Note de la fic :
Publié le 15/05/2010 à 13:43:44 par Cérate
Deuxième nuit.
Il fait nuit. On devine la lune, pleine, sous une brume légère.
Les deux généraux sont à nouveau venus me chercher. Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. Longtemps, sûrement, au vu de mes muscles sont endoloris, mais pas encore assez : le démon est toujours là, dans mon esprit. Il a pris son mal en patience, s'est installé. S'est creusé un nid dans le brouillard, piochant dans mes idées pour s'abreuver. Occasionnellement, il me rappelle sa présence d'un coup de griffe.
J'ai du mal à me concentrer. Il me faut parfois plusieurs secondes pour me clarifier les idées. J'ai dû passer très près de la mort pour être en si mauvais état.
Sur le chemin menant au camp, à un jet de flèche de là, je demande à ce qu'on installe ma tente près du chêne. L'arbre me rassure, il semble connaître le passé qui se dérobe à ma mémoire. Il a tout vu, tout entendu, il étend ses branches noueuses dans chaque direction. Il est là depuis cent ans, et sera encore là quand mes os seront retournés à la poussière. Si seulement je pouvais le questionner ! Qui étais-je avant de me réveiller sous son tronc nu ?
Un éclaireur vient nous prévenir que l'ennemi s'est rassemblé à dix lieues de là. Le campement grouille d'activité : on rassemble les chevaux, les hommes enfilent leurs armures. Beaucoup ont l'air malades : ils ont les yeux cernés, les cheveux sales et la peau blanche. Mais les épées sont aiguisées, et les chevaux robustes. Nous vaincrons.
Notre charge est brisée par un mur de lances. Les fantassins ennemis ont un genou à terre, la hampe au poing, et ils tiennent bon. Je donne l'ordre de sonner la retraite. Mes cavaliers se rassemblent derrière moi, tandis que l'adversaire en profite pour avancer. Mais c'est un piège : mes archers surgissent alors des bosquets, les arrosent d'une pluie de bois et de fer, puis la cavalerie charge sur les lanciers désorganisés.
La mêlée dure depuis plusieurs heures. Mon épaule est douloureuse, chaque coup d'épée donné m'arrache un gémissement, mais je me sens apaisé, car le démon me laisse tranquille. Il regarde le spectacle, semble l'apprécier, et en oublie presque de me torturer.
Mes hommes sont plus puissants. L'ennemi est maladroit, ses gestes confus. On le sent prêt à s'enfuir. Il a peur.
C'est alors que je l'ai vue, et que l'issue du combat a basculé.
Elle devait être là depuis le début de l'engagement, donnant des ordres à mi-distance. Dans le chaos de la bataille je ne l'avais pas remarquée.
Elle est belle, magnifique même. Plus douce encore que la lune qui la contemple avec tendresse. Elle a des cheveux immenses et noirs, qui lui descendent jusqu'au bas du dos. Ils encadrent une face pâle, livide, presque translucide : on dirait un fantôme. C'est la seule femme de toute la plaine. Elle n'a même pas vingt ans, et pourtant elle paraît plus imposante encore que tous les hommes présents. L'uniforme impeccable des chevaliers qui forment un cercle autour d'elle montre bien son rang : si ils la protègent en une ronde si serrée, c'est qu'elle est précieuse, très précieuse.
Elle est à une trentaine de pas du carnage, et pourtant je peux distinguer ses émotions plus aisément encore que si elle était collée contre moi : elle exhale la tristesse et le désespoir de toute son âme. Je vois ses sentiments. Ils se propagent aux alentours, font hésiter ses soldats comme les miens. Ils contournent les morts, s'attardent quelques secondes sur les vivants... Ils me cherchent.
Je ressens sa peine au plus profond de mon être, et mon âme pleure.
J'ai la conviction que je la connais depuis toujours.
Elle me regarde. Ses yeux ne clignent pas tandis qu'elle me fixe. Je suis entouré d'alliés, car les combats se sont déplacés à quelques pas de là. Alors je range mon arme dans son fourreau, sans lâcher un seul instant ses pupilles noires. Les larmes coulent, sur ses joues comme sur les miennes. Elle murmure un mot, j'ai l'impression qu'elle me parle. Je crois comprendre, je hoche la tête.
