Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Six semaines en Allemagne | Réécriture |


Par : Non-Lus
Genre : Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 6 : Le nouveau


Publié le 17/06/2016 à 00:11:25 par Non-Lus

On frappait à la porte. Fort. Mes yeux fatigués pointaient vers le réveil. 5h41. Bordel, je ne m’étais jamais éveillé si tôt. J’ordonnai à mon corps tout entier de se relever, malgré les plaintes du lit grinçant. Cette première nuit avait été horrible. Je n’avais pas réussi à fermer l’œil et pour cause, aujourd’hui, rien ne pouvait se passer correctement. Les élèves se jugeront. Les clans seront déjà formés. Tous parleront un allemand parfait. Un enfer identique à celui de ma ville, dans une autre langue, simplement.

La porte, insatisfaite de mon silence, se mit à grogner plus fort.

— Oui ! Heu je veux dire… « Ja » !

Friedrich, encore lui évidemment, déversait son allemand du matin, incompréhensible et irritant. Ce dont j’étais sûr, c’était qu’il ne voulait plus que je reste endormi. Alors, comme un zombie, je titubais, traversant ma petite chambre, le long couloir et enfin, la salle de bains. Mes habits s’échouèrent presque d’eux-mêmes sur le sol, me laissant libre de m’étaler sur l’un des murs de la douche. L’eau serpenta ensuite sur mon visage, avant de chuter dans le ravin d’une canalisation bruyante. J’émergeais peu à peu, moins anxieux que la vieille, mais pour de mauvaises raisons. J’avais cette impression étrange, celle, d’être vide et serein en même temps. Coincé ici, plus rien ne semblait avoir d’importance.

Je coupai le flux de l’eau d’une main, et agrippai une serviette de l’autre. Me tenant maintenant face au miroir, incapable pourtant de m’observer. Sans lunettes, le décor se révélait indicible. Il était difficile d’être sujet à une myopie si forte. J’avais dû abandonner l’idée de faire du sport, et devais faire attention dans les rues fréquentées. Ces verres, si épais, étaient dangereux et chers à fois. Le plus dérangeant, était lorsque j’arrivais enfin à les oublier : une opportunité offerte, pour quiconque voulant cracher ses métaphores cruelles. Venir un jour à l’école sans elles, était considéré comme une tentative d’évasion de la cour. Celle, des « perdus ». Un crime monstrueux, dans notre charmante communauté.

Lorsque ma mère m’annonça ce départ forcé, je m’étais alors autorisé l’impossible : prendre des lentilles de contact. Celles que j’étais sensé mettre depuis des années. Un « perdu » qui change d’apparence, ça ne s’était jamais vu. Mais, tout cela n’était plus d’actualité. Rappelle-toi Florian, personne ne t’avais contacté. Personne n’avait cherché à te sauver. Tu étais ici, seul. L’indifférence de tous me guidait ainsi, sur des chemins inconnus. À l’entrée de l’un d’eux, ce détail insignifiant, celui, de porter des lentilles.

Je saisis l’une d’elles et l’apposa sur mon œil droit. Immédiatement, une douleur vive amocha mon globe oculaire. J’avais oublié l’agressivité de cette matière, propre aux lentilles rigides. La deuxième fut tout aussi douloureuse. Mes paupières, fermées, se figèrent pendant de longues secondes. Il fallait que je m’adapte, malgré la douleur. J’ouvris donc les yeux, observant les objets en face de moi. Une brosse à dents. Un sèche-cheveux. Le robinet. Je les voyais si bien. Je relevai la tête vers le miroir et me découvris alors. Le teint toujours pâle, les cheveux toujours longs, les yeux… Bleus. Étrangement, mon visage semblait différent. « Non, c’est ridicule », murmurai-je…

La porte rugit. Encore. Foutu Friedrich.

Alors, dans la précipitation, je m’habillai et pris mes affaires, oubliant par la même occasion ce que je venais de faire. Quelques secondes cependant : mes yeux avaient du mal à s’adapter et clignaient trois fois plus que la normale, mais je compris très vite, au vu de notre hâte, que nous n’allions pas retourner dans l’appartement.

