Note de la fic :
Publié le 05/12/2012 à 14:04:12 par Spyko
Chapitre 19 :
Il fallut quelques secondes au jeune homme pour se remettre de ses émotions. Il s'était attendu à ce qu'elle reste glaciale en dissimulant ses émotions, qu'elle fonde en larme, peut-être même qu'elle fasse une crise de nerfs. Mais qu'elle les repousse à l'extérieur en claquant la porte...
Alors qu'il essayait de démêler la situation, Mélinda lui attrapa un bras, et lui pointa le linteau du doigt. Il leva les yeux, et la situation s'expliqua d'elle-même.
Un carré de tissu noir était accroché au-dessus de la porte. En signe de deuil.
« Et merde, siffla t-il entre ses dents. Pourquoi je l'ai pas vu... »
« Qu'est-ce que ça aurait changé ? »
« J'aurais pu.... y aller plus doucement, déjà. »
Elle lui pressa amicalement le bras.
« T'en a déjà assez fait en essayant de m'aider. »
« Ouais... Tu... tu devrais aller voir tes amis.... ta famille. On a plus rien à faire ici. A part la laisser digérer. »
Elle esquissa un sourire, mais le reste de son expression continua à afficher la même tristesse. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Le message de ce simple morceau de tissu était clair. Et l'identité du défunt l'était également. David l'avait dit lui même, la seule famille de Cédric était sa mère et son frère.
Cette pauvre femme avait ainsi perdu ses deux fils, peut-être dans un intervalle de quelques jours seulement. Mais il n'y avait plus grand chose à faire maintenant, elle ne risquait plus de laisser entrer qui que ce soit. Mélinda fit une dernière fois passer son regard du jeune homme à la porte, retenta de sourire, puis tourna les talons.
Il la regarda s'en aller, sans cesser de se demander ce qui avait pu arriver pendant leur absence. La mort d'un homme était tout de même un événement assez rare dans l'enceinte du camp. Les expéditions à l'extérieur ne se bousculaient pas, si bien que seuls ceux qui allaient aux cultures risquaient leur vie.
Lorsqu'il revint à l'entrée, ses trois compagnons lui sautèrent presque dessus. Laura se jeta dans ses bras en parlant si vite qu'il avait du mal à comprendre, et il l'éloigna délicatement.
« Moins vite s'il te plait, fit-il avec un sourire. »
« Désolée. On était en train d'expliquer aux autres gars du convoi ce qu'il s'est passé, et un des gardes – Alex – , nous a entendu. »
« Il s'est passé quelque chose pendant notre absence, c'est ça ? »
« Oui, répondit Christophe. Des bandits un peu trop aventureux. Apparemment, ils ont foncé vers l'une des barrières au nord avec un semi-remorque. Y avait juste la cabine, mais ça leur a permit de franchir le fossé et de détruire les barrières. Ils sont descendus à trois, mais plusieurs autres les ont rejoint, et le temps que la base soit en état d'alerte... »
« Ils ont pu abattre le frère de Cédric, acheva David. »
« Pas que lui, rectifia Emeric à mi-voix. »
Le jeune homme se tourna vers lui, les yeux écarquillés, et attira Laura à lui s'en trop s'en rendre compte. Que des bandits abattent l'un d'entre eux, c'était déjà arrivé. De même qu'une entrée en force, généralement rapidement réprimées. Mais qu'ils puissent entrer en force, et tuer plusieurs d'entre eux... Ce n'était pas commun.
« Combien..., murmura t-il. »
« En tout ? Six. »
« Six.... souffla le jeune homme. »
« Oui. Ils en ont capturé un, il est toujours en détention. C'était il y a à peine trois jours. »
« Comment ça a pu arriver ? Autant ? »
« Ils en savent rien. Cédric a été abattu, mais les autres... C'est un infecté qui a fait ça. Un ou plusieurs. »
Décidément, ils enchaînaient les douches froides. Voila que des infectés avaient pénétré le camp en même temps que les bandits. Mais merde, comment ça peut arriver une connerie pareille ?