Elle secoue la sienne, négativement, puis essuie ses paupières humides.
Alors elle lève les bras, légèrement écartés, comme pour bénir la foule. Au même instant un vent violent se lève, faisant tourbillonner les quelques feuilles qui ne sont pas encore pourries par l'humidité de l'hiver. Il s'engouffre en sifflant parmi les combattants, puis retombe aussi soudainement qu'il est apparu. Levant les yeux, je m'aperçois alors que la lune est cachée. Il fait maintenant nuit noire, comme si les bourrasques, en un instant, avaient concentré tous les nuages de la région au dessus du champ de bataille. On les devine, là-haut, l'air menaçant. Le tonnerre gronde, malgré l'hiver, malgré le froid. De la magie ? J'ai peur, pour mes hommes et moi-même.
La foudre vient frapper un de mes soldats, puis deux autres, quasiment au même instant. La déflagration est assourdissante. Les coups d'épée se font moins violents : l'ennemi semble interdit, et mes propres fantassins ont l'air paniqués. Un moment passe, quelques secondes peut-être. Puis d'autres éclairs fendent les nuages, et mes guerriers tombent, agitant comiquement leurs sabres inutiles avant de s'effondrer, la face contre terre.
Je crie.
Pour chaque éclair qui s'imprime sur ma rétine, un coup de poignard me traverse la tête. Je hurle, je hurle de toutes mes forces l'ordre de retraite. Ma voix traverse la plaine, s'amplifie et se déforme, devient de plus en plus grave, comme le cris d'un animal à l'agonie. Elle couvre le tonnerre, l'isole, puis prend sa place. Il fuit, honteux.
Quant à moi, je ressens un grand vide : la douleur de mon crâne est partie avec le hurlement.
Je dois avoir des pouvoirs aussi.
Qui suis-je ?
Trou noir. Je suis de retour au pied du grand chêne. On s'y sent bien, reposé. L'aube commence à poindre. Je m'allonge, et tant pis pour la tente et le froid.
Il fait nuit. On devine la lune, pleine, sous une brume légère.
Les deux généraux sont à nouveau venus me chercher. Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi. Longtemps, sûrement, au vu de mes muscles sont endoloris, mais pas encore assez : le démon est toujours là, dans mon esprit. Il a pris son mal en patience, s'est installé. S'est creusé un nid dans le brouillard, piochant dans mes idées pour s'abreuver. Occasionnellement, il me rappelle sa présence d'un coup de griffe.
J'ai du mal à me concentrer. Il me faut parfois plusieurs secondes pour me clarifier les idées. J'ai dû passer très près de la mort pour être en si mauvais état.
Sur le chemin menant au camp, à un jet de flèche de là, je demande à ce qu'on installe ma tente près du chêne. L'arbre me rassure, il semble connaître le passé qui se dérobe à ma mémoire. Il a tout vu, tout entendu, il étend ses branches noueuses dans chaque direction. Il est là depuis cent ans, et sera encore là quand mes os seront retournés à la poussière. Si seulement je pouvais le questionner ! Qui étais-je avant de me réveiller sous son tronc nu ?
Un éclaireur vient nous prévenir que l'ennemi s'est rassemblé à dix lieues de là. Le campement grouille d'activité : on rassemble les chevaux, les hommes enfilent leurs armures. Beaucoup ont l'air malades : ils ont les yeux cernés, les cheveux sales et la peau blanche. Mais les épées sont aiguisées, et les chevaux robustes. Nous vaincrons.
Notre charge est brisée par un mur de lances. Les fantassins ennemis ont un genou à terre, la hampe au poing, et ils tiennent bon. Je donne l'ordre de sonner la retraite. Mes cavaliers se rassemblent derrière moi, tandis que l'adversaire en profite pour avancer. Mais c'est un piège : mes archers surgissent alors des bosquets, les arrosent d'une pluie de bois et de fer, puis la cavalerie charge sur les lanciers désorganisés.
