Note de la fic :
Publié le 06/06/2010 à 18:44:47 par Pierric_2009
[ On a souvent émis l'hypothèse qu'Amlachs et Vampires aient un quelconque lien de parenté, bien que cela n'ait jamais été prouvé. Il existe en effet de nombreuses similarités entre la façon dont se nourrit un Amlach et un Vampire, bien que ces deux espèces soient en réalité très éloignées l'une de l'autre. Tandis que le Vampire se contente du fluide vital des êtres humains, le sang, son homonyme se doit d'aspirer la quasi-totalité de leur âme. Il faut savoir qu'un homme peut survivre à la morsure d'un Vampire, bien que les chances qu'il se transforme à son tour soient très élevées. Mais un Amlach ne se « reproduit » pas en consommant une âme. Au lieu de cela, la victime va alors entrer dans un état de démence incontrôlable. Ses pupilles, verticales, deviennent noires tandis que ses iris virent au rouge vif. Seuls les concepts de base, tels que manger, dormir, boire et tuer subsistent en lui. Un Sans-Âme, ou « Dâsamé » comme nous l'appelons, n'a comme seul but dans la vie que de se nourrir, et de tuer.
La chair humaine semble être son plat favori, bien qu'il soit tout à fait capable d'attaquer un autre Dâsamé si la nourriture vient à manquer. Autre fait remarquable, un Sans-Âme n'attaquera jamais d'Amlach, peu importe la situation. Du fait de récentes études, nous avons en effet découvert qu'un Dâsamé, malgré sa conscience limitée, semble comprendre que les Amlachs sont responsables de son état, et aussi incroyable que cela puisse paraître, leur en est reconnaissant. Nous avons également découvert que leur durée de vie, bien que variable selon les individus, est très limitée. Le peu d'âme qui leur reste semble peu à peu s'échapper de leur corps, ne laissant au final plus qu'une coque vide. A ce jour, il apparaît n'exister aucun remède efficace contre ce phénomène. ]
Extrait de « Etude récente du mode comportemental des espèces », rédigé par Célestin, dirigeant du C.R.E.G.H
Je me souviens de comment tout cela a commencé.
La vie d'un homme est souvent toute tracée. La plupart du temps, nous naissons, grandissons, découvrons peu à peu la vie à travers plusieurs expériences. Nos premiers pas. Nos premiers ébats amoureux. Notre premier emploi. Nos premières disputes. Nos premiers malheurs.
Puis vient le jour ou nous devenons vraiment homme. La vie nous a révélé suffisamment de ses secrets pour nous permettre d'avancer, et de guider un nouvel être sur son chemin. Et puis, c'est au tour de notre enfant d'apprendre, de découvrir, de humer et de toucher. Il grandit, mûrit, puis se sent prêt à progresser seul comme nous l'avons fait plusieurs années plus tôt. Et puis nous mourrons.
Mais il arrive qu'un homme voit sa vie entière basculer du jour au lendemain. Que tous ses repères, toutes ses relations qu'il a mit tant de temps à bâtir, disparaissent comme cela, d'un coup. Le foyer devient ruines, l'ami devient ennemi. La vie devient mort. Et tout cela ne dépend pourtant que d'un seul événement, arrivé à un moment précis de notre existence.
Cet événement, je l'ai vécu trois ans plus tôt.
Par ou commencer ? Comment est-il possible, alors que je laisse ma plume courir sur ce morceau de papier détrempé, de rassembler mes idées afin d'en faire un récit cohérent ? Peut-être serait-il plus facile de débuter ce récit en me présentant. Soit, faisons dans la simplicité dans ce cas.
Je me nomme Selth Sitys. Je suis né en temps que Chasseur à Sel'Thor, la capitale des êtres humains, en 2152. Ma vie ne se résume qu'en une succession de batailles, de camarades exterminés devant moi, de quêtes de meurtres et de vengeance. Mon rôle, d'après mes enseignants, était de protéger l'espèce humaine de ses nombreux ennemis, des bêtes sans âme assoiffées de sang. Et, j'ai également détruit le monde.
