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Kaileena, l'Impératrice des Papillons


Par : SyndroMantic
Genre : Fantastique, Horreur
Statut : Terminée



Chapitre 9 : La Fuite (première suite)


Publié le 11/07/2010 à 21:01:43 par SyndroMantic

Ce n'était pas de ma faute. Ce n'était pas non plus de la Leur. Ni même de celle des zervanistes. Absolument personne, pas un seul d'entre nous jusqu'alors ne savait quoique ce fût de ce sujet. L'idée n'est pas venue de se renseigner auprès de mon créateur. D'ailleurs, rien ne certifie que Zervan ait été plus éclairé sur un phénomène dont il ne savait même pas qu'il avait eu lieu. Une poignée de prêtres avait assisté à ma naissance, quelques uns m'avaient vue grandir, et Zohak fut l'exception pour ce qui était de me fréquenter (et encore, au vu de chacune de ses réactions depuis l'arrivée sur cette île, il n'en avait rien retenu). Moi-même, j'avais à peine conscience de ma véritable nature. J'étais un secret. Voilà ce qui embarrassait tellement les gens qui m'avaient croisée. Ce qui leur faisait tant peur. Si j'avais toujours vécu avec le sentiment de ma puissance, rien ni personne devant l'impasse de cette jungle anarchique n'avait pu me préparer à l'utiliser pour mon salut. Le Destin l'a voulu ainsi. Pendant plus de 4 minutes, je restai figée dans l'incertitude, et n'eus pas le temps d'agir avant que le grand homme arrive près de ma position.

Les feuilles tropicales retentirent en se tapant les unes contre les autres, et je distinguai au-dessus la tête du prêtre qui venait vers moi. Je n'attendis même pas de vérifier si cette vue était réciproque. Je me jetai à plat ventre derrière un gros rocher, trop craintive pour tenter une meilleure cache. Un peu tard cependant, car il m'entendit malgré tout. Le plus silencieusement possible, je me retournai sur moi-même, afin d'optimiser mon champs de vision que le ciel avait hélas déjà obscurci.

Une douzaine de secondes plus tard, le bruit fort de ses pas ralentit. Il était là.
« Kaileena ? hasarda-t-il, vigilant.

Je serrai les paupières. La course de mon coeur redémarra. Non, il ne devait plus rien attendre de moi. Je ne lui répondrais pas. Je ne lui expliquerais ni ma désapprobation de son acte, ni mon choix catégorique de le quitter. Nous n'avions plus à nous connaître. Il n'était plus mon ami. Je lui interdisais presque de prononcer mon nom. Je lui interdisais de savoir qui j'étais. J'aurais voulu qu'on ne se soit jamais rencontrés de la vie.
Que tout cela ne soit jamais arrivé.

- Kaileena...
C'était trop tard. Il savait que j'étais là.
- S'il te plaît...

Sa marche était lente, si discrète à présent qu'elle paraissait lointaine. Un faux semblant qui n'était pas pour me rassurer. La confiance dans ce repère m'aurait fait partir de cette cachette précaire. Ma méfiance m'encouragea plutôt à la sécurité immobile.
Intouchable comme une statue.

- M... Montre-toi... Je... Je ne voulais pas t'effrayer...
ça m'était égal. Son crime restait le même. Le mal était fait.
- Il va falloir que je te parle de... de certaines choses...
L'excitation me gagna soudain. Ces paroles me firent trembler d'impatience. Il avait su trouver la bonne phrase, qui à coup sûr m'aurait poussée vers de nouveaux rapports avec lui. Ma curiosité revint à la surface. Moi qui n'avais jamais supporté les cachotteries des adultes envers moi ! Cela m'ennuyait, que le zervaniste fasse pression là-dessus pour obtenir de moi ce qu'il voulait. Mais combien aurais-je été prête à sacrifier, pour l'espoir de ces révélations ?

