Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Némésis


Par : Pierric_2009
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : C'est ainsi que tout commence


Publié le 08/06/2010 à 00:13:40 par Pierric_2009

[ Nous avons tentés plusieurs fois, mon équipe et moi-même, de percer le mystère de l'impossibilité pour les Amlachs de se reproduire. Toujours sans succès. Tous les résultats donnent à penser que cette espèce, dont le nombre est extrêmement limité, est vouée à disparaître dans le courant du siècle prochain. Nous ignorons toujours d'ou ils proviennent, bien que nous soyons quasiment certains qu'ils sont apparus durant la période que nous surnommons « Les Cents Nuits ». Les spéculations les plus diverses circulent d'ailleurs à ce sujet, allant de l'hypothèse qu'ils soient le résultat d'une expérience sur des êtres humains à celle qui les qualifie, au même titre que les Anciens, de « dieux vivants », en passant par une forme évoluée des Vampires. La théorie qui est la plus mise en avant, est encore celle qui affirme que les Amlachs sont issus du Néant.

Je pense qu'il peut y avoir une certaine part de vérité dans ces raisonnements. Néanmoins, leurs antagonistes ont apparemment oublié un fait essentiel : les Amlachs ne sont pas des monstres. Ils sont aussi, voir plus du fait de leur longévité, intelligents que l'espèce humaine. Ils parlent, réfléchissent, résolvent des algorithmes complexes. Leur réputation de bêtes féroces et dépourvues de raison leur vient de leurs capacités surhumaines, et bien entendu, de leur nourriture. Mais l'humain ne tue-t-il pas pour se nourrir ? Si l'Amlach est effectivement le monstre qu'il dépeint, que sommes-nous alors ?

Certes, l'Amlach se distingue également par son incapacité à éprouver des émotions « humaines ». Il ne sait rien de l'amour. Les concepts de peine, d'amitié ou de haine lui sont inconnus. Notre nourriture ne leur convient absolument pas. Une seule chose peut accaparer son esprit, au point, dans certains cas heureusement très rares, de l'obséder.

La faim. ]
Extrait de « Etude récente du mode comportemental des espèces », rédigé par Célestin, dirigeant du C.R.E.G.H





Je n'ai jamais aimé la facilité.

Tout bon Chasseur apprend, dès qu'il atteint sa douzième année, un code d'honneur, une sorte de règle à laquelle il ne doit jamais déroger, sous aucun prétexte. Celle-ci, aussi comique que cela puisse paraître, résume très bien l'existence qui est la sienne. Elle se présente comme suit:

« Ne jamais détourner le regard. Ne jamais montrer de pitié. Ne jamais éprouver de remords. Ne jamais désobéir à son supérieur. Ne jamais nouer de liens avec un autre Chasseur. »

Je connaissais les risques. J'avais choisi de me lier à Irina, en sachant pertinemment que je pouvais la perdre à tout instant. C'était mon choix, et jamais je ne l'ai regretté.

Mes camarades ont plusieurs fois tentés de le décrire ce que l'on ressentait alors que l'on était sur le point de mourir. Une douce chaleur nous envahit. Tous nos sens s'éveillent, comme si nous découvrions le monde pour la première fois. Une porte de lumière qui s'ouvre sur notre vie passée, nous permettant de la contempler une dernière fois. Et ce sentiment de plénitude, comme si nous savions que nous ne craignons plus rien, et que dorénavant tout se passera bien. Cette sensation, je me la suis imaginée une quantité incalculable de fois. Chaque fois que je pensais que mon heure était venue, je me remémorai leurs paroles, et quelque part au fond de moi, j'étais rassuré. Rassuré, et heureux.

Je ne me souviens que des Ténèbres.

Ils m'avaient parlé d'un lieu dont la beauté était sans pareille. Je n'ai vu que le Néant. Ils m'avaient parlé d'un monde fantastique, dans lequel prospéraient simplicité et harmonie. Je n'ai ressenti que le désespoir. A cet instant précis de mon existence, jamais je n'avais eu aussi peur.

A moins, bien entendu, que cela ne marche pas ainsi lorsque notre âme se fait aspirer. J'ignore ce que nous sommes censés voir dans ce cas là, étant donné que personne, tout aussi puissant fut-il, n'a jamais conservé suffisamment de sa conscience pour en témoigner. Peut-être, comme me l'a si souvent fait remarquer Emett, qu'une personne dont l'âme a été aspiré n'a pas sa place au Royaume Eternel, et qu'elle se retrouve alors condamnée à errer, ni vivante ni morte, jusqu'à la fin des temps. Peut-être ma destinée ne se trouvait-elle pas dans l'absolution.

