Note de la fic :
Publié le 05/07/2008 à 23:57:45 par Endless
CHAPITRE DIXIEME - Oxygène
Partie I
Je ne me souviens de rien... Juste du bonheur de la chaleur... Mais tout le reste est obscur... Et...
- Je l'ai tué... Eric est mort... C'était pendant ces minutes qu'Eric avait vécu la transformation infâme de l'homme... de l'organisme... vers l'image matérialiste au possible des cendres... Eric n'était plus que cendres... Et c'est ma faute si Eric est un tas de cendres... J'aurais pu faire basculer le four à tout moment... Mais je ne l'ai pas fait... C'était une crise de violence et pendant cette crise j'avais dû aussi m'achever physiquement. J'avais trouvé le moyen de gesticuler et de parfaire mon invalidité... Toutes mes chances, je les aient détruites... Stan je l'ai tué, Eric je l'ai tué, l'autre gars là ... Roman... je l'ai abandonné dans un but purement individualiste... Je suis une saloperie moi aussi... Stan et... Gab... J'en oublie presque leurs prénoms... La page s'est tournée dans un courant d'air et je n'ai rien choisi... Ma vie est un organisme qui était habitué à ces assouvissements joyeux de la vie... Qui en était dépendant et du jour au lendemain on lui en a privé...
Allongé dans les cendres, je voyais cette cheminée à plusieurs mètres au dessus, et je ne l'atteindrais jamais... La légère lumière des fours était toujours présente, et colorait mon hypothétique tombeau... Moi, je respirais, fortement, je grattais mon palais avec ma langue... je reniflais et je ne pouvais plus marcher... Ramper... c'est tout... Je suis réduit à ramper... J'entendais le crépitement des restes d'Eric dans le four... Les seuls bruits qui pouvaient encore sortir de cette âme tourmentée... Il venait de vivre la pire souffrance de sa vie et moi pendant ce temps j'avais été dans l'inconscience... Au moins il n'avait pas atteint le stade final, et je ne l'avais jamais vu criser... Quant à moi je n'avais pas l'impression d'en être si loin de l'état final... Il se rapproche... Quelles sont les solutions désormais ? Pourrir ici ? Mourir donc de faim, mourir simplement à l'abandon... Je peux aussi mourir de l'état final avant... Quant à une tentative de sortie...
- AHAH... Il n'y a pas de sortie... Il y a...
Cet espèce de terrier au sol dans le mur derrière moi... Je ne pourrais même pas m'y glisser... Mais c'est la seule chose que je peux tenter... Risquer d'être coincé dans un trou, et de mourir dans une intense crise de claustrophobie... Je vais ramper vers ce trou... Mais avant je dois reprendre des forces... Me reposer un peu... J'ai soif et je crève de faim, mes épaules me brulent affreusement...
...
- Paul, c'est toi ?
- Que... Hein ?
- Qu'est ce que tu fais là !?
- Je... MARCO !! VIVANT ? J'Y CROIS PAS !
- La salle des cendres toi aussi...
- Mais pourquoi t'es là !? Comment tu sais que...
- Bah pour les mêmes raisons que toi !
- Alors sortons ensemble mec !! Vite !! A nous la liberté !! Laisse moi te prendre dans mes bras...
- Ne... Nan...
- Pourquoi ?
- Ils ont déjà commencé...
- Commencé ?
- Tu me ferais mal au dos...
- Pourquoi ?
- Regarde...
[Marco se retourne et me montre son dos entièrement brulé.]
- WOUAAAH !
- C'est ça la raison...
- Mais non !
- Mais si !
- Mais non !
- Mais si ! On est là pour... CREVER !!!
[Il me saute dessus et m'arrache la peau du cou avec les dents.]
- GRRRRR ! ON EST LA POUR SE BOUFFER LA GUEULE MEC !!
- GYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!
...
Mais si... mais non... Mais si... Je suis en train... Mais non... de délirer... mais si... je ne parviens pas... mais si... à me reposer... mais non...
Mais si...
- MAIS NOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! URGH... MARCOOOOOOOOO !
...
J'ai... peur... Maman...
C'est le silence absolu ici... Mais Marco était là !! Mais était-ce la réalité ? Non... c'était étrange... Un rêve, Marco ne peut pas être ici... Non IL NE PEUT PAS !!
Il faut que j'arrête de délirer ! Marco n'est pas là . Je ne suis pas déglingué au point de ne pas faire la différence entre mes rêves et la réalité. Je sue comme un dingue... et ces affaires que j'avais récupéré dans la résidence puent la mort !! Et ce délire qui m'a empêché... de me reposer... "Mais si... mais non..." ça résonne dans ma tête, je deviens cinglé...
- Marco ?
"Nous sommes tous là pour crever."
- Putain...
Je me remémore l'horrible vision et... je suis allongé sur des cendres... Ceux pour qui cette théorie était exacte... JE NE... JE NE VEUX PLUS !! JE NE VEUX PLUS COUCHER SUR DES MORTS !
- NON !! JE NE VEUX PLUS ÊTRE ALLONGE SUR LA MORT ! PARTIR !
Je dois ramper vers ce petit trou de merde... Et si c'était un simple renfoncement de quelques centimètres... Cela serait la réelle fin, le signe que je suis enfermé à tout jamais ici... C'est maintenant que je vais savoir... Si le désespoir atteint son paroxysme... ou s'il n'en est que très proche...
