Note de la fic :
Anh Hao
Par : Roi_des_aulnes
Genre : Réaliste, Science-Fiction
Statut : Terminée
Chapitre 4 : Transition (1)
Publié le 28/10/2012 à 18:18:24 par Roi_des_aulnes
C'était tout. Voilà le personnage historique de première importance que Lam m'avait présenté. Je ne saurais dire qu'il n'avait aucun intérêt : il est un produit unique de la mondialisation, du conflit entre tradition et modernité, et de la guerre civile chinoise. Mais ce n'était pas ce que je cherchais : il n'était exemplaire en rien, et surtout, il n'avait rien changé. Il n'avait été sans doute qu'un médiocre de plus, un homme solitaire, glacé comme Lovecraft, routinier comme Kant. Il me ressemblait : juste un enfant du monde qui ne pouvait lui rendre son amour.
J'avais fait mes recherches. J'avais trouvé tout ce que je cherchais. Ma tâche était terminée. Je rentrais à mes recherches, et recommençait courageusement à tourner en rond à propos des items culturels des années 1960.
Il me fallut un bon mois pour recontacter Lâm. Je ne sais pas trop pourquoi. Je me disais qu'elle avait pu se moquer de moi. Et qu'elle le ferait sans aucun doute, maintenant que je l'avais décu.
L'appel sonna longtemps. Je lui dis que j'avais fait « quelques recherches » (j'y avais passé cinq mois) sur Anh Hao, et que si cela l'intéressait toujours, on pouvait se voir. Elle accueillit la nouvelle avec joie, et me proposa d'aller dans un restaurant du centre-ville pour en parler, le dimanche soir. En raccrochant l'hologramme, je réalisa soudain que j'avais eu une autre peur, plus profonde et moins avouable: qu'elle ait oublié jusqu'à mon existence.
Je passa les trois jours qui nous séparait de ce moment penchés sur les innombrables feuillets qui retraçait l'histoire de Anh Hao. Je pensais sérieusement à les falsifier. Le faire intervenir dans je ne sais quel événement majeur, lui prêter des illustres amitiés, une petite pierre que cet imbécile aurait pu poser dans l'histoire. Mais peu importe comment je prenais les choses, le fossile Anh Hao était toujours là. Les dragons qui semblaient s'être éveillé dans son jeu complexe au go s'étaient éteint pour toujours quand il avait quitté la Chine. Une résurrection le temps d'une élection, d'une manifestation ou d'une crise internationale semblait impossible à imaginer : mon héros avait sombré dans le coma en 1937, mort en 1952.
Yen avait été sa dernière déception : elle rentra en Chine, épousa un ouvrier tout droit sorti des affiches de propagande et eut deux enfants. Je ne sais comment elle réussit à passer, avec ses origines, à travers la Révolution Culturelle, mais elle survécut, et sa foi dans le communisme ne cessa jamais. Elle mourut en 2008.
Nulle part, dans sa correspondance, dans les témoignages, dans ce fatras de documents qui est censé, pour un historien, résumer la vie d'un individu, on retrouve quelque par l'ombre des feux d'Anh Hao. Il y avait une lumière, pourtant. Une sorte de Soleil intérieur, complètement différent des parties de go, moins féroce, mais toujours aussi brillant. Je pouvais le sentir de la façon dont elle traçait ses signes, dont elle signait ses lettres. Cela devait être une très, très belle femme, et chacun de ses gestes devait être une danse.
C'est en repensant à ce mystère que je me suis dirigé vers ce restaurant, dans le centre-ville. On était au printemps 2078, et, comme vous le savez, c'était le début de la révolte des ouvriers de Périphérie Centrale. L'ambiance était électrique : au loin, on pouvait entendre les sirènes et apercevoir les fumées. Même à l'intérieur du grand restaurant, bardé de lumières, de caméra et de luxe, les élites se collaient au vitre, à la recherche d'une fin du monde.
Lam n'avait guère envie de parler de fin du monde. Alors que je me remettais à peine des prix affichés sur la carte, elle lança brutalement la conversation.