Peu m'importait.

Je ne croyais ni aux Quatre Prêcheurs, ni aux légendes qui disaient que les Chasseurs tenaient leurs pouvoirs du Prophète lui-même. Et encore moins aux histoires qui affirmaient que ceux qui combattaient le Mal seraient pardonnés de tous leurs pêchés, tout comme les personnes en quête de rédemption. Le Bien et le Mal n'existent pas.

Il n'y a que la guerre. Juste, impitoyable, et impartiale.

Seul son pouvoir est absolu. Aucune préférence, pas de protection divine ou de juste châtiment. Seuls ceux qui détiennent le pouvoir peuvent espérer survivre. Les autres ont autant de contrôle sur leur destin qu'un homme en a sur la direction dans laquelle souffle le vent.

Je me réjouissais de n'avoir pas dû affronter ce moment ou nous nous retrouvons confrontés à nous même. Revoir tous ces êtres que j'avais perdu, ressentir de nouveau cette haine qui me consumait lorsque ma mère se laissa mourir de chagrin, haine que je dirigeais non seulement contre les créatures responsables de notre malheur, mais également envers notre espèce, trop faible pour pouvoir se défendre seule, revoir toutes ces choses m'aurait sans doute anéanti. La haine n'engendre que la haine. Et en cet instant précis, je la braquai toute entière sur moi, incapable de me défendre et de repousser ce monstre.

Cet instant ou mon âme se faisait sienne.

Je ne souffrais pas. En réalité, je n'étais même plus conscient de ce qui m'arrivait. Je sombrai dans un gouffre infini, un puits dans lequel régnaient noirceur et angoisse, sans issue et dénué de raison. Le monde qui m'entourait n'existait plus. Il ne restait que l'obscurité et l'angoisse.

Je me sentais perdu, affolé. Je ne comprenais ni ou je me trouvais, ni pourquoi. Aucun mot ne peut décrire ce que j'éprouvai alors. J'étais seul, et toute mon attention était dirigée vers le temps qui s'écoulait. Je ne souhaitais plus qu'une chose: que tout s'arrête. L'espace semblait s'étirer à l'infini, comme s'il prenait un plaisir sadique à faire durer la torture. Il n'y avait que moi, et le vide.

J'étais voué à disparaître. Une voix, étrangère mais qui me semblait pourtant familière, m'appelait. Je l'entendais me faire maintes promesses. Elle me parlait d'un autre monde, plus beau et empli de joie. Elle me parlait de seconde chance, de liberté et d'égalité. Elle me parlait d'un univers parfait, privé de peur et de doutes.

« Viens », me disait-elle.  « Tu verras comme tout sera plus simple quand tout sera fini. Plus de vie, plus de haine, plus de quête de vengeance. Plus rien. »
Elle avait raison. Pourquoi persister, alors que je me savais condamné? Plus personne ne viendrait, maintenant. Plus personne …

Et pourtant, je refusais de céder aussi facilement.

Je me rappelle avoir passé plusieurs minutes à me concentrer, afin de comprendre ce qui m'arrivait. Je me rappelle d'une émotion, vague et incertaine, dans laquelle se mêlaient amour et douceur. Je me rappelle un sourire éclatant.

« Je n'ai jamais aimé la facilité. »

Un coup de feu.

La détonation paraissait lointaine, pourtant elle suffit à me faire reprendre conscience. Un second, plus proche, raviva la chaleur de mon corps et me permis de suffisamment rassembler mes idées pour comprendre ce qu'il était en train de passer. Des renforts.

Le troisième coup me sembla encore plus proche que les précédents. Pendant un bref instant, je me sentis flotter dans les airs. Puis mon dos rencontra le sol, dur et inégal. Je m'écroulai.

La vie est parfois cruelle.

Je me risquai à ouvrir un oeil. Je le fis avec d'infinies précautions, espérant ne pas attirer sur moi l'attention de l'Amlach. Au moindre danger, je le refermerai aussitôt. Rien ne m'arriverait tant qu'ils resteraient clos.

Un spectacle des plus dramatiques s'offrit à moi.