En griffant ces putains de cendres j'avançais vers la nouvelle source d'obscurité... Je laissais derrière moi l'alvéole du dédale, le paysage, la scène la plus affreuse que j'avais pu visiter dans le souterrain... Cette zone des fours était pour l'instant le plus immense cauchemar que j'avais vécu ici... Mais si ce petit trou n'était pas une issue j'allais y rester à tout jamais... Et c'est tout ce que j'aurais voulu ne jamais vivre... Alors si seulement je n'étais pas retourné dans la cellule d'Eric pour bouffer ce putain de paquet de céréales... Il ne m'aurait pas amené jusqu'ici... Ma tête était finalement à l'embouchure du mur... La lumière des fours n'éclairait pas le fond, il y avait de quoi mettre tout mon corps au moins... Mais plus j'avançais plus je me rendais compte qu'encore une fois je découvrais une sensation nouvelle, insupportable comme j'en avais découvert des dizaines dans ce souterrain... Être dans l'obscurité dans un endroit inconnu est une chose, mais être dans l'obscurité dans un renfoncement aussi large que sa taille en est une autre... Comment j'allais pouvoir respirer là dedans ?
- JE REFLECHIS TROOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOP !! PU-TAIN !
Si seulement j'étais un peu plus spontané putain, voilà ne penser à rien et AVANCER ! Je rampais... je sentis mes pieds effleurer les murs de la salle des cendres et finalement je me rendis compte que mon corps était entièrement engouffré dans ce petit passage. Ce mini tunnel n'a pas été creusé pour rien. Pour l'instant je n'avançais pas sur un plan incliné... C'EST BIEN UN PASSAGE BORDEL ! Alors le désespoir n'est pas encore fatalement ultime ! Après avoir parcouru cinq mètres je fis une courte pause pour reprendre ma respiration... Garder son calme est très important... C'est très simple de partir en vrille à la moindre faille psychologique... Pas besoin d'être claustro pour péter un câble ici... En fait l'obscurité est une bonne chose pour oublier ce que l'on est... Mon corps est tellement abimé que dans l'obscurité je me sens mieux... Ou alors je suis simplement en train de devenir un animal nocturne... Putain d'horreur... Pourquoi il faut que je me dises ça ? Je continuais à ramper, au moins je n'étais plus sur des cendres... J'ai fait quoi là ? Huit mètres peut-être... Où je vais finir par...
- AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!! PUUUUUUTAIN ! SALOPERIE !
Un insecte ou une merde du genre m'était monté sur le dos... Elle était passée très vite... sans doute une très grosse araignée... Ca doit en être blindé ici... Mais je l'avais sentie assez grosse... Je ne supporte pas les araignées... Alors... faut que j'accélère le rythme... Je fus emprunt à de légères convulsions dues au dégout que me provoquait la saloperie qui venait de me passer dessus. On a beau dire que c'est si peu de choses après l'Enfer que j'ai vécu... c'est simplement différent et une simple araignée pourrait me faire paniquer... Je dois rester serein... une panique ici serait dramatique... Soudain devant moi il n'y avait plus de sol... Ah si, un renfoncement de trente bons centimètres vers le bas... Mais c'est quoi cette merde ? Je continuais d'avancer à mon rythme... je pense qu'une heure s'était écoulée et que j'avais parcouru facilement cinquante mètres... Le retour en arrière me paraissait être une très mauvaise solution, mais continuer de m'enfoncer encore plus dans quelque chose d'inconnu n'était pas forcément plus sûr. Je ne partageais maintenant ce destin avec personne... Il n'était réservé qu'à moi... Toutes les personnes avec qui j'aurais pu le partager, je les avais perdues ici... Une pensée pour ma famille vint me pincer le coeur... Mais c'était sans doute la pensée qui me détruisait le plus mentalement, c'est pour ça que je fuyais cette vision de mon frère et de ma mère...
Il y eut maintenant...
- AAAH ! PUTAIN !
Encore un insecte... C'était maintenant une marche, une élévation de terrain de trente centimètres aussi... Je m'adossais sur cette marche, le simple fait de m'adosser me faisait extrêmement mal aux côtes... Je montais la marche difficilement... Et je continuais à ramper... Mais maintenant... à peine deux minutes après c'était un trou devant moi... enfin du moins je ne pouvais pas atteindre le sol avec mon bras... Je décidais sans réfléchir de m'y jeter et j'atterris un bon mètre en dessous... Cependant aucun changement, toujours un plafond à 25 centimètres au dessus du sol... je rampais toujours... Une bonne demi-heure passa et j'avais sans doute des ressources cachées pour parvenir à maintenir ce rythme... Je pensais avoir facilement parcouru 500 mètres... Que dire ?... J'avan...
- HEIN !?
Un... bout de taule... de la taule... du fer ! UN CUL DE SAC !
- NON... Pas un cul de sac c'est impossible...
Et pourtant le plafond est toujours là , les murs sont toujours là ... le sol aussi... J'AI FAIT TOUT CA POUR... C'est impossible...
Je tapais alors avec mon coude brûlé contre la taule et le son me faisait comprendre la faible épaisseur de ce bout de ferraille... L'étroitesse de l'endroit m'empêchait de me retourner et donc de taper avec mes pieds contre l'obstacle... alors, avec la paume de ma main gauche, je mis toutes les forces qu'il me restait pour taper contre cette merde... En le faisant je pensais fortement à mes amis, Gab et Marco, et aux autres... Finalement l'obstacle céda et tomba à quelques dizaines de centimètres en dessous...
Etrange... L'odeur du virus vint titiller mes narines... Il y avait sans doute des macchabées ici et donc un risque potentiel d'attaque à mon égard. Je me laissais tomber et atterris...
... sur un carrelage blanc. UNE CELLULE !? En faisant gesticuler aveuglément mon bras dans le vide je sentis des objets... de forme cubique... assez froids... sans doute métalliques. Ca me rappelle... putain de merde...
- Non... Oh putain... PUTAIN ! PUTAIN !
Je rampais plus rapidement que jamais. Que... que... Rien ? Mais si... obligé, je reconnais !! Ils l'ont peut-être viré... Mais non, trop risqué...
Soudain, quelque chose de froid et flasque vint heurter mon poignet... Une main ! Le bras était recouvert d'un pull... un pull de matière peut-être synthétique... ça faisait... BCBG !! Putain de merde !! OUI ! C'est lui !
- DIEU DU CIEL...