-Alors, qu'avez-vous découvert ?
J'ai tenté de noyer le poisson. En bredouillant, j'ai expliqué qu'effectivement, Anh Hao avait été important, car il représentait à lui tout seul la crise de la modernisation en Chine. Bien qu'étant un illustre inconnu, il avait sans doute représenté dans le cœur de beaucoup les troubles incroyables, vraiment qui...
Elle m'interrompit. Quelque chose avait changé depuis notre dernière conversation, maintenant j'en étais certain. Il y avait une sorte de violence dans sa voix que je n'avais pas sentie autrefois.
J'ai voulu expliquer son rôle dans l'éducation, les quelques liens qu'avaient ses élèves avec les grands de ce monde. Pendant tous ce temps, ses yeux noirs me fixaient, et un vague sourire naissait sur le coin de ses lèvres. Ce genre de sourire n'avait jamais été pour moi, et je baissais les yeux, timide, comme un condamné qui attend la sentence.
Je continua pendant presque une demi-heure, à moitié conscient de ce que je disais, revenant dès qu'il était possible à la période d'avant son exil de 1937. Alors que je jetais un vague coup d’œil pour vérifier qu'elle écoutait toujours, je sentis son sourire s'élargir et un rire délicieux s'échapper de ses lèvres.
-Je... qu'est-ce qu'il y a ?
-Anh Hao a pris sa retraite en 1984, pas en 1985. Vous avez dit 1985.
Le serveur nous apporta les plats. Je le vis à peine : je voyais des barreaux se refermer sur moi.
-Anh Hao avait soixante-deux ans en 1984, il ne pouvait...
-Il a demandé une rallonge. Sa fortune baissait considérablement à cette époque. Plus de quatre-vingt pour cent de son héritage fut dilapidé de 1973 à 1981. Il n'y a aucune trace dans les données bancaires de l'époque, mais d'après les témoignages de ses voisins, il partait souvent vendre les titres qu'il avait mis sous des faux noms. On a pas pu tout retracer, même maintenant, mais avec un échantillon, on a pu parvenir à estimer la perte.
Elle me souriait toujours en disant cela. Je pris une longue gorgée de vin, une grande inspiration, et je posa enfin la question qui me brulait les lèvres.
-Je... Je ne suis pas le premier à qui vous demandez des informations sur ce type, non ?
Je n'aurais pas pu la blesser autrement. Elle me foudroya du regard, et je m'embrouillais. Pourquoi je croyais ça ? Parce que elle était déjà bien informée pour une fille qui n'avait pas fait d'études. Parce qu'Anh Hao était sans intérêt et que personne ne se fatiguerait à passer du temps à faire des recherches sur lui.
Ma véritable réponse, c'est que je ne pouvais pas avoir eu seul sa confiance.
-Dites-moi, je... je vais paraître ridicule, ai-je commencé pour changer de sujet. Depuis que je parle, qu'est-ce que je vous ai appris ?
-Rien. Mais j'imagine que vous m'avez passé les détails.
Je n'osa lui demander d'autres explications, et je resta sur ma chaise, à la détailler silencieusement.
-Vous me prenez pour une folle, n'est-ce pas ?
Elle soupira, et se laissa tomber sur sa chaise.
-Je savais que vous ne me croiriez pas.
Une nouvelle fois, elle me surprit. Elle semblait désarmée, comme tombée de son nuage. Une grande pluie se levait derrière les grandes vitres du restaurant.
-C'est si important pour vous ? Bien sur, Anh Hao est intéressant, mais c'est de la micro-histoire.
-Ce n'est pas de la micro-histoire. C'est de l'histoire pure, la grande. Et même celle de maintenant.
J'étais timide, minable, perdu comme un insecte au milieu de ce restaurant prestigieux, mais il me restait tout de même un orgueil, celui du scientifique, et elle l'avait réveillé. Je lui répondis le plus sèchement que je pouvais que non, d'après mes si misérables recherches, il n'avait rien été.
-Il ne voulait pas se faire remarquer. Vous connaissez l'histoire causale ?