« Des infectés maintenant.... Ces salopards avaient réussi à en capturer un et à le lâcher sur nous, c'est ça ? »
« Ils en savent rien. Le mec est sous le choc. Ils ont prévu de le réinterroger aujourd'hui. Je crois qu'ils espèrent avoir plus de détails. Pour pouvoir... prendre une décision à son sujet. »
« Sous le choc, fit David avec un petit ricanement. Depuis quand un de ces enfoirés peut être ''sous le choc'' pour quoi que ce soit ? »
« C'est qu'un gamin, intervint Laura. Même pas majeur. C'est pour ça qu'ils l'ont pas encore exécuté. Ça leur paraît... immoral. »
« Ok. Je crois que je vais aller jeter un œil. Je vous retrouve plus tard. »
Il embrassa rapidement la jeune femme, puis tourna les talons. Il envoya un coup d’œil vers Alex, qui avait repris son poste au niveau du portail, sans pour autant aller le voir. S'ils avaient vraiment prévu d'interroger leur prisonnier, il valait mieux se diriger directement vers l'administration, qui avait depuis longtemps été transformé en bâtiment de détention. Même s'il n'y avait que rarement du monde à l'intérieur. L'un des bureaux était vitré, ce qui permettait de voir ce qu'il se passait, et un autre avait été aménagé pour en faire une cellule.
C'était sûrement là que le bandit se trouvait, et donc l'un des ''dirigeants'' du camp. Ces trois chefs étaient les trois soldats les plus hauts gradés encore sur place lorsque l'infection avait débuté. L'un d'entre eux était celui qui avait autorisé David et ses deux amis à entrer, quinze ans auparavant, et le jeune homme entretenait ainsi des relations appréciables avec lui. Il espérait donc que ce serait lui, afin de pouvoir assister à l'interrogatoire.
Peut-être même y participer.
Il se planta devant la porte, regarda machinalement autour de lui, puis donna quelques coups secs. Cette fois-ci, il ne risquait pas de se retrouver face à une vieille femme en plein effondrement. Alors que la poignée tournait, il repensa furtivement à la situation psychologique de la mère des deux hommes, et regretta de ne pas être resté. Elle ne pouvait pas affronter ça toute seule. Il se promis de retourner la voir dès qu'il en saurait plus au sujet du jeune bandit.
« Ah, David, content de te voir. J'imagine que tu ne viens pas juste pour me dire que vous êtes rentrés. »
Le jeune homme cligna plusieurs fois des yeux, et regarda celui qui, d'un signe de main, leur avait offert une nouvelle vie, à lui, Laura et Christophe. L'âge commençait lentement à se faire sentir sur les traits de cet homme de 47 ans, dont les cheveux grisonnaient. Il lui tendit une main à laquelle il manquait deux doigts, souvenir d'une rencontre avec un berger allemand contaminé. Les deux yeux d'un bleu de glacier n'avaient en revanche rien perdu de leur éclat, même si de profondes cernes s'étalaient dessous.
David lui serra la main, tout en regardant par-dessus l'épaule de l'officier, fouillant l'intérieur de la pièce du regard.
« Tu le verras pas d'ici, il est dans la pièce du fond, fit-il. Les nouvelles vont vite si tu es venu y assister. »
« C'est toi qui le fait, Jim ? »
« Il y a des chances. Ce sera pas un vrai interrogatoire de toute façon. Il nous a pas expliqué ce qu'il s'est passé parce qu'il s'en était toujours pas remis, mais je crois que cette fois il va un peu mieux. J'ai bien l'impression qu'ils n'avaient pas prévu que ça se passerait de cette façon. »
« Ça dérange si... »
« ...tu es dans la salle ? Coupa t-il. Pas spécialement. Du moment que tu me le traumatise pas. »
« T'en fais pas. Mais à ce sujet... »
Alors qu'ils progressaient vers le bureau où le garçon était retenu, David expliqua à Jim ce qui était arrivé à Cédric, et la difficulté avec laquelle sa mère avait encaissé la nouvelle, si proche de la mort de son autre fils. L'officier soupira, mais ne fit pas de commentaires. Il lui expliqua brièvement que le semi-remorque avait été déplacé de façon à remplacer provisoirement la barricade éventrée, et qu'après le meurtre des six rescapés, une bonne partie du camp n'attendait que de voir la cervelle de leur captif étalée sur le mur de devant. Peu importait son âge.
Par conséquent, la détresse de la vieille femme n'était pas réellement dans leur priorités, même si ce n'était pas un élément négligeable.