C'est l'homme que j'ai tué... LE PREMIER... Là ou j'étais encore avec Gab et Marco, notre première sueur froide et ntoe découverte des symptômes du virus !! Putain de bordel de chiasse liquide... Mais... c'est surtout l'endroit à partir duquel je peux... RETROUVER CETTE PUTAIN DE SORTIE !! Je... n'en crois pas... c'est incroyable... Cela fait bientôt deux semaines et... PUTAIN...
Tous les membres de mon corps se mirent à trembler d'une force... mon rythme cardiaque s'était aussi intensifié... L'émotion est... trop forte... Je vais claquer... il ne faudrait pas... Respirer calmement... c'est pas le moment de... Pfiouuuu... Je me mis sur le dos, et tentai de réguler ma respiration... Finalement... J'étais au bord de la confusion... C'était si... Ce carrelage blanc... Et le rat qui doit pas être loin... J'ai réussi..? Non... Je n'ai fait que remplir mon objectif, ou presque, ma vie reste foutue... Mais... j'allais donc sortir de ce putain de souterrain !?
Au final je ne regrette pas... d'être revenu bouffer ce putain de paquet de céréales... Au final... Sans Eric je ne serais jamais retourné ici... je ne peux que le remercier comme je le peux... Non c'est hypocrite, je l'ai moi-même tué... Mais chaque élément de mon parcours a eu sa place... et m'a permis de revenir ici.
C'est... incroyable...
Partie II
Et dire que cet endroit me répugnait, me donnait d'intenses frissons de répulsion auparavant... En ce moment même j'étais allongé sur ce carrelage glacial et j'étais heureux... Un cadavre juste à côté de moi, une odeur ignoble qui titillait mes narines... Mais j'avais fermé la boucle... J'étais... si proche de la sortie... J'aurais presque voulu rester un petit moment dans cette réserve crasseuse tellement je m'y sentais en sécurité... Comme l'oiseau, l'humain fait son nid et peut s'adapter à un environnement qui à première vue, parait incompatible avec son mode de vie... C'est vrai, j'exagère. Ma joie soudaine me fait dire des conneries... L'humain ne peut pas faire son nid ici. J'ai l'impression qu'il y a une éternité de cela... Gab ou Eric avait posé la lampe sur un lave-linge dans cette salle... je n'avais jamais eu aussi peur. Puis tout s'est accumulé, il n'y a pas eu de goutte pour faire déborder le vase, il y a eu des trombes d'eau qui l'ont noyé ce vase, qui l'ont brisé en morceaux... Ainsi que tout ce qu'il y avait autour. C'est cela le souterrain. C'est ça l'underground de Darnoy...
Malheureusement, très vite, j'étais revenu à la réalité... Je suis handicapé, strictement invalide et même si j'atteins la sortie... je devrais faire attention. Le climat dans lequel je baigne depuis ces dix minutes est paisible et pacifique... J'avais perdu complètement l'habitude de cela... Et même si aux yeux de tout le monde je suis encore dans le souterrain, je suis...
De grosses... d'immenses larmes coulaient le long de mes joues, les sanglots déformaient ma bouche...
- Gyaaah...
Je criais... Tout ce qui m'est tombé dessus en deux semaines... Tous ces gens, TOUT ce que j'ai rencontré ici, tout faisait partie du cauchemar... Cette impression dont j'ai plusieurs fois parlé, que tout est un tableau... C'est si vrai... Même en voyant ma famille partir, je n'avais jamais pleuré autant... Tout cela s'est passé, mais ces pleurs... c'était le débriefing de... cette vie foutue en l'air...
J'aurais bien piqué un somme pour me permettre de fuir un instant ce que je savais... Mais j'allais peut-être encore faire un cauchemar... De toute façon, j'étais rongé par l'impatience de sortir...
Une fois sorti, je n'aurais sans doute pas atteint le repos. Un contaminé découvert en liberté pourrait... revivre cette horreur... En fait je ne peux même pas l'imaginer. Errer en ville ?.. En rampant ? Avec des fringues dégueulasses, un bras noir, une oreille démontée, des ongles retournés, des brûlures sur le corps, imprégné d'une odeur nauséabonde... Non... Je ne pourrais pas errer en ville. Je ne me donne même pas cinq minutes avant d'être maitrisé par des types en combinaison... C'est maintenant que je dois réfléchir à ce que je vais immédiatement faire en sortant du souterrain. Le scooter de Gab... il est peut-être toujours là . Non... Si on remarque qu'il a disparu, on ira très vite me retrouver... Le seul refuge que je peux trouver... c'est chez moi... Retourner à District 25 et me planquer dans mon appartement.
Et si une crise de violence arrivait ? Je serais immédiatement repéré, je ne ferais moi-même plus attention à ma discrétion... Si j'ai une crise en ville c'est ma fin... Il faut que je parvienne à me contrôler... Et surtout ne pas être désorienté par la lumière... En quelle saison sommes-nous déjà ? Ah ça me revient, la fin de l'automne, la pluie froide, peut-être l'hiver maintenant. Je vais me les geler, il faudra faire ça vite. Et si ma famille n'était pas enfermée ? Non je vais bien trop loin, je dois me contenter d'être sorti. Et puis... J'ai tendance à me projeter dans le futur mais la première chose que je devrais faire c'est soulever ce bloc de calcaire, le fameux bloc qu'on avait du mal à soulever à trois, et que je vais devoir soulever avec un seul bras...
J'avais tué cet homme juste à côté de l'entrée de la salle donc... le bloc...
- MAIS OUI !
Je me rappelle ! Nous étions partis brusquement sans réussir à remettre le bloc dans son support et je n'ai donc aucun effort à fournir si ce n'est de le pousser légèrement.
Soigneusement, je fis attention de ne pas pousser le bloc dans une mauvaise direction qui l'aurait alors fatalement positionné tel qu'il l'était initialement. Ce ne fut pas bien compliqué de le faire glisser un peu sur le carrelage. J'avais le chemin libre, j'allais faire mes derniers pas... si on peut appeler ça des "pas", dans le souterrain. Je fis pendre mes jambes dans le trou et avec mon bras gauche je m'agrippais sur le rebord du...
