Note de la fic :
Entropy
Par : Cuse
Genre : Action, Science-Fiction
Statut : C'est compliqué
Chapitre 3 : Rester curieux.
Publié le 26/10/2013 à 23:05:48 par Cuse
Une heure plus tard, l'ambiance avait considérablement évolué. Il était difficile de croire que nous avions tous misé cinq-cents crédits. L'ivresse semblait contagieuse. Samuel et moi, bien sûr, nous étions lentement mis à rire plus fort et à laisser sortir toutes les inanités qui nous traversaient l'esprit au fur et à mesure que les bouteilles se vidaient. Cependant, les trois autres, eux aussi, semblaient éméchés. Hilares à la moindre phrase, nous ressassions tous ensemble les souvenirs de nos années d'études. Ces moments avaient une saveur particulière, quand on savait que nous étions sans doute l'une des dernières générations d'étudiants "old school" à voir le jour. Winthorpe avait annoncé en grande pompe l'avènement de l'apprentissage express, à la manière de ce qui se faisait déjà pour la cuisine. Téléchargez un programme à vos étudiants, et abracadabra, ce sont des cracks. Cinq ans de cours compactés en quarante secondes de transfert. La plupart des connectés avaient accueilli cela comme la plus grande révolution depuis l'électricité. Les autres, les derniers à qui il semblait rester un ersatz d'esprit critique, s'étaient insurgés contre le fait d'envoyer tous les professeurs au chômage, contre le fait d'annihiler tout processus de sélection par l'intelligence et l'expérience. Des générations entières de robots génies, de parfaits travailleurs. Des machines, en somme.
Enfin, "insurgés" n'était sans doute pas le mot correct. Dans cette société où les gens avaient tant de points communs qu'ils ne faisaient plus la différence entre parler aux autres et parler au reflet du miroir, où les médias d'information n'en avaient plus que le nom tant ils étaient vendus à la solde de Winthorpe et n'osaient plus raconter quoi que ce soit qui n'abonde pas en leur sens, il ne servait plus à rien de crier. Il n'y avait plus personne pour vous entendre. Pire, on n'osait plus penser trop fort de peur que les nanomachines, et ainsi le Système, ne l'interceptent. Alors, l'avis minoritaire avait disparu. Mais ça ne faisait rien, ça valait le coup, c'était le prix à payer pour être en bonne santé et en sécurité. A cheval donné, on ne regarde pas les dents.
Encore moins avec un gramme et demi d'alcool par litre de sang. J'avais complètement fini ma fiole de scotch, dont le gout amer s'était atténué au fur et à mesure. Samuel, lui, peinait à terminer sa vodka, grimaçant toujours autant après chaque gorgée. Je me méfiais de l'effet placebo, qui pouvait amener des sensations d'ivresse plus vraies que natures pourvu que l'on y croie. Mais ma vue légèrement trouble, mon équilibre en perdition, le blizzard dans mes pensées et la réconfortante chaleur dans ma poitrine étaient autant de symptômes plutôt convaincants d'une unique réalité : mon programme fonctionnait à merveille. Restait à savoir si j'allais devoir partager le pactole ou non.
« Au fait, comment on vérifie qu'on est vraiment saouls et que c'est pas seulement notre cerveau qui nous fait une blague douteuse ? » demandai-je à l'assemblée pendant un rare silence.
« Parce que tu en doutes encore ? » éclata de rire Samuel une fois de plus.