Je connais les vieilles histoires. Le héros naît dans un monde pur, simple et dans lequel la souffrance n'existe pas. Il mène une existence paisible, reclus dans un lieu oublié de l'Humanité, dans lequel il coule des jours heureux avec ses proches. Et puis le Mal surgit et bouleverse sa vie. Sa famille est assassinée devant lui, son village brûle, et lui-seul semble capable de changer tout cela. Car c'est son « destin ». Il sera très souvent confronté à la tentation lors de son épopée, sans jamais y céder. Finalement arrivera le combat final, dont dépendra l'avenir du monde. Le héros innocent bannira enfin le Mal, et l'Humanité sera sauvée. Et puis, il vivra heureux et aura beaucoup d'enfants . . .
Ce n'est pas mon cas.
Je ne suis pas un héros. J'ai très souvent été soumis à la tentation, avec ses promesses de pouvoir et de richesses. Tout héros est censé lui résister. J'y ai cédé à de nombreuses reprises. Je m'en suis délecté, absorbant chacune de ses plus infimes parcelles, me gorgeant de ce pouvoir infini qui m'était offert, en souhaitant toujours plus. La puissance était mon maître mot, les remords n'existaient pas.
Je ne suis pas né dans un monde pur, dans lequel le Bien et le Mal constituent deux barrières infranchissables. Dans les histoires, le héros était bon, ses ennemis le Mal absolu, et l'espèce humaine représentait tout ce qu'il fallait protéger à tout prix. Dans mon monde, tout ceci n'existe pas. Bien et Mal ne sont que des dérivés du même mot: le désir. Tout n'est qu'une question de point de vue. Certains commettent des actes atroces, mais seulement pour survivre, ou en essayant de préserver ceux qui leur sont chers. D'autres dévoueront leur vie entière à aider leur prochain, mais simplement afin d'obtenir une récompense en retour. Et l'espèce humaine. Faible, insignifiante, la plupart d'entre nous ayant fait le choix de se terrer au fin fond de grandes cités de métal plutôt que de se battre pour changer les choses.
Et puis il y a les Chasseurs.
Ceux là ont choisi de combattre. Ils ont apprit les faiblesses de leurs adversaires, et sont devenus des guerriers redoutables, aux facultés surhumaines. Peu importe leur faible nombre, peu importe la puissance de leurs ennemis, les Chasseurs ne reculent jamais. Ils se dévouent corps et âme à leur mission, et sont volontiers prêts à donner leur vie dans cette quête.
J'étais de ceux-là.
Jamais je n'ai essayé de comprendre mes adversaires. J'étais humain, ils tuaient les miens, donc je les tuais. Cela s'arrêtait là. C'était ma vie, et je l'appréciais, à ma façon.
J'ai toujours envié l'enfance de mes héros. Simple, magique, avec des amis sincères et une famille aimante. Rien ne pouvait les atteindre. Leur demeure était une forteresse, leur chambre un sanctuaire. Touchants, et tellement naïfs.
Je n'ai jamais été heureux.
Je me souviens de la terreur qui s'emparait de moi et menaçait de m'arracher les entrailles chaque fois que venait l'heure de dormir. Je me souviens de mes cauchemars, emplis d'ombres et de colère, plus violents les uns que les autres. Je me souviens des sanglots de ma mère, lorsque nous apprîmes que mon père ne reviendrait jamais. Je me souviens des cernes qui lui masquaient le visage, et de ma peur de la nuit qui se reflétait dans ses yeux.
Je suis né au beau milieu d'une guerre, longue de près d'un siècle, et qui opposait des créatures aussi imposantes qu'impitoyables. Amlachs, Vampires et Démons Anciens. Et les êtres humains, censés survivre au milieu de tout cela.
De toutes les espèces qui peuplaient notre monde, nous étions les plus faibles. Notre technologie était dépassée. Nous n'avions ni volonté, ni espoir. Et pourtant, nous étions toujours là, désespérés, exténués, maudissant la vie et ce qu'elle avait fait de nous, mais toujours debout. A qui nous courbait l'échine, nous survivions. A qui nous écrasait sous ses bottes, nous survivions. A qui nous ôtait tout espoir de revoir, ne serait-ce qu'une fois de plus la lueur du jour, nous survivions.