La mêlée dure depuis plusieurs heures. Mon épaule est douloureuse, chaque coup d'épée donné m'arrache un gémissement, mais je me sens apaisé, car le démon me laisse tranquille. Il regarde le spectacle, semble l'apprécier, et en oublie presque de me torturer.
Mes hommes sont plus puissants. L'ennemi est maladroit, ses gestes confus. On le sent prêt à s'enfuir. Il a peur.
C'est alors que je l'ai vue, et que l'issue du combat a basculé.
Elle devait être là depuis le début de l'engagement, donnant des ordres à mi-distance. Dans le chaos de la bataille je ne l'avais pas remarquée.
Elle est belle, magnifique même. Plus douce encore que la lune qui la contemple avec tendresse. Elle a des cheveux immenses et noirs, qui lui descendent jusqu'au bas du dos. Ils encadrent une face pâle, livide, presque translucide : on dirait un fantôme. C'est la seule femme de toute la plaine. Elle n'a même pas vingt ans, et pourtant elle paraît plus imposante encore que tous les hommes présents. L'uniforme impeccable des chevaliers qui forment un cercle autour d'elle montre bien son rang : si ils la protègent en une ronde si serrée, c'est qu'elle est précieuse, très précieuse.
Elle est à une trentaine de pas du carnage, et pourtant je peux distinguer ses émotions plus aisément encore que si elle était collée contre moi : elle exhale la tristesse et le désespoir de toute son âme. Je vois ses sentiments. Ils se propagent aux alentours, font hésiter ses soldats comme les miens. Ils contournent les morts, s'attardent quelques secondes sur les vivants... Ils me cherchent.
Je ressens sa peine au plus profond de mon être, et mon âme pleure.
J'ai la conviction que je la connais depuis toujours.
Elle me regarde. Ses yeux ne clignent pas tandis qu'elle me fixe. Je suis entouré d'alliés, car les combats se sont déplacés à quelques pas de là. Alors je range mon arme dans son fourreau, sans lâcher un seul instant ses pupilles noires. Les larmes coulent, sur ses joues comme sur les miennes. Elle murmure un mot, j'ai l'impression qu'elle me parle. Je crois comprendre, je hoche la tête.
Elle secoue la sienne, négativement, puis essuie ses paupières humides.
Alors elle lève les bras, légèrement écartés, comme pour bénir la foule. Au même instant un vent violent se lève, faisant tourbillonner les quelques feuilles qui ne sont pas encore pourries par l'humidité de l'hiver. Il s'engouffre en sifflant parmi les combattants, puis retombe aussi soudainement qu'il est apparu. Levant les yeux, je m'aperçois alors que la lune est cachée. Il fait maintenant nuit noire, comme si les bourrasques, en un instant, avaient concentré tous les nuages de la région au dessus du champ de bataille. On les devine, là-haut, l'air menaçant. Le tonnerre gronde, malgré l'hiver, malgré le froid. De la magie ? J'ai peur, pour mes hommes et moi-même.
La foudre vient frapper un de mes soldats, puis deux autres, quasiment au même instant. La déflagration est assourdissante. Les coups d'épée se font moins violents : l'ennemi semble interdit, et mes propres fantassins ont l'air paniqués. Un moment passe, quelques secondes peut-être. Puis d'autres éclairs fendent les nuages, et mes guerriers tombent, agitant comiquement leurs sabres inutiles avant de s'effondrer, la face contre terre.
Je crie.
Pour chaque éclair qui s'imprime sur ma rétine, un coup de poignard me traverse la tête. Je hurle, je hurle de toutes mes forces l'ordre de retraite. Ma voix traverse la plaine, s'amplifie et se déforme, devient de plus en plus grave, comme le cris d'un animal à l'agonie. Elle couvre le tonnerre, l'isole, puis prend sa place. Il fuit, honteux.
Quant à moi, je ressens un grand vide : la douleur de mon crâne est partie avec le hurlement.
Je dois avoir des pouvoirs aussi.
Qui suis-je ?
Trou noir. Je suis de retour au pied du grand chêne. On s'y sent bien, reposé. L'aube commence à poindre. Je m'allonge, et tant pis pour la tente et le froid.