« J'ai concocté un petit programme pour ça ! On ne risquait pas de vous croire sur parole, vous êtes des mythomanes en puissance ! » répondit Enrique, le seul à ne pas avoir participé, auto-proclamé arbitre du défi. « Il prélève votre degré d'alcool dans le sang et le compare avec celui mesuré automatiquement par les nanomachines. Oui, parce qu'au cas où vous l'aviez oublié, trafiquer les nanos c'est bien, sans se faire chopper c'est mieux ! Allez, l'heure du verdict, je vous envoie ça. »
Quelques secondes plus tard, mon ICP s'illumina. J'autorisai le téléchargement du programme, et ressentis de nouveau ce léger frisson, bien plus court cette fois-ci. L'hologramme d'Enrique était en pleine contemplation de son propre ICP, et un franc sourire apparut sur son visage, ponctué d'un « Aha ! » sonore. Il nous regarda tous alternativement, se délectant à faire monter le suspense, avant d'enfin annoncer :
« Alors ! Le degré d'alcoolémie mesuré par les nanomachines est nul pour tous les deux. MAIS ! Un seul d'entre vous a un taux réel supérieur à zéro, l'autre est juste un gros simulateur comme on en fait plus. Et le gagnant est... Daniel ! »
Tandis que Samuel balançait sa bouteille par terre, la faisant ainsi disparaitre de l'hologramme, j'entamai une petite danse de la victoire entre le canapé et la table basse.
« Allez, par ici les crédits ! Il faudra prévenir Jim qu'il m'en doit cinq cents ! Il est passé où celui-là d'ailleurs ? Il est presque vingt-deux heures trente ! » m'exclamai-je en m'affalant de nouveau dans le canapé.
« Il a peut-être trouvé un boulot... » suggéra Nils, dont l'expression ne laissait aucun doute quant au sarcasme de sa phrase.
« Il s'est mis une cape et un collant et il vole à travers la ville à la recherche des ennemis du Système ! » renchérit Marcus.
« C'est ça, je vous préviens si jamais je le vois pa... » commençai-je, me tournant machinalement vers la baie vitrée.
J'étais certain d'avoir aperçu une lumière sur le toit de mon immeuble, reflétée dans celui d'en-face. Ça ne pouvait plus être la pointe métallique de l'émetteur, à présent que le soleil s'était couché.
« Je crois que j'ai vu un truc. » annonçai-je simplement, alors que les autres explosaient de rire, croyant que je parlais encore de Super-Jim.
Je me levai pour tenter de mieux voir, et aperçus encore une fois une brève lumière provenant du toit. Il y avait définitivement quelqu'un là-haut. Lâchant simplement un « je vais voir » en guise de toute explication, je sortis de l'appartement, alors que les rires redoublaient dans mon dos. La communication se coupa sitôt la porte franchie, et déjà je me dirigeais au pas de course vers la cage d'escalier. Qui pouvait bien être là-haut à cette heure-ci ? Ce n'était pas le créneau de maintenance de l'émetteur, et de toute façon j'avais croisé le technicien la veille. Un autre habitant de l'immeuble ? Pourquoi, et surtout comment ? Seuls le concierge et ce fameux technicien pouvaient passer la serrure électronique.
Après avoir monté les marches quatre à quatre, je me retrouvai devant la porte métallique qui menait à l'extérieur. Elle avait été laissée entrouverte, et un courant d'air froid s'engouffrait dans l'escalier. C'était de plus en plus inhabituel, et ainsi c'est avec plus de prudence que je la poussai et que je sortis à la belle étoile.
Aussitôt, le vent m'encercla, me faisant frissonner de la tête aux pieds. Là, à quelques mètres devant moi, une personne vêtue de noir s'affairait sur la base de l'émetteur météo. Une lampe, sans doute accrochée à sa veste, éclairait le réseau de câbles qui le composait, alors que le panneau métallique qui habituellement le fermait reposait par terre à côté d'un appareil que je ne parvenais pas bien à distinguer. L'alcool n'améliorant pas ma capacité de jugement, je demandai bêtement :
« Qu'est-ce que vous faites ? »
La silhouette se figea dans son mouvement, et une voix féminine me répondit, glaciale :
« Maintenance de l'émetteur. Vous ne devriez pas être ici. »
J'allumai mon ICP, et activai la fonction de Reconnaissance. Elle permettait d'identifier certaines personnes par leur nom et leur poste, par exemple pour repérer les employés dans les magasins ou les professeurs dans les écoles. Ces informations "flottaient" littéralement au-dessus de leur tête. En particulier, tous les employés de Winthorpe en service étaient reliés à cette fonction, et ainsi aisément reconnaissables. Pourtant, à cet instant je ne voyais rien. Soit cette femme faisait des heures supplémentaires non déclarées, soit, bien plus probable, elle ne travaillait absolument pas pour eux.