Trois raisons expliquaient cela. En premier lieu, nous étions toujours, malgré la catastrophe qui avait frappé notre monde, les plus nombreux. De plus, les Chasseurs, bien que rares, étaient suffisamment puissants pour nous garantir un semblant de sécurité face aux monstruosités qui menaçaient de nous submerger à tout instant. Enfin, aussi redoutables soient ces choses, aussi grands soient leurs pouvoirs et leur cruauté, toutes avaient la même faiblesse, la même faille. Nous.
Leur nourriture.
Mon grand-père, avant que la maladie n'ait raison de lui, me racontait souvent des histoires de notre peuple. Jour après jour, il me parlait de prophéties qui annonçaient la venue prochaine du sauveur de l'Humanité, de Démons qui s'inclineraient devant sa grandeur, de complots, de gloire et de paix. Je n'y prêtai aucun attention. Ces monstres avaient détruit mon monde, mon but était de faire de même avec le leur. C'était ma seule raison de vivre, l'histoire de ma vie. Emmener le plus possible d'entre eux en enfer avec moi. Beaucoup pensaient que je faisais cela par patriotisme, pour protéger les générations suivantes, et sauver mon peuple.
Les imbéciles.
Je me moquais de ces hommes et de ces femmes, trop faibles ou lâches pour prendre eux-mêmes les armes. Je haïssais ces individus, trop pleutres pour partir au combat, préférant confier leurs vies à de parfaits inconnus et se réfugier dans les prières et les commisérations. Leur existence ne valait pour moi pas mieux que celle des créatures que j'affrontais. Si cela ne m'avait pas été interdit, je pense que je les aurais volontiers tué moi-même. Pour moi, une seule chose comptait réellement: la vengeance.
Je me souviens que nous rentrions d'une chasse, mes collègues et moi. Quelque chose avait apparemment attaqué une petite communauté, à quelques lieux de Sel'Thor. On nous avait donné l'ordre de nous rendre sur place, de secourir les survivants s'il y en avait, et d'éliminer d'éventuels ennemis. Une mission de routine en somme.
Je tente, aujourd'hui encore, de me rappeler du nom du lieu ou nous nous rendions. Hélas, ces souvenirs appartiennent à une autre vie, et chaque jour qui passe voit ma mémoire de Chasseur s'effacer peu à peu, pour laisser place à un vide, sombre et glacial.
Mais je me souviens du vent. De ses caresses sur mon visage. De la douceur de l'herbe sous mes pieds. De la beauté de ce paysage, constitué d'arbres et de collines, qui avait eu la chance d'avoir été épargné par les bombes. Je me souviens de cette vaste clairière, du ruisseau qui la traversait et de la fraîcheur de ses eaux. Et je me souviens d'elle, allongée au beau milieu de fleurs dont le nom m'échappait, et de ce sourire qui irradiait de son visage. Si belle.
Son visage disparaissait sous une multitude de tâches de rousseur, et sous une cascade de cheveux d'un rouge brillant. Elle portait une simple robe verte, déchirée à la base des genoux afin de lui permettre de se mouvoir avec plus de facilité. Sa poitrine s'élevait au souffle long et régulier de son corps. Ses pieds nus jouaient avec les miens, remontant de temps à autres le long de mes cuisses tandis que nous nous embrassions. Son parfum sentait la noisette.
Elle avait déposé sa lame et son fusil. J'avais fait de même, idiot comme je l'étais. Elle occupait mes pensées toutes entières. Elle était belle, intelligente, et surtout, c'était une Chasseresse redoutable, puissante et agile. La traque avait été écourtée. La pluie avait effacé les traces de la créature qui avait attaqué le village, et celle-ci était sans doute déjà loin. Les autres étaient partis s'entretenir avec les habitants, nous laissant ainsi profiter de ces rares instants de répit et d'intimité. Tout était parfait.
