Note de la fic :
Publié le 13/12/2012 à 22:48:10 par Conan
J'suis bien là. Quelques binouzes, une clope, léger état de fatigue, des courbatures. De bonnes conditions pour vomir un bon texte.
Je suis dans un bar, avec Titi. Un peu ivres, mais pas trop. Juste assez pour délier les langues sans partir en sucette.
-Putain. Ça m'en met un coup pour ce qui est arrivé à Vinny. Qu'il me balance, comme ça, entre deux gorgés de rhum. Il s'en remettra ?
-Il est sorti du coma mais il remarchera sûrement jamais. Ça faisait quelques années déjà que tu l'avais pas vu.
-Ça n'occulte pas le passé.
-Y'a rien qui nous fera oublier tout ça. Jamais rien. C'est des liens qui nous unissent à vie.
-Les liens du sang.
-Frères d'armes, frères de sang. A jamais.
On reste pensifs, regard perdu dans le néant le plus total.
-Il avait mal tourné ces derniers temps ?
-Tu le connais. C'est plus le même depuis Mitrovica.
-On a tous laissé quelque chose là bas.
-Notre âme. Des amis. Pour certains du sang. Vinny a toujours été du genre nerveux. Pas con, mais sanguin. Un peu bestial. Primaire. Ce coté Berserker que nos vieilles sociétés européennes ont oublié depuis pas mal de temps. Vinny n'a jamais été fondamentalement mauvais. C'est la vie qui nous a ôté cette part d'humanité dans le regard. La violence. La violence est partout. C'est elle qui compose nos vies. C'est elle qui fait ce que nous sommes. Tout dans les rapports humains se rapporte à la violence. L'acte sexuel est un acte de domination, l'accouchement se fait dans le sang et les cris. Ta vie, ta réussite, ton audace, ton ambition. Tout a un lien avec la violence. Pas que physique. Elle peut revêtir des tas de formes différentes. Le Kosovo, pour nous, ça a été l'apogée.
-Ça m'aura toujours moins marqué que la Guerre Civile.
-Pas pareil. La guerre civile, c'était chez nous. C'était nos maisons qui brûlaient, nos villes qui étaient pillées, nos familles qui étaient menacées, directement sur notre sol. Là-bas, c'était loin. On était détaché de tout. Froids, calmes, tempérés. Comme un immense terrain de jeu.
Et on referme nos clapets. Pour que je reprenne quelques secondes plus tard.
-Tu te souviens. Cet automne là, où on se gelait les couilles. C'était dans une espèce de marécage, perdu au fond des bois. J'me souviens même plus du nom du bled qu'il fallait attaquer. L'ennemi avait monté un genre d'avant-poste dans un ensemble de petites maisons. Même pas vraiment un village.
-Ouais. Ouais je vois, ouais.
-J'ai tué un gars dans ces marais. J'men souviendrai toujours, de cette mâtinée là. Le brouillard nous empêchait de voir à plus de vingt mètres. On tirait sur des formes qui bougeaient. On était à cinquante mètres les uns des autres. Et on progressait vers eux, empêtrés dans la boue jusqu'aux chevilles. J'avais du mal à décoller mes panards du sol. On était tous les deux, en binôme, toi et moi. Et on avançait, sur ce sentier boueux, à coté de l'étang. Ça tirait ça et là. On avançait vite. On devait déborder les ennemis sur leur flanc droit pour que le reste du groupe les prenne en tenaille à gauche. Ils tenaient bien leurs positions. Ils étaient bien retranchés. Puis on est tombés sur ces deux gars, isolés, perdus, planqués derrière leur palissade. Tu t'en rappelles ? Leur groupe s'était replié et les avait laissés là, à sécher comme deux fruits. Y'en a un qui s'était mis à nous tirer dessus, on était à même pas quinze mètres. On s'était planqués derrière des arbres, on ripostait comme on pouvait. Puis, y'avait ce type, l'autre, un peu plus bas par rapport à son pote, qui avait glissé dans le fossé. Il arrivait plus à remonter à cause de la boue. Quand on était arrivé, il avait paniqué, et plus il remuait pour se sortir de là, plus il s'embourbait. Son pote pouvait même pas l'aider parce que sinon ils risquaient tous les deux se faire descendre. Il était là, à galérer. Son flingue marchait même plus tellement il était encrassé de bouillasse. Tu ripostais sur le tireur, puis moi, j'prenais ma visée. Calme. Froid. Je m'souviendrai toujours de ce moment là, où j'ai ce mec en face de moi, qui va comprendre qu'il est foutu. Qui ressemble à une bête prise au piège qui n'a plus aucun moyen de s'en sortir, plus aucune force, même pas pour survivre. J'ai tiré. Une fois, deux fois, trois fois. Son regard s'est fixé sur moi. Un mélange de terreur et d'incompréhension. Il est tombé a la renverse, en arrière, dans le fossé rempli de flotte, et c'était fini. Puis, j'ai tiré sur l'autre qui se planquait, il devait peut-être prier ou je n'sais quoi.
