Note de la fic :
Publié le 02/02/2013 à 13:49:20 par Conan
On est en patrouille avec Greg. Je tiens le volant, lui regarde les trottoirs. Il a les yeux fatigués, et déçus. Je m'en veux de ne pas l'avoir prévenu à propos d'hier soir. Greg a toujours été à mes cotés, et vis versa. Que ce soit dans l'armée, à l'étranger, pendant la guerre civile, dans le boulot comme dans le privé. Sans lui, je serai mort quelques fois déjà. Et je pense pouvoir me permettre de dire la même chose pour lui.
Il a toujours été d'un tempérament calme. C'est rare qu'il se plaigne, même quand il en a gros sur la patate. Mais c'est un homme, et il a ses humeurs. Surtout, il a changé. Comme nous tous. La guerre, la violence, les excès ça vous change un homme. La peur aussi. Parce que oui, on a tous eu peur au point d'avoir envie de se chier dessus à un moment ou à un autre.
Lui, c'était pendant la guerre civile. Quand on était dans les Escadrons de la Mort.
Le commandement avait envoyé un détachement hors de la capitale pour prendre le maquis. L'objectif était de former des partisans que même leur extrême motivation n'aurait pas fait tenir plus de trois jours face aux forces du Système.
Alors une nuit, on s'est exfiltrés de Paris à pied, avec nos sacs sur le dos, remplis pour tenir deux bonnes semaines, des flingues en plus, du matos bien lourd, des munitions à tire-larigot.
Cette-fois là, j'étais chef de commando. C'est Jack O'Reilly en personne qui m'avait donné les éléments pour la mission, dans son propre bureau. Vinny était mon adjoint.
On était une bonne vingtaine, tous parmi les meilleurs soldats des Escadrons. Certains étaient d'anciens du Kosovo, de l'Afrique. On se connaissait tous, chacun savait quelles étaient les forces et les faiblesses de son binôme.
On n'a pas eu de problème pour quitter la ville. Nous sommes passés sous les échangeurs du périphérique, dans l'obscurité parfaite. A deux kilomètres de la ville, en proche banlieue, des véhicules nous attendaient pour nous emmener sur le point donné.
C'était dans le Massif Central. Les bastions de la rébellion s'étaient organisés en partie dans les maquis qui avaient tenu plus de trois mois face à l'Occupant Allemand. Le campement qu'on devait rejoindre ne se trouvait pas loin de ce qui fût le Maquis des Glières.
On avait fait la route tranquillement, sans encombre, en petit convoi, en passant par les nationales et les départementales. Pour plus de sécurité, seul le chauffeur de tête connaissait l'itinéraire.
Il faisait encore nuit quand nous sommes arrivés. Les véhicules nous ont déposés sur une petite route dans les bois. Il fallait finir à pied.
Je me souviens qu'en ce tout début de printemps, l'air était frais, et encore très vif. La nuit était calme et claire. Ça sentait l'herbe fraîche et le bois humide.
C'est drôle, l'odeur qu'ont certaines campagnes. C'est comme si on pouvait respirer les âmes des milliers d'hommes du pays qui sont morts voilà des générations sur la terre que l'on foule. C'est à la fois rassurant et angoissant. Comme une présence invisible, mais qui est bel et bien là, et nous épie en permanence.
Nous avons continué à marcher avec tout notre matos sur le dos le long de cette route, en silence. On grimpait sur le flanc de la vallée, jusqu'au campement planqué dans les bois, juché en haut de la colline que nous montions lentement et silencieusement.
C'est Le Brun qui fermait la marche, qui nous a prévenu de l'arrivée d'un véhicule. Alors on s'est tous jetés dans le fossé.
Alors qu'il se rapprochait de plus en plus, nous foutant les pleins phare dans les yeux, l'un d'entre-nous a gueulé : « VBL ! VBL ! »
Le Système utilisait beaucoup de ces Véhicules Blindés Légers pour effectuer des patrouilles ou des missions de reconnaissance.
Alors j'ai donné l'ordre de tirer. Le crépitement assourdissant de nos fusils d'assaut a déchiré la nuit. Le véhicule a fait une embardée après que des centaines d'étincelles aient ricoché sur sa carlingue.
La roue avant gauche s'est retrouvée dans le fossé. Le 4x4 blindé était immobilisé. Un des phares avait explosé. Nous avons allumé nos lampes torches et on est allés au résultat.