Je crois que je l'aimais.
Je me remémore cet instant avec une quantité incroyable de détails. Le goût, tendre et mielleux, de ses lèvres chaudes et pulpeuses. Ses petits gloussements tandis que ma main se confondait avec ses cheveux. Et ce son, infime, à peine perceptible, mais assez alarmant pour que je m'arrête un instant. Je savais pertinemment que ce n'était rien, cependant quelque chose en moi me poussait à vérifier. Juste quelques secondes, et je me replongerai dans cet océan de caresses et de douceur.
Je me retournai.
Il était là. Grand, tout vêtu de noir, sa peau d'ébène contrastant avec ses yeux d'un blanc nacré. Un Amlach. Je n'eus pas même le temps d'esquisser le moindre geste. Ma compagne, d'après ses rires, n'avait encore rien remarqué. Je cherchai mes armes des yeux. Disparues. Mes camarades étaient trop loin pour venir se porter à notre secours. Et, de toute façon, le vent couvrirait mes appels désespérés.
Nous étions à sa merci.
Mon amie se rendit enfin compte que quelque chose n'allait pas. Elle s'écarta légèrement, et poussa un cri dans lequel je reconnus colère et stupéfaction. Elle chercha à son tour ses armes des yeux. Puis la rage laissa place à l'angoisse.
Avec une rapidité surhumaine, l'Amlach s'approcha de moi et me projeta en l'air. Puis il la saisit à la gorge. Je croisai son regard une dernière fois, empli d'excuses et de résignation. La créature lui fractura la nuque. Je voulu me consoler en me disant qu'elle n'avait pas souffert. Il me rattrapa avant que je n'atteigne le sol, m'évitant ainsi une chute qui m'aurait sans doute brisé plusieurs côtes.
Il m'observa longuement, ses yeux brillants de curiosité. Je ne pouvais rien faire, et il le savait. Je tentai tout de même de me dégager de son étreinte. En réponse, il me broya le bras droit. Je hurlai. Il se décida enfin à agir. Sa bouche s'approcha lentement de la mienne, jusqu'à ce qu'elles soient quasiment en contact. J'entendis l'horrible bruit de succion qui provenait du fond de sa gorge tandis qu'il aspirait mon âme. Je regardai une dernière fois le corps de mon aimée, étendu à une dizaine de mètres de là. Je fermai les yeux.
Irina. Elle s'appelait Irina.
La chair humaine semble être son plat favori, bien qu'il soit tout à fait capable d'attaquer un autre Dâsamé si la nourriture vient à manquer. Autre fait remarquable, un Sans-Âme n'attaquera jamais d'Amlach, peu importe la situation. Du fait de récentes études, nous avons en effet découvert qu'un Dâsamé, malgré sa conscience limitée, semble comprendre que les Amlachs sont responsables de son état, et aussi incroyable que cela puisse paraître, leur en est reconnaissant. Nous avons également découvert que leur durée de vie, bien que variable selon les individus, est très limitée. Le peu d'âme qui leur reste semble peu à peu s'échapper de leur corps, ne laissant au final plus qu'une coque vide. A ce jour, il apparaît n'exister aucun remède efficace contre ce phénomène. ]
Extrait de « Etude récente du mode comportemental des espèces », rédigé par Célestin, dirigeant du C.R.E.G.H
Je me souviens de comment tout cela a commencé.
La vie d'un homme est souvent toute tracée. La plupart du temps, nous naissons, grandissons, découvrons peu à peu la vie à travers plusieurs expériences. Nos premiers pas. Nos premiers ébats amoureux. Notre premier emploi. Nos premières disputes. Nos premiers malheurs.
Puis vient le jour ou nous devenons vraiment homme. La vie nous a révélé suffisamment de ses secrets pour nous permettre d'avancer, et de guider un nouvel être sur son chemin. Et puis, c'est au tour de notre enfant d'apprendre, de découvrir, de humer et de toucher. Il grandit, mûrit, puis se sent prêt à progresser seul comme nous l'avons fait plusieurs années plus tôt. Et puis nous mourrons.