-Et j'ai balancé une grenade...
-Ouais... Ouais... Tombée pile poil derrière la palissade. Qu'est-ce qu'il était censé faire ce mec ? Partir en courant dans les cinq secondes au risque de se faire percer de partout, ou rester assis, là, en attendant son triste sort et espérant être tué sur le coup.
-Et il l'a été.
-Ouais. La grenade lui avait sauté a la gueule, et on est monté à l'assaut dans la foulée. Et j'ai regardé ce mec dans ce fossé, qui flottait, les yeux grands ouverts, dans l'eau boueuse qui virait au pourpre.
-Tu t'fais du mal, Red.
-Pourquoi ? Pourquoi j'ai buté ce mec, qui essayait juste d'échapper à la mort ? Pourquoi j'lui ai collé trois bastos dans le buffet ? Par mécanisme. J'ai même pas réfléchi. C'était comme ça. On était devenus des machines à tuer. On a perdu Orsini ce jour-là.
-Ça avait été dur pour tout le monde. Le premier gars du groupe qui se faisait buter.
-Qui aurait crû ? Orsini, le grand Corse. Un mètre quatre vingt-dix, pour cent kilos de muscles, son accent chantant et ses blagues qui nous faisaient marrer pendant les coups de déprime. Qui se baladait toujours en se marrant avec sa mitrailleuse sur l'épaule. Paf. D'un coup. En pénétrant dans une maison, une rafale. Fini. C'est suite à ça que j'me suis dit qu'il était temps de rentrer, et d'arrêter toutes ces conneries.
-On faisait même pas ça pour le pognon. Juste pour la cause. La cause perdue d'une minorité prise en otage. Qu'importe qu'on ait été blanc, noir, musulman, chrétien, païen ou athée. On se battait pour un genre d'idéal. A l'ancienne. Parce qu'à l'époque on croyait encore à ce genre de conneries, on croyait encore à la grandeur, à la beauté.
-On est devenus des inadaptés sociaux, Titi. Des sociopathes. Rien n'pourra jamais nous faire sortir de c'qu'on est. Jamais rien ni personne.
Je suis dans un bar, avec Titi. Un peu ivres, mais pas trop. Juste assez pour délier les langues sans partir en sucette.
-Putain. Ça m'en met un coup pour ce qui est arrivé à Vinny. Qu'il me balance, comme ça, entre deux gorgés de rhum. Il s'en remettra ?
-Il est sorti du coma mais il remarchera sûrement jamais. Ça faisait quelques années déjà que tu l'avais pas vu.
-Ça n'occulte pas le passé.
-Y'a rien qui nous fera oublier tout ça. Jamais rien. C'est des liens qui nous unissent à vie.
-Les liens du sang.
-Frères d'armes, frères de sang. A jamais.
On reste pensifs, regard perdu dans le néant le plus total.
-Il avait mal tourné ces derniers temps ?
-Tu le connais. C'est plus le même depuis Mitrovica.
-On a tous laissé quelque chose là bas.
-Notre âme. Des amis. Pour certains du sang. Vinny a toujours été du genre nerveux. Pas con, mais sanguin. Un peu bestial. Primaire. Ce coté Berserker que nos vieilles sociétés européennes ont oublié depuis pas mal de temps. Vinny n'a jamais été fondamentalement mauvais. C'est la vie qui nous a ôté cette part d'humanité dans le regard. La violence. La violence est partout. C'est elle qui compose nos vies. C'est elle qui fait ce que nous sommes. Tout dans les rapports humains se rapporte à la violence. L'acte sexuel est un acte de domination, l'accouchement se fait dans le sang et les cris. Ta vie, ta réussite, ton audace, ton ambition. Tout a un lien avec la violence. Pas que physique. Elle peut revêtir des tas de formes différentes. Le Kosovo, pour nous, ça a été l'apogée.
-Ça m'aura toujours moins marqué que la Guerre Civile.
-Pas pareil. La guerre civile, c'était chez nous. C'était nos maisons qui brûlaient, nos villes qui étaient pillées, nos familles qui étaient menacées, directement sur notre sol. Là-bas, c'était loin. On était détaché de tout. Froids, calmes, tempérés. Comme un immense terrain de jeu.
Et on referme nos clapets. Pour que je reprenne quelques secondes plus tard.