Il s’était donné une mission. La même pour chaque hôte qu’il recevait dans sa demeure : l’accompagnement de l’étudiant, du village, jusqu’à l’école. C’était ainsi que je pus mesurer la gravité de la situation. Se lever si tôt ne suffisait pas. Non. Il fallait prendre un bus, d’abord. Le bus du matin. Non, pardon. Le SEUL bus du matin. À ne surtout pas rater donc. Puis, s’arrêter au septième arrêt, nous amenant dans un village inconnu, mais avec une station de train. Et, de sa plateforme, rentrer dans un des wagons, pour se diriger enfin vers la ville principale de la région.

L’école de langue ne se situant pas près de la gare, un autre bus, le dernier cette fois, était requis pour y accéder. À la fin de notre voyage, je compris pourquoi Friedrich avait tant insisté pour m’accompagner. Seul, j’aurais atterri quelque part en Russie. Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’installer sa famille aussi loin de la civilisation ? Ah Friedrich, si tu comprenais le français, j’en aurais des choses à te dire !

Au cinquième arrêt, il me fit signe de descendre avec lui. Je le suivis dans les rues de cette ville, que nous visitions la veille avec ma mère. Nous nous enfoncions dans les quartiers résidentiels, jusqu’à s’arrêter devant un immeuble de quatre étages. Je posais le regard sur ses petites fenêtres aux contours jaunes, puis sur les murs vieillissants. Au-dessus de l’entrée, l’inscription « SprachInstitut », qui voulait dire institut de langue. Friedrich me lança un « au revoir » en allemand et s’en alla sans même se retourner, me laissant seul devant cet établissement peu accueillant. Je posai le pied sur la première marche, et m’attelai à gravir son petit escalier.

Je poursuivis, en pénétrant discrètement dans le hall d’entrée. Personne n’attendait sur les chaises à l’intérieur. Tout était silencieux. Au fond, je décelai un bureau ainsi qu’un guichet. Alors, très lentement, je me dirigeai vers celui-ci. À sa hauteur, je n’entendais et ne voyais toujours rien. Je m’autorisai timidement à toquer sur la vitre du bureau. Ces dernières s’ouvrirent instantanément, révélant une femme, âgée, habillée de couleurs vives et la mine enthousiaste. Elle me fixa. Cinq secondes, peut-être plus. Puis s’exclama :

— « FLORRRIANE !? »

Elle sortit ensuite de son bureau et me fonça dessus, en me présentant sa paume. À la seconde même où j’acceptai cette poignée de main, elle se mit, elle aussi, à parler en allemand. À. Toute. Vitesse. Je ne comprenais rien, mais commençais à m’y habituer. Devant mon silence appuyé, elle reprit sa phrase initiale, et à ma grande stupéfaction, dans un français parfait.

— Je me présente, Theresa (nom de famille germanique incompréhensible), directrice de l’école.

Je ne dis rien.

— Bien… Alors, nous t’attendions. Tu vas devoir passer un test afin que nous puissions évaluer ton niveau. Ensuite, tu pourras rejoindre une classe appropriée pour apprendre notre belle langue dans de parfaites conditions !

Un test d’évaluation, vraiment ? Ce n’était pas nécessaire. Selon mon professeur d’allemand, il n’y avait plus d’espoirs me concernant. Mais puisque j’étais ici désormais, je me résolus à la suivre. Le jaune, aperçu à l’extérieur, étaient aussi présents sur les murs des couloirs. Ces derniers, étaient même décorés de dessins et de témoignages d’étudiants étrangers, vantant les mérites d’un séjour dans l’école. Elle ouvrit une porte et m’invita à entrer. J’atterris dans sa salle classe, meublés de longs pupitres grisâtres et d’autres témoignages de survivants sur les murs. En face d’une des chaises, quelques feuilles retournées qui m’attendaient sagement. Je m’installai devant celles-ci, perplexe. La directrice du SprachInstitut m’observa à nouveau, puis m’annonça solennellement :

— Apportez-moi les feuilles, lorsque vous aurez terminé.