Mais il arrive qu'un homme voit sa vie entière basculer du jour au lendemain. Que tous ses repères, toutes ses relations qu'il a mit tant de temps à bâtir, disparaissent comme cela, d'un coup. Le foyer devient ruines, l'ami devient ennemi. La vie devient mort. Et tout cela ne dépend pourtant que d'un seul événement, arrivé à un moment précis de notre existence.
Cet événement, je l'ai vécu trois ans plus tôt.
Par ou commencer ? Comment est-il possible, alors que je laisse ma plume courir sur ce morceau de papier détrempé, de rassembler mes idées afin d'en faire un récit cohérent ? Peut-être serait-il plus facile de débuter ce récit en me présentant. Soit, faisons dans la simplicité dans ce cas.
Je me nomme Selth Sitys. Je suis né en temps que Chasseur à Sel'Thor, la capitale des êtres humains, en 2152. Ma vie ne se résume qu'en une succession de batailles, de camarades exterminés devant moi, de quêtes de meurtres et de vengeance. Mon rôle, d'après mes enseignants, était de protéger l'espèce humaine de ses nombreux ennemis, des bêtes sans âme assoiffées de sang. Et, j'ai également détruit le monde.
Je connais les vieilles histoires. Le héros naît dans un monde pur, simple et dans lequel la souffrance n'existe pas. Il mène une existence paisible, reclus dans un lieu oublié de l'Humanité, dans lequel il coule des jours heureux avec ses proches. Et puis le Mal surgit et bouleverse sa vie. Sa famille est assassinée devant lui, son village brûle, et lui-seul semble capable de changer tout cela. Car c'est son « destin ». Il sera très souvent confronté à la tentation lors de son épopée, sans jamais y céder. Finalement arrivera le combat final, dont dépendra l'avenir du monde. Le héros innocent bannira enfin le Mal, et l'Humanité sera sauvée. Et puis, il vivra heureux et aura beaucoup d'enfants . . .
Ce n'est pas mon cas.
Je ne suis pas un héros. J'ai très souvent été soumis à la tentation, avec ses promesses de pouvoir et de richesses. Tout héros est censé lui résister. J'y ai cédé à de nombreuses reprises. Je m'en suis délecté, absorbant chacune de ses plus infimes parcelles, me gorgeant de ce pouvoir infini qui m'était offert, en souhaitant toujours plus. La puissance était mon maître mot, les remords n'existaient pas.
Je ne suis pas né dans un monde pur, dans lequel le Bien et le Mal constituent deux barrières infranchissables. Dans les histoires, le héros était bon, ses ennemis le Mal absolu, et l'espèce humaine représentait tout ce qu'il fallait protéger à tout prix. Dans mon monde, tout ceci n'existe pas. Bien et Mal ne sont que des dérivés du même mot: le désir. Tout n'est qu'une question de point de vue. Certains commettent des actes atroces, mais seulement pour survivre, ou en essayant de préserver ceux qui leur sont chers. D'autres dévoueront leur vie entière à aider leur prochain, mais simplement afin d'obtenir une récompense en retour. Et l'espèce humaine. Faible, insignifiante, la plupart d'entre nous ayant fait le choix de se terrer au fin fond de grandes cités de métal plutôt que de se battre pour changer les choses.
Et puis il y a les Chasseurs.
Ceux là ont choisi de combattre. Ils ont apprit les faiblesses de leurs adversaires, et sont devenus des guerriers redoutables, aux facultés surhumaines. Peu importe leur faible nombre, peu importe la puissance de leurs ennemis, les Chasseurs ne reculent jamais. Ils se dévouent corps et âme à leur mission, et sont volontiers prêts à donner leur vie dans cette quête.
J'étais de ceux-là.
Jamais je n'ai essayé de comprendre mes adversaires. J'étais humain, ils tuaient les miens, donc je les tuais. Cela s'arrêtait là. C'était ma vie, et je l'appréciais, à ma façon.