-Tu te souviens. Cet automne là, où on se gelait les couilles. C'était dans une espèce de marécage, perdu au fond des bois. J'me souviens même plus du nom du bled qu'il fallait attaquer. L'ennemi avait monté un genre d'avant-poste dans un ensemble de petites maisons. Même pas vraiment un village.
-Ouais. Ouais je vois, ouais.
-J'ai tué un gars dans ces marais. J'men souviendrai toujours, de cette mâtinée là. Le brouillard nous empêchait de voir à plus de vingt mètres. On tirait sur des formes qui bougeaient. On était à cinquante mètres les uns des autres. Et on progressait vers eux, empêtrés dans la boue jusqu'aux chevilles. J'avais du mal à décoller mes panards du sol. On était tous les deux, en binôme, toi et moi. Et on avançait, sur ce sentier boueux, à coté de l'étang. Ça tirait ça et là. On avançait vite. On devait déborder les ennemis sur leur flanc droit pour que le reste du groupe les prenne en tenaille à gauche. Ils tenaient bien leurs positions. Ils étaient bien retranchés. Puis on est tombés sur ces deux gars, isolés, perdus, planqués derrière leur palissade. Tu t'en rappelles ? Leur groupe s'était replié et les avait laissés là, à sécher comme deux fruits. Y'en a un qui s'était mis à nous tirer dessus, on était à même pas quinze mètres. On s'était planqués derrière des arbres, on ripostait comme on pouvait. Puis, y'avait ce type, l'autre, un peu plus bas par rapport à son pote, qui avait glissé dans le fossé. Il arrivait plus à remonter à cause de la boue. Quand on était arrivé, il avait paniqué, et plus il remuait pour se sortir de là, plus il s'embourbait. Son pote pouvait même pas l'aider parce que sinon ils risquaient tous les deux se faire descendre. Il était là, à galérer. Son flingue marchait même plus tellement il était encrassé de bouillasse. Tu ripostais sur le tireur, puis moi, j'prenais ma visée. Calme. Froid. Je m'souviendrai toujours de ce moment là, où j'ai ce mec en face de moi, qui va comprendre qu'il est foutu. Qui ressemble à une bête prise au piège qui n'a plus aucun moyen de s'en sortir, plus aucune force, même pas pour survivre. J'ai tiré. Une fois, deux fois, trois fois. Son regard s'est fixé sur moi. Un mélange de terreur et d'incompréhension. Il est tombé a la renverse, en arrière, dans le fossé rempli de flotte, et c'était fini. Puis, j'ai tiré sur l'autre qui se planquait, il devait peut-être prier ou je n'sais quoi.
-Et j'ai balancé une grenade...
-Ouais... Ouais... Tombée pile poil derrière la palissade. Qu'est-ce qu'il était censé faire ce mec ? Partir en courant dans les cinq secondes au risque de se faire percer de partout, ou rester assis, là, en attendant son triste sort et espérant être tué sur le coup.
-Et il l'a été.
-Ouais. La grenade lui avait sauté a la gueule, et on est monté à l'assaut dans la foulée. Et j'ai regardé ce mec dans ce fossé, qui flottait, les yeux grands ouverts, dans l'eau boueuse qui virait au pourpre.
-Tu t'fais du mal, Red.
-Pourquoi ? Pourquoi j'ai buté ce mec, qui essayait juste d'échapper à la mort ? Pourquoi j'lui ai collé trois bastos dans le buffet ? Par mécanisme. J'ai même pas réfléchi. C'était comme ça. On était devenus des machines à tuer. On a perdu Orsini ce jour-là.
-Ça avait été dur pour tout le monde. Le premier gars du groupe qui se faisait buter.
-Qui aurait crû ? Orsini, le grand Corse. Un mètre quatre vingt-dix, pour cent kilos de muscles, son accent chantant et ses blagues qui nous faisaient marrer pendant les coups de déprime. Qui se baladait toujours en se marrant avec sa mitrailleuse sur l'épaule. Paf. D'un coup. En pénétrant dans une maison, une rafale. Fini. C'est suite à ça que j'me suis dit qu'il était temps de rentrer, et d'arrêter toutes ces conneries.
-On faisait même pas ça pour le pognon. Juste pour la cause. La cause perdue d'une minorité prise en otage. Qu'importe qu'on ait été blanc, noir, musulman, chrétien, païen ou athée. On se battait pour un genre d'idéal. A l'ancienne. Parce qu'à l'époque on croyait encore à ce genre de conneries, on croyait encore à la grandeur, à la beauté.
-On est devenus des inadaptés sociaux, Titi. Des sociopathes. Rien n'pourra jamais nous faire sortir de c'qu'on est. Jamais rien ni personne.