L'Amlach était toujours là, le même regard brillant de curiosité se reflétant au fond de ses yeux. Je cru d'abord que c'était parce que j'étais encore vivant. Mais quelque chose attira rapidement mon attention. Une colonne de fumée, noire comme le charbon, s'échappait vivement de ses trois blessures. Une, au-dessus de la cuisse droite, destinée à restreindre les mouvements de la créature. La seconde, au niveau des poumons, afin de l'immobiliser. La troisième, située entre ses deux yeux, qui devait la neutraliser pour de bon.

La fumée devint plus dense, presque palpable. On eût dit que toutes les âmes que l'Amlach avait ingurgité depuis le début de son existence cherchaient à s'échapper avant qu'il ne les rattrape. Rarement j'avais pu assister à pareil spectacle.

Les yeux noirs de l'Amlach étaient braqués sur moi. Un rictus déformait son visage d'ébène, le rendant mélancolique. Mais il ne s'agissait pas d'une grimace provoquée par la colère. Malgré la souffrance qu'il devait éprouver, malgré la fumée qui continuait de s'échapper, toujours plus épaisse, malgré son échec à m'avoir transformé en Dâsamé, et les centaines d'âmes qui fuyaient son corps meurtri, la chose souriait.

<<Mission accomplie.>>

Je restai stupéfait tandis qu'il s'effondrait sur le sol. La fumée finit par disparaître, ne laissant plus qu'une coquille vide derrière elle. Après un ultime soubresaut, celle-ci ne bougea plus. Mort.

Mission accomplie.

Il avait prononcé ces mots, alors qu'il se consumait de l'intérieur. Mes alliés l'avaient abattu, réduisant de ce fait le nombre toujours plus faible de sa race. Et pourtant il semblait satisfait. Et j'étais encore en vie.

Qu'est-ce que cela signifiait?

Je restai allongé, en proie à un sentiment de frustration et de confusion total, incapable de réfléchir. Je ne ressentais même plus la douleur due à mon membre brisé.

Seulement l'incompréhension.

Les minutes s'écoulaient, interminables. Je ne percevais plus que le souffle irrégulier de ma respiration, ainsi que le chuchotement des feuilles, balayées par les vents. Puis, j'entendis des bruits de pas, se rapprochant à toute vitesse. Je ne pris même pas la peine de jeter un regard en direction de mes camarades. Je restai là, épuisé et déboussolé.

« Bon sang, on l'a eu l'ordure !
- Tu m'étonnes ! Heureusement qu'il était occupé avec Selth, sinon j'aurais jamais pu l'aligner !
- Oh merde. J'crois qu'il a eu Irina.
- C'est pas vrai ! Est-ce qu'il l'a . . .
- Non. Il lui a juste brisé la nuque.
- Bon. Au moins on n'aura pas à lui tirer dessus. J'aurais eu du mal à l'abattre.
- Dis pas ça, Van'. Oublie pas qu'elle aurait pas hésité à te bouffer si elle l'avait pu !
- Je sais, Los'. Je sais. Comment il va Alan ?
- Rien de grave. Un bras cassé, une ou deux côtes en moins et quelques contusions. C'est un miraculé. »

Je remarquai soudain qu'Alan m'examinait. Notre médecin avait déposé quelques outils prêt de moi, dont une vieille scie rouillée. Je me réjouis qu'il n'ait pas à s'en servir, bien que cela semblait le décevoir. Alan aimait beaucoup se servir des armes de corps-à-corps, aussi bien contre un ennemi qu'avec son propre patient.

Je me décidai enfin à regarder en direction d'Irina. Bien que je savais qu'elle m'avait été enlevée à jamais, une partie de moi souhaitait que tout ceci ne soit qu'un affreux cauchemar, et attendait le moment ou elle me réveillerait enfin. Mais ce moment n'arriva jamais.

Vansolgh était en train de fouiller ma compagne. Il le faisait avec minutie, ses mains s'attardant plusieurs fois au niveau de sa poitrine et de ses cuisses, bien qu'il savait parfaitement qu'elle n'avait aucun objet de valeur sur elle. Il cessa son manège lorsqu'il s'aperçut que je le contemplai. Avec un regard qu'il voulait chargé d'excuses, il ramassa les armes de mon amie et s'éloigna. Je ne pouvais lui en vouloir. Les belles femmes étaient très rares parmi les rangs des Chasseurs, et ce n'était plus ma Irina. A la place se tenait un corps sans vie.