J'ai toujours envié l'enfance de mes héros. Simple, magique, avec des amis sincères et une famille aimante. Rien ne pouvait les atteindre. Leur demeure était une forteresse, leur chambre un sanctuaire. Touchants, et tellement naïfs.
Je n'ai jamais été heureux.
Je me souviens de la terreur qui s'emparait de moi et menaçait de m'arracher les entrailles chaque fois que venait l'heure de dormir. Je me souviens de mes cauchemars, emplis d'ombres et de colère, plus violents les uns que les autres. Je me souviens des sanglots de ma mère, lorsque nous apprîmes que mon père ne reviendrait jamais. Je me souviens des cernes qui lui masquaient le visage, et de ma peur de la nuit qui se reflétait dans ses yeux.
Je suis né au beau milieu d'une guerre, longue de près d'un siècle, et qui opposait des créatures aussi imposantes qu'impitoyables. Amlachs, Vampires et Démons Anciens. Et les êtres humains, censés survivre au milieu de tout cela.
De toutes les espèces qui peuplaient notre monde, nous étions les plus faibles. Notre technologie était dépassée. Nous n'avions ni volonté, ni espoir. Et pourtant, nous étions toujours là, désespérés, exténués, maudissant la vie et ce qu'elle avait fait de nous, mais toujours debout. A qui nous courbait l'échine, nous survivions. A qui nous écrasait sous ses bottes, nous survivions. A qui nous ôtait tout espoir de revoir, ne serait-ce qu'une fois de plus la lueur du jour, nous survivions.
Trois raisons expliquaient cela. En premier lieu, nous étions toujours, malgré la catastrophe qui avait frappé notre monde, les plus nombreux. De plus, les Chasseurs, bien que rares, étaient suffisamment puissants pour nous garantir un semblant de sécurité face aux monstruosités qui menaçaient de nous submerger à tout instant. Enfin, aussi redoutables soient ces choses, aussi grands soient leurs pouvoirs et leur cruauté, toutes avaient la même faiblesse, la même faille. Nous.
Leur nourriture.
Mon grand-père, avant que la maladie n'ait raison de lui, me racontait souvent des histoires de notre peuple. Jour après jour, il me parlait de prophéties qui annonçaient la venue prochaine du sauveur de l'Humanité, de Démons qui s'inclineraient devant sa grandeur, de complots, de gloire et de paix. Je n'y prêtai aucun attention. Ces monstres avaient détruit mon monde, mon but était de faire de même avec le leur. C'était ma seule raison de vivre, l'histoire de ma vie. Emmener le plus possible d'entre eux en enfer avec moi. Beaucoup pensaient que je faisais cela par patriotisme, pour protéger les générations suivantes, et sauver mon peuple.
Les imbéciles.
Je me moquais de ces hommes et de ces femmes, trop faibles ou lâches pour prendre eux-mêmes les armes. Je haïssais ces individus, trop pleutres pour partir au combat, préférant confier leurs vies à de parfaits inconnus et se réfugier dans les prières et les commisérations. Leur existence ne valait pour moi pas mieux que celle des créatures que j'affrontais. Si cela ne m'avait pas été interdit, je pense que je les aurais volontiers tué moi-même. Pour moi, une seule chose comptait réellement: la vengeance.
Je me souviens que nous rentrions d'une chasse, mes collègues et moi. Quelque chose avait apparemment attaqué une petite communauté, à quelques lieux de Sel'Thor. On nous avait donné l'ordre de nous rendre sur place, de secourir les survivants s'il y en avait, et d'éliminer d'éventuels ennemis. Une mission de routine en somme.
Je tente, aujourd'hui encore, de me rappeler du nom du lieu ou nous nous rendions. Hélas, ces souvenirs appartiennent à une autre vie, et chaque jour qui passe voit ma mémoire de Chasseur s'effacer peu à peu, pour laisser place à un vide, sombre et glacial.
