Note de la fic :
Publié le 07/05/2011 à 04:24:45 par Conan
La traversée du kilomètre cinq qui nous sépare de la Place d'Italie est dure, violente, brutale, bruyante.
Les chars d'assaut sont en première ligne. La piétaille que nous sommes se contente de courir derrière, respirant les gaz d'échappements de ces dévastateurs monstres d'acier. Couverts d'huile de moteur, de suie, de poudre, de cambouis, nous courrons au milieu des flammes et des carcasses fumantes. Le bruit est terrible, nos oreilles souffrent le martyr. Que de fracas, que d'explosions, que d'énormes grincements, de rugissements de moteurs, de manœuvres de chenilles, de sifflements de missiles multiples, d'écrasements rouges vifs.
Parfois un bâtiment s'effondre, nous recouvrant de poussière et nous sonnant à cause des gravats fondent sur nous par centaines.
Nous avançons avec beaucoup de mal. Nous sommes comme empêtrés dans un marécage d'acier fondu et d'huile. Nous n'avons plus la force de pousser un seul cri, de donner un seul ordre, d'aligner correctement un ennemi. Nous suivons la cavalerie qui charge, et détruit tout sur son passage.
Je jette un regard derrière moi afin de me rendre compte de la situation de ma section. Toute l'avenue est défoncée, enflammée, des corps en charpies se disputent le macadam à moitié fondu avec les plaques de blindage calcinées et les obus vides.
Enfin, c'est la place. La place tant convoitée. La place si bien défendue. La place qui nous fait stopper et qui détruit trois de nos blindés en quelques secondes. La place qui empêche nos véhicules de manœuvrer et les mets dans une situation plus que critique, dans la situation d'une tortue retournée qui se débat maladroitement tant bien que mal mais qui ne fait que s'épuiser pour mourir plus vite. Enfin c'est la place qui nécessite une dernière action des partisans pour dégager la voie.
Nous la chargeons encore et encore. Nous nous heurtons à un véritable hérisson dont la chair est de sacs de sables et d'abris en béton et dont les piques sont des canons de mitrailleuses et de lance-roquettes. Nous tombons sans cesse et nous relevons aussi sec. Nous pataugeons dans la glaise, le sang et le goudron, englués dans la crasse. Paris veut nous avaler et le hérisson nous pousse toujours plus vers le fond du gouffre.
Les fourmis que nous sommes, toutes les unes sur les autres, avançant avec acharnement en méprisant ce qui leur barre la route, parviennent tout de même à approcher le hérisson d'assez près pour lui arracher quelques aiguilles et quelques lambeaux de chair. Le hérisson a maintenant une faille dans laquelle les fourmis s'engouffrent. Elles bouffent le hérisson de l'intérieur et en quelques minutes la boule piquante sur pattes s'effondre.
Alors les chars recommencent à avancer et prennent position sur toute la place qui est bien trop petite pour pouvoir contenir l'armada. Les soldats qui ne jonchent pas le sol lèvent les mains. Comme ils sont propres, comme ils sont conventionnels face à nous. Nous, pauvres hères pouilleux, ne pouvant plus nous reconnaître entre nous tant nous sommes crasseux. Nous portons nos mains poisseuses à nos armes grasses et sommons les survivants de ne pas bouger. Je n'ai même plus une seule balle de M-16. Heureusement, j'ai toujours le Mauser.
Nous arrivons finalement fièrement sur la Bastille avec une petite poignée de blindés qui ne nous ont accompagné que pour redonner le moral aux troupes. La cinquantaine de prisonniers est mise là où il y a de la place. Mais pas le temps de nous reposer, il nous faut retourner à la place d'Italie fraichement reprise. Le reste de ma section se hisse sur un char Leclerc qui nous dépose au centre de la place. J'y retrouve Ritchie et Jack, aussi éprouvés que moi.
-On l'a fait les gars...
Mes amis hochent la tête.
-Mais à quel prix? Ajoute Ritchie.
-Maintenant, nous avons de sérieuses chances d'y croire. La moitié de la rive gauche est à nous. Dit Jack.
-Ils ne se laisseront pas faire aussi facilement. Il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers.
300 soldats, 15 chars d'assaut, 26 blindés légers ont rejoint nos rangs aujourd'hui. Cette jonction et la reprise d'Italie nous aura coûté 146 partisans, 5 chars et 8 blindés de reconnaissance et de transport de troupes.
