Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

La mésaventure d'Aliz


Par : PaulAllender
Genre : Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 15 : Spécialisation


Publié le 25/03/2012 à 11:14:23 par PaulAllender

Vous savez, quand je vous ai dit que j'allais avoir des nouvelles de ce pseudo rockeur plus proche du castrat que d'autres choses, c'était peu d'le dire. Le mois suivant, à la date du vendredi premier Février, je reçu une lettre de convocation au commissariat du XVIeme pour - attention hein - "Voie de fait, violence aggravée, menaces de mort et propos antisémites."
Cet enfoiré c'était bien démerdé pour me foutre dans la merde, une bonne grosse quenelle de la part de l'enfant d'Israël ; imaginez qu'on vous enfonce une batte de baseball avec des lames de rasoir et des fils barbelés dans l'cul, bah c'était du même ordre... La convocation était pour  le 10, soit dimanche de la semaine prochaine ; d' ici là, je serai majeur... Il était 19h, je rangeai la convocation dans une de mes poches et sortit de chez moi, retrouvant Aliz qui m'attendait en bas.

-Salut toi... dit-elle en se mordillant la lèvre 
-Salut, moi... lui dis-je en tirant la langue
-Idiot... Comment tu vas ? me sauta-t-elle au cou sans me laisser répondre
-Vite fait, téma c'que j'viens d'trouver dans ma boîte aux lettres...
-Nan mais c'est une blague là... ?

Aliz était hors d'elle en lisant le courrier, s'indignant, elle rougeoyait d'une haine plus ardente et brumeuse que les fours et fumées du Struthof.

-Putain, quel petit enfoiré, nous aussi on va porter plainte il va voir ! Voie de faits, coups et blessures, injures racistes, tentatives de viol, attouchements...
-Boarf, ouais, inutile d'en rajouter... Tu sais, quoiqu'on fasse on peut pas lutter contre ce genre d'accusations, il a atteint le point Godwin dans la vraie vie en moins d'deux, y'a plus rien à faire j'pense...
-Nan mais t'es sérieux ? Tu vas te laisser faire comme ça... ?
-J'crois que ça vaut mieux que d'en rajouter une couche...
-Putain mais va t'faire foutre, tu vas aller au comico dimanche prochain, et Lina & moi, on va venir avec toi pour que ce p'tit con aie c'qu'il mérite et que Justice soit faite !
-... Merci,  mais...
-Mais quoi encore ? C'est perdu d'avance ? T'es pas une putain d'lopette quand même ?!
-Tssss, c'est pas ça... Mais j'ai pas envie de vous foutre dans cette histoire, vous aurez des emmerdes avec la Justice vous aussi.
-T'as aucune confiance en elle ?
-Lina... ? Bah si m...
-Non pas Lina putain, la Justice !
-Ah... Non, aucune.
-Tu devrais.
-Mouais, ou pas...
-...
-Tu sais c'que j'en pense, alors, inutile de continuer à en débattre...
-... Ouais..