Jamais je ne l'ai su. Les choses ont parfois des lois capricieuses. Durant 5 secondes et demi, j'étais entièrement convaincue, je n'imaginai pas d'autre alternative que celle d'accepter son marché. Ma présence contre ses réponses, une offre équitable en soi. Je me demande ce qu'il en aurait vraiment été, si je m'étais levée, avais bousculé ces branches et repéré le grand homme parmi d'autres, puis m'étais élancée vers lui avec la conscience de lui céder une part de ma liberté. Mais Zohak fit une erreur. Il hésita. Pendant 9 secondes, il avait laissé planer le silence, entre les fourrées, comme s'il cherchait en même temps ses mots. L'on ne parle pas à une petite fillette comme à un humain plus âgé, pour en obtenir quelque faveur. Et compte tenu de nos grandes différences, il dut se taire longtemps, avant de bien s'accorder avec mon écoute. Le problème, c'est que je l'écoutais aussi, ce mutisme trop bavard pour m'empêcher le doute. Je n'avais en effet aucune garantie de son honnêteté. Une fois que j'aurais accepté, que je le lui aurais dit, ma voix serait passée pour un indice involontaire. N'importe quelle insulte aurait autant suffit. Un échange pour un autre... Zohak devait me prendre pour une idiote. La seule réponse valide était le silence. Quoi que mes interrogations fussent douloureuses, elles ne valaient pas la peine que je prenne un si gros risque.

- Tu es tellement jeune, Kaileena... Il y a certaines choses qu'il faut que tu saches...

Certaines choses ! J'admets qu'une telle imprécision dans les termes ne me dérangeait pas, car elle laissait la porte ouverte à toutes les attentes. Mais d'un autre coté je le pris davantage comme un fumisterie de celui qui ne désirait pas s'engager. Certaines choses pouvaient renvoyer à son déjeuner du matin ! Cela ne disait rien de concret. Pourtant, j'espérais de tout mon coeur... Ah, si j'avais pu me boucher les oreilles, sûrement mon esprit aurait-il été moins vulnérable. Mais, à mon grand regret, le moindre de mes gestes aurait été susceptible de me trahir. Mon renoncement à la séduction ne devait en aucun cas mener à ma capture. Il ne me restait donc plus qu'à subir ses paroles en pensant de toutes mes forces que je devais garder mon indépendance psychologique.

- Je ne t'ai pas tout dit...
J'ordonnai qu'il se taise en mon for intérieur. Mes battements de coeur tambourinaient dans ma poitrine. Les larmes remontaient à nouveau. Elles non plus ne devaient pas attirer l'attention. "Tout", cela recouvre tellement de choses...

- Reviens... S'il te plaît... Tu ne sais pas ce qui t'attend...

Son argumentaire était une véritable torture. Voilà que je me rappelais mon jeune âge, à présent. Le grand homme savait, ou du moins croyait savoir que mon expérience terrestre était trop maigre pour me permettre de survivre en solitaire dans cette île maudite. Je n'avais, c'est vrai, pas mieux à lui objecter, hormis des impressions indistinctes. Par ailleurs, nos relations devaient lui avoir suggéré un besoin de protection chez moi qui ne s'était jamais fait autant ressentir que ce jour. Et finalement, ce tigre, si l'on y réfléchissait, je ne connaissais rien de lui, je l'avais peut-être admiré à tort. Que se serait-il passé si Zohak ne l'avait pas menacé ? Car il ne fallait pas l'oublier : c'était bien le fauve qui le premier s'était jeté sur son ennemi. Il ne l'avait pas tué, ce que fit celui-ci en dépit de ma présence. Mais qui sait si l'animal n'en avait pas l'intention ? Quelle blessure douteuse pouvait attester de son pacifisme ?... Et moi, j'aurais voulu passer outre ces interrogations et attendre le péril dans la contemplation de cette nature ténébreuse ! Je ne me faisais pas la moindre idée de ce que Sauvagerie signifiait vraiment. Lui, le grand homme, il avait plus vécu que moi. Il était censé avoir de l'avance. Pouvoir me guider sur les chemins de l'existence.

Avec cette seule et simple phrase, d'une structure des plus basiques, Zohak avait réussi à reprendre à mes yeux le statut de gardien paternel. Et pourtant, je savais à quel point il était dangereux de raisonner ainsi.

- Je t'en prie... Je ne veux pas te perdre...