Le dirigeant ouvrit une porte, et invita David à y entrer. Un garçon, qui ne devait pas avoir plus de seize ans, était attaché à une chaise par une corde au nœud relativement mal fait. Il tourna brusquement la tête vers eux, les yeux écarquillés, ses cheveux longs et sales tombants sur son visage. Ses lèvres tremblaient légèrement, et on distinguait ses dents jaunâtres qui claquaient imperceptiblement. Il avait le nez cassé, sans doute depuis des années, et ses vêtements déchiquetés laissaient voir d'innombrables traces de griffures, morsures et autres coupures.
La vie dehors est vraiment pas évidente... C'est pas un endroit pour un gamin, mais personne ne lui laissera une chance de la poursuivre parmi nous, pensa sinistrement David. Il était inutile de se voiler la face. Soit il serait mis dehors, sans aucune chance de survie puisqu'il avait perdu ses compagnons, soit il serait exécuté.
Il s'adossa à un mur, laissant à Jim le soin de poser toutes les questions. Derrière la vitre, il pouvait voir trois autres gardes qui observaient attentivement la scène.
Le garçon ne donna pas son nom, pas plus que l'endroit où il vivait ou ce qu'ils avaient eu l'intention de faire en entrant dans le camp. Lorsque l'officier lui demanda ce qu'il faisait avec les brigands, sa réaction fut quasi-immédiate. Et David comprit pourquoi. Le terme leur semblait approprié à eux, puisqu'il ne faisait aucun doute que ces vagabonds récupéraient leurs biens partout, y compris sur les survivants en quête d'un abri, mais pour eux, c'était une façon de survivre.
« Vous ne savez pas ce que c'est, de vivre dehors, cracha t-il. J'ai toujours vécu avec eux, dans la misère, la faim... Et vous ! Vous, vous nous refusez l'hospitalité, vous n'accepteriez jamais l'un d'entre nous, simplement parce que nos activités vous débectent. Mais comment est-ce que vous récupéreriez vos munitions sans les ''brigands'' et autres ''bandits'' qui vivent à l'extérieur de vos murs ? »
Un bon point pour le môme. Lui même avait eu de la chance de pouvoir entrer avec ses amis, avant même que les militaires ne choisissent finalement de faire une ''colonie''. Ce garçon ne devait être qu'un nourrisson, peut-être d'un an, au moment du drame. Peut-être même que son père faisait partie des bandits abattus pendant l'attaque. Le camp avait ses propres cultures, ses propres élevages, ils avaient des stocks d'armes et de munitions, mais certains matériaux ne s'obtenaient qu'avec du troc. Certains types de munition, l'essence, et beaucoup d'autres choses.
L'adolescent continua à vociférer pendant de longues secondes, crachant toutes sortes d'horreur, terriblement vraies, au visage de Jim.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit là ? Demanda brutalement David, désarçonnant complètement son interlocuteur. »
Cette question, visiblement inattendue, désamorça instantanément la colère du garçon, qui dirigea de grands yeux brillants de larmes vers lui. Peut-être que sa rage n'était qu'un moyen comme un autre de dissimuler ses véritables émotions, en fin de compte.
« On avait juste prévu d'entrer et de voler quelques trucs. On savait qu'on rencontrerait de la résistance, et on était prêts à en abattre quelques uns mais.... Quand ils ont défoncé la barrière, on a couru à leur suite et... » Sa voix se brisa, mais il poursuivit. « Une de ces saloperies s'était accrochée au toit. Et quand ils sont descendus, elle a sauté, et elle a commencé à attaquer tout le monde. »
« Est-ce que tu sait où elle est allée ? »
« Non. Quand les gens ont commencé à arriver, elle a sauté par-dessus le fossé et elle s'est enfuie, et après... »
L'un des soldats fit irruption dans la salle, visiblement bouleversé.
« Monsieur. Il y a un problème, fit-il à l'attention de Jim, sans même un regard à David ou au prisonnier. »
Il s'approcha de l'officier, lui chuchota quelques mots, puis repartit au pas de course. Encore surpris, David ne réagit pas tout de suite, et il fallu que le dirigeant le pousse devant lui pour le faire sortir de sa paralysie.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda t-il à mi-voix. »
Et Jim le lui dit.
La surprise du jeune homme se mua en horreur, puis rapidement en lassitude. Il aurait du s'en douter. Six victimes pendant une attaque, dont le fils d'une vieille veuve. Trois jours plus tard, son second fils périssait. Et lui, il quittait sa maison, en la laissant seule alors qu'elle venait de se couper.
Une vieille femme désespérée et dévastée, seule avec un couteau.
