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L'Apostolat des Oiseaux


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 13 : Un abcès odieux sur un corps malade


Publié le 16/01/2014 à 22:49:03 par Loiseau

[c]Pelecanus

Un abcès odieux sur un corps malade
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Au cours du siècle dernier de nombreux changements eurent lieu dans les pays sud-américains. Les cartels, plus puissants que jamais, prirent le pouvoir et s’unirent dans l’une de ces associations criminelles regroupant plusieurs « familles », à l’équilibre précaire. Malgré les dangers que représentait ce brusque revirement de situation l’AEA se refusa à toute intervention pacificatrice, ce qui me conduit à penser que les Dirigeants ne sont pas à étrangers à cette montée subite et violente du crime organisé, et s’ils n’en sont pas les instigateurs ils devaient tout du moins y avoir quelque intérêt.
Paradoxalement, l’arrivée au pouvoir des cartels représenta une amélioration nette de la situation écologique mondiale, la forêt amazonienne ayant été presque entièrement rasée – entrainant de nombreuses catastrophes naturelles – les chefs des cartels décidèrent de la replanter. Il s’agissait de donner une sorte de légitimité, ou du moins de dédramatiser, le coup d’état mais aussi de profiter de la situation pour augmenter leur production de drogue. Nous nous retrouvâmes donc face à des centaines de milliers d’hectares de champs de cannabis, coca, pavot somnifère, salvia et autres substances narcotiques et psychotropes. Le reste fut replanté avec des arbres, mais à cause des conditions climatiques changeantes et de la pollution ils poussèrent de manière anarchique, voire mutante.
Des maisons de plaisir, mêlant drogues et prostitution, fleurirent un peu partout sur le continent. Le trafic d’armes et d’êtres humains prit également une ampleur dramatique et la violence régnait, du moins au début. Par la suite, les cartels eux-mêmes mirent en place des milices visant à pacifier les rues.
Ils ne firent bien évidemment pas cela par bonté de cœur, mais car le potentiel touristique de ce « continent du vice » semblait – et s’est avéré – monumental. Or aucun millionnaire euraméricain n’aurait accepté de voyager dans un lieu aussi dangereux, malgré la promesse de débauche absolue que faisaient miroiter la mafia.
Dès lors, ce continent devint une sorte de Las Vegas géant, véritable parc d’attraction du vice et de la décadence. Tout y est accessible, les drogues les plus dures comme les prostituées les plus jeunes. Aucune loi écrite ne régit cette terre, seulement des accords tacites basés sur la devise « L’Argent est dieu et le client roi. »

Par une chance inouïe, l’Apostolat sût infiltrer les hautes sphères des cartels grâce à Balearica, une trafiquante de drogues reichéeenne que Vellere rencontra avant son exil dans les Territoires Berbères. Il réussit à la convaincre de rejoindre l’Apostolat et lui fit don de l’un des Masques. Balearica s’en fût donc en Sudamérique et parvint rapidement à s’imposer comme l’une des trafiquantes les plus efficaces du pays. Elle se lança également en tant que proxénète, asseyant un peu plus son influence grandissante. Elle est désormais l’un des Apôtres les plus utiles à notre cause, sa position lui permettant de récupérer des informations sur les actions des Dirigeants ou de leurs sous-fifres. Bien entendu, ses filles lui servent également d’oreilles et elles savent tirer avec une efficacité remarquable les vers du nez du plus loyal larbin des Dirigeants.
Il sera sans doute difficile aux générations futures d’imaginer la Sudamérique de 2284, car aucune description ne saurait recréer l’atmosphère glauque des rues, certes propres et entretenues, mais respirant la misère. Personne n’est capable de poser des mots sur la souffrance, le désespoir et la détresse absolue contenus dans le regard de ces enfants de dix ans, parfois moins, à peine vêtus et attendant sous les portes cochères qu’un client les ramasse, le tout sous l’œil satisfait et cupide d’un maquereau armé jusqu’aux dents posté au coin de la rue. Et qui pourrait exprimer l’horreur que l’on ressent au petit matin, face à des hordes de zombis à visage humain, hommes, femmes et enfants, errants dans la ville vêtements déchirés, maquillage dégoulinant de sueur, de larmes ou de sperme, cherchant un lieu isolé où ils pourront, enfin, panser leurs plaies tant physiques que mentales. Ou encore, comment décrire avec réalisme et sans fard l’état pitoyable des drogués gisants dans le caniveau, parfois morts, parfois pas tout à fait, dont la milice emportera bientôt les corps brisés pour en faire Dieu sait quoi ?
Un abcès monstrueux sur un corps malade, voilà la manière dont pourrait être décrite la Sudamérique de notre époque. Une terre sans loi où le plus fort domine et où les faibles sont baisés. Littéralement.

Au fond, toute cette misère n’est qu’un prolongement de l’AEA. Sans la politique au-delà du capitalisme qu’imposent les Dirigeants dans le monde entier, nous ne serions pas face à ce problème, ou du moins il n’aurait pas cette ampleur. Bien sûr, il ne suffira pas de tuer les Dirigeants pour tout régler. Mais sans leur appui, les cartels seront cruellement affaiblis et nous pourrons nettoyer la plaie purulente qu’ils représentent. En attendant, nous sommes forcés d’utiliser les mêmes armes qu’eux. Encore et toujours ce problème d’éthique qui revient sans cesse, mais nous avons juré – nous, Apôtres – de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour renverser les dictateurs qui nous contrôlent.

Même si cela doit impliquer de se servir du corps d’autrui pour arriver à nos fins.

Même si cela nous met les larmes aux yeux, par instant.

Si nous réussissons vous ne comprendrez pas, chères générations futures, ce à quoi vous avez échappé. Et si nous échouons, vous ne comprendrez que trop bien ce que nous vivons en ce moment-même.


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