Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Structure lacunaire


Par : Jean_Qule
Genre : Sentimental
Statut : Abandonnée



Chapitre 11


Publié le 01/04/2011 à 21:15:44 par Jean_Qule

Je suis sorti.

C'est rare que je vienne de mon plein gré dehors, surtout par un temps pourri. Mais je n'ai pas le choix, je me sens trop à l'étroit dans cette chambre de bonne, sous les toits. Depuis ce matin, je ne tiens pas en place, je fais les cent pas. Je me sens perdu, embourbé dans une situation qui m'échappe complétement.
Je n'ai rien dit à Sam concernant le départ d'Adelle, je n'ai pas envie qu'il me brusque et me fasse perdre encore plus mes moyens.
Malgré tout, je n'arrive pas à réagir. N'importe quel amoureux digne de ce nom irait rejoindre sa dulcinée pour au moins lui faire ses adieux. Mais moi, je reste statique, la passion a beau être là, elle ne m'anime pas. Si je n'arrive pas à la voir avant qu'elle ne parte, je mériterai définitivement mon étiquette de looser.
Charlie Brown des Peanuts était lui-aussi un éternel perdant dépressif, mais lui au moins osait, et s'obstinait. Se savoir plus nul encore que Charlie, c'est navrant. Mais ça ne me fait pas plus réagir que ça.
Assis sur un banc, je scrute le ciel gris, à l'affut de la moindre goutte de pluie. Ce temps lourd a fait fuir les jeunes tourtereaux qui passent habituellement leurs temps à s'échanger des baisers sur la pelouse d'à côté. Tant mieux, ça m'évitera de grands moments de solitude, cette solitude que même les plus asociaux ne supportent pas.
Je suis tellement agité que je n'attends pas la première goutte pour partir. J'ai besoin de me défouler. Les pas que j'effectue me paraissent trop lents. L'envie se précise à la vue d'un vieux joggeur au loin traverser la route. Je ne résiste pas: je cours.
Je n'ai pas de destination précise. Je veux juste courir, jusqu'à mettre sur la touche mes poumons et mes jambes. L'averse commence. La pluie se fait de plus en plus forte, et me fouette le visage. J'enjambe les débuts de flaques, évite les rares passants, esquive les vagues provoquées par les voitures. J'effraie au passage quelques automobilistes en déboulant sur la route sans attendre l'accord des feux tricolores. C'est comme si j'évacuais toute l'énergie emmagasinée depuis ma déchéance, une explosion. Je continue sans fléchir à faire le tour des remparts, plusieurs fois de suites. De Charlie Brown, je passe à Forrest Gump.

Quelques tours plus tard, je sens mes forces diminuer, d'un coup. Mes jambes ne me soutiennent plus: je trébuche sur le sol, un parterre de gallets. La tempête est passée. Ma chute a provoqué l'hilarité chez un groupe de jeunes posté à un arrêt de bus. Quelle honte. Je me relève rapidement et continue mon chemin vers je ne sais où.

Maintenant, je n'ai qu'une envie: me poser. Je m'apprête finalement à rejoindre mon immeuble, quand soudain, en arpentant des ruelles peu fréquentées, je tombe sur la maison de Julien.
Je repense alors à la discussion que j'ai eue avec Bianca, notamment sa question étrange. Je reste planté là, sur le pas de la porte, à hésiter entre sonner ou partir.
C'est avec une certaine excitation mêlée à une pointe d'appréhension que j'appuie sur la sonnette.
J'attends une bonne minute pour finalement voir Julien, le visage constellé de bleus et un pansement sur le front.

"-... Tu viens finir le boulot, c'est ça?
-Mouais, mais sans en venir aux mains si possible.

Après une brève poignée de main, il ferme la porte derrière-moi et me tire jusqu'à la cuisine.
Nous nous asseyons chacun sur une chaise, le face-à-face peut commencer.

-4 points de suture, me dit-il en désignant son pansement. Tu m'as pas raté!
-... Ah oui, effectivement...
-Bon, j'pense que t'es surtout venu pour parler de Rozetto, j'me trompe?
-T'as tout bon.

Il marque un temps de silence, un silence pesant. Après avoir laché un énorme soupir, il reprend:

-...Pourquoi tu m'as rien dit?...
-Parce que... Tu ne l'apprécie pas...
-Mais putain, chuis ton pote, j'ai le droit de savoir, bordel! Je me fiche des affinités que je peux avoir avec ta copine, du moment que t'es bien avec!... Et qu'elle me fasse pas trop chier, aussi.
-T'arrêtes pas de balancer des vacheries sur elle! T'étonnes pas si je viens pas me confier après!
-Tu sais quoi? Si tu tenais vraiment à elle, t'aurais pas attendu cette soirée pour me latter la gueule.

J'ai rien à ajouter, il a raison sur toute la ligne.

S'il y a bien un truc que je m'abstiens de faire, c'est défendre mes opinions. Pendant 15 ans, j'ai laissé Julien se foutre d'Adelle. À aucun moment je n'ai manifesté une quelconque révolte.

... C'est pas ça, aimer.

-Ah oui, j'ai appris qu'Adelle partait pour le Japon, et apparemment c'est définitif.
-... Oui.
-... Et tu comptes faire quoi? Attendre que ça passe?
-... Je veux la revoir, c'est clair... Mais...
-Tu l'aimes ou pas, cette fille?
-Oui! Evidemment!...
-Eh ben alors?
-... Je voudrais tellement rattraper le temps perdu... Mais...
-Rooh, puis merde. Ça sert à rien que j'essaie de t'aider, tu veux aller droit le mur. Libre à toi, et viens pas te plaindre quand tu regretteras ton choix.

Le silence se réinstalla. Je ne souhaite pas insister à ce sujet, pas envie de me sentir encore moins digne qu'avant. Voilà pourquoi il faut jamais se confier à lui, il rabaisse plus qu'il n'encourage. Ça me donne tout, sauf envie d'avancer.

Après plusieurs minutes de vide, je me décide à parler de mon autre préoccupation du moment.

-... Toi et Bianca... Ça va?
-Hmm? Euh, ouais, plus ou moins. Pourquoi?
-Je sais pas... J'ai l'impression qu'elle agît bizarrement avec moi.
-... C'est à dire?
-... Elle m'a posée une drôle de question cette nuit... Elle voulait savoir qui était la fille que je convoitais à l'époque... Où elle était amoureuse de moi.
-... Ouais... Et?
-Sam, et moi dans une moindre mesure, pensons que Bianca n'a peut-être, je dis bien peut-être, pas fait une croix sur moi. C'est qu'une supposition, hein.
-... Ok."

Nouveau silence.
Silence de trop. Je me lève de ma chaise, serre mollement la main de Julien et sors.

Je sais pas trop comment Julien a réagi. Il avait l'air complétement indifférent. C'est vrai quoi, pourquoi s'inquiéter d'une hypothèse faite par deux paranos?

N'empêche que le silence qui suivit n'avait rien surement d'anodin.
Était-ce finalement une bonne chose de lui en parler?


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