Un cadavre.

J'essayai de décrypter mes émotions à cette seconde précise. Malgré tous mes efforts, je me rendis rapidement à l'évidence. Je ne ressentais rien. Sans doute me faudrait-il quelques temps pour me rendre compte de ce qu'il venait de se produire. Et pour l'accepter.

Lostlanfa s'agenouilla auprès de moi. Elle m'embrassa sur le front, puis m'aida à me relever. Il n'y avait rien à dire. Elle était morte, aucune parole de réconfort ne changerai cela. J'observai mes collègues sans les voir. J'aurai voulu m'enfuir, courir à en perdre haleine sans jamais plus me retourner, et oublier tout cela. Mais je savais que c'était impossible. A cet instant, leur compagnie m'était aussi insupportable que celle de l'Amlach.

« Selth », s'écria Vansolgh. « Viens par ici ! J'ai besoin de toi. »

J'obéis à notre chef. Il était aussi ventru qu'Alan était mince. Difficile d'imaginer que ces deux-là étaient frères. Alors que Vansolgh, né quarante-cinq années plus tôt, avait des cheveux ras-bruns, des yeux d'un vert émeraude et une mini-arbalète à carreaux radioactifs suspendue à sa ceinture, le médecin, vingt-cinq ans plus jeune, possédait un fusil de précision retenu dans son dos à l'aide d'une bandoulière, une longue natte d'un noir de jais lui arrivant jusqu'au bas du dos, et des yeux couleur bleu-ciel. Tout comme Los', une jeune fille de vingt-trois ans à la peau d'ébène et au caractère prononcé, ils portaient une tenue simple, très pratique du fait de notre métier. Un jogging et un débardeur ou un T-Shirt, sombres afin de nous éviter d'être repérés lors des missions de nuit. Aucune protection. Elles auraient été superflues.

Je m'approchai donc. Vansolgh se retourna et me regarda droit dans les yeux.

« Je suis désolé mon gars. »

Je me retins de justesse de le tuer.

Je préférai me détourner de lui. J'avais besoin de penser à autre chose. Nous nous remîmes vite en route, abandonnant derrière nous ce dont nous n'aurions plus besoin, dont le corps d'Irina. C'est ainsi que fonctionne la vie d'un Chasseur. Pas d'existence propre, pas de demeure, pas de temps pour pleurer et enterrer décemment nos morts. Seule comptait le reste de l'Humanité. Nous n'existions pas.

Plusieurs jours s'écoulèrent. Nous continuâmes vers la capitale, à l'Est, afin de prendre connaissance de notre prochaine mission. Nous ne reparlâmes qu'une seule fois de ce jour. J'appris que c'était Alan qui avait abattu l'Amlach. Me rejoindre leur avait pris un certain temps, car ils se trouvaient à plus d'un demi-kilomètre de là lorsqu'il avait tiré. C'était son don. Quelques soient les conditions météorologiques ou la distance, la précision redoutable qu'était la sienne ne variait jamais. D'après ses dires, jamais il n'aurait tué l'Amlach si ce dernier n'avait pas tenté, sans succès, d'absorber mon âme.

Je me passai de commentaires. J'ignorai moi-même ce qu'il s'était passé. Il était invraisemblable que j'ai perdu mon esprit, et que je demeure cependant humain. Personne n'était capable de pareil exploit. Soit un Amlach absorbait une âme, transformant de ce fait l'infortuné en Dâsamé, soit il ne l'absorbait pas.

Et pourtant.

Quelque chose en moi avait changé. La nourriture ressemblait à des cendres une fois dans ma bouche. J'étais tout le temps assoiffé. La mort d'Irina ne m'atteignait toujours pas. Plus rien ne trouvait d'intérêt à mes yeux. Les autres Chasseurs répétaient sans cesse que je faisais mon deuil, que je n'avais pas encore surmonté cette épreuve. Mais je savais que le problème était tout autre.

Je ne ressentais plus rien. Ni la caresse du vent sur mon visage, ni la douceur de l'herbe sous mes pieds, ni la fraîcheur de la rosée du matin. Rien, excepté ce sentiment, toujours plus violent et pressant, qui me nouait les entrailles et m'empêchait parfois de respirer tant il gagnait alors en intensité.

J'avais faim.


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