J'ai un doctorat. Bien sur que je connaissais l'histoire causale. Il s'agissait d'un courant née dans les années 50 par des jeunes historiens en manque de reconnaissance et d'un collège de physiciens et d'informaticiens. Alors qu'on annonçait (déjà) le début de la singularité, ils ont tenté d'inclure dans des programmes des simulations historiques de plus en plus complexes, basées sur la totalité des événements et des documents archivés alors. Créez une situation à un point A, et lancez la machine : si le point B correspond plus ou moins à la réalité historique, vous avez gagné. Il suffit alors de soustraire certains éléments pour pouvoir estimer, en chiffre, l'importance quantitative d'un facteur.
J'ai fini par lui dire que l'histoire causale avait été rejeté par toutes les académies à peine cinq ans après sa création. Avec la magie de l'effet papillon, il était facile d'estimer comme infinie la vie de n'importe quel dirigeant. Oui, si De Gaulle avait été remplacé par Leopold II, l'Algérie aurait eu une indépendance plus compliquée (et une population beaucoup plus restreinte à la fin de la guerre). Difficile d'en conclure quoi que ce soit d'autre.
-Ce n'est pas une pseudoscience ! S'écria-t-elle, furieuse. Vous savez ce qu'il se passe quand on rentre l'identité d'Anh Hao dans leurs programmes ?
0 signifiant l'insignifiance, 1 signifiant que chaque être cellule de la Terre avait été modifié directement ou indirectement par ce facteur, Anh Hao avait obtenu 0,68. Le meilleur résultat avait été jusqu'alors Alexandre le Grand. Mais c'était loin de me convaincre.
-Bien, dis-je un peu agacé, il a du tuer un papillon qui aurait commis un génocide.
-Qui vous dit qu'il ne l'a pas tué exprès ? Il a bien bâti une science historique, non ?
Je soupirais. Les héritiers avaient toujours eu d'étranges caprices. Mais la princesse que j'avais cru entrevoir se comportait comme une préadolescente. Elle m'avait utilisée dans son obsession, et j'avais marché dans sa folie sans comprendre une seule seconde ce qui la prenait.
-Dites-moi, Lâm : Qu'est-ce qui vous pousse à vous intéresser autant à lui ? Il est de votre famille ?
Elle fit non de la tête.
-J'ai beaucoup entendu parler de lui par ma grand-mère. Mais c'est important pour tout le monde.
Lâm hésita un moment, et dit dans un murmure, comme si elle craignait d'être entendue.
-Même maintenant.
Le repas se termina dans un silence terrible. Je me sentais malgré tout coupable d'avoir mis en doute ses impressions. Non pas que je pensais qu'elles soient vraies. Mais c'était mon premier dîner avec une femme de cette acabit, et j'avais tout gâché en brisant son rêve de petite fille.
Je me décida à payer le repas : il me coûta un demi-mois de salaire, je reçus un petit merci buté, et cela ne la fit guère sortir du silence. Ce ne fut qu'une fois que nous fûmes dehors, et que les cieux rouges de la ville coulaient silencieusement au-dessus de nous, qu'elle parla.
-Vous avez entendu parler des manifestations, hier ?
-Bien sur.
-C'est son œuvre. C'est Anh Hao qui est derrière tout ça.
Je n'osa pas la regarder : à ce moment précis, je commença à sérieusement envisager la folie pure. Mais elle me prit par le bras et se plaça droit devant moi.
-Ecoutez, vous ne me croyez pas, et vous me décevez à chaque phrase. Mais vous êtes la seule personne que je connais qui ait une chance de comprendre de quoi je parle. Je crois qu'il y a une raison historique à notre rencontre. Vous comprenez ? Une logique qui nous dépasse. Vous êtes ma seule chance de me faire comprendre.
C'était à la fois très romantique et complètement toqué. Je ne souhaitais plus qu'une chose, désormais, c'était partir et tout oublier.
-J'ai décidé de vous faire confiance. Je ne voulais pas vous le dire avant d'être sur, mais je n'ai pas le choix. Dans la semaine, vous aurez un colis qui expliquera tout, et vous reviendrez, si vous avez compris.
