Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Foutue pluie.


Publié le 22/07/2012 à 18:23:51 par Conan

La pluie tombe sans relâche depuis trois jours.
Trois jours. Trois jours qu'il est mort. Tué en service. Jeune, idéaliste, con. « Gardien de la Paix, ça veut pas dire n'importe quoi. On a une mission. C'est notre boulot de protéger les citoyens. » qu'il me sortait à chaque fois que le cynisme pointait le bout de son nez hors de ma gorge. Il me manquera, le gamin. C'était un bon gars. Si seulement il n'avait pas autant fait confiance à l’espèce humaine, il serait pas dans une boite, aujourd'hui. Une belle boite en bois massif, recouverte d'un drapeau bleu blanc rouge qui ne veut absolument plus rien dire. Et nous, pauvres tâches de collègues que nous sommes, fidèles jusqu'au bout, on ne serait pas dans la cour des Invalides, autours de son cercueil, au garde-à-vous, sous cette putain de pluie qui s'infiltre partout et qui me gèle les os.

Depuis la création du groupe, c'est le cinquième de chez nous qui se fait descendre.

Tiens. V'la le président qui arrive. Y'a son gorille qui lui tient un petit parapluie. Il a bien de la veine. Allez. Magne ton cul de faire ton discours que je ne connais que trop. «Blablabla ce crime abject... Blablabla abnégation... Blablabla mes couilles à titre posthume... » Tout ce que t'as à dire, mon con, c'est qu'un gosse de vingt ans s'est fait buter comme un clebs par une bande de Romanos qui essayaient de tirer du cuivre sur un chantier en pleine nuit. Deux coups de douze dans le bide, et bonne nuit, fermez le rideau. Même pas souffert. Tu penses, le double zéro, ça sert au sanglier. Forcément dans la barbaque humaine, ça fait du vilain. J'y étais moi. Quand ils ont appelé du renfort sur les ondes. Quand mon équipe et moi on est arrivé, les autres étaient déjà partis, et le gosse, déjà bleu. Le sang qui avait coulé de sa bouche et de son ventre était déjà en train de sécher sur le bord de la route. C'était fini, y'avait plus rien à faire.

Mort pour un rouleau de fil de cuivre. Si c'est pas con, ça. T'es content, tu les as protégés tes citoyens, ils peuvent dormir peinards maintenant que le cuivre est en sécurité, les clandos exploités vont pouvoir reprendre leur boulot sur les chantiers.

Tiens, le blabla officiel est fini. On nous balance la sonnerie aux morts. Les collègues du gamin en tenue d'honneur portent son cercueil. Sa fiancée est en pleurs. Ils venaient de se prendre un pavillon en banlieue.

Je suis le seul mec du service qui soit en civil, parmi la foule de flics inconnus aux visages durs et aux yeux aussi sombres que les blousons qu'ils portent sur leurs dos.

Les gouttes de pluie ruissellent le long de ma veste en cuir noir trop usée par des années de Paris. Des années d'errance nocturne dans des coins trop pourris pour qu'on en sorte indemne, et qu'on appelle « patrouilles ». Car oui, la patrouille, c'est de l'errance. Flicard de nuit à Paris, c'est être un aventurier moderne. On va chercher toute la crasse et toute l'horreur de l'espèce humaine au plus profond des gens. C'est notre boulot. Faire en sorte qu'au petit matin, les trottoirs de la capitale ne soient pas infestés de cadavres purulents au bide aussi pourri que ce qu'ils ont dans la tête.

La cérémonie est finie. Tout le monde se tombe dans les bras, se serre les pattes, se lamente. Le gosse n'avait pas besoin de ça en plus. Je préfère me casser, en loucedé, dans mon coin.

Je retourne à ma bagnole garée dans la rue pas très loin des Invalides. Je fous ma veste trempée dans le coffre et m'installe au volant. Au moment de démarrer, on tape à ma vitre. Les gouttes qui coulent m'empêchent de voir qui c'est. Je baisse un peu la vitre. C'est Vinny et Greg, les deux gars de mon équipe.

-T'allais te barrer en feuj ? Me dit Greg. Masse trapue au large menton enfoui dans le col de sa veste en jeans.
-J'vous dépose quequ'part ?
-La gare RER la plus proche si ça t'emmerde pas. Me répond Vinny, cadet de nous deux et visage bourriné à cause de la boxe.
-Montez.
Ils ne se font pas attendre.

-Sale temps. Dit Vinny.
-Ouais...
-Triste pour le gamin. Reprend Greg, après deux minutes de silence.
-Ouais...
-Parait que la BRI a logé les enculés qui ont fait ça.
-Parait qu'on va peut-être passer en PJ.
-Si on pouvait enquêter ça serait bien. J'en ai plein le cul du flag'.
-Qu'est-ce que tu branles au GRIP alors ?
Le GRIP. Groupe de Répression et d'Intervention Parisien. Créé après la guerre civile par le Ministre de la Défense. Notre boulot, c'est tout ce qui touche au crado. On nous appelle les Chasseurs. C'est notre taf. Traquer toute la faune nocturne Parisienne, tous les parasites, les rats qui se terrent dans les trous de cette ville pourrie. On est les dératiseurs de la Capitale. Et celui qui est là-haut sait combien on a de boulot.

