Note de la fic :
Publié le 12/01/2013 à 03:06:22 par Conan
Une chanson dance des années 80 résonne sur la place bétonnée. Coincée entre les lugubres blocs de béton. Sorte de centre commercial à ciel ouvert, avec la nuit pour seule enveloppe.
La pluie s'est arrêtée, et rien ne vient troubler les lumières qui rayonnent dans les flaques d'eau étendues sur le macadam. Rien, pas même un chat.
Seul être vivant du coin, j'erre, à trois heures du matin, tâché de sang, dans ce quartier interlope.
Je marche en direction de la musique. Sous un hall, au fond d'un couloir de ciment, deux types en noir, debout derrière des barrières, devant une double-porte blindée qui laisse filtrer les sons de synthé et de percussion.
Une boite merdique, dans un quartier merdique. Typiquement le coin où l'on serait tout sauf étonné de tomber sur un toxico crevé au fond d'une poubelle, le nez en sang, la bave aux lèvres et la seringue encore piquée dans le bras.
J'avance vers la boite. Personne ne fait la queue devant. Les deux videurs, un noir et un Arabe, me voient arriver. L'Arabe s'avance vers moi.
« Désolé, ça va pas être possible. »
Je sors ma carte tricolore en poussant le type sans ménagement.
J'entre dans la boite. Derrière la caisse, un nain me regarde.
-Vestiaire ?
Je fais non de la tête. J'ai l'impression d'être dans un rêve. Un rêve qui pue la came et la sueur, et dans lequel une bande de dépravés remue sur du disco. J'me dirige vers les chiottes pour me passer un coup de flotte sur le visage.
Une lumière verdâtre et blafarde assombrit la pièce carrelée et lui ajoute un peu de crasse, comme si y'en avait pas assez.
Un type se pique au dessus du lavabo. J'vois pas sa gueule à cause de ses cheveux qui tombent en cascade sur sa tronche. Alors j'attrape sa tignasse, et j'lui explose la gueule dans le bidet éclaboussé de centaines de gouttes de sang. J'ouvre le robinet et me rafraîchis la face. Je me redresse et fixe mon portrait dégagé par le reflet du miroir pété en face de moi, posé sur le mur et prêt à tomber.
Je sors des chiottes en laissant le type comater par terre. Pas grand monde sur le dancefloor. Parmi les dealers, les vieilles peaux, les pédés, les ordures et les macs, je reconnais Emma. Elle ressemble à une fleur qui aurait poussé sur du fumier, et qui même au milieu de la pire des crasses se fait remarquer par sa beauté. Je vais vers elle. La musique est super forte, mais j'crois qu'elle me parle, puis elle passe ses bras autours de mon cou et m'entraîne à danser. Je la prends par les épaules et dirige mon visage vers son oreille :
-Faut que j'te parle !
-Quoi ?
-Faut pas rester là ! On va sortir !
-J'peux pas ! Je bosse là !
-Pour qui ?
Elle me désigne un espèce de Gitan aux cheveux gominés, avachi dans une banquette, en train de lisser sa moustache noire, dans son costume marron pourri, avec une boutanche de champagne et des restes d'héroïne sur la table devant lui.
-Jimenez. Y'a une sortie de secours ici ?
-Oui ! Tu le connais ? Tu devrais aller lui parler !
-Vaut mieux pas qu'il me voie. On s'tire.
Emma me prend la main et m'emmène au fond de la boite, jusqu'à la porte blindée qui donne sur l'un des recoins du pâté de béton, dans une petite rue pourrie qui pue la pisse. Mes oreilles sifflent. La musique résonne encore dans ma tête.
-Qu'est-ce que tu me voulais, Red ?
-Pas ici. On va à ma bagnole, j'suis pas garé loin.
-Quoi ? C'est grave ?
-Assez, oui.
Je me tourne vers la sortie de la ruelle, mais voilà ce connard de Jimenez, sorti de nul part, et deux de ses potes. Un gros Gitan en survêt' et un petit Manouche avec une chemise par-dessus son marcel et un petit chapeau.
-Brenn, sale fils de pute, t'es pas gonflé d'te pointer là !
Emma commence à avancer vers lui.
-Écoute, je...
-Toi tu fermes ta gueule sale chienne! J'te file cinq-cent sacs, et toi tu te barres comme une pute avec ce gros con ! Qu'il gueule en la désignant du doigt.
Je ramène Emma vers moi.
-Laisse tomber Jimenez. C'est pas une histoire qui te concerne.
-A cause de toi j'ai pris trois ans de placard, Brenn ! Alors là, ce soir, on va régler ça. Comme des bonhommes.
-Arrête de te la jouer Scarface.
Il sort un couteau à cran d'arrêt.
-A la fin de la soirée, y'en a un qui finira avec la gueule balafrée... Mais bizarrement, j'parierais pas sur moi.
-Ok.
Je dégaine mon 357.
-Je répète, au cas où t'aurai pas compris : c'est pas tes putains d'histoires.