Le mitrailleur dont on ne pouvait distinguer le visage était à sa tourelle, affalé sur le toit, sa 7,62 penchée vers le sol. Deux lignes de sang coulaient sur le long du pare-brise percé de plusieurs impacts de balles.
J'ai fait mettre en place un dispositif de sécurité autours de nous et me suis approché du blindé de reconnaissance avec quatre autres gars.
J'ai ouvert la portière. Le bras du conducteur en est sorti, désarticulé, pendouillant au dessus de la route. J'ai sorti son corps inerte.
L'odeur fraîche de la nuit avait revêtit une texture beaucoup plus cuivrée, beaucoup moins agréable. Ça sentait le sang.
Les hommes ont traîné les deux corps dans le fossé, laissant une grosse tâche rougeâtre sur l'herbe et des traînées écarlate sur le bitume.
Nous avons détaché la mitrailleuse de la tourelle, pris les armes, les munitions, puis nous avons mis le feu au véhicule et sommes partis, laissant la carcasse flamber et éclairer la forêt.
Quand nous sommes arrivé au campement, nous avons été accueillis par des hommes en armes. Ils avaient entendu la fusillade. Leur vigilance est retombée lorsqu'ils ont vu à qui ils avaient à faire.
Le chef du camp, un ancien colonel de gendarmerie de montagne, est venu à ma rencontre. Nous nous sommes entretenus pendant près d'une heure. Il m'a appris ce que je devais savoir sur le camp et la région. Il disposait ici de deux-cent hommes venus de la France entière. La plupart n'avait jamais reçu d’entraînement militaire, ni même touché une arme. Seuls des fusils de chasse ou des pétoires de la seconde guerre circulaient dans le campement, et il n'y en avait pas assez pour tout le monde. Le coin était stable, les troupes du système effectuant peu de patrouilles dans le secteur. Mais nous savions pertinemment que cela ne durerait pas après l'attaque du VBL.
Et l'info tomba quelques jours plus tard. Un convoi allait être envoyé depuis une importante base militaire pour ravitailler les avant-postes du Système dans la région alors que nous avion à peine commencé l'entraînement des Volontaires.
Les ordres étaient clairs : il ne fallait en aucun cas que les troupes du Système puissent recevoir quelque renfort que ce soit, au risque de mettre en péril la rébellion dans la région.
On avait réussi à avoir l'itinéraire du convoi, mais pas la date précise. Seulement la semaine de passage. Alors, on a repris la route.
Les camions devaient passer dans un village plus au sud pour que les camions puissent faire le plein avant de repartir en direction du nord. Il n'y avait qu'un seul chemin possible. Une petite route qui serpentait le long de la forêt. C'est là que nous tendrons notre embuscade.
Ce n'était pas excessivement loin du campement, à peine une trentaine de kilomètres. Nous y sommes allés à pied, avec des sacs allégés. Partis dans l'après-midi, nous sommes arrivés aux abords du village au crépuscule. La commune était entourée de champs et de forêt. Nous avons profité des derniers rayons du soleil pour installer notre bivouac dans un bois, à seulement quelques vingtaines de mètres au dessus de la route sur laquelle était sensé passer le convoi.
Malgré la fatigue liée à la marche sur des sentiers caillouteux et au relief souvent défavorable, nous avons creusé des trous, et aménagé notre zone aussi soigneusement que possible. Nous allions passer près d'une semaine ici, alors il nous fallait être correctement installés, et bien camouflés.
Puis, après avoir installé nos mitrailleuses, sorti notre matériel antichar et organisé les tours de garde, nous avons attendu.
Ordre était donné de ne sortir de son trou de combat seulement pour faire ses besoins. De préférence la nuit. Tout le reste du temps, nous restions planqués dans la terre par équipes de deux ou trois.
J'étais avec Greg et Le Brun. Planqués sous notre bâche camouflée, avec juste un filet d'ouverture pour laisser dépasser le canon de la mitrailleuse dont Greg avait la charge, pointé droit sur la route.
On n'avait aucune idée de quoi était composé le convoi. Ou bien, des bribes d'informations, à droite à gauche, toutes contradictoires.
C'est le mercredi, vers dix-sept heures, que nous avons eu la réponse. Des Volontaires, installés dans le village, nous ont prévenu de l'arrivée du convoi par téléphone.
Un blindé de transport de troupe, armé d'un puissant canon de 25 millimètres, ouvrait la marche, suivi de cinq camions militaires basiques. Des bâches empêchaient de voir à l'intérieur. Un autre blindé, plus petit et armé d'une mitrailleuse de 12,7, fermait le ban.