OUCH !
- Aïe...
Je m'y étais mal pris et j'étais tombé sur mon bras droit... Depuis quelques heures, la douleur s'étendait aussi sur l'épaule et l'omoplate... L'infection était de plus en plus importante... J'allais tenter une dernière fois de me lever pour faire la route plus vite. Je parvins à me mettre sur mes genoux et à mettre un premier pied au sol. En forçant un peu je parvins à tenir sur mes jambes tout en faisant attention à ne pas redresser mon buste. Mon poids était sur ma jambe droite et contre le mur à droite... Je commençais à avancer lentement. C'était silencieux ici. Rencontrer quelqu'un maintenant aurait été plus que tragique, et je pressais un peu le pas dans cet engouement, cette brusque impatience, ce grain de folie lorsqu'on est si proche du but... Alors plus vite putain... Plus vite... J'atteignais la fameuse intersection et au loin à gauche, comme l'avaient promis mes souvenirs c'était un point lumineux, l'illumination... A droite c'était les ténèbres, le retour en Enfer, la damnation et la perte... J'avançais en frôlant le mur dans le silence, seul, je fuyais l'obscurité cette fois, et j'avais l'impression qu'elle me rattrapait. Vite la sortie ! VITE JE VEUX SORTIR D'ICI ! Le point lumineux s'agrandissait, je sentais mes narines s'ouvrir, je respirais par la bouche et j'étais pris d'intenses frissons... Tout l'air qui passait dans mes poumons circulait à une vitesse folle et j'étais moi même un atome d'oxygène... Un putain d'atome aspiré par des narines, qui a traversé jusqu'au fin fond le grand réseau du système respiratoire humain, qui a frotté le fond de l'alvéole pulmonaire et qui est ressorti par le même endroit... C'est avec mon entourage que je forme une molécule, c'est avec mon entourage que je sers à quelque chose... Et pourtant mon entourage n'est plus... La molécule que nous formions a été cassée... dispersée... Et je ne suis plus que le simple atome d'oxygène qui ne sert plus à rien...
NON ! Je dois être heureux, heureux d'avoir l'opportunité de sortir... Et je ne le fais pas sans penser à vous tous que je laisse dans mon dos en Enfer...
Les larmes aux yeux, je voyais trouble mais j'avançais ENCORE ! OUI ! J'Y SUIS ! JE SORS ! PUTAIN DE MERDE ! LA SORTIE !!
- Allez... Allez... Allez...
Oui... L'illumination, c'est ça !! Faire attention au double sens de ce mot... L'illumination dans un sens propre, c'est la joie et la connaissance... Dans son sens figuré et cruel... l'illumination c'est la folie... Alors par pitié que mes émotions... ne transforment par ce bonheur intense en folie... PAR PITIE ! J'APERCOIS L'ESCALIER... Je l'avais revu pour la dernière fois quand je rentrais... Je suis à moins de trente mètres... de l'escalier ! Ma respiration devient très forte... Il fait donc jour...
Et... je mis un premier pied sur l'escalier... Il y avait les mêmes journaux sur les marches qu'il y a deux semaines... Pour moi j'ai l'impression de les avoir vus il y a 6 mois pour la dernière fois... Un deuxième pied vacillant, puis un troisième, et je fus aveuglé par la lumière... Je ne voyais strictement rien... Je m'assis sur la dernière marche, et tout en me recroquevillant, je pleurais comme un enfant... Y avait t-il quelqu'un dans le hangar ? Je n'en savais rien... Je ne pouvais rien voir pour l'instant...
Je suis à la surface.
Et tous les véritables éléments de ma vie sont sous terre... La pire chose que je crains... c'est de regretter d'avoir réussi, de n'éprouver aucun plaisir d'avoir retrouvé la vie... Je commençais à très bien voir le sol poussiéreux du hangar ainsi que mon pantalon maculé de quelques tâches de sang...
- Hum hum...
Cela résonnait... L'endroit était grand et ça aussi... ça changeait de l'étroitesse inconfortable du souterrain... En redressant ma tête je commençais à réellement voir l'intérieur du hangar et la lumière qui fut jaune auparavant était maintenant blanche à mes yeux...Il était désert, et ça je pouvais m'en assurer... Je pouvais exprimer cela avec certitude car je voyais... JE VOYAIS AVEC LA PRUNELLE DES MES YEUX !
En m'examinant, je fus d'abord choqué par l'état de ma main droite... les ongles sont... URGH... Faut pas que je regarde...
- Oh putain de merde ! Mon... bras...
Il était noir, tout pourri... La pourriture s'arrêtait à l'épaule ou la peau redevenait normale, de même au niveau du poignet. Il paraissait déjà mort. Et je ne pourrais pas le soigner, les soins me feraient repérer... Eric avait dit vrai lorsqu'il était encore de ce monde, ça ressemble à la gangrène...
Là bas il y avait... la sortie du hangar. Il faisait vraiment jour... Tenter de rentrer chez moi à ce moment était bien trop risqué... Je ne pense pas ressembler en ce moment même à quelqu'un de normal, plutôt à un gars violent... Il y avait toujours d'immobiles planches de bois étrangement disposées partout dans le hangar, un sage silence et une odeur de poussière... Je vais attendre qu'il fasse nuit pour sortir d'ici et je passerais dans les recoins de la zone industrielle pour éviter d'être vu par des espions... Ca risque d'être extrêmement délicat et je ne pense pas que l'endroit est encore alimenté en électricité, donc pas éclairé cette nuit... Ah ah, après ce que j'ai vécu je parviens encore à me soucier de l'obscurité...
Dans quelques longues heures je retournerais chez moi... Et sans mentir, au fond de moi j'avais cette lueur d'espoir d'y retrouver ma famille... Un espoir égoïste car si c'était le cas, je les contaminerais, je les feraient mourir...