Il me semble que c'est cette dernière parole qui me décida enfin. Dans ces quelques mots, l'adulte avait manifesté son désir de retrouver les rapports que nous avions toujours eus, et qui, il faut l'avouer, me manquaient également. Il était mon ami... Il avait besoin de moi... Je ne l'aurais pas mieux supplier, à sa place. Il revenait à moi de choisir l'issue de cette crise. L'humain à qui j'avais affaire était en proie à des troubles que je reconnaissais sans difficulté. La peur de l'abandon. La peur de n'avoir plus personne vers qui se tourner. La peur de la solitude. La peur de l'impuissance. La peur de l'inconnu. La peur de la mort. La peur de ne plus pouvoir se rattacher à rien.

Un nouveau souffle de bonheur me fit étirer les lèvres. En fait moi je n'étais pas perdue. Cela faisait déjà des semaines que je l'avais remarqué. Zohak était beaucoup plus proche de moi qu'il ne l'avait laisser paraître. Nous n'étions pas si différents. Je n'aurais jamais su prendre la mesure de son désespoir, mais une chose était certaine, concernant sa panique : elle n'était encore retenue que par la possibilité de mon retour... Le zervaniste dépendait de moi... Je pouvais le réconforter... Aussi facilement que je l'avais pris dans mes bras...

Je ne mis pas plus de 13 secondes pour passer à l'acte.

Je me levai prestement, quitte à bousculer des branches basses, et repérai le pauvre humain derrière d'autres éloignées.
- Kaileena ? » fit-il en m'apercevant à son tour.


Je me retournai et m'élançai à travers les buissons avec une vitesse que je ne me connaissais pas. C'était reparti.

« Kaileena !

Ce coups-ci, le grand homme était réellement à mes trousses. Tant pis pour les éraflures, tant pis pour le manque de visibilité. Cette course allait me réchauffer, bien que ma poitrine s'enflammât déjà de ce revirement de situation. Le prêtre était une fois de plus à ma poursuite. Mais il avait beau avoir gagné quelques mètres depuis que tout avait débuté, maintenant c'était moi qui étais en position de force. J'aurais en effet pu rentrer dans son jeu, vu que nos retrouvailles ne m'auraient plus dérangée. Ce n'était pas mon problème. Mais ce pourrait être le sien... Lui ne m'empêchait pas de m'éloigner. Moi, en revanche, je le défendais de m'approcher. J'étais l'offre, et il était le mendiant. Quelle jouissance que d'imprégner cette vision des choses ! Le sentiment de supériorité. qu'elle m'inspira décuplait mes capacités physiques, à un stade que je n'aurais jamais soupçonné. Cette fantastique énergie me fit encore accélérer mes foulées.

- Kaileena ! Ici !

Je m'abstins bien de lui dire haut et fort l'indignation que mes pensées lui répondaient intérieurement. D'abord parce que je ne tenais pas à ce que le prêtre sache ce qu'il y avait dans ma tête. Ensuite parce qu'il me fallait réserver ma respiration à mes efforts, tandis que je sautai par-dessus des touffes végétales et autres obstacles. Mes idées s'emboitaient, cependant, et je prenais peu à peu conscience de ce qui motivait mes jambes. Je ne l'avais jamais espéré auparavant. J'avais dans mes mains le pouvoir de donner ou non ce que l'adulte désirait. Je pouvais lui apporter soit le bonheur... soit le malheur. La panique, même. Je devais bien le réaliser tôt ou tard. Souvent nous raisonnons en fonction de notre propre personne. Mais l'égoïsme est loin d'être une source de pouvoir, surtout lorsqu'il est inconscient. Depuis toujours, sur le navire, je n'avais songé qu'à mon propre mal-être, voulant à tout prix le résoudre. J'avais espéré que les zervanistes me transmettent le fruit de leur savoir. Y compris, bien sûr, la vérité sur mes origines. J'attendais de leur part une certaine reconnaissance. Après tout, nous recherchons tous l'amour d'autrui.

Mais la donne avait changé, dans mes idées. Lors, c'était moi que l'autre convoitait. C'était moi qui avais droit de joie ou de peine sur l'autre. Il est vrai que, d'une certaine manière, c'était machiavélique de ma part. Mais j'étais une petite fille en manque d'amour. Zohak n'avait jamais su me satisfaire. Ce n'était qu'un juste retour des choses.


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