Alors tout le monde s'activa. Je fis poser des explosifs le long de la route pour détruire le premier véhicule. Des équipes antichar commandées par Vinny, armées entre-autres de RPG-7 et d'un reliquat d'AT-4 CS récupérés dans des dépôts d'armés, seraient chargées d'immobiliser le véhicule de queue.
Une partie du dispositif se réajustait. On sentait la tension grandir. Monter. Puis nous avons attendu, les viscères serrées. Jusqu'à ce que les véhicules se fassent entendre.
Nous les avons regardé défiler, lentement, un par un. L'importante colonne ressemblait à un ballet de tortues.
Puis le blindé de tête roula sur les explosifs. Un bruit sourd, suivi d'une épaisse fumée qui se dégagea par-dessous le châssis.
Greg m'a percé les tympans en ouvrant le feu sur le camion qui s'était immobilisé devant nous. Il avait descendu le chauffeur qui s'extirpait de sa cabine.
D'autres hommes sur notre gauche sortirent de leurs trous de combat et mirent le dernier véhicule en joue avec leurs lance-roquette.
La tourelle télé-opérée n'eut pas le temps de riposter. La carcasse fut percée par trois charges creuses qui mirent le feu au véhicule.
Des hommes en sortirent par la trappe arrière. Ils furent pris en enfilade par mitrailleuses et fusils d’assaut. Certains réussirent toutefois à se planquer dans les fossés et commencèrent à nous tirer dessus.
Le blindé qui ouvrai la marche, bien qu'immobilisé, était toujours opérationnel, et sa grosse tourelle se tournait lentement vers nous. Il ajusta son canon et réduisit en purée deux de nos hommes plus imprudents que les autres qui étaient toujours debout.
Son canon les fit éclater en morceaux et des bouts de chair étaient répandus un peu partout sur les arbres.
-Le blindé ! Détruisez l'blindé ! Que je hurlai en tirant à la Kalach sur les hommes qui sortaient des camions comme des fourmis.
La tourelle fut endommagée par une roquette d'AT-4 dont l'explosion avait tordu le canon.
Greg continuait à tirer comme un fou sur tout ce qui bougeait. Il se mit à hurler, à crier. Des larmes lui coulaient sur les joues.
-Putain ! Putain ! Mais vous voulez pas crever !
Le canon de son arme surchauffait. Greg n'avait jamais vraiment aimé la guerre. Et par ma faute, il distribuait la mort à tour de bras, à grands coups de rafales de 7,62.
Puis je donnais l'ordre de charger. Nous avons tous dévalé la colline en hurlant. « ESCADRONS ! ESCADRONS ! » « VIVE LA MORT ! »
Il n'y eut pas de prisonniers. Quelques-uns fuirent en courant à travers les champs. Certains furent abattus.
Puis ce fut le calme. Un peu désordonné, certes.
Des flaques d'huiles et de sang avaient encrassé la route. Des débris , des armes, des casques, des bouts de ferraille, des douilles jonchaient le béton.
Il y avait des corps éparpillés ça et là, parfois assez amochés. On retrouvait des membres arrachés par une explosion, des corps calcinés.
Les cadavres vidés de leurs sangs paraissaient comme des mannequins ou des patins désarticulés. Ils ne pesaient plus très lourd après que l'on leur ait enlevé leurs gilets de combat et leur armement.
Nous les avons tous alignés dans le fossé. On en comptait quinze, plus ceux restés dans les véhicules en flammes que nous ne pouvions récupérer.
Nous avons ouvert les caisses des deux camions encore intacts. L'un contenait des armes, notamment des mitrailleuses lourdes et des caisses de grenades. L'autre, de la nourriture, des rations.
Nous avons réquisitionné des camionnettes et des véhicules utilitaires aux habitants du village, d'accords ou non, pour charger tout le matos qu'il était possible de prendre.
Nous avons aussi récupérer nos morts, ceux qui étaient transportables du moins. On en comptait quatre. Parmi-eux, il y avait Mike. Je le connaissais bien. Nous avions fait connaissance à Belgrade, quelques années auparavant. Ça mort m'a foutu un coup. Une rafale dans le torse, alors qu'on descendait la colline à l'assaut. Il est resté derrière, allongé sur le versant, dans les feuilles et la terre.
Greg était resté à son poste, le regard fixe, assis sur le bord du trou, la tête entre les mains.