« Je connais le type qui s'occupe de la maintenance. Il était là hier. Et puis de toute façon, les maintenances ne tombent jamais pendant la nuit. Vous faites quoi, alors ? » répétai-je, titubant légèrement en faisant un pas en avant.
Ayant sans doute senti mon geste, la personne se retourna brusquement. La lampe m'aveugla l'espace d'une fraction de seconde, avant que les nanomachines n'adaptent la sensibilité de mon oeil et ne rétablissent ma vue. Je réalisai alors que l'intrus braquait une sorte d'arme électrique sur moi.
« Hé, oh, oula, du calme ! » balbutiai-je en levant les mains dans un réflexe. Je vous veux pas de mal, moi ! »
La femme sembla avoir un temps d'hésitation, alors que mon regard ne parvenait pas à se détourner de l'appareil qu'elle tenait.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-elle simplement.
« J'habite un peu plus bas. J'ai... j'ai vu de la lumière, alors je suis monté. » répondis-je, me concentrant au maximum pour ne pas dire de bêtise ou avoir un rire nerveux.
« Tu frissonnes... tu n'es pas connecté ?
- Hein ? Ah, si, j'ai juste éteint le régulateur de température.
- Quel intérêt ? » renchérit-elle, suspicieuse.
« J'en sais rien ! J'aime bien avoir froid, je dois être un peu stupide, c'est tout ! Est-ce que je vous demande quel est l'intérêt de tripoter un émetteur météo à vingt-deux heures trente, moi ? Bon, en l'occurrence oui, mais c'est pas la question. » lâchai-je stupidement tout en perdant un peu l'équilibre à cause d'une rafale de vent. Bel effort de concentration Daniel, bravo.
A ces mots, elle baissa lentement son arme et fit un pas en avant. J'osai la regarder en face pour la première fois. Une jeune femme, dont les yeux clairs perçaient les miens. Ses cheveux bruns noués derrière sa tête semblaient se débattre pour voler librement au vent. Les sourcils froncés, elle m'évalua de bas en haut, avant de demander d'une voix qui avait perdu en suspicion ce qu'elle avait gagné en incrédulité :
« Est-ce que tu es... saoul ?
- Bien sûr que non, tout le monde sait que c'est impossible avec les nanomachines, pffft. »
Elle s'approcha encore de quelques pas, et n'était à présent plus qu'à deux mètres grand maximum.
« Tu tiens à peine debout, tu n'arrives pas à garder le regard fixe, tu as l'air d'être prêt à exploser de rire à chaque seconde, et je jurerais sentir ton haleine d'ici. » commença-t-elle, resserrant légèrement l'arme dans sa main. « Pourquoi un type suffisamment riche pour débloquer l'ivresse habiterait dans ce vieil immeuble ? »
« Hum... tu sais quoi ? Je te dis mon secret si tu me dis le tien. » négociai-je, les mots sortant de ma bouche avant que je n'aie le temps de les peser.
« Toi d'abord mon grand. C'est moi qui ai les vingt mille volts. »
C'était l'instant critique. Sans compter mon ébriété, je crevais trop d'envie de faire durer cette aventure et de savoir ce que cette fille faisait sur le toit de mon immeuble en pleine nuit pour réfléchir correctement aux conséquences. Si vraiment elle travaillait pour Winthorpe et que je révélais l'existence de nos petits défis, je m'exposai certainement à de sacrés ennuis. Mais tant pis. Carpe Diem.