Alors je m’exécutai. Je retournai la page de garde et m’enfonçai dans l’évaluation. Les premières questions me paraissaient étrangement faciles. Il fallait, simplement, répondre à des interrogations de type « Comment tu t’appelles ? » ou « quel âge as-tu ? ». Peut-être n’étais-je pas si faible finalement. Je prenais confiance, complétais le test, page par page, jusqu’à la quatrième. Chaque question, sur cette dernière, ne semblait même pas être en allemand. Je découvris certains termes pour la première fois, rien n’avait l’air d’avoir de sens. Comment y répondre ? J’en étais incapable. Après plusieurs minutes de réflexion, je me résignai à la rendre, vide. La directrice, remarquant que je n’écrivais plus, s’avança vers le pupitre et analysa mes réponses.

— Mhh, « Ja »…. « Ja »… D’accord, très bien « Florrriane » nous avons une classe qui convient parfaitement !
— Vraiment ?
— Oui oui oui, suivez-moi.

Nous sortions de la salle d’évaluation et retournions dans le hall d’entrée. Nous prenions ensuite un escalier qui menait au premier étage, là où toutes les classes s’alignaient. Elle m’indiqua l’une d’elles, du bout du doigt, en m’informant que tous les élèves étaient en pause actuellement. Je rentrai donc dans cette classe. Celle qui allait me dévorer tous les matins. De petits pupitres, ornant quelques trousses et cahiers griffonnés, se tenaient devant moi, au garde-à-vous. Au fond de la salle, le dernier bureau, sans affaires d’école. J’y déposai mon sac et me laissai chuter sur la chaise. Plus de témoignages sur les murs cette fois, mais des règles grammaticales en allemand. Ce qui était encore pire. Les minutes anxiogènes défilaient alors. Très. Lentement.

Et soudain, des bruits de pas. Décelant par la même occasion les multiples voix qui se bousculaient dans les couloirs. La porte de la salle de classe s’ouvrit violemment ! En vomissant ses occupants. Ils prirent tous place, sans manquer de me jeter, à tour de rôle, un regard interrogé. Je n’avais qu’une seule envie, celle de m’envoler ailleurs. Une jeune femme aux cheveux sombres et l’air strict rentra également. Elle esquissa un petit sourire en me remarquant, puis se présenta en tant que professeur de cette classe. Elle s’arrêta de parler et m’imposa de me présenter à mon tour. Toutes les têtes étaient maintenant tournées vers moi. J’osai alors un simple « Je m’appelle Florian, j’ai seize ans » en allemand. L’institutrice hocha la tête, avant de débuter son cours comme si de rien n’était. Les élèves, semblant être satisfait de la situation, suivirent la professeure en prenant des notes consciencieusement.

Aucune remarque. Aucun rire. Dans mon ancienne classe, un élève aurait préparé une boulette de papier, destiné au nouveau. Un autre, se serait chargé de l’analyser, afin de préparer quelques blagues sur sa façon de parler, ses habits, sa façon d’être. Et il y aurait eu l’évaluation populaire, casant le nouveau dans une catégorie. Mais ici, rien de tout ça. Étrange.

Seize personnes s’alignaient dans cette petite classe. Chacun était muni d’un cahier et d’un dictionnaire bilingue. Je profitai de ce dernier élément pour savoir d’où venaient mes nouveaux camarades. Je voyais des anglophones, des francophones et… C’est tout. Vraiment ? « Sauvé ! » Pensai-je alors. C’était donc pour cela tous ces regards, ils entendaient mon accent français. Ou peut-être étais-je juste bizarre. Peut-être était-ce à cause des lentilles. Mais enfin non Florian, c’est impossible, reprends-toi !

— Hey. Moi c’est Seb.

L’un des francophones s’était décidé à me parler. Un peu interloqué, je regardais ce « Seb » quelques secondes, avant de lui répondre en chuchotant.

— Heu… Florian.

Il sourit, puis se présenta, naturellement. Seb avait quinze ans. Il vivait en Suisse, dans une famille de classe moyenne. Il semblait introverti à première vue, mais les dessins grossiers de filles nues, en position peu flatteuses, trahissaient efficacement cette image.