Mais je me souviens du vent. De ses caresses sur mon visage. De la douceur de l'herbe sous mes pieds. De la beauté de ce paysage, constitué d'arbres et de collines, qui avait eu la chance d'avoir été épargné par les bombes. Je me souviens de cette vaste clairière, du ruisseau qui la traversait et de la fraîcheur de ses eaux. Et je me souviens d'elle, allongée au beau milieu de fleurs dont le nom m'échappait, et de ce sourire qui irradiait de son visage. Si belle.
Son visage disparaissait sous une multitude de tâches de rousseur, et sous une cascade de cheveux d'un rouge brillant. Elle portait une simple robe verte, déchirée à la base des genoux afin de lui permettre de se mouvoir avec plus de facilité. Sa poitrine s'élevait au souffle long et régulier de son corps. Ses pieds nus jouaient avec les miens, remontant de temps à autres le long de mes cuisses tandis que nous nous embrassions. Son parfum sentait la noisette.
Elle avait déposé sa lame et son fusil. J'avais fait de même, idiot comme je l'étais. Elle occupait mes pensées toutes entières. Elle était belle, intelligente, et surtout, c'était une Chasseresse redoutable, puissante et agile. La traque avait été écourtée. La pluie avait effacé les traces de la créature qui avait attaqué le village, et celle-ci était sans doute déjà loin. Les autres étaient partis s'entretenir avec les habitants, nous laissant ainsi profiter de ces rares instants de répit et d'intimité. Tout était parfait.
Je crois que je l'aimais.
Je me remémore cet instant avec une quantité incroyable de détails. Le goût, tendre et mielleux, de ses lèvres chaudes et pulpeuses. Ses petits gloussements tandis que ma main se confondait avec ses cheveux. Et ce son, infime, à peine perceptible, mais assez alarmant pour que je m'arrête un instant. Je savais pertinemment que ce n'était rien, cependant quelque chose en moi me poussait à vérifier. Juste quelques secondes, et je me replongerai dans cet océan de caresses et de douceur.
Je me retournai.
Il était là. Grand, tout vêtu de noir, sa peau d'ébène contrastant avec ses yeux d'un blanc nacré. Un Amlach. Je n'eus pas même le temps d'esquisser le moindre geste. Ma compagne, d'après ses rires, n'avait encore rien remarqué. Je cherchai mes armes des yeux. Disparues. Mes camarades étaient trop loin pour venir se porter à notre secours. Et, de toute façon, le vent couvrirait mes appels désespérés.
Nous étions à sa merci.
Mon amie se rendit enfin compte que quelque chose n'allait pas. Elle s'écarta légèrement, et poussa un cri dans lequel je reconnus colère et stupéfaction. Elle chercha à son tour ses armes des yeux. Puis la rage laissa place à l'angoisse.
Avec une rapidité surhumaine, l'Amlach s'approcha de moi et me projeta en l'air. Puis il la saisit à la gorge. Je croisai son regard une dernière fois, empli d'excuses et de résignation. La créature lui fractura la nuque. Je voulu me consoler en me disant qu'elle n'avait pas souffert. Il me rattrapa avant que je n'atteigne le sol, m'évitant ainsi une chute qui m'aurait sans doute brisé plusieurs côtes.
Il m'observa longuement, ses yeux brillants de curiosité. Je ne pouvais rien faire, et il le savait. Je tentai tout de même de me dégager de son étreinte. En réponse, il me broya le bras droit. Je hurlai. Il se décida enfin à agir. Sa bouche s'approcha lentement de la mienne, jusqu'à ce qu'elles soient quasiment en contact. J'entendis l'horrible bruit de succion qui provenait du fond de sa gorge tandis qu'il aspirait mon âme. Je regardai une dernière fois le corps de mon aimée, étendu à une dizaine de mètres de là. Je fermai les yeux.
Irina. Elle s'appelait Irina.
Commentaires
- Pierric_2009
06/06/2010 à 19:44:03
Merci
- Pseudo supprimé
06/06/2010 à 19:16:16
Très bon, très très bon, j'adore, tu mérites un bon gros 5
Ah, et on veut la sweet, mais ça tu le savais déjà