Mais dans ces souffrances profondes... l'égoïsme triomphe toujours...
Partie I
Je ne me souviens de rien... Juste du bonheur de la chaleur... Mais tout le reste est obscur... Et...
- Je l'ai tué... Eric est mort... C'était pendant ces minutes qu'Eric avait vécu la transformation infâme de l'homme... de l'organisme... vers l'image matérialiste au possible des cendres... Eric n'était plus que cendres... Et c'est ma faute si Eric est un tas de cendres... J'aurais pu faire basculer le four à tout moment... Mais je ne l'ai pas fait... C'était une crise de violence et pendant cette crise j'avais dû aussi m'achever physiquement. J'avais trouvé le moyen de gesticuler et de parfaire mon invalidité... Toutes mes chances, je les aient détruites... Stan je l'ai tué, Eric je l'ai tué, l'autre gars là ... Roman... je l'ai abandonné dans un but purement individualiste... Je suis une saloperie moi aussi... Stan et... Gab... J'en oublie presque leurs prénoms... La page s'est tournée dans un courant d'air et je n'ai rien choisi... Ma vie est un organisme qui était habitué à ces assouvissements joyeux de la vie... Qui en était dépendant et du jour au lendemain on lui en a privé...
Allongé dans les cendres, je voyais cette cheminée à plusieurs mètres au dessus, et je ne l'atteindrais jamais... La légère lumière des fours était toujours présente, et colorait mon hypothétique tombeau... Moi, je respirais, fortement, je grattais mon palais avec ma langue... je reniflais et je ne pouvais plus marcher... Ramper... c'est tout... Je suis réduit à ramper... J'entendais le crépitement des restes d'Eric dans le four... Les seuls bruits qui pouvaient encore sortir de cette âme tourmentée... Il venait de vivre la pire souffrance de sa vie et moi pendant ce temps j'avais été dans l'inconscience... Au moins il n'avait pas atteint le stade final, et je ne l'avais jamais vu criser... Quant à moi je n'avais pas l'impression d'en être si loin de l'état final... Il se rapproche... Quelles sont les solutions désormais ? Pourrir ici ? Mourir donc de faim, mourir simplement à l'abandon... Je peux aussi mourir de l'état final avant... Quant à une tentative de sortie...
- AHAH... Il n'y a pas de sortie... Il y a...
Cet espèce de terrier au sol dans le mur derrière moi... Je ne pourrais même pas m'y glisser... Mais c'est la seule chose que je peux tenter... Risquer d'être coincé dans un trou, et de mourir dans une intense crise de claustrophobie... Je vais ramper vers ce trou... Mais avant je dois reprendre des forces... Me reposer un peu... J'ai soif et je crève de faim, mes épaules me brulent affreusement...
...
- Paul, c'est toi ?
- Que... Hein ?
- Qu'est ce que tu fais là !?
- Je... MARCO !! VIVANT ? J'Y CROIS PAS !
- La salle des cendres toi aussi...
- Mais pourquoi t'es là !? Comment tu sais que...
- Bah pour les mêmes raisons que toi !
- Alors sortons ensemble mec !! Vite !! A nous la liberté !! Laisse moi te prendre dans mes bras...
- Ne... Nan...
- Pourquoi ?
- Ils ont déjà commencé...
- Commencé ?
- Tu me ferais mal au dos...
- Pourquoi ?
- Regarde...
[Marco se retourne et me montre son dos entièrement brulé.]
- WOUAAAH !
- C'est ça la raison...
- Mais non !
- Mais si !
- Mais non !
- Mais si ! On est là pour... CREVER !!!
[Il me saute dessus et m'arrache la peau du cou avec les dents.]
- GRRRRR ! ON EST LA POUR SE BOUFFER LA GUEULE MEC !!
- GYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!
...
Mais si... mais non... Mais si... Je suis en train... Mais non... de délirer... mais si... je ne parviens pas... mais si... à me reposer... mais non...
Mais si...
- MAIS NOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! URGH... MARCOOOOOOOOO !
...
J'ai... peur... Maman...
C'est le silence absolu ici... Mais Marco était là !! Mais était-ce la réalité ? Non... c'était étrange... Un rêve, Marco ne peut pas être ici... Non IL NE PEUT PAS !!
Il faut que j'arrête de délirer ! Marco n'est pas là . Je ne suis pas déglingué au point de ne pas faire la différence entre mes rêves et la réalité. Je sue comme un dingue... et ces affaires que j'avais récupéré dans la résidence puent la mort !! Et ce délire qui m'a empêché... de me reposer... "Mais si... mais non..." ça résonne dans ma tête, je deviens cinglé...
- Marco ?
"Nous sommes tous là pour crever."
- Putain...
Je me remémore l'horrible vision et... je suis allongé sur des cendres... Ceux pour qui cette théorie était exacte... JE NE... JE NE VEUX PLUS !! JE NE VEUX PLUS COUCHER SUR DES MORTS !
- NON !! JE NE VEUX PLUS ÊTRE ALLONGE SUR LA MORT ! PARTIR !
Je dois ramper vers ce petit trou de merde... Et si c'était un simple renfoncement de quelques centimètres... Cela serait la réelle fin, le signe que je suis enfermé à tout jamais ici... C'est maintenant que je vais savoir... Si le désespoir atteint son paroxysme... ou s'il n'en est que très proche...
En griffant ces putains de cendres j'avançais vers la nouvelle source d'obscurité... Je laissais derrière moi l'alvéole du dédale, le paysage, la scène la plus affreuse que j'avais pu visiter dans le souterrain... Cette zone des fours était pour l'instant le plus immense cauchemar que j'avais vécu ici... Mais si ce petit trou n'était pas une issue j'allais y rester à tout jamais... Et c'est tout ce que j'aurais voulu ne jamais vivre... Alors si seulement je n'étais pas retourné dans la cellule d'Eric pour bouffer ce putain de paquet de céréales... Il ne m'aurait pas amené jusqu'ici... Ma tête était finalement à l'embouchure du mur... La lumière des fours n'éclairait pas le fond, il y avait de quoi mettre tout mon corps au moins... Mais plus j'avançais plus je me rendais compte qu'encore une fois je découvrais une sensation nouvelle, insupportable comme j'en avais découvert des dizaines dans ce souterrain... Être dans l'obscurité dans un endroit inconnu est une chose, mais être dans l'obscurité dans un renfoncement aussi large que sa taille en est une autre... Comment j'allais pouvoir respirer là dedans ?