« J'ai bricolé un petit programme pour réenclencher l'ivresse. J'ai étudié à la Grande Ecole, ils m'ont filé un kit de développement après mon diplôme. » annonçai-je, non sans une certaine fierté. « Tu... tu bosses pour Winthorpe alors ? Si oui, c'est la première et dernière fois que je fais ça ! Je le jure ! »
Elle m'observa longuement, essayant sans doute de déceler un mensonge. Mes habits négligés et tachés de scotch devaient surement corréler ma version des faits. Je ne sais pas si c'est ce qui réussit à la convaincre, mais elle répliqua enfin, d'un ton sensiblement moins crispé :
« Non, je ne travaille pas pour Winthorpe. En fait, c'est plutôt l'inverse. Je suis déconnectée. Je fais partie du groupe Entropy. »
Enfin, "insurgés" n'était sans doute pas le mot correct. Dans cette société où les gens avaient tant de points communs qu'ils ne faisaient plus la différence entre parler aux autres et parler au reflet du miroir, où les médias d'information n'en avaient plus que le nom tant ils étaient vendus à la solde de Winthorpe et n'osaient plus raconter quoi que ce soit qui n'abonde pas en leur sens, il ne servait plus à rien de crier. Il n'y avait plus personne pour vous entendre. Pire, on n'osait plus penser trop fort de peur que les nanomachines, et ainsi le Système, ne l'interceptent. Alors, l'avis minoritaire avait disparu. Mais ça ne faisait rien, ça valait le coup, c'était le prix à payer pour être en bonne santé et en sécurité. A cheval donné, on ne regarde pas les dents.
Encore moins avec un gramme et demi d'alcool par litre de sang. J'avais complètement fini ma fiole de scotch, dont le gout amer s'était atténué au fur et à mesure. Samuel, lui, peinait à terminer sa vodka, grimaçant toujours autant après chaque gorgée. Je me méfiais de l'effet placebo, qui pouvait amener des sensations d'ivresse plus vraies que natures pourvu que l'on y croie. Mais ma vue légèrement trouble, mon équilibre en perdition, le blizzard dans mes pensées et la réconfortante chaleur dans ma poitrine étaient autant de symptômes plutôt convaincants d'une unique réalité : mon programme fonctionnait à merveille. Restait à savoir si j'allais devoir partager le pactole ou non.
« Au fait, comment on vérifie qu'on est vraiment saouls et que c'est pas seulement notre cerveau qui nous fait une blague douteuse ? » demandai-je à l'assemblée pendant un rare silence.
« Parce que tu en doutes encore ? » éclata de rire Samuel une fois de plus.
« J'ai concocté un petit programme pour ça ! On ne risquait pas de vous croire sur parole, vous êtes des mythomanes en puissance ! » répondit Enrique, le seul à ne pas avoir participé, auto-proclamé arbitre du défi. « Il prélève votre degré d'alcool dans le sang et le compare avec celui mesuré automatiquement par les nanomachines. Oui, parce qu'au cas où vous l'aviez oublié, trafiquer les nanos c'est bien, sans se faire chopper c'est mieux ! Allez, l'heure du verdict, je vous envoie ça. »
Quelques secondes plus tard, mon ICP s'illumina. J'autorisai le téléchargement du programme, et ressentis de nouveau ce léger frisson, bien plus court cette fois-ci. L'hologramme d'Enrique était en pleine contemplation de son propre ICP, et un franc sourire apparut sur son visage, ponctué d'un « Aha ! » sonore. Il nous regarda tous alternativement, se délectant à faire monter le suspense, avant d'enfin annoncer :
« Alors ! Le degré d'alcoolémie mesuré par les nanomachines est nul pour tous les deux. MAIS ! Un seul d'entre vous a un taux réel supérieur à zéro, l'autre est juste un gros simulateur comme on en fait plus. Et le gagnant est... Daniel ! »
Tandis que Samuel balançait sa bouteille par terre, la faisant ainsi disparaitre de l'hologramme, j'entamai une petite danse de la victoire entre le canapé et la table basse.