Quand je lui ai demandé s'il allait bien, il m'avait simplement répondu « quand-est-ce que ça finira, Brenn ? Est-ce qu'on est maudis ? »
Nous avons levé le camp un peu plus tard, après avoir récupéré tout ce qu'il était possible de prendre et nous sommes partis au crépuscule, alors que les cloches de l’Église du village sonnaient derrière nous.
Il a toujours été d'un tempérament calme. C'est rare qu'il se plaigne, même quand il en a gros sur la patate. Mais c'est un homme, et il a ses humeurs. Surtout, il a changé. Comme nous tous. La guerre, la violence, les excès ça vous change un homme. La peur aussi. Parce que oui, on a tous eu peur au point d'avoir envie de se chier dessus à un moment ou à un autre.
Lui, c'était pendant la guerre civile. Quand on était dans les Escadrons de la Mort.
Le commandement avait envoyé un détachement hors de la capitale pour prendre le maquis. L'objectif était de former des partisans que même leur extrême motivation n'aurait pas fait tenir plus de trois jours face aux forces du Système.
Alors une nuit, on s'est exfiltrés de Paris à pied, avec nos sacs sur le dos, remplis pour tenir deux bonnes semaines, des flingues en plus, du matos bien lourd, des munitions à tire-larigot.
Cette-fois là, j'étais chef de commando. C'est Jack O'Reilly en personne qui m'avait donné les éléments pour la mission, dans son propre bureau. Vinny était mon adjoint.
On était une bonne vingtaine, tous parmi les meilleurs soldats des Escadrons. Certains étaient d'anciens du Kosovo, de l'Afrique. On se connaissait tous, chacun savait quelles étaient les forces et les faiblesses de son binôme.
On n'a pas eu de problème pour quitter la ville. Nous sommes passés sous les échangeurs du périphérique, dans l'obscurité parfaite. A deux kilomètres de la ville, en proche banlieue, des véhicules nous attendaient pour nous emmener sur le point donné.
C'était dans le Massif Central. Les bastions de la rébellion s'étaient organisés en partie dans les maquis qui avaient tenu plus de trois mois face à l'Occupant Allemand. Le campement qu'on devait rejoindre ne se trouvait pas loin de ce qui fût le Maquis des Glières.
On avait fait la route tranquillement, sans encombre, en petit convoi, en passant par les nationales et les départementales. Pour plus de sécurité, seul le chauffeur de tête connaissait l'itinéraire.
Il faisait encore nuit quand nous sommes arrivés. Les véhicules nous ont déposés sur une petite route dans les bois. Il fallait finir à pied.
Je me souviens qu'en ce tout début de printemps, l'air était frais, et encore très vif. La nuit était calme et claire. Ça sentait l'herbe fraîche et le bois humide.
C'est drôle, l'odeur qu'ont certaines campagnes. C'est comme si on pouvait respirer les âmes des milliers d'hommes du pays qui sont morts voilà des générations sur la terre que l'on foule. C'est à la fois rassurant et angoissant. Comme une présence invisible, mais qui est bel et bien là, et nous épie en permanence.
Nous avons continué à marcher avec tout notre matos sur le dos le long de cette route, en silence. On grimpait sur le flanc de la vallée, jusqu'au campement planqué dans les bois, juché en haut de la colline que nous montions lentement et silencieusement.
C'est Le Brun qui fermait la marche, qui nous a prévenu de l'arrivée d'un véhicule. Alors on s'est tous jetés dans le fossé.
Alors qu'il se rapprochait de plus en plus, nous foutant les pleins phare dans les yeux, l'un d'entre-nous a gueulé : « VBL ! VBL ! »
Le Système utilisait beaucoup de ces Véhicules Blindés Légers pour effectuer des patrouilles ou des missions de reconnaissance.
Alors j'ai donné l'ordre de tirer. Le crépitement assourdissant de nos fusils d'assaut a déchiré la nuit. Le véhicule a fait une embardée après que des centaines d'étincelles aient ricoché sur sa carlingue.
La roue avant gauche s'est retrouvée dans le fossé. Le 4x4 blindé était immobilisé. Un des phares avait explosé. Nous avons allumé nos lampes torches et on est allés au résultat.
Le mitrailleur dont on ne pouvait distinguer le visage était à sa tourelle, affalé sur le toit, sa 7,62 penchée vers le sol. Deux lignes de sang coulaient sur le long du pare-brise percé de plusieurs impacts de balles.
J'ai fait mettre en place un dispositif de sécurité autours de nous et me suis approché du blindé de reconnaissance avec quatre autres gars.