- JE REFLECHIS TROOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOP !! PU-TAIN !
Si seulement j'étais un peu plus spontané putain, voilà ne penser à rien et AVANCER ! Je rampais... je sentis mes pieds effleurer les murs de la salle des cendres et finalement je me rendis compte que mon corps était entièrement engouffré dans ce petit passage. Ce mini tunnel n'a pas été creusé pour rien. Pour l'instant je n'avançais pas sur un plan incliné... C'EST BIEN UN PASSAGE BORDEL ! Alors le désespoir n'est pas encore fatalement ultime ! Après avoir parcouru cinq mètres je fis une courte pause pour reprendre ma respiration... Garder son calme est très important... C'est très simple de partir en vrille à la moindre faille psychologique... Pas besoin d'être claustro pour péter un câble ici... En fait l'obscurité est une bonne chose pour oublier ce que l'on est... Mon corps est tellement abimé que dans l'obscurité je me sens mieux... Ou alors je suis simplement en train de devenir un animal nocturne... Putain d'horreur... Pourquoi il faut que je me dises ça ? Je continuais à ramper, au moins je n'étais plus sur des cendres... J'ai fait quoi là ? Huit mètres peut-être... Où je vais finir par...
- AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!! PUUUUUUTAIN ! SALOPERIE !
Un insecte ou une merde du genre m'était monté sur le dos... Elle était passée très vite... sans doute une très grosse araignée... Ca doit en être blindé ici... Mais je l'avais sentie assez grosse... Je ne supporte pas les araignées... Alors... faut que j'accélère le rythme... Je fus emprunt à de légères convulsions dues au dégout que me provoquait la saloperie qui venait de me passer dessus. On a beau dire que c'est si peu de choses après l'Enfer que j'ai vécu... c'est simplement différent et une simple araignée pourrait me faire paniquer... Je dois rester serein... une panique ici serait dramatique... Soudain devant moi il n'y avait plus de sol... Ah si, un renfoncement de trente bons centimètres vers le bas... Mais c'est quoi cette merde ? Je continuais d'avancer à mon rythme... je pense qu'une heure s'était écoulée et que j'avais parcouru facilement cinquante mètres... Le retour en arrière me paraissait être une très mauvaise solution, mais continuer de m'enfoncer encore plus dans quelque chose d'inconnu n'était pas forcément plus sûr. Je ne partageais maintenant ce destin avec personne... Il n'était réservé qu'à moi... Toutes les personnes avec qui j'aurais pu le partager, je les avais perdues ici... Une pensée pour ma famille vint me pincer le coeur... Mais c'était sans doute la pensée qui me détruisait le plus mentalement, c'est pour ça que je fuyais cette vision de mon frère et de ma mère...
Il y eut maintenant...
- AAAH ! PUTAIN !
Encore un insecte... C'était maintenant une marche, une élévation de terrain de trente centimètres aussi... Je m'adossais sur cette marche, le simple fait de m'adosser me faisait extrêmement mal aux côtes... Je montais la marche difficilement... Et je continuais à ramper... Mais maintenant... à peine deux minutes après c'était un trou devant moi... enfin du moins je ne pouvais pas atteindre le sol avec mon bras... Je décidais sans réfléchir de m'y jeter et j'atterris un bon mètre en dessous... Cependant aucun changement, toujours un plafond à 25 centimètres au dessus du sol... je rampais toujours... Une bonne demi-heure passa et j'avais sans doute des ressources cachées pour parvenir à maintenir ce rythme... Je pensais avoir facilement parcouru 500 mètres... Que dire ?... J'avan...
- HEIN !?
Un... bout de taule... de la taule... du fer ! UN CUL DE SAC !
- NON... Pas un cul de sac c'est impossible...
Et pourtant le plafond est toujours là , les murs sont toujours là ... le sol aussi... J'AI FAIT TOUT CA POUR... C'est impossible...
Je tapais alors avec mon coude brûlé contre la taule et le son me faisait comprendre la faible épaisseur de ce bout de ferraille... L'étroitesse de l'endroit m'empêchait de me retourner et donc de taper avec mes pieds contre l'obstacle... alors, avec la paume de ma main gauche, je mis toutes les forces qu'il me restait pour taper contre cette merde... En le faisant je pensais fortement à mes amis, Gab et Marco, et aux autres... Finalement l'obstacle céda et tomba à quelques dizaines de centimètres en dessous...
Etrange... L'odeur du virus vint titiller mes narines... Il y avait sans doute des macchabées ici et donc un risque potentiel d'attaque à mon égard. Je me laissais tomber et atterris...
... sur un carrelage blanc. UNE CELLULE !? En faisant gesticuler aveuglément mon bras dans le vide je sentis des objets... de forme cubique... assez froids... sans doute métalliques. Ca me rappelle... putain de merde...
- Non... Oh putain... PUTAIN ! PUTAIN !
Je rampais plus rapidement que jamais. Que... que... Rien ? Mais si... obligé, je reconnais !! Ils l'ont peut-être viré... Mais non, trop risqué...
Soudain, quelque chose de froid et flasque vint heurter mon poignet... Une main ! Le bras était recouvert d'un pull... un pull de matière peut-être synthétique... ça faisait... BCBG !! Putain de merde !! OUI ! C'est lui !
- DIEU DU CIEL...