Comme je l'ai dit, la convocation était pour le 10 février, et mon anniversaire ; le 7. J'allais faire une soirée chez moi avec des potes triés sur le volet : on fêtait pas ses 18 ans tous les jours, et on avait encore moins tous ses amis sous la main chaque jour, aussi, une petite visite dans mon ancien lycée s'imposait. Ouais, j'avais pas vécu à Paris toute ma vie : avant cet été, j'avais passé 17 années de ma vie dans une petite ville de banlieue du sud de Paris. Ça m'avait fait un choc de vivre dans cet environnement du jour au lendemain, entre Paris XVI et le 94, yavait une différence. J'y étais revenu en prenant le RER C, je passais chez un cousin qui y vivait toujours et retournai à la gare où j'attendais mon bus. C'était étrange de revenir ici, à l'endroit même où pendant les deux dernières années j'avais attendu presque tous les matins pour aller au lycée. Je scrutai le bout de la rue, à ma gauche, à la recherche de cette lueur orange et de ce bruit de tracteur malade si caractéristiques qui permettaient de reconnaître le bus à plusieurs mètres.
Rien n'avait changé ici, le même fou qui tchatchait tout le monde devant la gare, les mêmes bourrés qui se posaient devant, à débattre sur des sujet aussi idiots que qui pouvait bien doubler la voix du grand schtroumpf dans le dessin animé, les mêmes commerçants : le fleuriste avec son perroquet, le même épicier qui vendait plus d'alcool qu'autre chose, la même boulangère, le même boucher, les mêmes buralistes, les mêmes dealers... C'était comme si la réalité, la vie, avaient été figée en mon absence, tout était exactement comme quand j'étais parti ; rien n'avait changé.
Le bus était -comme toujours - en retard, et la neige n'allait rien arranger. Quand j'aperçu au  loin sa lueur vermillon et entendit son moteur agonisant, je m'approchai du bord du trottoir et montai dans le bus, dont la présence fit se tordre en huit mon estomac, comme si le souvenir de mon ancienne vie m'étreignait, m'appelait de l'intérieur. Je montai dans le bus, qui s'était arrêté juste devant moi, m'assis tout au fond à droite - comme toujours -, puis, après un trajet d'une quinzaine de minutes, demandai l'arrêt en prenant soin de faire claquer le bouton d'arrêt dont le cliquetis ainsi produit se mêla à son bip tonitruant ; puis je descendis du bus à l'arrêt "Lycée".
Nous étions le 6 Février, et il était 13:07. Je fumai ma garrot sur le trajet entre l'arrêt de bus et le lycée, il n'y avait quasiment personne, les cours finissaient à 13:15. Je me posai contre une barrière en face du parvis du lycée, et commençai à attendre. 13:13, les portes du lycée s'ouvrirent, et quelques élèves se mirent à en sortir, avant d'être suivis par plusieurs classes qui arrivaient au complet. Beaucoup d'anciennes têtes, de vieux potes ou camarades de classe, des connaissances, des types de primaire, du collège, et j'en passe... Puis ceux pour lesquels j'étais venu, ils descendaient les grands escaliers du hall, en groupe. Je ne les avais pas vu depuis cet été, et j'étais là, à venir me pointer en mode Jésus, comme une fleur, comme ça, du jour au lendemain, sans prévenir personne, sans leur avoir donné de nouvelles depuis 6 mois. Et alors, quoi ? Ils allaient me prendre dans leurs bras, me sauter au cou, me tchecker comme aux premiers jours ? Improviser une grosse aprèm en mon honneur, tous annuler leurs plans, me payer leurs cons' ? Putain, mais quelle connerie... C'était peut-être un peu tard pour revenir de cette manière, ça n'avait rien des retrouvailles que j'avais espérer ; un goût amer dans la bouche, la boule au ventre et la gorge nouée, la larme à l'oeil, la mort dans l'âme comme si j'allais passer l'arme à gauche, je m'allumai une autre clope et parti, sans qu'ils m'aient vu.
Je repris le RER C puis le métro 5 à la gare d'Austerlitz avant de me rendre à la place d'Italie, où Aliz m'attendait à la sortie 3 du métro.

-Yo !
-Wesh...
-Alors ? m'interrogea-t-elle
-Bah... J'me suis barré avant d'les voir...
-Pfff, tu crains.
-Ouais, faut croire...
-Baah, t'prends pas la tête, j'sais c'que c'est que de revoir son ancienne vie comme aç du jour au lendemain, ça fait un bug en mode gros flashback, et tu paniques, c'normal. souria-t-elle
-... J'veux pas être chiant, mais j'sais pas si tu sais réellement...
-J't'en prie Ace... Moi aussi j'viens d'banlieue à la base t'sais
-Sérieux ?!
-Quoi, j'te l'ai jamais dit... ?
-Maintenant que t'en parles, j'ai de vagues souvenirs d'un soir où on était bourrés...
-Ouais, bref. Toujours est-il que je sais c'que ça fait d'abandonner sa vie d'banlieue et d'arriver ici dans un nouvel environnement, dans un lycée où tu connais personne, avec des putain de bourges qui ont un mois de loyer aux pieds ou au poignet, des types qui ont tout c'qu'ils veulent rien qu'en claquant des doigts, alors que toi, tu te mets à vendre pour aider ta daronne au niveau du loyer, te payer ta cons' et les fringues que tu veux pour pouvoir ressembler à tous ces connards ! Oh, j'étais pas obligée d'en arriver là, mais j'en ai fait le choix, parce que c'était la solution de facilité. Ça fait bien 3 piges que j'suis là, et même si toi tu t'es pas mis à vendre, il n'empêche qu'on est dans l'même bateau bébé, on est juste des ados qui sont pas à leurs places ici, qui le savent, mais qui aimeraient bien l'être quand même, et qui font tout pour en donner l'illusion aux autres, et aussi à eux mêmes... Moi aussi j'ai laissé ma vie d'avant derrière moi, mais c'était plus par choix que par contrainte, alors, fait pas la même connerie que moi ; crois moi, j'sais c'que tu ressens.
-... Wow.. Je... T'as raison...
-Répète ? ironisa-t-elle
-J'crois que t'as très bien entendu !
-Aller, répète, fais pas ta pute ! ria-t-elle
-J'te paye un coup à boire ?
-Je dis jamais nan à ce genre d'invitation ! dit-elle en m'adressant un clin d'oeil
-Surtout si c'est moi qui propose !
-Bah ouais ! acquiesça-t-elle nonchalamment 
-T'as bien raison ! 
-Aaah tu vois quand tu veux ! dit-elle en riant aux éclats