Allongé sur le sol même, la tête posée sur ma parka crade roulée en boule, je fume en observant le ciel bleu, luttant pour ne pas m'endormir malgré le bruit des véhicules qui se mettent en route pour sécuriser tous nos territoires et le brouhaha des hommes qui font l'inventaire du nouveau matériel que nous avons saisi. Jérôme Blanquet, le seul sous-off' de ma section encore debout, vient me rejoindre et me demande poliment une cigarette.
-Je pensais que tu ne fumais pas. Dis-je en lui donnant la clope.
-Je fume pas. Répond-il en la portant à ses lèvres.
Je m'assoie pour lui allumer.
-Quel est l'état de ta section?
Il grimace et renifle, l'air gêné.
-Lourdes pertes?
Il baisse les yeux.
-C'étaient... C'étaient tous mes amis... Tous... Ils sont tous...
Il fond en larmes et colle son visage contre mon épaule. D'une main tremblante il saisit mon bras.
-J'en peux plus, chef... Jacques, Krowczy, Arfat, Guido... Y'en a plus un seul... Et Guido nom de Dieu... Ses jambes... Ses jambes! Il hurlait, je savais plus quoi faire, je paniquais, j'étais plein de sang, on devait tenir cette putain de barricade et lui il gueulait, c'était atroce!
Je suis totalement désemparé. Je mets ma main dans son dos pour tenter vaguement de le réconforter.
-C'est fini petit, c'est fini.
-Ça ne sera jamais fini... Tant qu'on ne sera pas entré dans l'Élysée ça ne finira jamais.
-L'hydre a plusieurs têtes de tailles différentes que l'on devra couper avant d'accéder à la plus haute.
-L'hydre a massacré mes amis sous mes yeux. Et sous mes putains d'ordres! Sergent mon cul! J'aurais dû continuer à aller à l'université, à faire comme si de rien était.
-Tu le penses vraiment?
-Non... Non... Je préfère encore crever pour ma cause, que je crois profondément juste, que de rester dans ce monde de larves les yeux constamment fermés... Je suis désolé d'avoir craqué.
-Ne t'inquiètes pas, c'est humain.
Il se relève:
-Merci. Vraiment, merci.
Et il repart, tranquille. Merci pour quoi? Pour deux mots et un sourire réconfortant? Tous les hommes ici sont comme lui, au bout du rouleau. J'espère que nos nouveaux alliés sont méchamment motivés, parce que nos gars ont un grand besoin de se reposer.
Les chars d'assaut sont en première ligne. La piétaille que nous sommes se contente de courir derrière, respirant les gaz d'échappements de ces dévastateurs monstres d'acier. Couverts d'huile de moteur, de suie, de poudre, de cambouis, nous courrons au milieu des flammes et des carcasses fumantes. Le bruit est terrible, nos oreilles souffrent le martyr. Que de fracas, que d'explosions, que d'énormes grincements, de rugissements de moteurs, de manœuvres de chenilles, de sifflements de missiles multiples, d'écrasements rouges vifs.
Parfois un bâtiment s'effondre, nous recouvrant de poussière et nous sonnant à cause des gravats fondent sur nous par centaines.
Nous avançons avec beaucoup de mal. Nous sommes comme empêtrés dans un marécage d'acier fondu et d'huile. Nous n'avons plus la force de pousser un seul cri, de donner un seul ordre, d'aligner correctement un ennemi. Nous suivons la cavalerie qui charge, et détruit tout sur son passage.
Je jette un regard derrière moi afin de me rendre compte de la situation de ma section. Toute l'avenue est défoncée, enflammée, des corps en charpies se disputent le macadam à moitié fondu avec les plaques de blindage calcinées et les obus vides.
Enfin, c'est la place. La place tant convoitée. La place si bien défendue. La place qui nous fait stopper et qui détruit trois de nos blindés en quelques secondes. La place qui empêche nos véhicules de manœuvrer et les mets dans une situation plus que critique, dans la situation d'une tortue retournée qui se débat maladroitement tant bien que mal mais qui ne fait que s'épuiser pour mourir plus vite. Enfin c'est la place qui nécessite une dernière action des partisans pour dégager la voie.
Nous la chargeons encore et encore. Nous nous heurtons à un véritable hérisson dont la chair est de sacs de sables et d'abris en béton et dont les piques sont des canons de mitrailleuses et de lance-roquettes. Nous tombons sans cesse et nous relevons aussi sec. Nous pataugeons dans la glaise, le sang et le goudron, englués dans la crasse. Paris veut nous avaler et le hérisson nous pousse toujours plus vers le fond du gouffre.
Les fourmis que nous sommes, toutes les unes sur les autres, avançant avec acharnement en méprisant ce qui leur barre la route, parviennent tout de même à approcher le hérisson d'assez près pour lui arracher quelques aiguilles et quelques lambeaux de chair. Le hérisson a maintenant une faille dans laquelle les fourmis s'engouffrent. Elles bouffent le hérisson de l'intérieur et en quelques minutes la boule piquante sur pattes s'effondre.