C'est l'homme que j'ai tué... LE PREMIER... Là ou j'étais encore avec Gab et Marco, notre première sueur froide et ntoe découverte des symptômes du virus !! Putain de bordel de chiasse liquide... Mais... c'est surtout l'endroit à partir duquel je peux... RETROUVER CETTE PUTAIN DE SORTIE !! Je... n'en crois pas... c'est incroyable... Cela fait bientôt deux semaines et... PUTAIN...
Tous les membres de mon corps se mirent à trembler d'une force... mon rythme cardiaque s'était aussi intensifié... L'émotion est... trop forte... Je vais claquer... il ne faudrait pas... Respirer calmement... c'est pas le moment de... Pfiouuuu... Je me mis sur le dos, et tentai de réguler ma respiration... Finalement... J'étais au bord de la confusion... C'était si... Ce carrelage blanc... Et le rat qui doit pas être loin... J'ai réussi..? Non... Je n'ai fait que remplir mon objectif, ou presque, ma vie reste foutue... Mais... j'allais donc sortir de ce putain de souterrain !?
Au final je ne regrette pas... d'être revenu bouffer ce putain de paquet de céréales... Au final... Sans Eric je ne serais jamais retourné ici... je ne peux que le remercier comme je le peux... Non c'est hypocrite, je l'ai moi-même tué... Mais chaque élément de mon parcours a eu sa place... et m'a permis de revenir ici.
C'est... incroyable...
Partie II
Et dire que cet endroit me répugnait, me donnait d'intenses frissons de répulsion auparavant... En ce moment même j'étais allongé sur ce carrelage glacial et j'étais heureux... Un cadavre juste à côté de moi, une odeur ignoble qui titillait mes narines... Mais j'avais fermé la boucle... J'étais... si proche de la sortie... J'aurais presque voulu rester un petit moment dans cette réserve crasseuse tellement je m'y sentais en sécurité... Comme l'oiseau, l'humain fait son nid et peut s'adapter à un environnement qui à première vue, parait incompatible avec son mode de vie... C'est vrai, j'exagère. Ma joie soudaine me fait dire des conneries... L'humain ne peut pas faire son nid ici. J'ai l'impression qu'il y a une éternité de cela... Gab ou Eric avait posé la lampe sur un lave-linge dans cette salle... je n'avais jamais eu aussi peur. Puis tout s'est accumulé, il n'y a pas eu de goutte pour faire déborder le vase, il y a eu des trombes d'eau qui l'ont noyé ce vase, qui l'ont brisé en morceaux... Ainsi que tout ce qu'il y avait autour. C'est cela le souterrain. C'est ça l'underground de Darnoy...
Malheureusement, très vite, j'étais revenu à la réalité... Je suis handicapé, strictement invalide et même si j'atteins la sortie... je devrais faire attention. Le climat dans lequel je baigne depuis ces dix minutes est paisible et pacifique... J'avais perdu complètement l'habitude de cela... Et même si aux yeux de tout le monde je suis encore dans le souterrain, je suis...
De grosses... d'immenses larmes coulaient le long de mes joues, les sanglots déformaient ma bouche...
- Gyaaah...
Je criais... Tout ce qui m'est tombé dessus en deux semaines... Tous ces gens, TOUT ce que j'ai rencontré ici, tout faisait partie du cauchemar... Cette impression dont j'ai plusieurs fois parlé, que tout est un tableau... C'est si vrai... Même en voyant ma famille partir, je n'avais jamais pleuré autant... Tout cela s'est passé, mais ces pleurs... c'était le débriefing de... cette vie foutue en l'air...
J'aurais bien piqué un somme pour me permettre de fuir un instant ce que je savais... Mais j'allais peut-être encore faire un cauchemar... De toute façon, j'étais rongé par l'impatience de sortir...
Une fois sorti, je n'aurais sans doute pas atteint le repos. Un contaminé découvert en liberté pourrait... revivre cette horreur... En fait je ne peux même pas l'imaginer. Errer en ville ?.. En rampant ? Avec des fringues dégueulasses, un bras noir, une oreille démontée, des ongles retournés, des brûlures sur le corps, imprégné d'une odeur nauséabonde... Non... Je ne pourrais pas errer en ville. Je ne me donne même pas cinq minutes avant d'être maitrisé par des types en combinaison... C'est maintenant que je dois réfléchir à ce que je vais immédiatement faire en sortant du souterrain. Le scooter de Gab... il est peut-être toujours là . Non... Si on remarque qu'il a disparu, on ira très vite me retrouver... Le seul refuge que je peux trouver... c'est chez moi... Retourner à District 25 et me planquer dans mon appartement.
Et si une crise de violence arrivait ? Je serais immédiatement repéré, je ne ferais moi-même plus attention à ma discrétion... Si j'ai une crise en ville c'est ma fin... Il faut que je parvienne à me contrôler... Et surtout ne pas être désorienté par la lumière... En quelle saison sommes-nous déjà ? Ah ça me revient, la fin de l'automne, la pluie froide, peut-être l'hiver maintenant. Je vais me les geler, il faudra faire ça vite. Et si ma famille n'était pas enfermée ? Non je vais bien trop loin, je dois me contenter d'être sorti. Et puis... J'ai tendance à me projeter dans le futur mais la première chose que je devrais faire c'est soulever ce bloc de calcaire, le fameux bloc qu'on avait du mal à soulever à trois, et que je vais devoir soulever avec un seul bras...
J'avais tué cet homme juste à côté de l'entrée de la salle donc... le bloc...
- MAIS OUI !
Je me rappelle ! Nous étions partis brusquement sans réussir à remettre le bloc dans son support et je n'ai donc aucun effort à fournir si ce n'est de le pousser légèrement.
Soigneusement, je fis attention de ne pas pousser le bloc dans une mauvaise direction qui l'aurait alors fatalement positionné tel qu'il l'était initialement. Ce ne fut pas bien compliqué de le faire glisser un peu sur le carrelage. J'avais le chemin libre, j'allais faire mes derniers pas... si on peut appeler ça des "pas", dans le souterrain. Je fis pendre mes jambes dans le trou et avec mon bras gauche je m'agrippais sur le rebord du...