Ce n'était vraiment pas une bonne semaine.
Il fallut quelques secondes au jeune homme pour se remettre de ses émotions. Il s'était attendu à ce qu'elle reste glaciale en dissimulant ses émotions, qu'elle fonde en larme, peut-être même qu'elle fasse une crise de nerfs. Mais qu'elle les repousse à l'extérieur en claquant la porte...
Alors qu'il essayait de démêler la situation, Mélinda lui attrapa un bras, et lui pointa le linteau du doigt. Il leva les yeux, et la situation s'expliqua d'elle-même.
Un carré de tissu noir était accroché au-dessus de la porte. En signe de deuil.
« Et merde, siffla t-il entre ses dents. Pourquoi je l'ai pas vu... »
« Qu'est-ce que ça aurait changé ? »
« J'aurais pu.... y aller plus doucement, déjà. »
Elle lui pressa amicalement le bras.
« T'en a déjà assez fait en essayant de m'aider. »
« Ouais... Tu... tu devrais aller voir tes amis.... ta famille. On a plus rien à faire ici. A part la laisser digérer. »
Elle esquissa un sourire, mais le reste de son expression continua à afficher la même tristesse. Ce n'était pas censé se passer comme ça. Le message de ce simple morceau de tissu était clair. Et l'identité du défunt l'était également. David l'avait dit lui même, la seule famille de Cédric était sa mère et son frère.
Cette pauvre femme avait ainsi perdu ses deux fils, peut-être dans un intervalle de quelques jours seulement. Mais il n'y avait plus grand chose à faire maintenant, elle ne risquait plus de laisser entrer qui que ce soit. Mélinda fit une dernière fois passer son regard du jeune homme à la porte, retenta de sourire, puis tourna les talons.
Il la regarda s'en aller, sans cesser de se demander ce qui avait pu arriver pendant leur absence. La mort d'un homme était tout de même un événement assez rare dans l'enceinte du camp. Les expéditions à l'extérieur ne se bousculaient pas, si bien que seuls ceux qui allaient aux cultures risquaient leur vie.
Lorsqu'il revint à l'entrée, ses trois compagnons lui sautèrent presque dessus. Laura se jeta dans ses bras en parlant si vite qu'il avait du mal à comprendre, et il l'éloigna délicatement.
« Moins vite s'il te plait, fit-il avec un sourire. »
« Désolée. On était en train d'expliquer aux autres gars du convoi ce qu'il s'est passé, et un des gardes – Alex – , nous a entendu. »
« Il s'est passé quelque chose pendant notre absence, c'est ça ? »
« Oui, répondit Christophe. Des bandits un peu trop aventureux. Apparemment, ils ont foncé vers l'une des barrières au nord avec un semi-remorque. Y avait juste la cabine, mais ça leur a permit de franchir le fossé et de détruire les barrières. Ils sont descendus à trois, mais plusieurs autres les ont rejoint, et le temps que la base soit en état d'alerte... »
« Ils ont pu abattre le frère de Cédric, acheva David. »
« Pas que lui, rectifia Emeric à mi-voix. »
Le jeune homme se tourna vers lui, les yeux écarquillés, et attira Laura à lui s'en trop s'en rendre compte. Que des bandits abattent l'un d'entre eux, c'était déjà arrivé. De même qu'une entrée en force, généralement rapidement réprimées. Mais qu'ils puissent entrer en force, et tuer plusieurs d'entre eux... Ce n'était pas commun.
« Combien..., murmura t-il. »
« En tout ? Six. »
« Six.... souffla le jeune homme. »
« Oui. Ils en ont capturé un, il est toujours en détention. C'était il y a à peine trois jours. »
« Comment ça a pu arriver ? Autant ? »
« Ils en savent rien. Cédric a été abattu, mais les autres... C'est un infecté qui a fait ça. Un ou plusieurs. »
Décidément, ils enchaînaient les douches froides. Voila que des infectés avaient pénétré le camp en même temps que les bandits. Mais merde, comment ça peut arriver une connerie pareille ?
