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Ca faisait des années que je n'avais pas foulé le sol de cette rue. Tout en marchant respectueusement, je me dirigeais vers ce qui fut autrefois ma maison, mon lieu d'habitation. Je comptais leur faire la surprise. À vrai dire, je n'avais pas eu envie de me taper de longues retrouvailles téléphoniques.
À aucun moment ils ne m'avaient manqué. À aucun moment je n'avais pensé à eux. Et tout d'un coup, le besoin, le manque. D'où la raison de ma venue. J'ouvris le portillon et m'engageai dans l'allée, puis arrivé devant la porte je sonnais. J'entendis soudain un cri de bébé, une femme qui le grondait et des pas qui se rapprochaient.
Une mère d'une vingtaine d'années m'ouvrit, portant dans ses bras son enfant. Intrigué par ma présence, elle m'examina et finit par me reconnaître.

"Vous êtes le gars du groupe là, Cherub Rock non ?
- Euh oui... Je... Vous savez où habitent les personnes qui vivaient ici avant ?
- Ah, elles sont mortes !"

Elle n'avait pas l'air de se douter du pourquoi de ma demande. J'étais abasourdi par sa réponse. Son copain arriva derrière elle.

"Bonjour, qu'est-ce qu'on peut faire pour vous ?
- Rien je crois. Ces personnes étaient mes parents.
- Oh", dit la femme en comprenant sa bêtise." Vous aviez peu de contact avec eux ?
- Ouais... Vous savez ce qui leur est arrivé ?
- Oui, l'agent immobilier nous a raconté, entrez entrez..."

Je pénétrai dans mon ancien "chez moi" et me dirigeai instinctivement vers le salon. Les photos à mon effigie avaient été remplacés par celles du jeune couple et de leur bébé. La disposition des meubles avait également été radicalement changé. Je redécouvrais ce qui n'avait pas bougé d'un iota dans mes souvenirs. Ils m'invitèrent à m'asseoir et à ma demande m'amenèrent un verre de cognac. Le bébé qui s'était calmé me regardait avec de grands yeux, puis il repartit jouer avec un train en plastique.

"Il nous avait prévenu du suicide qui avait eu lie...
- Un suicide ?!
- Qui avait eu lieu ici. Il était bien bavard cet agent. Accrochez-vous, je ne vous raconte pas ça de gaieté de coeur.
- D'accord.
- Apparemment, votre père serait parti avec une jeune laissant votre mère seule. Un peu plus tard, il se tuait dans un accident de la route. Folle de chagrin, vote mère se serait coupé les veines ici, dans ce même salon, tout en regardant un album photo. Enfin ça c'est ce qu'on en a déduit, vu qu'on l'a retrouvé il y a quelques semaines plein de sang.
- Si vous voulez quelque chose, un soutien ou peu importe, nous sommes à votre disposition. Vous avez une copine ?
- Ca va aller... Merci pour tout.
- Je... Vous voulez l'album photo ? Ou un souvenir qui serait éventuellement resté ici ?
- Non."

Je finis rapidement le verre d'alcool et partis après leur avoir fait un dernier geste de remerciement.

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Je marchais. Sans direction particulière, à vrai dire je cherchais même à me perdre. En tout cas, dans mon esprit, c'était gagné.
Etait-ce ma faute ? Mon père devait sûrement rester avec nous pour ne pas se déshonorer auprès de moi. Et j'ai fait subir à ma mère l'affront de partir à jamais de chez moi. Mais de toute façon ça n'avait plus d'importance. Je ne pouvais plus leur faire de peine. Et ne pourrais plus jamais leur en faire.
Le soir était déjà tombé. En passant devant une épicerie de nuit, je m'achetais une bouteille d'alcool et sortais de la ville, toujours à pied. Je me trouvais un coin sympa à l'abri des regards et me saoulait encore, comme j'en avais tant pris l'habitude récemment. Quand je vivais chez mes parents, je ne buvais pas d'alcool, c'était mon père qui le faisait. En fait je devenais comme lui. Un salopard d'ivrogne qui trompait sa femme.
et maintenant ils étaient passés de l'autre côté. Sans jamais m'avoir revu. Ils étaient morts. Morts. MORTS.