Nous nous posâmes à la terrasse d'un bar, buvant nos bières et fumant nos clopes, riant, loin des idées noires de tout à l'heure : le manteau de neige blanche les avait sans doute recouvertes, mais peu importait, j'avais toujours un truc important à faire.

-Hé il est quelle heure ?
-15h pourquoi ? m'interrogea-t-elle
-Il est encore tôt, ça te dit de voir mes potes ?
-Putain, et comment , c'est parti !

Après avoir payé, nous nous precipitâmes vers la station de métro et empruntâmes le même trajet que celui que j'avais fait pour venir.

-On descend là ?
-Ya. On est mercredi, ils sont sûrement ici, ou alors deux stations de RER plus loin, mais t'inquiète. 
-Euh ok.

Nous sortîmes de la gare avant de traverser directement vers le trottoir d'en face, où je m'arrêtai en bas d'une fenêtre et commençai à siffler. Au bout de quelques secondes, la fenêtre s'ouvrit et plusieurs visages familiers y apparurent. 



-Wesh ! dis-je en souriant 
-T'es sérieux dans ton délire ?! crièrent deux voix en choeur

C'était Sara - la fille qui habitait là - et Marion, deux de mes (anciennes visiblement) meilleures amies qui avaient parlé.

-Quoi ? dis-je sur le ton de la surprise
-Ça fait 6 mois tu nous boycottes, tu donnes pas d'nouvelles, et tu t'pointes comme ça du jour au lendemain ?! Mais t'as cru qu'on était des paillassons ma gueule ?!  On t'envoie des SMS tu réponds ap, t'as déménagé, t'as plus FB, t'es jamais passé au lycée.. Franchement je vais t'dire barre toi, parce que personne a envie d'te voir là. reprit Sara
-... T'es sérieuse là ?
-Casse toi Ace, sérieux, casse toi. continua Marion
-... Viens Aliz, on s'taille.

J'avais les yeux embrumés, noyés par le chagrin, le dégoût et la haine. Je l'savais bien que c'était trop tard, et pourtant, j'avais quand même essayé. Je fis demi-tour et commençai à traverser, quand j'entendis Aliz continuer la conversation.

-Putain franchement vous êtes des putes, vous avez aucune idée de tout c'qu'il a traversé pendant ces 6 derniers mois, il vient ici juste pour vous inviter à son anniversaire parce que vous lui manquiez tous et qu'il osait pas revenir vous voir, de peur que vous réagissiez comme ça, et putain, il avait raison !
-Mais ferme ta gueule pétasse, c'est trop tard maintenant, s'il avait peur qu'on réagisse comme ça dès le début, c'est que ça servait déjà plus à rien qu'on se revoit tous, alors maintenant barrez vous !

Sara referma la fenêtre et les volets, comme pour tirer un trait final sur notre amitié, au nom de tout le groupe.

-Putain Ace, je suis désolée, je...
-Bordel c'est un cauchemar, je vais me réveiller... dis-je en me tenant la tête dans les mains.
-C'est ma faute putain, j'aurais pas du t'inciter à faire ça...
-Nan, c'pas ta faute si j'ai perdu mes vieux amis, tout comme c'est pas ta faute si t'as perdu les tiens.. La notion de spécialisation, tu connais ?
-J'suis en L, j'apprends pas ça t'sais...
-C'est la notion selon laquelle on a tous intérêt à se spécialiser dans un seul domaine de travail pour pouvoir lutter au mieux contre la concurrence et produire des biens ou services de meilleure qualité possible.
-Où tu veux en venir... ?
-C'est juste qu'on peut pas garder son ancienne vie tout en jonglant avec la nouvelle ; c'est une seule vie au choix, et je viens de m'en rendre compte de la façon la plus horrible qui soit... La spécialisation est vraie jusque dans l'amitié, putain, les SES sont vraiment partout...


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