« Allez, par ici les crédits ! Il faudra prévenir Jim qu'il m'en doit cinq cents ! Il est passé où celui-là d'ailleurs ? Il est presque vingt-deux heures trente ! » m'exclamai-je en m'affalant de nouveau dans le canapé.
« Il a peut-être trouvé un boulot... » suggéra Nils, dont l'expression ne laissait aucun doute quant au sarcasme de sa phrase.
« Il s'est mis une cape et un collant et il vole à travers la ville à la recherche des ennemis du Système ! » renchérit Marcus.
« C'est ça, je vous préviens si jamais je le vois pa... » commençai-je, me tournant machinalement vers la baie vitrée.
J'étais certain d'avoir aperçu une lumière sur le toit de mon immeuble, reflétée dans celui d'en-face. Ça ne pouvait plus être la pointe métallique de l'émetteur, à présent que le soleil s'était couché.
« Je crois que j'ai vu un truc. » annonçai-je simplement, alors que les autres explosaient de rire, croyant que je parlais encore de Super-Jim.
Je me levai pour tenter de mieux voir, et aperçus encore une fois une brève lumière provenant du toit. Il y avait définitivement quelqu'un là-haut. Lâchant simplement un « je vais voir » en guise de toute explication, je sortis de l'appartement, alors que les rires redoublaient dans mon dos. La communication se coupa sitôt la porte franchie, et déjà je me dirigeais au pas de course vers la cage d'escalier. Qui pouvait bien être là-haut à cette heure-ci ? Ce n'était pas le créneau de maintenance de l'émetteur, et de toute façon j'avais croisé le technicien la veille. Un autre habitant de l'immeuble ? Pourquoi, et surtout comment ? Seuls le concierge et ce fameux technicien pouvaient passer la serrure électronique.
Après avoir monté les marches quatre à quatre, je me retrouvai devant la porte métallique qui menait à l'extérieur. Elle avait été laissée entrouverte, et un courant d'air froid s'engouffrait dans l'escalier. C'était de plus en plus inhabituel, et ainsi c'est avec plus de prudence que je la poussai et que je sortis à la belle étoile.
Aussitôt, le vent m'encercla, me faisant frissonner de la tête aux pieds. Là, à quelques mètres devant moi, une personne vêtue de noir s'affairait sur la base de l'émetteur météo. Une lampe, sans doute accrochée à sa veste, éclairait le réseau de câbles qui le composait, alors que le panneau métallique qui habituellement le fermait reposait par terre à côté d'un appareil que je ne parvenais pas bien à distinguer. L'alcool n'améliorant pas ma capacité de jugement, je demandai bêtement :
« Qu'est-ce que vous faites ? »
La silhouette se figea dans son mouvement, et une voix féminine me répondit, glaciale :
« Maintenance de l'émetteur. Vous ne devriez pas être ici. »
J'allumai mon ICP, et activai la fonction de Reconnaissance. Elle permettait d'identifier certaines personnes par leur nom et leur poste, par exemple pour repérer les employés dans les magasins ou les professeurs dans les écoles. Ces informations "flottaient" littéralement au-dessus de leur tête. En particulier, tous les employés de Winthorpe en service étaient reliés à cette fonction, et ainsi aisément reconnaissables. Pourtant, à cet instant je ne voyais rien. Soit cette femme faisait des heures supplémentaires non déclarées, soit, bien plus probable, elle ne travaillait absolument pas pour eux.
« Je connais le type qui s'occupe de la maintenance. Il était là hier. Et puis de toute façon, les maintenances ne tombent jamais pendant la nuit. Vous faites quoi, alors ? » répétai-je, titubant légèrement en faisant un pas en avant.