-Si je comprends quoi ?
-Ce qui nous attache à lui.
Elle me planta là, et, effrayé, je regardais son ombre disparaître dans les rues lumineuses, vers les fumées rouges de la révolution naissante.
J'avais fait mes recherches. J'avais trouvé tout ce que je cherchais. Ma tâche était terminée. Je rentrais à mes recherches, et recommençait courageusement à tourner en rond à propos des items culturels des années 1960.
Il me fallut un bon mois pour recontacter Lâm. Je ne sais pas trop pourquoi. Je me disais qu'elle avait pu se moquer de moi. Et qu'elle le ferait sans aucun doute, maintenant que je l'avais décu.
L'appel sonna longtemps. Je lui dis que j'avais fait « quelques recherches » (j'y avais passé cinq mois) sur Anh Hao, et que si cela l'intéressait toujours, on pouvait se voir. Elle accueillit la nouvelle avec joie, et me proposa d'aller dans un restaurant du centre-ville pour en parler, le dimanche soir. En raccrochant l'hologramme, je réalisa soudain que j'avais eu une autre peur, plus profonde et moins avouable: qu'elle ait oublié jusqu'à mon existence.
Je passa les trois jours qui nous séparait de ce moment penchés sur les innombrables feuillets qui retraçait l'histoire de Anh Hao. Je pensais sérieusement à les falsifier. Le faire intervenir dans je ne sais quel événement majeur, lui prêter des illustres amitiés, une petite pierre que cet imbécile aurait pu poser dans l'histoire. Mais peu importe comment je prenais les choses, le fossile Anh Hao était toujours là. Les dragons qui semblaient s'être éveillé dans son jeu complexe au go s'étaient éteint pour toujours quand il avait quitté la Chine. Une résurrection le temps d'une élection, d'une manifestation ou d'une crise internationale semblait impossible à imaginer : mon héros avait sombré dans le coma en 1937, mort en 1952.
Yen avait été sa dernière déception : elle rentra en Chine, épousa un ouvrier tout droit sorti des affiches de propagande et eut deux enfants. Je ne sais comment elle réussit à passer, avec ses origines, à travers la Révolution Culturelle, mais elle survécut, et sa foi dans le communisme ne cessa jamais. Elle mourut en 2008.
Nulle part, dans sa correspondance, dans les témoignages, dans ce fatras de documents qui est censé, pour un historien, résumer la vie d'un individu, on retrouve quelque par l'ombre des feux d'Anh Hao. Il y avait une lumière, pourtant. Une sorte de Soleil intérieur, complètement différent des parties de go, moins féroce, mais toujours aussi brillant. Je pouvais le sentir de la façon dont elle traçait ses signes, dont elle signait ses lettres. Cela devait être une très, très belle femme, et chacun de ses gestes devait être une danse.
C'est en repensant à ce mystère que je me suis dirigé vers ce restaurant, dans le centre-ville. On était au printemps 2078, et, comme vous le savez, c'était le début de la révolte des ouvriers de Périphérie Centrale. L'ambiance était électrique : au loin, on pouvait entendre les sirènes et apercevoir les fumées. Même à l'intérieur du grand restaurant, bardé de lumières, de caméra et de luxe, les élites se collaient au vitre, à la recherche d'une fin du monde.
Lam n'avait guère envie de parler de fin du monde. Alors que je me remettais à peine des prix affichés sur la carte, elle lança brutalement la conversation.
-Alors, qu'avez-vous découvert ?
J'ai tenté de noyer le poisson. En bredouillant, j'ai expliqué qu'effectivement, Anh Hao avait été important, car il représentait à lui tout seul la crise de la modernisation en Chine. Bien qu'étant un illustre inconnu, il avait sans doute représenté dans le cœur de beaucoup les troubles incroyables, vraiment qui...
Elle m'interrompit. Quelque chose avait changé depuis notre dernière conversation, maintenant j'en étais certain. Il y avait une sorte de violence dans sa voix que je n'avais pas sentie autrefois.
