Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Journal de bord bug +145


Par : Boris-Ivanovich
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 10 : 10 - Evolution


Publié le 07/06/2011 à 23:01:48 par Boris-Ivanovich

Dans la poussière et la lumière des phares, les abord de l'entrée du camp semblaient comme dévorés par une gélatine fluorescente de laquelle sortaient des silhouettes noirâtres. Leur nombre devenait important et dans ce halo, même le bruit se propageait étrangement. J'avais l'impression de regarder une invasion d'ectoplasmes translucides aux contours flous...

Dans le reste du camp dont le vide était désormais en sursis, mon regard s'était perdu. Peu m'importait la légion blafarde qui arrivait, je n'avais de préoccupations que pour l'être imaginaire dont j'avais, sans son accord, habité le corps charnel de Lisa. Où était-elle ?
Je me sentis alors plus fragile et ma force bien éphémère semblait être tributaire d'un autre carburant que celui de ma propre volonté. Comme un besoin vital indissociable de la bonne marche de ma pensée. Ceux dont je jugeais pitoyable la vie et molle la silhouette devaient partager cette faiblesse... raison de leurs échecs, malheurs et disgrâce.
Encore une pensée néfaste à mon besoin de force.
Je dois être Moi. Voir et connaître mes faiblesses, mais leur commander le repli, le recul... Je suis en cette seconde, mon premier ennemi. Enfin, j'avais ma liste de priorités : me vaincre et recommencer. Me relever pour me vêtir de cette nouvelle enveloppe libérée des scories perverses que sont la vision égoïste et sa maléfique compagne, la peur du manque. Je suis fait des atomes de cet univers, en moi l'infini et cette chose indéfinissable due au Hasard : la vie.
Et la vie allait enfin se battre.
En quelques secondes, j'avais évolué. Et j'aurai pu voir juste derrière moi, mon ancienne personnalité disparaître, aussi stupide et faible que celle des autres qui, maintenant prenaient possession du camp sans réaliser que notre monde, ce soir avait pris fin.

Lisa n'était plus cet être irréel qu'avait créé mon esprit faible, alors affamé de certitudes rassurantes, en cruel manque de sûreté... au point de s'inventer une réalité et de s'y construire tout en la sachant artificielle, fragile et éphémère.
Il me fallait bouger. Je vis une file de personnes devant un point de distribution. Je commençai à m'y diriger.

Mes premiers pas furent hésitants, comme si je redécouvrais mon intégrité physique, me réappropriais mon corps. Et très vite, je pris conscience du potentiel incroyable que donnait à présent mon mental ressuscité.

Jouer selon les règles, les changer quand change le jeu, gagner, imposer les siennes.

J'avais même peur de ne pas savoir ce que ma nouvelle personnalité avait prévu, tant la force de cette nouvelle logique était puissante. L'adaptation était depuis le Commencement la clef de la survie. Je l'avais juste oublié. Le drame qui se jouait était aussi la fin de mon monde, désormais consentant.

Je commençais à m'habituer à la disposition des lieux et je constatai que des nouveaux arrivants, aucun ne transitait par la voie de décontamination. Des petits groupes passaient devant moi, des familles qui, de leur nombre, tirant le réconfort nécessaire pour contenir leur panique, investissaient en désordre les tentes barnum.
Les stigmates de leur évacuation, parfois bien visibles, orientaient leur propriétaires vers les unités médicalisées désormais saturées.
Il y avait des files devant des postes où l'on distribuait du minimum vital. Vêtements, couvertures, eau... tickets pour la nourriture. C'était organisé, plutôt, bien organisé. Je ne pensais pas nos structures si bien préparées à faire face à de l'évacuation de masse... n'était-ce point la malédiction des pays du tiers-monde ?
Il y avait quand même quelque chose de discordant... Une attaque à l'EMP* sur la troisième ville du pays, une évacuation massive de toute une population, des témoignages d'attaque au gaz, des visions de morts...
Combien de victimes seraient comptées et attribuées aux effets des EMP* ? Combien de malades sous assistance respiratoire, de personnes tributaires de l'électronique pour vivre, pacemakers, insulino-dépendants, dialysés, handicapés... sans parler des coincés et oubliés dans les ascenseurs, les trains, les avions... je réalisais avec horreur, que le "pire" attendu par la vraie attaque censée être au gaz n'était pas à comparer aux bilans mortels des EMP* déjà supposés faramineux.
Des bruits courraient, beaucoup de décès seraient survenus dans l'heure suivant le grand noir, tout était passé en revue, hypothèses les plus farfelues et raisonnements pervers s'alimentaient à la peur et panique ambiantes. On criait, se cherchait, errait, la désorganisation de masse était en train de s'établir. Plus de doutes, la foule était maintenant maitresse des lieux.

Je me hâtais vers la longue file qui serpentait devant le point de retrait de tickets de nourriture. Longeant la file, je sentis soudain une main me tirer violemment au milieu de la foule. Lisa était parmi les premières personnes de cette file et avait prévenu que son "mari" devait la rejoindre après sa sortie de l'unité médicale. Seuls ceux qui derrière n'avaient pas été informés se pensant spoliés, nous jetèrent insultes et menaces. La tension montait. Par bonheur, le pansement blanc bien visible sur mon crâne confirmait sans doutes possibles les raisons invoquées par Lisa.
Arrivés devant le personnel, elle se tourna vers moi, me regarda intensément et à haute voix me demanda si les enfants étaient bien gardés par leur grand mère. Ce coup-ci, je captais son message invisible et devinais ses intentions. Avec un talent de comédien que je ne me connaissais pas, je répondis que c'était la dixième fois qu'elle posait la question et que "oui !", en sortant du bloc médical, j'avais été les voir et qu' il n'y avait pas de problèmes, juste que grand-mère devait se reposer. Rassurée, avec un aplomb incroyable elle demanda donc 5 tickets pour notre famille au complet en reprenant l'explication. Cela a fonctionné... il était en effet impossible de contrôler quoi que ce soit dans le chaos de l'installation des évacués. Cela devait se jouer à la "bonne tête" et aux indices visibles, au jeu de la comédie de la bonne foi... et du charme évident de Lisa. J'adoptais moi aussi l'attitude du parent abattu et inquiet, impatient de retrouver ses enfants. Sortis du stand, comme un couple, aux yeux du monde nous partîmes avec les cinq tickets retrouver notre famille, imaginairement située hors de la vue du personnel militaire que nous venions de quitter.
A ma grande surprise, Lisa avait manifestement aussi changé ses règles. Et désormais, quelque chose de vrai, fonctionnait bien entre nous.
Avant l'évacuation, la vie était dure, le climat social fortement dégradé avait favorisé l'émergence d'une délinquance violente prête à tout. Elle arrivait aussi dans le camp.Des conflits éclataient, bagarre, incivilités, vol de vêtements...Je pris Lisa par la main et la tirai dans une tente presque vide juste à côté de l'entrée du camp toujours noyé dans la poussière.
Il nous fallait maintenant préciser certaines choses de la plus haute importance.

En écrivant cette page de mon journal, je ne peux m'empêcher de sourire. Ce que Lisa m'avait raconté cette nuit là, dans cette tente poussiéreuse avait été mon EMP personnel.

Les vélos sont encore passés aujourd'hui, je dois rassembler mes affaires...




*EMP = IEM = Impulsion éléctromagnétique


Commentaires

Aucun commentaire pour ce chapitre.