OUCH !
- Aïe...
Je m'y étais mal pris et j'étais tombé sur mon bras droit... Depuis quelques heures, la douleur s'étendait aussi sur l'épaule et l'omoplate... L'infection était de plus en plus importante... J'allais tenter une dernière fois de me lever pour faire la route plus vite. Je parvins à me mettre sur mes genoux et à mettre un premier pied au sol. En forçant un peu je parvins à tenir sur mes jambes tout en faisant attention à ne pas redresser mon buste. Mon poids était sur ma jambe droite et contre le mur à droite... Je commençais à avancer lentement. C'était silencieux ici. Rencontrer quelqu'un maintenant aurait été plus que tragique, et je pressais un peu le pas dans cet engouement, cette brusque impatience, ce grain de folie lorsqu'on est si proche du but... Alors plus vite putain... Plus vite... J'atteignais la fameuse intersection et au loin à gauche, comme l'avaient promis mes souvenirs c'était un point lumineux, l'illumination... A droite c'était les ténèbres, le retour en Enfer, la damnation et la perte... J'avançais en frôlant le mur dans le silence, seul, je fuyais l'obscurité cette fois, et j'avais l'impression qu'elle me rattrapait. Vite la sortie ! VITE JE VEUX SORTIR D'ICI ! Le point lumineux s'agrandissait, je sentais mes narines s'ouvrir, je respirais par la bouche et j'étais pris d'intenses frissons... Tout l'air qui passait dans mes poumons circulait à une vitesse folle et j'étais moi même un atome d'oxygène... Un putain d'atome aspiré par des narines, qui a traversé jusqu'au fin fond le grand réseau du système respiratoire humain, qui a frotté le fond de l'alvéole pulmonaire et qui est ressorti par le même endroit... C'est avec mon entourage que je forme une molécule, c'est avec mon entourage que je sers à quelque chose... Et pourtant mon entourage n'est plus... La molécule que nous formions a été cassée... dispersée... Et je ne suis plus que le simple atome d'oxygène qui ne sert plus à rien...
NON ! Je dois être heureux, heureux d'avoir l'opportunité de sortir... Et je ne le fais pas sans penser à vous tous que je laisse dans mon dos en Enfer...
Les larmes aux yeux, je voyais trouble mais j'avançais ENCORE ! OUI ! J'Y SUIS ! JE SORS ! PUTAIN DE MERDE ! LA SORTIE !!
- Allez... Allez... Allez...
Oui... L'illumination, c'est ça !! Faire attention au double sens de ce mot... L'illumination dans un sens propre, c'est la joie et la connaissance... Dans son sens figuré et cruel... l'illumination c'est la folie... Alors par pitié que mes émotions... ne transforment par ce bonheur intense en folie... PAR PITIE ! J'APERCOIS L'ESCALIER... Je l'avais revu pour la dernière fois quand je rentrais... Je suis à moins de trente mètres... de l'escalier ! Ma respiration devient très forte... Il fait donc jour...
Et... je mis un premier pied sur l'escalier... Il y avait les mêmes journaux sur les marches qu'il y a deux semaines... Pour moi j'ai l'impression de les avoir vus il y a 6 mois pour la dernière fois... Un deuxième pied vacillant, puis un troisième, et je fus aveuglé par la lumière... Je ne voyais strictement rien... Je m'assis sur la dernière marche, et tout en me recroquevillant, je pleurais comme un enfant... Y avait t-il quelqu'un dans le hangar ? Je n'en savais rien... Je ne pouvais rien voir pour l'instant...
Je suis à la surface.
Et tous les véritables éléments de ma vie sont sous terre... La pire chose que je crains... c'est de regretter d'avoir réussi, de n'éprouver aucun plaisir d'avoir retrouvé la vie... Je commençais à très bien voir le sol poussiéreux du hangar ainsi que mon pantalon maculé de quelques tâches de sang...
- Hum hum...
Cela résonnait... L'endroit était grand et ça aussi... ça changeait de l'étroitesse inconfortable du souterrain... En redressant ma tête je commençais à réellement voir l'intérieur du hangar et la lumière qui fut jaune auparavant était maintenant blanche à mes yeux...Il était désert, et ça je pouvais m'en assurer... Je pouvais exprimer cela avec certitude car je voyais... JE VOYAIS AVEC LA PRUNELLE DES MES YEUX !
En m'examinant, je fus d'abord choqué par l'état de ma main droite... les ongles sont... URGH... Faut pas que je regarde...
- Oh putain de merde ! Mon... bras...
Il était noir, tout pourri... La pourriture s'arrêtait à l'épaule ou la peau redevenait normale, de même au niveau du poignet. Il paraissait déjà mort. Et je ne pourrais pas le soigner, les soins me feraient repérer... Eric avait dit vrai lorsqu'il était encore de ce monde, ça ressemble à la gangrène...
Là bas il y avait... la sortie du hangar. Il faisait vraiment jour... Tenter de rentrer chez moi à ce moment était bien trop risqué... Je ne pense pas ressembler en ce moment même à quelqu'un de normal, plutôt à un gars violent... Il y avait toujours d'immobiles planches de bois étrangement disposées partout dans le hangar, un sage silence et une odeur de poussière... Je vais attendre qu'il fasse nuit pour sortir d'ici et je passerais dans les recoins de la zone industrielle pour éviter d'être vu par des espions... Ca risque d'être extrêmement délicat et je ne pense pas que l'endroit est encore alimenté en électricité, donc pas éclairé cette nuit... Ah ah, après ce que j'ai vécu je parviens encore à me soucier de l'obscurité...
Dans quelques longues heures je retournerais chez moi... Et sans mentir, au fond de moi j'avais cette lueur d'espoir d'y retrouver ma famille... Un espoir égoïste car si c'était le cas, je les contaminerais, je les feraient mourir...
Mais dans ces souffrances profondes... l'égoïsme triomphe toujours...