J'ai voulu expliquer son rôle dans l'éducation, les quelques liens qu'avaient ses élèves avec les grands de ce monde. Pendant tous ce temps, ses yeux noirs me fixaient, et un vague sourire naissait sur le coin de ses lèvres. Ce genre de sourire n'avait jamais été pour moi, et je baissais les yeux, timide, comme un condamné qui attend la sentence.
Je continua pendant presque une demi-heure, à moitié conscient de ce que je disais, revenant dès qu'il était possible à la période d'avant son exil de 1937. Alors que je jetais un vague coup d’œil pour vérifier qu'elle écoutait toujours, je sentis son sourire s'élargir et un rire délicieux s'échapper de ses lèvres.
-Je... qu'est-ce qu'il y a ?
-Anh Hao a pris sa retraite en 1984, pas en 1985. Vous avez dit 1985.
Le serveur nous apporta les plats. Je le vis à peine : je voyais des barreaux se refermer sur moi.
-Anh Hao avait soixante-deux ans en 1984, il ne pouvait...
-Il a demandé une rallonge. Sa fortune baissait considérablement à cette époque. Plus de quatre-vingt pour cent de son héritage fut dilapidé de 1973 à 1981. Il n'y a aucune trace dans les données bancaires de l'époque, mais d'après les témoignages de ses voisins, il partait souvent vendre les titres qu'il avait mis sous des faux noms. On a pas pu tout retracer, même maintenant, mais avec un échantillon, on a pu parvenir à estimer la perte.
Elle me souriait toujours en disant cela. Je pris une longue gorgée de vin, une grande inspiration, et je posa enfin la question qui me brulait les lèvres.
-Je... Je ne suis pas le premier à qui vous demandez des informations sur ce type, non ?
Je n'aurais pas pu la blesser autrement. Elle me foudroya du regard, et je m'embrouillais. Pourquoi je croyais ça ? Parce que elle était déjà bien informée pour une fille qui n'avait pas fait d'études. Parce qu'Anh Hao était sans intérêt et que personne ne se fatiguerait à passer du temps à faire des recherches sur lui.
Ma véritable réponse, c'est que je ne pouvais pas avoir eu seul sa confiance.
-Dites-moi, je... je vais paraître ridicule, ai-je commencé pour changer de sujet. Depuis que je parle, qu'est-ce que je vous ai appris ?
-Rien. Mais j'imagine que vous m'avez passé les détails.
Je n'osa lui demander d'autres explications, et je resta sur ma chaise, à la détailler silencieusement.
-Vous me prenez pour une folle, n'est-ce pas ?
Elle soupira, et se laissa tomber sur sa chaise.
-Je savais que vous ne me croiriez pas.
Une nouvelle fois, elle me surprit. Elle semblait désarmée, comme tombée de son nuage. Une grande pluie se levait derrière les grandes vitres du restaurant.
-C'est si important pour vous ? Bien sur, Anh Hao est intéressant, mais c'est de la micro-histoire.
-Ce n'est pas de la micro-histoire. C'est de l'histoire pure, la grande. Et même celle de maintenant.
J'étais timide, minable, perdu comme un insecte au milieu de ce restaurant prestigieux, mais il me restait tout de même un orgueil, celui du scientifique, et elle l'avait réveillé. Je lui répondis le plus sèchement que je pouvais que non, d'après mes si misérables recherches, il n'avait rien été.
-Il ne voulait pas se faire remarquer. Vous connaissez l'histoire causale ?
J'ai un doctorat. Bien sur que je connaissais l'histoire causale. Il s'agissait d'un courant née dans les années 50 par des jeunes historiens en manque de reconnaissance et d'un collège de physiciens et d'informaticiens. Alors qu'on annonçait (déjà) le début de la singularité, ils ont tenté d'inclure dans des programmes des simulations historiques de plus en plus complexes, basées sur la totalité des événements et des documents archivés alors. Créez une situation à un point A, et lancez la machine : si le point B correspond plus ou moins à la réalité historique, vous avez gagné. Il suffit alors de soustraire certains éléments pour pouvoir estimer, en chiffre, l'importance quantitative d'un facteur.
