Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

[Confédération][3] Semper et Ubique


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 18


Publié le 09/11/2013 à 10:34:57 par Gregor

La porte s'ouvrir brusquement, d'un coup de pied net et précis. Guillhem embrassa la scène d'un regard circulaire, notant et détaillant tout. Les deux femmes et les deux hommes qu'il avait identifiés se tenaient assis dans de confortables fauteuils déployés autour d'une table en verre et en acier, où des rafraîchissements avaient été disposés. Un projecteur holo veillait sur la scène, sentinelle aux lumières mystérieuses qui dansaient dans l'air du salon. Derrière les fauteuils, divers meubles de bois et quelques œuvres d'arts accrochées aux murs. Derrière de longues baies vitrées, une terrasse en bois suspendait la demeure au dessus du vide, dominant Port-Kristian et la nature environnante.

Le groupe semblait avoir été surpris en pleine discussion, des crayons traînaient, désordonnés, sur une liasse de feuilles en papiers sur lesquelles étaient griffonnés quelques notes et schémas incompréhensibles pour Guillhem. Il renonça à éclaircir ce qu'elles pouvaient impliquer. Pour lui, seul le visage tiraillé de surprise et de colère de la dissidente Miki O'Hara faisait sens avec cette réalité tangible. Le calme du lieu tranchait avec la mort, la mort qui régnait dehors et qui faucherait la ville avant la nuit, tandis qu'ici, on s'apprêtait à concevoir quelques grands projets sans lendemain. La rébellion avait quitté son habit d'amateurisme. Ce qui s'offrait à l'adjudant loyaliste, c'était la preuve par l'image des compétences et de la volonté farouche mais policée de lutter contre son camp. Le souvenir d'une nausée traversa sa gorge, il s'avança, fixa la future captive.

Elle ne le lâchait pas du regard. Trop surprise pour réagir, elle restait là, la bouche ouverte, assise dans ce fauteuil immaculé couvert d'un tissu délicatement brodé, imitation élégante d'un original français datant du dix-huitième siècle, dont la valeur devait être astronomique. Elle se tenait pourtant dedans avec une négligence certaine, les jambes croisés, le dos avachis, alanguie peut-être d'avoir trop discuté, trop pensé et trop imaginé de scénarios sordides pour les causes qu'elle jugeait bon de défendre. Mais elle ne parlait pas. Elle ne faisait pas cette offense à Guillhem. « Elle pourrait avoir mon âge », nota-t-il. «  Elle pourrait avoir mon âge et être dans une situation sociale identique. Pourquoi ? ».

Randir, d'un pas lourd s'approcha d'eux. Sa radio crachota, brisant le silence de cette rencontre. A son tour, il observa. Il pouvait voir son frère d'arme figé face à quatre individus assis, leurs têtes tournées vers lui, dans une attente curieuse, ou la tension ne faisait qu'empirer. Une tension qu'il trouvait presque belle dans les traits de la femme. Son apparence juvénile devait la rendre désirable pour un mâle humain. Randir remarqua le regard étrange que portait Guillhem à la dissidente, un mélange d'envie et de répugnance qui l'intriguait.

- A qui avons-nous à faire ? Questionna Miki.
- Adjudant Randir, adjudant de Choire. Confrérie des Externes.

Le ton de Guillhem ne laissa pas le moindre doute à la femme. Elle sourit, troublée et amusée. D'un mouvement sec, elle se leva.

- Alors on m'aura retrouvé finalement ?
- Il semblerait.
- Mon petit jeu prendrait-il fin ? M'accuse-t-on de quelque chose, adjudant de Choire ? D'ailleurs, tant que j'y pense, vous saluerez messire Alfred de Choire et lui transmettrez mes amitiés.
- Vous connaissez mon père ? Questionna-t-il en retenant un tremblement.
- Aussi bien que la politesse me le permet, adjudant. Je suis sûr qu'il doit être très fier d'avoir un fils aussi dévoué que vous.

Elle restait droite. Aussi solide qu'un arbre dans la tempête, grinçant et gesticulant dans le vent tout en se courbant pour mieux supporter le grain et la tourmente. « Elle cache avec trop de confiance son jeu », nota-t-il. Avec un certain vertige, Guillhem constatait qu'il n'avait aucun angle d'attaque viable. Miki O'Hara n'était pas une femme ordinaire. Il trancha dans le vif, choisissant la seule approche qui soudain s'imposa à son esprit et fonça, tête baissé, dans cette stratégie.

- Vous êtes recherchée pour haute-trahison contre le Dieu-Machine et la Confédération, énonça Guillhem, conscient que ces mots glisseraient sur elle comme une pluie d'été.
- Rien que ça ?
- Vous êtes accusée du meurtre de plusieurs dignitaires représentant l'autorité de la Confédération sur Barnard Prime, ainsi que de la destruction de lieu publique et d'exactions commises à l’encontre des armées régulières de la Confédération.