-Bravo poulet, t'as des couilles, c'est bien ! C'est bien !
Il commence à applaudir et à faire son cinéma en se tournant tour à tour vers Emma et moi et ses potes qui blêmissent un peu devant mon pétard. Le gros dit quelque chose à l'oreille de son patron et me regarde :
-Écoute gadjo. Tu veux défourailler ? Ok, nous, on a c'qu'il faut. Mais dis-toi qu'on est trois, et toi t'es seul. S'il faut qu'il y ait de la casse, y'aura de la casse. Dommage pour la fille.
Je me tourne vers Emma. Puis je regarde à nouveau Jimenez.
-Qu'est-ce que tu veux ?
-J'veux cinq-mille balles. Pour dédommagement.
-T'es complètement taré.
-Sinon j'peux te refaire la gueule et enculer la petite salope.
La petite prend mon bras : « Red. ».
Elle est terrorisée. Comme la nuit où je l'ai sortie des griffes de son souteneur. Cette nuit de merde, j'men souviens comme si c'était hier. Ya pas loin de dix piges maintenant. Elle avait à peine seize ans à l'époque. Et déjà un an qu'elle faisait le trottoir pour lui. Et moi, j'étais un jeune flic. Enfin jeune...
J'avais plus de trente ans. Et j'étais tombé sur elle, recroquevillée sur elle même un soir d'orage. Son mascara avait coulé sur ses joues. Les bras et les jambes recouverts de bleus. Planquée entre deux poubelles, grelottante, elle m'avait supplié de l'aider. Je savais pas d'où sortait cette gamine. Mais j'lui ai juré. J'lui ai juré de la sortir de là, et de la protéger.
Ce jour-là, comme tous les autres, son mac l'avait frappée. Mais cette fois, il avait eu la main plus lourde que d'habitude. Elle avait fui. Pas de famille, pas d'amis. Elle savait que s'il l'a retrouvait, il la tuerait sans état-d'âme, comme il l'avait déjà fait plusieurs fois, et qu'elle rejoindrait le triste panthéon de ces filles sans identité, dont tout le monde se fout, qui finissent au fond d' un fleuve, ou dans un trou.
Alors je suis allé le voir. Elle m'attendait au pied de l'immeuble, dans ma voiture. J'étais monté en tenue dans son tripot. Quand il a vu l'uniforme arriver, il s'est barré en courant, par une fenêtre du rez-de-chaussée.
Je l'ai poursuivi dans la nuit, sous la pluie. Jusqu'à cette impasse. Au pied du mur, traqué comme une bête, il avait sorti son couteau. C'était lui où moi.
J'ai pu le désarmer et le mettre à terre. Et alors, avec la lune pour seul témoin, je l'ai frappé. Et frappé. Et encore frappé. Il criait, il tentait de se débattre, il me suppliait. Ce sale petit proxénète de merde était à ma merci. Je me suis brisé toutes les phalanges sur son visage. Je ne voyais rien dans la pénombre. Mais je sentais. Je sentais sa chair se ramollir. Je sentais le sang couler sur mes poings parmi les gouttes de pluie froides. Je sentais ma peau qui s'arrachait sur chacune de ses dents. Jusqu'à ce que je ne sente plus rien. Jusqu’à ce que le froid et la douleur aient désinhibé mon cerveau. Jusqu'à ce qu'il cesse de bouger. J'avais frappé de toutes mes forces. De toute mon âme. De tout mon être. Alors j'ai arrêté de cogner. Mes mains étaient enflées. J'ai planqué son corps dans une poubelle, puis j'ai rejoint Emma dans ma voiture, et je lui ai juré qu'il ne lui ferait plus jamais de mal. Elle n'a jamais su ce que j'avais fait. Et elle ne me l'a jamais demandé. Jamais jusqu'à ce soir.
Jusqu'à ce que j'accepte le duel de Jimenez, dans cette ruelle crasseuse et sombre. Jusqu'à ce que son couteau ne déchire la manche de ma veste en cuir. Que je le mette au sol, et que mes poings lui enfoncent la tête dans le bitume. Que, pris de spasmes, il se mette à baver du sang et à en projeter partout autours de lui. Ses deux potes lui viennent en aide. Je sors mon flingue. La main tremblante, le doigt frétillant dangereusement la queue de détente.
Puis mon regard se tourne de l'autre coté de la ruelle, vers Emma. Elle me regarde, terrorisée, blanche. Elle a les dents qui claquent. Je la fixe avec mes yeux de fou. Mon visage éclaboussé de sang s’apaise alors. Je baisse la tête vers Jimenez qui me tend ses mains, comme pour me supplier.
Je me relève et libère son corps de ma grosse carcasse. Ses potes viennent à son secours. Je prends Emma avec moi, et on repart vers ma bagnole. Vers ma vieille Peugeot.
Commentaires
- Droran
12/01/2013 à 03:47:00
Bien sombre, on s'y croirait. Vivement la suite o/