Alors les chars recommencent à avancer et prennent position sur toute la place qui est bien trop petite pour pouvoir contenir l'armada. Les soldats qui ne jonchent pas le sol lèvent les mains. Comme ils sont propres, comme ils sont conventionnels face à nous. Nous, pauvres hères pouilleux, ne pouvant plus nous reconnaître entre nous tant nous sommes crasseux. Nous portons nos mains poisseuses à nos armes grasses et sommons les survivants de ne pas bouger. Je n'ai même plus une seule balle de M-16. Heureusement, j'ai toujours le Mauser.
Nous arrivons finalement fièrement sur la Bastille avec une petite poignée de blindés qui ne nous ont accompagné que pour redonner le moral aux troupes. La cinquantaine de prisonniers est mise là où il y a de la place. Mais pas le temps de nous reposer, il nous faut retourner à la place d'Italie fraichement reprise. Le reste de ma section se hisse sur un char Leclerc qui nous dépose au centre de la place. J'y retrouve Ritchie et Jack, aussi éprouvés que moi.
-On l'a fait les gars...
Mes amis hochent la tête.
-Mais à quel prix? Ajoute Ritchie.
-Maintenant, nous avons de sérieuses chances d'y croire. La moitié de la rive gauche est à nous. Dit Jack.
-Ils ne se laisseront pas faire aussi facilement. Il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers.
300 soldats, 15 chars d'assaut, 26 blindés légers ont rejoint nos rangs aujourd'hui. Cette jonction et la reprise d'Italie nous aura coûté 146 partisans, 5 chars et 8 blindés de reconnaissance et de transport de troupes.
Allongé sur le sol même, la tête posée sur ma parka crade roulée en boule, je fume en observant le ciel bleu, luttant pour ne pas m'endormir malgré le bruit des véhicules qui se mettent en route pour sécuriser tous nos territoires et le brouhaha des hommes qui font l'inventaire du nouveau matériel que nous avons saisi. Jérôme Blanquet, le seul sous-off' de ma section encore debout, vient me rejoindre et me demande poliment une cigarette.
-Je pensais que tu ne fumais pas. Dis-je en lui donnant la clope.
-Je fume pas. Répond-il en la portant à ses lèvres.
Je m'assoie pour lui allumer.
-Quel est l'état de ta section?
Il grimace et renifle, l'air gêné.
-Lourdes pertes?
Il baisse les yeux.
-C'étaient... C'étaient tous mes amis... Tous... Ils sont tous...
Il fond en larmes et colle son visage contre mon épaule. D'une main tremblante il saisit mon bras.
-J'en peux plus, chef... Jacques, Krowczy, Arfat, Guido... Y'en a plus un seul... Et Guido nom de Dieu... Ses jambes... Ses jambes! Il hurlait, je savais plus quoi faire, je paniquais, j'étais plein de sang, on devait tenir cette putain de barricade et lui il gueulait, c'était atroce!
Je suis totalement désemparé. Je mets ma main dans son dos pour tenter vaguement de le réconforter.
-C'est fini petit, c'est fini.
-Ça ne sera jamais fini... Tant qu'on ne sera pas entré dans l'Élysée ça ne finira jamais.
-L'hydre a plusieurs têtes de tailles différentes que l'on devra couper avant d'accéder à la plus haute.
-L'hydre a massacré mes amis sous mes yeux. Et sous mes putains d'ordres! Sergent mon cul! J'aurais dû continuer à aller à l'université, à faire comme si de rien était.
-Tu le penses vraiment?
-Non... Non... Je préfère encore crever pour ma cause, que je crois profondément juste, que de rester dans ce monde de larves les yeux constamment fermés... Je suis désolé d'avoir craqué.
-Ne t'inquiètes pas, c'est humain.
Il se relève:
-Merci. Vraiment, merci.
Et il repart, tranquille. Merci pour quoi? Pour deux mots et un sourire réconfortant? Tous les hommes ici sont comme lui, au bout du rouleau. J'espère que nos nouveaux alliés sont méchamment motivés, parce que nos gars ont un grand besoin de se reposer.
Commentaires
- Conan
19/05/2011 à 19:12:52
Ça vient!
Période de bac oblige, j'ai beaucoup moins de temps pour écrire - C4MeL
19/05/2011 à 10:53:46
Sweet ?
- Yankee-Six
13/05/2011 à 19:34:33
J'adore, mais bon inutile de le répéter 360000 fois !