Je m'arrête devant la gare du Châtelet.
-Tu viens prendre un café ? Me demande Vinny.
-Non merci, c'bon. J'vais rentrer me pieuter. J'ai eu une nuit de merde.

Ils n'insistent pas. Quand je parle de « nuit de merde » c'est une nuit où je ne suis pas en service. Une nuit où, seul dans mon appartement, je reste dans mon lit, éveillé six heures durant, en fixant les lumières qui filtrent de mes volets et viennent danser sur le plafond de ma piaule.

Voilà pourquoi j'aime bosser la nuit.

Je raconte ma vie, je pleurniche, mais j'en oublie mes bonnes manières. Que je m'introduise : Redig Brennan pour l'officialité. Red Brenn pour les gens. Flic de mon état. Quarante-deux ans, dont un passé en guerre et douze chez les poulets, dont dix au GRIP. Il m'a fallu attendre l'âge de trente ans pour foutre l'uniforme bleu. Avant, c'est un peu long à expliquer. On y reviendra plus tard, si besoin est.

Certains me considèrent comme un alcoolique, un raciste ultraviolent. Le stéréotype parfait du bon ripou bien dégueulasse. Tant mieux. Avoir une réputation d'ordure, dans ce milieu où les bâtards sont rois, c'est une chance. Entre enculés, y'a pas de doublure. Qu'ils soient flics ou truands, quand on baigne dans ce genre de jus pendant des années, on fini par s'en imprégner, qu'on le veuille où non. C'est le seul moyen de garder une bonne partie de sa tête et de rester en vie. Ça, le gosse n'a pas eu le temps de le comprendre.

Greg et Vinny l'ont compris aussi. On en a pris conscience y'a déjà quelques années. Avant même de rentrer dans la boite. Des trucs dégueulasses, on n'a pas eu besoin d'attendre la permission du Ministre et une carte tricolore pour en faire.

Je roule à trente kilomètres/heure. Impossible d'accélérer tellement le temps est pourri. J'arrive enfin devant mon immeuble. Un bâtiment Haussmanien dans le huitième arrondissement. J'y suis peinard. Personne me fait chier ici, pas comme avant, du temps ou j'habitais encore dans un HLM pourri en banlieue. C'est dans une petite rue calme, y'a un épicier en bas de chez moi, et un bar-tabac juste au coin de la rue. Çà me permet de vivre.
Je sors de ma Peugeot et vais à l'épicerie avant de rentrer chez moi. L'Arabe de la caisse me salue. « Bijour m'sieur Brenn. Sale temps hein. »
C'est drôle mais quand il parle, on voit juste sa grosse moustache bouger. Il est sympa le père Aziz. En Algérie pendant la guerre, toute sa famille s'est faite flinguer. On sait pas trop si c'est des paras ou des rebelles du FLN qui ont fait ça.
« Salut Aziz. J'vais te prendre deux paquets de Gauloise et une bouteille de Cardhu. »
-Tout d'suite m'sieur Brenn.
Il me sert. Je paye. Je monte jusqu'à mon appart, au deuxième.

C'est bien le deuxième étage. On est assez loin d'en bas pour être peinard, mais assez proche de la rue pour entendre tout ce qu'il s'y passe. Tout ce qu'elle a à nous dire.

Il est onze heures. Je prends mon déjeuner, une tranche de jambon, une part de clacos, deux clopes et trois verres de pinard. Sur BFM télé, ils parlent de l'enterrement de ce matin. J'vois ma gueule dans la foule sombre, et j'me rends compte que je m'enlaidis chaque jour un peu plus.

Je me lève de table et vais dans ma petite salle de bain. Mon appart' paye pas de mine. Dès qu'on rentre, on est dans la pièce principale, qui fait salon-salle à manger. Si on va à gauche, c'est la cuisine et dans le prolongement, la salle de bains avec une baignoire rapeuse comme pas possible, des chiottes et un lavabo qui a la tremblote. Si on continue, au fond du salon, c'est la chambre à coucher. Voilà, soixante mètres carrés. Presque aucun meuble, murs blancs. Mes pas résonnent dans les pièces.

J'arrive à la salle d'eau et me désape. Je me regarde dans la glace. L'âge et les excès me rendent gras du bide. Mais j'ai l'avantage d''avoir encore de bons bras et des épaules larges. J'approche mon visage de la glace. Ma moustache à la Gauloise est mal entretenue, et mon crâne continue encore et toujours à se désherber. Je préfère encore me foutre la boule à zéro plutôt que d'avoir une couronne de cheveux tout autours de la tête. Quelle gueule de con.

Mon nez mérite aussi qu'on y prête attention. C'est comme qui dirait un petit patatoïde cassé par quelques années de pratique de la bagarre de rue. Mes yeux mornes et rougis par les vaisseaux pétés sont cernés de poches noires. C'est pas un visage ça. C'est une gueule. Une bonne grosse gueule de gros con.

J 'me fous dans la baignoire et tire le rideau pour prendre ma douche.


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