Elle se laissa partir à rire. Un rire franc, cristallin, qui rebondit sur les murs de la pièce, tandis que Guillhem ne bougeait pas d'un cil, le visage grave, tendu.

- Prouvez-le, répliqua Miki.
- Je n'ai pas besoin de preuves pour vous inculper. La loi mécaniste m'autorise à vous arrêter sans justifications concrètes.

Un geste passa dans l'assemblé. L'un des hommes qui discutait avec Miki fouilla dans sa poche, et Guillhem devina le canon d'une arme braqué sur lui. En guise de réponse, il déploya le fusil qui se logeait dans son épaule droite. Il envoya une bordée de fléchette à son attention, tout en arrosant les deux autres intervenants. L'instant d'après, le groupe s'effondrait au sol.

- Vous devriez reconsidérer votre attitude, madame O'Hara, reprit Guillhem. Les motifs qui justifient votre avis de recherche n'ont rien de volage, ni de risible. Pour être honnête, j'aurais même pu vous abattre sans vous informer de quoi que ce soit . J'en aurais tiré un honneur et une gloire certaine.
- Pourtant, vous ne l'avez pas fait, nota Miki. Et j'imagine que vous me traitez avec un tant soit peu d'égard parce que je suis une femme, n'est-ce pas ? Charmante attention.

Il ne trouva rien à répondre. Une flamme passa dans le regard de la femme, tandis que le coin droit de sa bouche se relevait en un rictus étrange.

- J'avais prévu la possibilité d'une arrestation. J'ai donc pris certaine … précaution pour que celle-ci ne vous soit pas trop facile.
- Vous parlez du minage de l'astroport ? Je sais que vous avez les commandes près de vous. Si je tentais quoique ce soit, je suis absolument certain que vous ferriez sauter l'endroit.

Elle s'empourpra.

- Comment l'avez-vous sû ?
- C'est mon petit secret à moi, madame O'Hara. Disons que, je lis en vous très facilement.
- Vous bluffez, adjudant. Depuis le début, vous n'avez aucune preuve. Seulement l'avis de recherche qui traîne sur la planète et les ordres de vos supérieurs.
- Et donc ? Ceci devrait me convaincre de rebrousser chemin ?
- Il aurait fallu me tuer quand vous en aviez l'occasion, adjudant de Choire.

Vive et électrique, elle bondit vers un meuble ouvragé où trônait une série de commande tactile. Elle appuya sur l'une d'entre elle sans que Guillhem ne bouge le petit doigt. Tremblante, elle le fixait. Elle avait échoué.

- Croyez-bien que j'ai relayé les informations, expliqua Guillhem. Du moment où j'ai compris que vous aviez prévu de faire de l'astroport un joli feu de joie, des systèmes de brouillages ont été posé. Vous pouvez remerciez les cybernautes présent avec nous de vous éviter quelques ennuis supplémentaires.
- Ordure …
- Drôle d'expression dans votre bouche, madame O'Hara. Je m'attendais à plus de retenue.

Elle secoua la tête.

- Vous commettez une grave erreur. Je plains votre conscience...
- Plaigniez plutôt vos hommes. Ce sont eux qui ont fait de moi un parfait produit de la loi Mécanique. Et ne croyez pas que je serai magnanime face à cela. J'ai une dette envers eux, et je pense que vous allez m'aider à mettre la main sur les imbéciles qui ont crû bon de me capturer.
- Je suis curieuse d'apprendre de quelle façon, répliqua-t-elle avec un sourire cynique.
- Il est inutile que je m'abaisse à vous expliquer ce que vous aller voir. J'ignore si cela vous ferra mal. J'espère que cela serra le cas.

D'un geste précis, il lui saisit les poignets. Elle sursauta, chercha à se débattre, et Randir se porta à son secours.

- Immobilisez là, s'il vous plaît, adjudant.

Le Naneyë s'en chargea, un sourire malsain sur les lèvres.

- Madame O'Hara, considérez-vous chanceuse que mon père m'ait inculqué quelques principes de bienséances. S'il n'y avait que moi, je m'occuperai de votre cas d'une façon bien moins … diplomatique.

Ses yeux se contractèrent, il y vit une haine profonde, mais cette haine ne l'impressionnait plus. Il la tenait. Il allait enfin savoir où ses bourreaux s'étaient cachés.

- Randir, prêt ?

Il hocha la tête. Un sourire pervers anima le visage de Guillhem. Il força son esprit à dépasser la frontière de son corps, et percuta avec force celui de l'hérétique. Il tomba dans une soupe poisseuse plus malodorante qu'un charnier. Il crut perdre pied, jusqu'à ce que la surface de ses bottes rencontre un rocher aiguisé, et qu'il ne parvienne à s'y tenir quelques instants. Un maelström d'images l'assaillit sans qu'il ne se sente en danger. L'âme pourrie de cette femme l'accueillait sans douceur, sans aménité. « Un juste retour des choses ». Il savait qu'elle ne se laisserait pas faire. Si elle avait réussi à tenir son rôle dans ce monde d'homme, ce n'était pas un jeune freluquet, aussi impressionnant soit-il, qui allait la faire cracher le morceau.