J'ai ouvert la portière. Le bras du conducteur en est sorti, désarticulé, pendouillant au dessus de la route. J'ai sorti son corps inerte.
L'odeur fraîche de la nuit avait revêtit une texture beaucoup plus cuivrée, beaucoup moins agréable. Ça sentait le sang.
Les hommes ont traîné les deux corps dans le fossé, laissant une grosse tâche rougeâtre sur l'herbe et des traînées écarlate sur le bitume.
Nous avons détaché la mitrailleuse de la tourelle, pris les armes, les munitions, puis nous avons mis le feu au véhicule et sommes partis, laissant la carcasse flamber et éclairer la forêt.
Quand nous sommes arrivé au campement, nous avons été accueillis par des hommes en armes. Ils avaient entendu la fusillade. Leur vigilance est retombée lorsqu'ils ont vu à qui ils avaient à faire.
Le chef du camp, un ancien colonel de gendarmerie de montagne, est venu à ma rencontre. Nous nous sommes entretenus pendant près d'une heure. Il m'a appris ce que je devais savoir sur le camp et la région. Il disposait ici de deux-cent hommes venus de la France entière. La plupart n'avait jamais reçu d’entraînement militaire, ni même touché une arme. Seuls des fusils de chasse ou des pétoires de la seconde guerre circulaient dans le campement, et il n'y en avait pas assez pour tout le monde. Le coin était stable, les troupes du système effectuant peu de patrouilles dans le secteur. Mais nous savions pertinemment que cela ne durerait pas après l'attaque du VBL.
Et l'info tomba quelques jours plus tard. Un convoi allait être envoyé depuis une importante base militaire pour ravitailler les avant-postes du Système dans la région alors que nous avion à peine commencé l'entraînement des Volontaires.
Les ordres étaient clairs : il ne fallait en aucun cas que les troupes du Système puissent recevoir quelque renfort que ce soit, au risque de mettre en péril la rébellion dans la région.
On avait réussi à avoir l'itinéraire du convoi, mais pas la date précise. Seulement la semaine de passage. Alors, on a repris la route.
Les camions devaient passer dans un village plus au sud pour que les camions puissent faire le plein avant de repartir en direction du nord. Il n'y avait qu'un seul chemin possible. Une petite route qui serpentait le long de la forêt. C'est là que nous tendrons notre embuscade.
Ce n'était pas excessivement loin du campement, à peine une trentaine de kilomètres. Nous y sommes allés à pied, avec des sacs allégés. Partis dans l'après-midi, nous sommes arrivés aux abords du village au crépuscule. La commune était entourée de champs et de forêt. Nous avons profité des derniers rayons du soleil pour installer notre bivouac dans un bois, à seulement quelques vingtaines de mètres au dessus de la route sur laquelle était sensé passer le convoi.
Malgré la fatigue liée à la marche sur des sentiers caillouteux et au relief souvent défavorable, nous avons creusé des trous, et aménagé notre zone aussi soigneusement que possible. Nous allions passer près d'une semaine ici, alors il nous fallait être correctement installés, et bien camouflés.
Puis, après avoir installé nos mitrailleuses, sorti notre matériel antichar et organisé les tours de garde, nous avons attendu.
Ordre était donné de ne sortir de son trou de combat seulement pour faire ses besoins. De préférence la nuit. Tout le reste du temps, nous restions planqués dans la terre par équipes de deux ou trois.
J'étais avec Greg et Le Brun. Planqués sous notre bâche camouflée, avec juste un filet d'ouverture pour laisser dépasser le canon de la mitrailleuse dont Greg avait la charge, pointé droit sur la route.
On n'avait aucune idée de quoi était composé le convoi. Ou bien, des bribes d'informations, à droite à gauche, toutes contradictoires.
C'est le mercredi, vers dix-sept heures, que nous avons eu la réponse. Des Volontaires, installés dans le village, nous ont prévenu de l'arrivée du convoi par téléphone.
Un blindé de transport de troupe, armé d'un puissant canon de 25 millimètres, ouvrait la marche, suivi de cinq camions militaires basiques. Des bâches empêchaient de voir à l'intérieur. Un autre blindé, plus petit et armé d'une mitrailleuse de 12,7, fermait le ban.
Alors tout le monde s'activa. Je fis poser des explosifs le long de la route pour détruire le premier véhicule. Des équipes antichar commandées par Vinny, armées entre-autres de RPG-7 et d'un reliquat d'AT-4 CS récupérés dans des dépôts d'armés, seraient chargées d'immobiliser le véhicule de queue.