Ayant sans doute senti mon geste, la personne se retourna brusquement. La lampe m'aveugla l'espace d'une fraction de seconde, avant que les nanomachines n'adaptent la sensibilité de mon oeil et ne rétablissent ma vue. Je réalisai alors que l'intrus braquait une sorte d'arme électrique sur moi.
« Hé, oh, oula, du calme ! » balbutiai-je en levant les mains dans un réflexe. Je vous veux pas de mal, moi ! »
La femme sembla avoir un temps d'hésitation, alors que mon regard ne parvenait pas à se détourner de l'appareil qu'elle tenait.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » demanda-t-elle simplement.
« J'habite un peu plus bas. J'ai... j'ai vu de la lumière, alors je suis monté. » répondis-je, me concentrant au maximum pour ne pas dire de bêtise ou avoir un rire nerveux.
« Tu frissonnes... tu n'es pas connecté ?
- Hein ? Ah, si, j'ai juste éteint le régulateur de température.
- Quel intérêt ? » renchérit-elle, suspicieuse.
« J'en sais rien ! J'aime bien avoir froid, je dois être un peu stupide, c'est tout ! Est-ce que je vous demande quel est l'intérêt de tripoter un émetteur météo à vingt-deux heures trente, moi ? Bon, en l'occurrence oui, mais c'est pas la question. » lâchai-je stupidement tout en perdant un peu l'équilibre à cause d'une rafale de vent. Bel effort de concentration Daniel, bravo.
A ces mots, elle baissa lentement son arme et fit un pas en avant. J'osai la regarder en face pour la première fois. Une jeune femme, dont les yeux clairs perçaient les miens. Ses cheveux bruns noués derrière sa tête semblaient se débattre pour voler librement au vent. Les sourcils froncés, elle m'évalua de bas en haut, avant de demander d'une voix qui avait perdu en suspicion ce qu'elle avait gagné en incrédulité :
« Est-ce que tu es... saoul ?
- Bien sûr que non, tout le monde sait que c'est impossible avec les nanomachines, pffft. »
Elle s'approcha encore de quelques pas, et n'était à présent plus qu'à deux mètres grand maximum.
« Tu tiens à peine debout, tu n'arrives pas à garder le regard fixe, tu as l'air d'être prêt à exploser de rire à chaque seconde, et je jurerais sentir ton haleine d'ici. » commença-t-elle, resserrant légèrement l'arme dans sa main. « Pourquoi un type suffisamment riche pour débloquer l'ivresse habiterait dans ce vieil immeuble ? »
« Hum... tu sais quoi ? Je te dis mon secret si tu me dis le tien. » négociai-je, les mots sortant de ma bouche avant que je n'aie le temps de les peser.
« Toi d'abord mon grand. C'est moi qui ai les vingt mille volts. »
C'était l'instant critique. Sans compter mon ébriété, je crevais trop d'envie de faire durer cette aventure et de savoir ce que cette fille faisait sur le toit de mon immeuble en pleine nuit pour réfléchir correctement aux conséquences. Si vraiment elle travaillait pour Winthorpe et que je révélais l'existence de nos petits défis, je m'exposai certainement à de sacrés ennuis. Mais tant pis. Carpe Diem.
« J'ai bricolé un petit programme pour réenclencher l'ivresse. J'ai étudié à la Grande Ecole, ils m'ont filé un kit de développement après mon diplôme. » annonçai-je, non sans une certaine fierté. « Tu... tu bosses pour Winthorpe alors ? Si oui, c'est la première et dernière fois que je fais ça ! Je le jure ! »
Elle m'observa longuement, essayant sans doute de déceler un mensonge. Mes habits négligés et tachés de scotch devaient surement corréler ma version des faits. Je ne sais pas si c'est ce qui réussit à la convaincre, mais elle répliqua enfin, d'un ton sensiblement moins crispé :
« Non, je ne travaille pas pour Winthorpe. En fait, c'est plutôt l'inverse. Je suis déconnectée. Je fais partie du groupe Entropy. »