« Des infectés maintenant.... Ces salopards avaient réussi à en capturer un et à le lâcher sur nous, c'est ça ? »
« Ils en savent rien. Le mec est sous le choc. Ils ont prévu de le réinterroger aujourd'hui. Je crois qu'ils espèrent avoir plus de détails. Pour pouvoir... prendre une décision à son sujet. »
« Sous le choc, fit David avec un petit ricanement. Depuis quand un de ces enfoirés peut être ''sous le choc'' pour quoi que ce soit ? »
« C'est qu'un gamin, intervint Laura. Même pas majeur. C'est pour ça qu'ils l'ont pas encore exécuté. Ça leur paraît... immoral. »
« Ok. Je crois que je vais aller jeter un œil. Je vous retrouve plus tard. »
Il embrassa rapidement la jeune femme, puis tourna les talons. Il envoya un coup d’œil vers Alex, qui avait repris son poste au niveau du portail, sans pour autant aller le voir. S'ils avaient vraiment prévu d'interroger leur prisonnier, il valait mieux se diriger directement vers l'administration, qui avait depuis longtemps été transformé en bâtiment de détention. Même s'il n'y avait que rarement du monde à l'intérieur. L'un des bureaux était vitré, ce qui permettait de voir ce qu'il se passait, et un autre avait été aménagé pour en faire une cellule.
C'était sûrement là que le bandit se trouvait, et donc l'un des ''dirigeants'' du camp. Ces trois chefs étaient les trois soldats les plus hauts gradés encore sur place lorsque l'infection avait débuté. L'un d'entre eux était celui qui avait autorisé David et ses deux amis à entrer, quinze ans auparavant, et le jeune homme entretenait ainsi des relations appréciables avec lui. Il espérait donc que ce serait lui, afin de pouvoir assister à l'interrogatoire.
Peut-être même y participer.
Il se planta devant la porte, regarda machinalement autour de lui, puis donna quelques coups secs. Cette fois-ci, il ne risquait pas de se retrouver face à une vieille femme en plein effondrement. Alors que la poignée tournait, il repensa furtivement à la situation psychologique de la mère des deux hommes, et regretta de ne pas être resté. Elle ne pouvait pas affronter ça toute seule. Il se promis de retourner la voir dès qu'il en saurait plus au sujet du jeune bandit.
« Ah, David, content de te voir. J'imagine que tu ne viens pas juste pour me dire que vous êtes rentrés. »
Le jeune homme cligna plusieurs fois des yeux, et regarda celui qui, d'un signe de main, leur avait offert une nouvelle vie, à lui, Laura et Christophe. L'âge commençait lentement à se faire sentir sur les traits de cet homme de 47 ans, dont les cheveux grisonnaient. Il lui tendit une main à laquelle il manquait deux doigts, souvenir d'une rencontre avec un berger allemand contaminé. Les deux yeux d'un bleu de glacier n'avaient en revanche rien perdu de leur éclat, même si de profondes cernes s'étalaient dessous.
David lui serra la main, tout en regardant par-dessus l'épaule de l'officier, fouillant l'intérieur de la pièce du regard.
« Tu le verras pas d'ici, il est dans la pièce du fond, fit-il. Les nouvelles vont vite si tu es venu y assister. »
« C'est toi qui le fait, Jim ? »
« Il y a des chances. Ce sera pas un vrai interrogatoire de toute façon. Il nous a pas expliqué ce qu'il s'est passé parce qu'il s'en était toujours pas remis, mais je crois que cette fois il va un peu mieux. J'ai bien l'impression qu'ils n'avaient pas prévu que ça se passerait de cette façon. »
« Ça dérange si... »
« ...tu es dans la salle ? Coupa t-il. Pas spécialement. Du moment que tu me le traumatise pas. »
« T'en fais pas. Mais à ce sujet... »
Alors qu'ils progressaient vers le bureau où le garçon était retenu, David expliqua à Jim ce qui était arrivé à Cédric, et la difficulté avec laquelle sa mère avait encaissé la nouvelle, si proche de la mort de son autre fils. L'officier soupira, mais ne fit pas de commentaires. Il lui expliqua brièvement que le semi-remorque avait été déplacé de façon à remplacer provisoirement la barricade éventrée, et qu'après le meurtre des six rescapés, une bonne partie du camp n'attendait que de voir la cervelle de leur captif étalée sur le mur de devant. Peu importait son âge.
Par conséquent, la détresse de la vieille femme n'était pas réellement dans leur priorités, même si ce n'était pas un élément négligeable.
