Quand Viendra l'An Mille après l'An Mille (Vae Victis)
Par : Conan
Genre : Action, Réaliste
Statut : C'est compliqué
Chapitre 13
Publié le 10/01/2014 à 00:44:23 par Conan
Il peut maintenant contempler l'objet du bout des doigts, avec le peu d'autre sensation qu'il lui reste hormis la douleur. Il ne voit pas grand chose, la nuit est sombre, la lune est cachée par la fumée, mais quelques étoiles brillent tout de même là-haut, l'aidant à discerner la relique qu'il tient religieusement entre ses mains blessées. Un relique ovale, ondulée, boursouflée même. Des routes sinueuses et des chemins escarpés courent dessus. Il continue d'y faire glisser ses phalanges, lentement, voulant dévoiler tous les secrets que le mystérieux objet veut lui masquer. Puis, la lune réparait, soudainement, comme pour le prendre par la main et l'assister dans sa Croisade et, tandis qu'il contemple l'objet en le caressant, son sang ne fait qu'un tour. Ses yeux s'ouvrent en grand, il est pris d'une convulsion, d'un cri de répulsion, et s'éjecte en arrière, pris d'une indescriptible horreur et d'un dégoût absolu. Là, elle trône, au milieu de ce monticule de terre et de sang, les cheveux hérissés, une touffe manquante, les yeux vitreux et dégoulinants hors des orbites, le nez arraché par l'explosion. La grosse tête grise et gelée du cadavre de Pivoli fixe un Paul roulé en boule, vomissant et implorant son aide à un Dieu qui a cessé de croire en lui.
Paul se réveille en sursaut. Mastiquant pour rendre sa bouche moins pâteuse, il regarde autours de lui, encore choqué par son cauchemar. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas revu le visage de Pivoli entre ses mains, et le souvenir désagréable de cette époque lui revient une nouvelle fois en pleine gueule. Il se rend alors compte qu'il grelotte de froid, et que ses vêtements sont tout aussi trempés que l'intérieur du camion dans lequel il est assis. La nuit est tombée. Et avec elle, la pluie. La cinglante, la bruyante, celle qui traverse les vêtements et les chairs pour venir glacer les os, raidir les corps, vieillir l'âme. Les hommes en fond de caisse dorment paisiblement. L'humidité sur leurs visages de les gène nullement, pas plus que l'engourdissement de leurs membres, car ce soir, l'espace de quelques heures seulement, ils sont en paix.
Ce n'est pas la même affaire pour Paul. Assis au bout du banc métallique, il tente de se protéger tant bien que mal de l'eau qui le fouette au visage. Il sort de son sac une vieille bâche imperméable verte qu'il glisse sur lui en guise de couverture. A coté de lui, Nolet grommelle dans son sommeil. Bernac le protège de l'eau qui ruisselle sur son épaule et étendant sa bâche jusqu'à lui.
Protégé aussi bien qu'on peut l'être dans un camion militaire percé et fonçant sous le Déluge au beau milieu des ténèbres, Paul extirpe son bras de la couverture dérisoire pour regarder sa montre. Les aiguilles affichent trois heures du matin. Combien de temps reste-t-il encore ? Se demande-t-il en levant la tête vers l'obscurité la plus totale.
Louis Berger regarde minutieusement la carte, aidé de la petite loupiote jaune fixée au dessus du pare-brises, tout en se demandant si les hommes arrivent à dormir avec ce bruit assourdissant et les ballottements du camion dont on penserait qu'il est sur le point de se renverser tant il peut tanguer à droite et à gauche.
-Vous avez fini avec vot'carte mon capitaine ? Demande l'adjudant Bougnac en grimaçant. Avec votre lumière j'y vois rien, et j'risque bien de m'planter avec c'te route à la con et cette putain de pluie de merde ! Continue-t-il, voyant que Berger a ignoré sa question.
Louis éteint la lampe et replie sa carte pour la ranger dans sa musette.
-Dites, vous êtes sûr de votre chemin ?
-Ah ça ! Aussi sûr qu'on peut l'être par un temps pareil et à cette heure-ci ! Mais vous en faites pas, la route pour Orléans, on peut pas la manquer, pis c'est pas comme si j'avais pas l'habitude, hein !
-Je vous fait confiance alors !
-Ben ouais, vous tracassez pas, piquez un petit roupillon, ça fait depuis qu'on est parti que vous avez les yeux grands ouverts !
-J'arriverai jamais à dormir avec ce moteur à la con.
-Ah ben ça, va falloir vous y habituer, dans les tranchées ça s'ra aut'chose.
Louis croise les bras, rentre la tête dans ses épaules, et tente de trouver une position confortable, si tant est que cela soit possible vu son siège.
-Ça, j'en fais mon affaire. Murmure-t-il avant de rentrer le nez dans le col de son manteau.
Commentaires
- Volillaz
10/01/2014 à 14:21:21
Ne crois pas que je me suis mis à la bourre ce matin pour "en faire trop"
- Droran
10/01/2014 à 09:49:06
Sois soft dans la suite, Vollilaz pourrait finir par se scarifier chaque fois qu'un personnage se blesse.
*s'en va rejouer la scène de la tranchée avec un peu de terre et un kiwi* - Conan
10/01/2014 à 09:24:03
N'en fais pas trop Voli
Non Droran, pas de facéties de ce genre dans mon texte - Volillaz
10/01/2014 à 07:21:58
Pourquoi? Pourquoi je me suis senti aussi désespéré que lui quand il était dans les tranchées et que tous les autres étaient morts? Pourquoi je me suis senti, combattant la douleur pour retrouver une lueur d'espoir? Pourquoi j'ai senti l'horreur de voir un visage mort et mutilé entre mes deux mains? Pourquoi j'ai eu ce mélange d'effroi et de soulagement quand je me suis réveillé?
Puisque tu écris extrêmement bien, Conan. - Droran
10/01/2014 à 05:41:28
Je suis soulagé, ça continue là où la première partie s'arrêtait. J'ai redouté une ellipse.