L'homme était assis, le regard vide, mais la mine enjouée. Blond, grand et à la carrure athlétique, ses cernes et ses rides sous ses yeux bruns et sur son front témoignait néanmoins d'un âge assez avancé. Une cinquantaine d'années, qui étaient dissimulées tant bien que mal. Mais bien que la carrure était en contradiction avec l'idée qu'on se faisait de l'éventuelle corpulence d'un cinquantenaire, le visage quant à lui restait le reflet ultime du temps, et cela était vrai pour tous, quel que soit le chiffre du compte en banque.
Il était en effet un PDG important d'une des sociétés les mieux cotées au Nasdaq. C'est bel et bien lui, Jordan Solinder, qui avait hissé cette petite PME dans les années 80 jusqu'à ce qu'elle était devenu aujourd'hui. Bien sûr, les débuts étaient loin d'être fabuleux. Petite société composé de lui-même et de deux de ses acolytes, celle-ci se définissait comme une société proposant les services de garde du corps. Voyant clairement que le marché de sécurité physique était saturé, il fut l’un des premiers à entrevoir l'avenir de la sécurité informatique, surtout après que le premier virus infecta l'Arpanet (l'ancêtre d'Internet). Or, dès qu'un marché nouveau s'ouvrait, de nouveaux besoins en assurance apparaissait - Il constate avec amusement que cette règle s'applique pour tous les biens et à tout moment, on engage aujourd'hui des sociétés paramilitaires pour protéger des panneaux solaires au Sahara.-. Il engagea un, puis deux ingénieurs en informatique, et ainsi de suite. Les anciens amis, trouvant cette nouvelle orientation ridicule, mais voyant très bien qu'une entreprise de sécurité basique fut une impasse, revendirent leurs parts, et partirent avec un chèque de 550$ chacun. Inutile de dire qu'ils auraient dû être en ce moment millionnaires.
Quoiqu'il en soit, voici Jordan Solinder avec sa villa, sa famille à l'abri du besoin, et sur le point de faire prendre à son entreprise un tournant décisif dans son histoire, faisant d'elle un leader sur le marché de la sécurité à la fois privée, mais aussi gouvernementale.


Tous les membres de la réunion le regardaient, attendant l'annonce tant attendue qu'il s'apprêtait à faire. Celle-ci devait lançait l'opération « Chimère », et permettre à la société Sharko Naturlis Security de définitivement s'imposer sur le marché de la sécurité. Pour ce faire, il avait réservé la salle de l'avant dernier étage de l'imposant building estampillé des lettres « SNS » à son sommet, avec leurs signification en plus petit en dessous. Bien que le bâtiment se veuille désespérément terne et gris, comme c'en était la règle implicite à New York, l'intérieur de celui-ci était des plus luxueux et agréable pour les clients de passages, ainsi que pour les employés. La salle de réunion quant à elle possédait un parquet fait d'un bois sombre -du chêne- et de murs plus clair, toujours en bois. La table était grande, en forme de ballon de rugby, en plus allongé et s'étendant sur une dizaine de mètres. De part et d'autres étaient assis la fine fleur du pouvoir américain, ainsi que des hauts placés de chez SNS. Une vingtaine de personnes, sans compter ceux en contact via la vidéo conférence, qui se situait juste derrière le siège de Pdg.
Dès que le dernier des écrans de la visio-conférence fut allumé, et le contact définitivement établi et sécurisé, Solinder se leva prit la parole, d'un ton ferme, mais dont la joie transparaissait assez nettement.

-Mesdames et Messieurs, bonjour. Aujourd'hui, j'ai la joie de vous faire part de mon immense satisfaction. Nous avons tous travaillés extrêmement dur pour cela, mais tout est enfin prêt ! J'ai reçu ce matin les rapports attestant définitivement de la viabilité concrète du projet Chimère sur le terrain. Puis, comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, j'ai reçu un coup de fil du secrétaire d'état à la défense –Jordan s'interrompit et lança un sourire à l'un des hommes assis sur sa droite- qui m'annonçait que l'ambassade de France nous confirmait la totale collaboration de Paris sur ce coup. Tous les feux sont verts. Les chinois, les britanniques, les allemand, les russes et maintenant, les français sont sur le coup, à nos côtés. Nous disposons de moyens d'actions illimités, sans aucune entrave. Évidemment, le soutien de l'Élysée était le plus important pour nous, mais avoir les autres dans notre camp est le genre de consensus assez rare dans l'histoire. Avant que je continue, est-ce que quelqu'un à des questions ?

Personne ne prenait la parole, car la vidéo conférence avec certains interlocuteurs accusait d'une certaine latence, caractéristique de ce système.
Après 5 secondes qui eurent l'air de durer une éternité pour Solinder, il reprit.

-Excellent, je vois que vous avez tous suivi plus ou moins le déroulement des faits –Petit rire dans la salle- quoiqu'il en soit, nous pouvons dès maintenant décréter l'opération Chimère comme officiellement lancé.
Sur ces mots, un tonnerre d'applaudissement jailli, et tous se levèrent pour serrer la main au héros du jour.


Pour sûr, l'opération Chimère avait bel et bien entraîné l'un des consensus au niveau national les plus exceptionnels jamais créé, du genre que seul l'existence d'un ennemi commun pouvait provoquer.

Mais avec l'Opération Chimère, cet ennemi ne serait plus qu'un souvenir.
Solinder serra quelques mains, et eut une réflexion teinté de défaitisme :

Et s'il fallait plus que Chimère pour arrêter l'une des plus grandes menaces pesant sur le monde libre ?