Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Entropy


Par : Cuse
Genre : Action, Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 10 : Garder son calme.


Publié le 10/11/2013 à 22:47:10 par Cuse

Le trajet du retour fut une véritable épreuve, un concentré de paranoïa. Franchir de nouveau le pont Davids ne m’apporta pas le moindre sentiment de sécurité, au contraire. A l’instant précis où mes nanomachines purent se reconnecter au Système, j’eus la soudaine impression que tout m’observait. Les murs, les gens, même mon propre corps semblait s’ausculter lui-même. Avant cette succincte aventure, je considérais Winthorpe comme les gentils, quoi qu’il arrive. Une sorte de figure paternelle qui avait tendance à se montrer surprotectrice et envahissante pour le bien commun. Ma première impression sur Entropy était celle d’un groupe de rebelles un peu prétentieux, désirant simplement se démarquer pour avoir la sensation d’exister. Des jeunes agaçants en pleine crise d’adolescence. Mais la réalité n’était plus si simple… Les parents se révélaient violents, et les gosses turbulents avaient un véritable potentiel de hooligans. Une famille dans un aller-simple pour l’autodestruction, voilà ce que c’était.
Chaque fois que j’avais la sensation d’être espionné, je me demandais si c’était par Winthorpe, ou par un membre d’Entropy un peu trop fouineur. Avec les uns comme avec les autres, je n’avais aucun droit à l’erreur. Un faux pas, et c’était la chute.

Le soupir de soulagement que je poussai en refermant enfin la porte de mon appartement se serait sans doute entendu depuis l’autre bout de la ville sans l’isolation sonique irréprochable de ces murs. Enfin, j’étais seul, en territoire connu. Je m’effondrai sans aucune forme de procès sur mon canapé, m’enfonçant la tête dans les coussins douillets. Seuls les battements réguliers de mon cœur battant la chamade dans ma poitrine brisaient ce silence effarant. Je tentai de me calmer, d’oublier le monde, d’oublier le temps, de me perdre dans le néant. Ma respiration se fit plus lente, plus douce.
« Daniel. Ne réponds pas, ne dis pas un mot. »
Cette voix sembla provenir de partout et de nulle part à la fois. Je la connaissais sans la reconnaitre. Elle était forte, mais ne possédait pas le moindre écho. Je me redressai instantanément, scannant mon salon du regard. Personne.
« Daniel, c’est Somerset. Tu m’entends grâce aux nanomachines. Tu te souviens de l’appareil que je t’ai laissé ? Va le prendre. Sans un mot. »
J’avais déjà entendu parler de ce moyen de communication, fonctionnant uniquement via le Système, sans technologie extérieure. Seuls les gens importants en avaient. Les autres, moi compris, devaient toujours composer avec un discret appareil à glisser autour de l’oreille. C’était plus encombrant, mais définitivement moins impressionnant.
La voix de Somerset et sa façon de donner les ordres avaient renforcé la sensation de recevoir une injonction divine. Je me levai, et allai me saisir du petit objet métallique que la fine équipe de Winthorpe m’avait confié, la veille.
« Appuie sur la gâchette au-dessus, et scanne-toi. Pas besoin d’être précis, il fonctionne dans un rayon de cinquante centimètres. » poursuivit la voix puissante.

Je m’exécutai, crevant d’envie de poser des questions mais obéissant à ses directives. Je fis glisser l’appareil devant moi, de la tête aux pieds, puis l’inverse, par acquis de conscience. Pas un bruit, pas la moindre réaction.
« C’est bon, c’est négatif. Tu peux parler. » reprit Somerset, légèrement plus détendu. « On avait déjà vérifié ton appartement pour d’éventuels caméras ou micros espions, mais il était probable qu’ils t’en collent un pendant ton passage à Rockhill. »
« Vous pourriez arrêter de parler dans ma tête ? » répondis-je à toute vitesse, relâchant d’un seul coup la frustration accumulée de devoir me taire. « Je ne suis pas habitué, j’ai l’impression de devenir schizophrène, si vous voulez définitivement me faire péter un câble c’est une bonne option. On peut passer en mode conférence ? »
« Pourquoi pas ? » rétorqua-t-il simplement.
Levant mon bras, j’allumai mon ICP, dans l’espoir de changer le mode de conversation. Cela me fut tout bonnement impossible. Il semblait que je n’avais aucun contrôle sur cette communication. Je n’eus pas le temps de demander des explications à mon interlocuteur, car son hologramme apparut soudain au beau milieu de mon salon, assis sur l’accoudoir du fauteuil.
« Vous pouvez m’expliquer ce qu’il se passe là ? Je ne comprends plus grand-chose depuis quelques jours. » lançai-je en écartant les mains dans un geste théâtral.
« C’est une petite procédure d’urgence. Nous pouvons appeler n’importe quel Connecté, sans attendre son approbation, en contournant l’ICP. Très utile. Alors, Daniel, comment ça s’est passé aujourd’hui ? » demanda-t-il en se relevant.