Une partie du dispositif se réajustait. On sentait la tension grandir. Monter. Puis nous avons attendu, les viscères serrées. Jusqu'à ce que les véhicules se fassent entendre.
Nous les avons regardé défiler, lentement, un par un. L'importante colonne ressemblait à un ballet de tortues.
Puis le blindé de tête roula sur les explosifs. Un bruit sourd, suivi d'une épaisse fumée qui se dégagea par-dessous le châssis.
Greg m'a percé les tympans en ouvrant le feu sur le camion qui s'était immobilisé devant nous. Il avait descendu le chauffeur qui s'extirpait de sa cabine.
D'autres hommes sur notre gauche sortirent de leurs trous de combat et mirent le dernier véhicule en joue avec leurs lance-roquette.
La tourelle télé-opérée n'eut pas le temps de riposter. La carcasse fut percée par trois charges creuses qui mirent le feu au véhicule.
Des hommes en sortirent par la trappe arrière. Ils furent pris en enfilade par mitrailleuses et fusils d’assaut. Certains réussirent toutefois à se planquer dans les fossés et commencèrent à nous tirer dessus.
Le blindé qui ouvrai la marche, bien qu'immobilisé, était toujours opérationnel, et sa grosse tourelle se tournait lentement vers nous. Il ajusta son canon et réduisit en purée deux de nos hommes plus imprudents que les autres qui étaient toujours debout.
Son canon les fit éclater en morceaux et des bouts de chair étaient répandus un peu partout sur les arbres.
-Le blindé ! Détruisez l'blindé ! Que je hurlai en tirant à la Kalach sur les hommes qui sortaient des camions comme des fourmis.
La tourelle fut endommagée par une roquette d'AT-4 dont l'explosion avait tordu le canon.
Greg continuait à tirer comme un fou sur tout ce qui bougeait. Il se mit à hurler, à crier. Des larmes lui coulaient sur les joues.
-Putain ! Putain ! Mais vous voulez pas crever !
Le canon de son arme surchauffait. Greg n'avait jamais vraiment aimé la guerre. Et par ma faute, il distribuait la mort à tour de bras, à grands coups de rafales de 7,62.
Puis je donnais l'ordre de charger. Nous avons tous dévalé la colline en hurlant. « ESCADRONS ! ESCADRONS ! » « VIVE LA MORT ! »
Il n'y eut pas de prisonniers. Quelques-uns fuirent en courant à travers les champs. Certains furent abattus.
Puis ce fut le calme. Un peu désordonné, certes.
Des flaques d'huiles et de sang avaient encrassé la route. Des débris , des armes, des casques, des bouts de ferraille, des douilles jonchaient le béton.
Il y avait des corps éparpillés ça et là, parfois assez amochés. On retrouvait des membres arrachés par une explosion, des corps calcinés.
Les cadavres vidés de leurs sangs paraissaient comme des mannequins ou des patins désarticulés. Ils ne pesaient plus très lourd après que l'on leur ait enlevé leurs gilets de combat et leur armement.
Nous les avons tous alignés dans le fossé. On en comptait quinze, plus ceux restés dans les véhicules en flammes que nous ne pouvions récupérer.
Nous avons ouvert les caisses des deux camions encore intacts. L'un contenait des armes, notamment des mitrailleuses lourdes et des caisses de grenades. L'autre, de la nourriture, des rations.
Nous avons réquisitionné des camionnettes et des véhicules utilitaires aux habitants du village, d'accords ou non, pour charger tout le matos qu'il était possible de prendre.
Nous avons aussi récupérer nos morts, ceux qui étaient transportables du moins. On en comptait quatre. Parmi-eux, il y avait Mike. Je le connaissais bien. Nous avions fait connaissance à Belgrade, quelques années auparavant. Ça mort m'a foutu un coup. Une rafale dans le torse, alors qu'on descendait la colline à l'assaut. Il est resté derrière, allongé sur le versant, dans les feuilles et la terre.
Greg était resté à son poste, le regard fixe, assis sur le bord du trou, la tête entre les mains.
Quand je lui ai demandé s'il allait bien, il m'avait simplement répondu « quand-est-ce que ça finira, Brenn ? Est-ce qu'on est maudis ? »
Nous avons levé le camp un peu plus tard, après avoir récupéré tout ce qu'il était possible de prendre et nous sommes partis au crépuscule, alors que les cloches de l’Église du village sonnaient derrière nous.