avait plus les belles idées messianiques pour cacher la haine et le ressentiment. J'imagine qu'ils s'étaient cachés pendant tant de décennies parce qu'ils avaient honte, parce que quelque chose de l'histoire de la civilisation était restée en eux, et refusait que le meurtre et la violence ne soit pas justifiée pour une idée. Mais cela avait été trop loin, il y avait eu trop de poudre accumulés. Sur les écrans, les hologrammes d'informations, tout n'était plus que pancartes furieuses, chiens enragés, foules noires qui vomissaient des hurlements pour l'unité. Anh Hao était fatigué des Noldors, il voulait la Grande Colère. Pour éviter son retour, nous devions arrêter les Valars.
Nous n'avions pas cette énergie, et pas le temps pour la mettre en ordre. Il nous fallait quelque chose qui nous dépassait. Je ne savais pas à quel point Anh Hao pouvait avoir prévu que des gens comme nous s'opposent à son nouveau régne, mais je savais qu'il n'était roi que dans son propre royaume. La fiction, le grand terrain vierge qu'il avait autrefois fondé, avait saisi les terres du politiques et du réels. Mais il ne comprenait rien à la politique.
Si l'on prévenait les foules, les médias, les chefs d'entreprises, nous échapperions à son ordre. Nous pourrions rendre son monde visible. Et ensemble, nous pourrions former une nouvelle conspiration, une conspiration ouverte des individus contre la nouvelle marche de l'histoire. Dans les caves des ventrus de la Terre, dans les palais des Directeurs-Présidents, et dans les parkings anonymes remplies de foules bleues.
Le rendez-vous fut pris. Nous -enfin, surtout Lâm- avions invité une foule immense de riche donateurs, d'intellectuels et de chefs d'entreprises. Le dixième vint. Ils croyaient qu'on allait les voler. La plupart n'attendirent pas les dix premières minutes pour s'endormir.
Mais mon exposé réussit à en convaincre quelques uns. La fureur et la puissance d'Anh Hao montrait quelque chose qu'ils n'avaient jamais vu. Quelque chose que je n'avais jamais réussi à exprimer pour moi-même. J'eus droit à un papier le lendemain dans la presse. Deux autres la semaine d'après. Et, comme prévu, le monde me choisit contre Anh Hao.
Je continuais ma logique, parce qu'il n'y en avait pas d'autre. Contre le système de fictions complexe qu'il avait mit en place, j'opposais les armes et la plume. Contre son monde de rêve et de douceur, j’exaltais la violence, l'assassinat, l'argent. Oui, le sang pouvait étouffer le retour d'Anh Hao. Nous n'avions plus besoin de lui pour conserver notre monde. Les compagnies de sécurité et les grandes entreprises écoutèrent mon conseil. Vous avez du me voir à cette époque sur les canaux de l'Internet 8, expliquant que le monde n'était pas prêt à se diviser à nouveau.
Lâm était partout derrière moi. Elle me trouvait trop violent, et souvent, elle me permit de trouver des mots justes, plus doux, mais en même temps plus radical. Nous avions choisi de faire silence sur notre relation, et aussi, sur ce que nous avions fini par découvrir, en élargissant notre cercle d'étude.
Ces recherches concernaient Yen. Alors que je parvenais à traduire le dynamisme de pensée d'Anh Hao, qui couvrait tout son journal, j'avais transposé cette méthode de lecture sur le journal de la petite princesse. Il n'y avait pas de trace de manipulation de l'histoire, comme j'avais pu en découvrir avec Anh Hao. Mais il y avait définitivement quelque chose.
Ce n'était pas forcément plus fort. C'était plus direct. Plus rapide. Les raisonnements d'Anh Hao prenait la forme de dizaines de pages ennuyeuses, se recoupant sur des mois, des années, mais avait quelque chose de majestueux. Yen était plus insignifiante, mais beaucoup, beaucoup plus vive.
Je commençais à me dire que Yen avait sans doute joué un rôle plus grand que celui d'un simple déclencheur. Quelque part, les dragons, que nous avions laissé à l'univers des goban, touchait son écriture, sa façon de marcher, de danser, de parler. Une énergie cosmique, léguée par la série infinie de gardiens, de princes et de princesse. Etait-ce parce qu'elle avait été la première cible ratée de l'homme capable de détruire le monde ? En évitant les dards, elle avait peut-être été tout de même la victime de la lame des Nazgûls.
Pendant ce temps, la peur commençait à prendre place, les foules bruissaient en frissonnaient autour d'Anh Hao. Parfois, je montais sur de grands échafaudages, et, devant une foule de gagnants et de terrifiés, des anciens martyrs de tous les conflits du monde, je disais que la paix était la seule chose valable. Que l'homme ne devait compter que sur lui-même pour vaincre ce moment. Je disais qu'on était libre, et, parfois, j'y croyais. Alors je descendais dans l'arrière-thêatre, celui ou peut-être les grands mouvements de l'histoire ne pouvait nous atteindre, et Lâm m'embrassait.