Le dirigeant ouvrit une porte, et invita David à y entrer. Un garçon, qui ne devait pas avoir plus de seize ans, était attaché à une chaise par une corde au nœud relativement mal fait. Il tourna brusquement la tête vers eux, les yeux écarquillés, ses cheveux longs et sales tombants sur son visage. Ses lèvres tremblaient légèrement, et on distinguait ses dents jaunâtres qui claquaient imperceptiblement. Il avait le nez cassé, sans doute depuis des années, et ses vêtements déchiquetés laissaient voir d'innombrables traces de griffures, morsures et autres coupures.
La vie dehors est vraiment pas évidente... C'est pas un endroit pour un gamin, mais personne ne lui laissera une chance de la poursuivre parmi nous, pensa sinistrement David. Il était inutile de se voiler la face. Soit il serait mis dehors, sans aucune chance de survie puisqu'il avait perdu ses compagnons, soit il serait exécuté.
Il s'adossa à un mur, laissant à Jim le soin de poser toutes les questions. Derrière la vitre, il pouvait voir trois autres gardes qui observaient attentivement la scène.
Le garçon ne donna pas son nom, pas plus que l'endroit où il vivait ou ce qu'ils avaient eu l'intention de faire en entrant dans le camp. Lorsque l'officier lui demanda ce qu'il faisait avec les brigands, sa réaction fut quasi-immédiate. Et David comprit pourquoi. Le terme leur semblait approprié à eux, puisqu'il ne faisait aucun doute que ces vagabonds récupéraient leurs biens partout, y compris sur les survivants en quête d'un abri, mais pour eux, c'était une façon de survivre.
« Vous ne savez pas ce que c'est, de vivre dehors, cracha t-il. J'ai toujours vécu avec eux, dans la misère, la faim... Et vous ! Vous, vous nous refusez l'hospitalité, vous n'accepteriez jamais l'un d'entre nous, simplement parce que nos activités vous débectent. Mais comment est-ce que vous récupéreriez vos munitions sans les ''brigands'' et autres ''bandits'' qui vivent à l'extérieur de vos murs ? »
Un bon point pour le môme. Lui même avait eu de la chance de pouvoir entrer avec ses amis, avant même que les militaires ne choisissent finalement de faire une ''colonie''. Ce garçon ne devait être qu'un nourrisson, peut-être d'un an, au moment du drame. Peut-être même que son père faisait partie des bandits abattus pendant l'attaque. Le camp avait ses propres cultures, ses propres élevages, ils avaient des stocks d'armes et de munitions, mais certains matériaux ne s'obtenaient qu'avec du troc. Certains types de munition, l'essence, et beaucoup d'autres choses.
L'adolescent continua à vociférer pendant de longues secondes, crachant toutes sortes d'horreur, terriblement vraies, au visage de Jim.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit là ? Demanda brutalement David, désarçonnant complètement son interlocuteur. »
Cette question, visiblement inattendue, désamorça instantanément la colère du garçon, qui dirigea de grands yeux brillants de larmes vers lui. Peut-être que sa rage n'était qu'un moyen comme un autre de dissimuler ses véritables émotions, en fin de compte.
« On avait juste prévu d'entrer et de voler quelques trucs. On savait qu'on rencontrerait de la résistance, et on était prêts à en abattre quelques uns mais.... Quand ils ont défoncé la barrière, on a couru à leur suite et... » Sa voix se brisa, mais il poursuivit. « Une de ces saloperies s'était accrochée au toit. Et quand ils sont descendus, elle a sauté, et elle a commencé à attaquer tout le monde. »
« Est-ce que tu sait où elle est allée ? »
« Non. Quand les gens ont commencé à arriver, elle a sauté par-dessus le fossé et elle s'est enfuie, et après... »
L'un des soldats fit irruption dans la salle, visiblement bouleversé.
« Monsieur. Il y a un problème, fit-il à l'attention de Jim, sans même un regard à David ou au prisonnier. »
Il s'approcha de l'officier, lui chuchota quelques mots, puis repartit au pas de course. Encore surpris, David ne réagit pas tout de suite, et il fallu que le dirigeant le pousse devant lui pour le faire sortir de sa paralysie.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda t-il à mi-voix. »
Et Jim le lui dit.
La surprise du jeune homme se mua en horreur, puis rapidement en lassitude. Il aurait du s'en douter. Six victimes pendant une attaque, dont le fils d'une vieille veuve. Trois jours plus tard, son second fils périssait. Et lui, il quittait sa maison, en la laissant seule alors qu'elle venait de se couper.
Une vieille femme désespérée et dévastée, seule avec un couteau.
Ce n'était vraiment pas une bonne semaine.