Une minute. S’ils pouvaient initier une connexion avec n’importe qui sans que cette personne n’en soit informée, cela voulait dire qu’ils pouvaient écouter les gens à leur insu, non ? Procédure d’urgence, mes fesses. Parfois, je comprenais Entropy…

« Ça se serait surement bien mieux passé si vous n’aviez pas envoyé deux zombies à Rockhill au moment où j’y étais. » m’énervai-je, faisant un pas vers son hologramme.
« Deux zombies ? » répéta-t-il, incrédule.
« Oui ! Deux putain de zombies ! Les deux membres d’Entropy qui tentaient de pirater les émetteurs météo, que vous avez choppés, et qui sont revenus là-bas complètement lobotomisés ! Vous vouliez me griller ou quoi ? »
« Ah, oui. J’avais confiance en ta capacité d’adaptation. » expliqua-t-il calmement, immobile. « Je savais qu’ils montreraient leur vrai visage si on les provoquait un petit peu… »
« Bien joué, ça a marché du tonnerre ! » ironisai-je, faisant les cent pas devant ma baie vitrée. « J’ai failli me retrouver en pleine mêlée générale, mais à part ça, parfait. Et, merde, c’était vraiment nécessaire de torturer ces deux-là ? »
« Nous n’avons torturé personne. Nous leur avons injecté un petit cocktail de nanomachines qui monte dans le cerveau et désactive la possibilité de mentir, pour pouvoir les interroger. Son seul défaut, c’est que lorsque la personne s’entête à essayer d’inventer des histoires, ça a tendance à lui cuire les neurones. Mais ce n’est pas permanent. Dans quelques jours, ils seront comme neufs. »
« Cela ressemble sévèrement à de la torture, pour moi ! Et la fille, hein ? Ses bleus, son poignet pété, c’est les nanomachines aussi ? » accusai-je, pointant ostensiblement Somerset du doigt.
« Non, c’était de l’auto-défense. Lorsque nos hommes ont essayé de l’intercepter, elle a sorti un pistolet. Un vrai, pas un électrique. Elle en a blessé un à l’épaule avant de se faire lourdement plaquer au sol, le poignet plié dans le dos pour lui faire lâcher l’arme. Nous ne sommes pas les méchants, Daniel. » déclara-t-il, en insistant solennellement sur cette dernière phrase.
Qui croire, de toute façon ? Un camp comme l’autre pouvaient bien me raconter des salades. Ce n’était pas à celui qui dirait la vérité, mais bien à celui qui arriverait le mieux à me baratiner. Tu parles d’une affaire…
« C’est bon, tu es prêt à m’expliquer un peu ce que tu as appris là-bas pour que l’on décide ensemble de la marche à suivre, ou tu veux continuer à nous accuser de tout et de rien ? »

Je pris une profonde inspiration, fixant son hologramme pendant quelques secondes, me demandant sincèrement si je devais l’envoyer se faire voir ou lui répondre. Mon côté sage l’emporta, et je décidai de jouer le jeu :
« Ils sont une soixantaine, plus d’autres membres inactifs qui leur rendent des services. Pas organisés dans une véritable hiérarchie, il n’y a pas de leaders bien définis. Ils sont en pleine crise interne, avec deux groupes qui se détachent : les pacifiques, majoritaires, qui veulent continuer à mener des actions symboliques, et les extrémistes, qui ont l’air de se préparer aux choses sérieuses. Ils communiquent avec des talkiewalkies, un de ces modèles à longue portée comme on voyait dans toutes les séries holovisées il y a quinze ans. Sinon… le point de rendez-vous était dans un bar, et ils se sont rassemblés dans l’arrière-salle au moment du retour de vos deux chers prisonniers de guerre, mais je ne pense pas que ce soit leur quartier général. C’est trop petit, trop vide. Je crois que c’est tout… » conclus-je enfin après un dernier temps de réflexion.
J’avais aperçu l’hologramme de Somerset faire des gestes dans le vide au début de mon exposé. Sans doute était-il toujours au siège de Winthorpe, et avait-il fait signe à son équipe d’être attentifs, ou lançait-il une quelconque fonctionnalité d’enregistrement. Il eut une absence de quelques secondes pendant lesquelles son regard se baladait de haut en bas, puis il prit la parole :
« Pas de scoop, malheureusement. Nous avions déjà essayé de nous brancher sur leur réseau de communication, mais ces talkiewalkies sont de fabrication militaire et sont justement étudiés pour être utilisés en réseau fermé, avec une identification très poussée. Et toi, dans tout ça ? Ton intégration parmi eux ? »