— Ah, laisse-moi te présenter les autres. Voici Nicolas, Célia, Gilles et Amandine.
— Tous suisses ?
— Sauf Amandine. Elle est belge, du coup t’es pas obligé d’lui parler.

Amandine, la belge, était la plus petite élève de la classe, malgré ses dix-sept ans. Ses cheveux courts et ses joues joufflues lui donnaient un petit air amusant. Elle laissa sa main s’envoler contre le bras de Seb, faisant rire les autres suisses. La professeure intervint alors pour réinstaurer le silence. Ils me lancèrent, tous, un regard complice, tandis qu’Amandine, ajouta un mot de vocabulaire dans son cahier, en hochant la tête de droite à gauche.

Le cours d’allemand s’enchaîna sur un entraînement à parler la langue. Nous devions nous mettre en groupe de deux, et expliquer ce qu’on avait fait la vieille. C’est ainsi que j’appris que les anglophones étaient tous américains. Ils avaient une façon très particulière de parler la langue. Celui avec qui je devais discuter aujourd’hui, par exemple, avaient de la peine à prononcer les « r » ou encore les « ch » dans les mots. Au-delà de cela, son allemand était bon. Il était satisfaisant d’être dans une classe où nous avions tous le même niveau. Cela changeait absolument tout par rapport à l’école. Je ne ressentais plus cette pression sur ma façon de m’exprimer, ou d’écrire, et l’institutrice ne cherchait pas constamment à me corriger. Au contraire, elle m’incitait à parler, encore et encore. Elle avait cette technique particulière de poser des questions personnelles, au lieu de m’interroger sur une règle de grammaire, apprise par cœur. Et, cela faisait réellement la différence.

Cette première matinée se termina rapidement. Cette classe était loin d’être ce que j’imaginais. Je descendis les marches de l’escalier, pour rejoindre le hall d’entrée. Il fallait que je me dépêche, notre pause de midi n’était que de quarante-cinq minutes et je ne connaissais pas les environs. Alors que je m’apprêtais à sortir de l’établissement, j’entendis mon prénom résonner dans tout le rez-de-chaussée. En me retournant, j’aperçus Nicolas, que Seb m’avait présenté quelques heures auparavant. Derrière lui, ses acolytes francophones.

— Où tu vas ? Faut absolument que tu viennes avec nous !
— … Ah ?

Nicolas n’avait pas besoin de prendre la parole pour se présenter. Ses vêtements de marque, parfaitement à sa taille, ou sa montre suisse hors de prix, laissaient entrevoir la position sociale de ses parents. Ajouté à cela, son sourire, narquois, qui lui donnait un air arrogant. Comme un général, il se tenait bien droit, au centre du groupe, prêt à guider ses recrues.

— Heu… Je sais pas trop…
— Non Florian, tu comprends pas. Tu DOIS venir avec nous !

Son ton autoritaire était énervant, mais je ne dis rien. Les autres francophones n’avaient pas l’air de vouloir participer à la discussion. Ils attendaient sagement le dénouement, en ayant l’air occupé à autre chose. Tous, sauf Célia. Cette fille, aussi, avait l’air de venir d’une très bonne famille. La peau mate. Les cheveux noirs, s’écoulant sur ses épaules. La douceur de son regard et ce sourire dont elle avait le secret, lui donnaient un charme rare. Célia avait comme une aura, propre à ces filles informées de leur pouvoir de séduction.

Devant Nicolas, elle leva les yeux au ciel et soupira, comme fatiguée de la situation. Puis pris la parole.

— Laisse-le tranquille. Commence pas à trainer le nouveau dans tes conneries !

Il y avait comme un jeu étrange entre ces deux-là. Comme s’ils cherchaient à se dominer l’un l’autre. Nicolas se mit à fixer Célia d’un air provocateur. Il bougea ensuite sa tête légèrement, à l’attention de Séb et lui adressa, d’un air dédaigneux :

— C’est dingue non ? Elle pense à chaque fois que quelqu’un l’écoute. Cette pauvre fille… !