J'ai fini par lui dire que l'histoire causale avait été rejeté par toutes les académies à peine cinq ans après sa création. Avec la magie de l'effet papillon, il était facile d'estimer comme infinie la vie de n'importe quel dirigeant. Oui, si De Gaulle avait été remplacé par Leopold II, l'Algérie aurait eu une indépendance plus compliquée (et une population beaucoup plus restreinte à la fin de la guerre). Difficile d'en conclure quoi que ce soit d'autre.
-Ce n'est pas une pseudoscience ! S'écria-t-elle, furieuse. Vous savez ce qu'il se passe quand on rentre l'identité d'Anh Hao dans leurs programmes ?
0 signifiant l'insignifiance, 1 signifiant que chaque être cellule de la Terre avait été modifié directement ou indirectement par ce facteur, Anh Hao avait obtenu 0,68. Le meilleur résultat avait été jusqu'alors Alexandre le Grand. Mais c'était loin de me convaincre.
-Bien, dis-je un peu agacé, il a du tuer un papillon qui aurait commis un génocide.
-Qui vous dit qu'il ne l'a pas tué exprès ? Il a bien bâti une science historique, non ?
Je soupirais. Les héritiers avaient toujours eu d'étranges caprices. Mais la princesse que j'avais cru entrevoir se comportait comme une préadolescente. Elle m'avait utilisée dans son obsession, et j'avais marché dans sa folie sans comprendre une seule seconde ce qui la prenait.
-Dites-moi, Lâm : Qu'est-ce qui vous pousse à vous intéresser autant à lui ? Il est de votre famille ?
Elle fit non de la tête.
-J'ai beaucoup entendu parler de lui par ma grand-mère. Mais c'est important pour tout le monde.
Lâm hésita un moment, et dit dans un murmure, comme si elle craignait d'être entendue.
-Même maintenant.
Le repas se termina dans un silence terrible. Je me sentais malgré tout coupable d'avoir mis en doute ses impressions. Non pas que je pensais qu'elles soient vraies. Mais c'était mon premier dîner avec une femme de cette acabit, et j'avais tout gâché en brisant son rêve de petite fille.
Je me décida à payer le repas : il me coûta un demi-mois de salaire, je reçus un petit merci buté, et cela ne la fit guère sortir du silence. Ce ne fut qu'une fois que nous fûmes dehors, et que les cieux rouges de la ville coulaient silencieusement au-dessus de nous, qu'elle parla.
-Vous avez entendu parler des manifestations, hier ?
-Bien sur.
-C'est son œuvre. C'est Anh Hao qui est derrière tout ça.
Je n'osa pas la regarder : à ce moment précis, je commença à sérieusement envisager la folie pure. Mais elle me prit par le bras et se plaça droit devant moi.
-Ecoutez, vous ne me croyez pas, et vous me décevez à chaque phrase. Mais vous êtes la seule personne que je connais qui ait une chance de comprendre de quoi je parle. Je crois qu'il y a une raison historique à notre rencontre. Vous comprenez ? Une logique qui nous dépasse. Vous êtes ma seule chance de me faire comprendre.
C'était à la fois très romantique et complètement toqué. Je ne souhaitais plus qu'une chose, désormais, c'était partir et tout oublier.
-J'ai décidé de vous faire confiance. Je ne voulais pas vous le dire avant d'être sur, mais je n'ai pas le choix. Dans la semaine, vous aurez un colis qui expliquera tout, et vous reviendrez, si vous avez compris.
-Si je comprends quoi ?
-Ce qui nous attache à lui.
Elle me planta là, et, effrayé, je regardais son ombre disparaître dans les rues lumineuses, vers les fumées rouges de la révolution naissante.
Commentaires
- VonDaklage
03/11/2012 à 17:26:04
Euh, l'histoire est assez bizarre, mais j'ai lu jusqu'au bout, j'sais pas trop quoi dire. C'est bien écrit toussa toussa, mais si ce chap est le dernier, te vexe pas , mais c'est nul