Les eaux putrides se déversèrent dans une mer de souvenir. Les confettis d'un passé doré et d'une jeunesse lointaine flottait sous le soleil d'un présent lointain, terni par les nuages noirs de la présence de Guillhem. Miki O'Hara descendait d'une riche famille assermenté à la Confédération, son père travaillait pour plusieurs bureaux centraux et jouissait de privilèges conséquents. Dans les atolls perdus de son passé, elle se perdait en fête somptueuse, en débauche de luxe tapageur et d'insouciance réservée à une jeunesse dorée, perdue entre étude et liberté, entre devoir et désir, contradictoires. Elle avait jouit de l'influence de son père pour bénéficier de confortable revenu en échange de quelques interventions en faveurs de la Confédération, ainsi que d'un emploi fictif. Les femmes, vingt ans auparavant, ne pouvaient pas prétendre à remplir la moindre fonction dans les institutions de la Confédération. La misogynie ambiante s'était fendue quelques années plus tard, mais Miki avait déjà choisi que cette soumission ne lui irait guère. Quittant la Terre, elle avait prit pied sur Prime, riche d'un confortable héritage et de la volonté forte de fonder une compagnie d’exploitation minière en marge du conglomérat d'état. Une réussite relative lui avait souri, jusqu'au changement de gouverneur qui l'avait dépossédé de ses biens. L'homme, un vieillard réactionnaire affilié aux penchants les plus brutaux de la Confédération, lui avait tout prit. Excédée, elle avait alors usée de son influence pour fomenter un soulèvement, renversant le système quelques mois auparavant. Elle savait qu'elle jouait sa vie sur une simple insoumission, et qu'être reprise lui coûterait plus que sa liberté. Et cette rébellion avait fini par lui échapper à nouveau. Les plus libertaires de ses lieutenants avaient décidé de pousser plus loin la révolte. Elle avait perdue.
Cette réunion devait solder son départ. Garantie d'être couverte et dissimulée, elle aurait pu se retirer dans une arrière base discrète, à l'abri de toute agitation. Elle aurait pu se faire à cette vie de silence, elle s'apprêtait même à signer. Mais Guillhem était arrivé. Il avait sapé tous ses espoirs de vivre. Elle ne pouvait même pas espérer une mort convenable. Elle ne pourrait plus en décider.

Sa situation le toucha, un peu. Elle n'aurait pas été femme qu'une grande carrière se serait ouverte à elle. La justice du Culte semblait bien précaire dans une telle situation. Avait-il raison de la poursuivre, animal blessé, alors qu'ils étaient si semblables. Il se rappela pourquoi il était venu. Il revit ses bourreaux. Et les derniers soupçons de culpabilité qui agitait son esprit s'envolèrent.

Trois d'entre eux résidaient à Port-Kristian, le dernier avait été tué peu après son arrivée en ville. Des bagnards envoyés sur Prime, qui avaient échappé à la Conversion réservée aux repris de justice. De stupides hérétiques, bien loin de la distinction et de l'intelligence de Miki O'Hara. Des combattants fiers d'avoir massacré un aristocrate. Un exploit dont il se savait la victime. Miki désapprouvait aussi cette méthode, mais elle n'avait pas pû leur tenir tête.
Il sentit comme un soulagement en elle. Il remonta vers la surface, laissant les souvenirs là où ils étaient.


- C'était ça que vous cherchiez, murmura-t-elle. Si seulement...

Elle ne finit pas sa phrase. La voix lourde de Flinn emplit la maison. Miki et Guillhem échangèrent un dernier regard, avant qu'il ne la remette sur ses jambes.

- Bon travail, messieurs, commenta Flinn, en arrivant à leur hauteur.
- Nous n'avons fait que notre devoir, répondirent-ils en écho.
- Nous allons prendre le relais. Restez ici, nous vous donnerons les instructions pour l'extraction.

Il attrapa la prisonnière par l'épaule, et la conduisit sans ménagement vers le hall d'entrée. Randir suivit son chef, laissant seul Guillhem.
Il pouvait se venger. Ses bourreaux se tenaient à quelques kilomètres à peine. Mais, conscient de ce qu'il avait vu et de la situation politique dans lesquels les mettait l'amiral Trent, il comprit avec amertume que le mirage offert par son commandant ne serait jamais qu'un vain songe de vengeance. Il regarda une dernière fois vers la ville. Des panaches de fumées s'en élevaient. Elle brûlait. Elle brûlait, tout comme brûlait une partie de sa confiance.


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