J’avais omis de parler d’un ou deux légers détails qui m’avaient marqué. Pourquoi Eleanor avait-elle mis tant de temps à arriver au bar, pourquoi sa voix sonnait-elle si profonde lorsque le barman l’avait appelé, et pourquoi était-elle si crasseuse ? On aurait dit qu’elle avait fouiné dans une cave, ou un autre endroit exigu et poussiéreux de ce genre. Ce n’était probablement pas important. Et puis, en un sens, mon instinct me disait de garder certaines informations pour moi.
« Eleanor m’a pris un échantillon de sang pour calibrer la machine servant à purger le corps des nanos. Elle a dit que ce serait prêt demain. Et, grâce à vos conneries, je me suis retrouvé coincé entre leurs deux clans internes, chacun voulant que je bosse avec lui en exclusivité. » expliquai-je, m’énervant de nouveau petit à petit.
« Attention à cette Eleanor. On sait que dans certaines circonstances Entropy se sont ouverts des portes grâce à la séduction. Les nanomachines ne rendent pas invulnérables à cela, malheureusement… Elle pourrait bien être un de leurs atouts de charme. Ne te laisse pas embobiner. Quel clan est-ce que tu as choisi, alors ? »
Je serrai le détecteur de micros dans mon poing, si fort que malgré l’apparente solidité de l’engin, j’entendis certaines pièces craquer sous mes doigts. Ils n’avaient pas le droit de me balancer tout seul dans la gueule du loup, puis de me prendre pour le dernier des idiots naïfs avec de telles banalités. L’attitude gentille d’Eleanor à mon égard était à peu près le seul élément positif que je trouvais dans toute cette histoire.
« Aucun, j’ai temporisé. Mon contact est chez les pacifistes, et je voulais éviter de me faire lyncher par les autres. » rétorquai-je, du sarcasme plein la voix.
« Bien. Ce sont évidemment les extrémistes qui nous intéressent, mais si tu vas trop vite, tu risques de te faire éjecter avant d’apprendre quoi que ce soit. Reste avec ton contact, mais essaye de ne pas fermer la porte aux ultras. Dès que tu pourras, tu te rapprocheras d’eux, discrètement. » exposa Somerset, qui semblait réfléchir au fur et à mesure qu’il avançait dans ses phrases.

Voilà. Il était là, le point de rupture.

« Et quand j’aurai fait ça, si par miracle je ne me suis pas encore fait assassiner par un timbré ou un autre, vous me demanderez encore autre chose. Puis autre chose ! Puis autre chose encore ! Je suis un ingénieur, moi, pas un foutu espion, putain ! » hurlai-je, m’avançant vers l’hologramme comme pour le menacer. « J’ai déjà eu du mal à ne pas me faire passer à tabac en une heure là-bas, et vous espérez que je réussisse à « me rapprocher d’eux discrètement » ? J’ai le choix entre me faire lobotomiser et éjecter de la ville maintenant par vous, ou me faire abattre et jeter dans le canal dans deux jours par eux. Fantastique ! Quel putain de libre arbitre ! »
Je résistai de toutes mes forces à l’envie de lancer le capteur dans la figure désespérément calme de Somerset, ce qui bien évidemment n’aurait servi à rien d’autre qu’à me défouler un peu. Et j’eus encore plus envie de le faire lorsqu’une pensée effrayante me traversa l’esprit. Ce n’était pas une mince once de raison et de self-control qui m’empêchaient de catapulter l’objet à travers l’appartement. C’était ces foutus nanomachines, qui maitrisaient encore et toujours mon agressivité. Je pouvais m’énerver tant que je voulais, mais je ne passerais pas à l’acte. Oh, vivement, vivement le lendemain, que l’on me retire ces chaines, que je puisse enfin péter un câble en toute liberté…

« Tu as aussi des intérêts, dans l’affaire. » déclara-t-il simplement, une réponse aux antipodes de ce à quoi je m’attendais.
« Quels intérêts ? A quoi ça va me servir, un bel appart et un boulot bien payé, si je suis mort ? »
« Les réponses que tu cherches. C’est là-bas qu’elles se trouvent. »
« Tsss. Vous ne savez pas ce que je cherche. Laissez tomber le baratin. » soufflai-je en me retournant vers la baie vitrée pour ne plus voir sa tête de faux-jeton.
« La personne qui a tué tes parents appartenait à Entropy, Daniel. A toi de voir. »

Mon rythme cardiaque doubla, alors que mon corps tout entier se tétanisait. J’entendis le bruit caractéristique de la conférence holographique qui se coupait. Une rage folle, indescriptible, m’envahit d’une telle puissance que c’en était douloureux. Et à cause des nanomachines, je ne pouvais même pas la libérer. Pas encore.


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