Nous avons peut-être vécu six mois comme cela. Mais je continuais, dans mon temps libre, à embrasser le monde fictionnel d'Anh Hao, à essayer de comprendre ses ressorts. Je faisais des recherches sur ses étudiants, sur sa famille, sur tout ceux qu'il avait pu toucher, pour voir si il restait des traces comme il en avait laissé sur Yen. Après tout, même endormi, un dragon reste empoisonné. Ce géant les avait peut-être rendu aussi fort que lui-même. Je crains un moment un peuple endormi d'Anh Hao. Mais il n'y avait personne d'autre, juste Yen. Parfois, je pensais avoir juste rêvé, mais il me suffisait de replonger ans ce journal pour voir les mêmes foules, les mêmes murmures, les ruines d'Edrenté et les créatures étranges de Sonria, les terres de Hiloth qu'on appelle en Indochine Samaranth, et les lunes télescopées d'Orientis.
Mes vêtements devenaient noirs, et ma tête rentrait dans mes épaules. Nous étions heureux, je pense.
Et puis, un jour, je retourna à l'université. J'avais des papiers à signer : je renonçais à ma carrière de chercheur pour me consacrer à mon existence médiatique. J'y ait croisé l'artiste, celui qui avait fait le bal d'hologramme ou j'avais rencontré Lâm. Après les salutations d'usages, qui m'ennuyaient chaque jour un peu plus, je le félicita chaudement pour son travail, quelques mois plus tôt. Il avait eu du flair de mettre Anh Hao au centre de l'anticommuniste.
Je sentis une étrange hésitation.
-Vous avez vu la première partie ?
Je l'avais à peine suivi, et maintenant, je m'en moquais. Je parla des foules rouges, des différents héros, mais il m'arrêta.
-Je veux dire, la princesse Yen. Celle qui suivait Anh Hao.
En effet. Il me remontra la vidéo. Elle était là, flottant, vêtue de vêtement modernes, mais ne marchait pas. Elle attendait, juste, le visage sévère et sublime, comme si ses yeux voulaient voir le monde brûler.
Elle venait du journal d'Anh Hao.
-Anh Hao ne parle jamais de...
-Bien sur que si. J'ai encore une copie si vous le voulez.
Il avait fait des recherches pour lui-même. Un membre de sa famille était tombé dessus par hasard. Quand il l'avait mentionné, quelques années plus tard, à Unimonde, on avait voulu le lui racheter, mais on avait fini par se résigner, et on lui avait demandé de l'inclure dans la valse holographique. Un très beau journal.
-Même si c'est vrai que ça m'a paru étrange, à la première lecture.
Il regarda les grands miroirs déformants qui nous entouraient.
-Quelque chose qui aurait pu se trouver dans un roman. Pas dans le monde réel. C'était pas vraiment des faits, plus, disons, de la mythologie.
Je suis reparti en bredouillant un au revoir agacé. Il y avait un raisonnement qui commençait à se former, et que je n'aimais pas, pas du tout. Il m'a fallut plusieurs nuits pour le formuler correctement, plusieurs nuits où je sentais le corps chaud de Lâm, les battements de la Terre, les menaces d'Anh Hao. Les lumières du dehors, élargie chaque soir désormais par le halo des fumigènes, me donnaient l'impression d'une brume qui arrivait à sa fin.
J'ai hésité longtemps, une nouvelle fois, avant de lui demander les copies des documents. Une partie de moi avait sans doute déjà abandonnée la recherche de la vérité qui m'obsédait autrefois. J'étais allé trop loin. Mais j'ai fini par avoir le courage de le lui demander. Je ne sais pas si je regrette vraiment d'avoir demandé le corpus de Lâm, mais je suis certain que si je pouvais changer les choses maintenant, je refuserais de voir les documents détruits.
Il n'y avait pas de codes. Tout était clair. Parfaitement écrit, dans un style sans faute, sans formulations qui sonnaient chinoises, sans génie.
Je me pencha sur mon balcon. Je vis la foule rouge qui continuait de crier, malgré les fumigènes, les balles, le sang. Les flots bleus que j'avais envoyé vivaient défaite après défaite. J'ai fermé les rideaux, et j'ai regardé vers l'intérieur. Ma chambre était pleine de ténèbres rampantes, de vents à traverser. De papillon à écraser pour changer le futur. J'ai pris une grande respiration, et j'ai allumé mon ordinateur.
Je jeta d'abord les papiers que m'avait envoyé l'artiste. Je posa une question, j'eus une réponse. Puis, avec un grand mouvement trop brutal, je déposa sur le scanner en trois dimension le gigantesque bloc de papier de Lâm, le carnet, les archives financières. Le monde perdu et détruit d'Anh Hao gisait en feuilles éparses, les ruines d'Ardenté et les chevaux, les rêves et les fictions, la voix unique de Melkor, l'univers impossible qui avait renversé l'histoire et ma vie m'attendait. Ma voix tremblait, et je dut m'éclaircir la gorge avant de pouvoir dire clairement :
-Vérification d'authenticité.