Séb se laissait intimider par Nicolas. Il sourit et s’autorisa d’étouffer un rire forcé. Je ne comprenais pas Séb. Il avait l’extrême chance d’être moyen : ni trop riche, ni trop pauvre. Assez populaire pour ne pas être un « perdu », mais suffisamment pour tenir tête à des gens comme Nicolas. En théorie du moins, car en ce moment, Séb était comme subjugué, à la merci de ce dernier.

Nous regardions à présent tous Célia. Sa douceur laissa place à une expression agressive, comme si elle voulait désintégrer Nicolas. Elle fit un pas en avant, pour se positionner à quelques centimètres de son visage et s’apprêta à répliquer. Nous retenions notre souffle, la situation devenait soudainement tendue ! Mais, de nulle part, un bruit. Celui d’une bouteille en plastique qui rebondit sur le sol. Nos têtes se tournèrent de façon synchronisée vers la droite. Il ne s’agissait que de Gilles, qui reprenait sa bouteille, machinalement.

Ce type était énigmatique. Tous ses habits étaient noirs, même ses chaussettes. Ses cheveux raides, s’échouaient presque sur ses coudes. Lorsqu’il marchait, nous pouvions entendre ses chaînes, métalliques, rebondir sur son jeans sombre. Gilles écoutait du métal. Plus c’était bruyant, plus il appréciait. Pourtant, il était le plus silencieux et le plus timide, et toute cette attention semblait le mettre mal à l’aise.

Nicolas s’empressa d’approcher Gilles, et lui frappa, de sa paume, l’arrière du crâne. Puis il se retourna vers nous, hilare, en hurlant « Sacré Gilles ! ». Séb, les filles, et moi, regardions la scène, médusés, pendant que Gilles se frottait lentement la tête, encore plus gêné qu’auparavant. Nicolas se positionna en face de moi, et réitéra sa demande.

— Allez vient « Flooo’ », on doit faire un truc avant d’aller manger !

Célia s’en alla, fatiguée du comportement de Nicolas. Même s’il était particulièrement irritant, je ne comprenais pas sa réaction. Que s’était-il donc passé entre ces deux-là ?

J’étais là, devant Nicolas, qui attendait ma réponse. Ce type ne m’inspirait pas confiance. En temps normal, je ne serais jamais resté dans la cour. J’aurais évité les types comme lui. Mais ces gens… Ils avaient l’air différent. J’étais intrigué par toute la situation. Que risquais-je vraiment à les suivre ? Puisque ce séjour était imposé, j’évitai d’accorder trop d’importance aux conséquences de mes décisions.

— D’accord. Je te suis, « Nico’ ».

Nicolas hocha la tête, satisfait. Il lança un regard persuasif à Gilles, qui le suivit sans délai. Les deux se mirent à avancer plus vite que nous, en descendant de l’escalier, pendant que Séb marchait à ma hauteur.

— Où est-ce qu’on va ?

Séb me montra le centre commercial, juste en face de l’école. Nous devions simplement traverser un parking pour y entrer.


— Je comprends pas. Pourquoi Célia s’est énervée si on va qu’au centre commercial ?
— Oh, tu verras…

J’apercevais un des employés, se tenant devant l’imprimante. Le regard vide. Les mains dans les poches. De mon bureau, je devinais les feuilles s’empiler. Une à une. En continu. Quelques sonneries de téléphones osaient parfois accompagner ces bruits, mais jamais l’on entendait plus que ça.

Cela faisait quelques mois que j’avais été engagé dans ce service. Un département gouvernemental, chargé de contrôler le marché du travail local. Mes mains collées au clavier, j’avais la tâche de transformer les rapports de mes collègues en chiffres, graphiques et autre éléments statistiques. Le but : rassurer efficacement la population, sur l’état de l’emploi dans leur région.

Je m’autorisais ainsi à participer au grand orchestre administratif, à temps partiel, pour payer mes études et subvenir à mes besoins. Laissant mes doigts s’évanouir sur les touches, je fus soudainement interrompu par une collègue.

— Florian ? Je ne comprends toujours pas.
— Oui ? Quoi donc ?
— Mais tu sais, ce truc que tu fais là après le travail….
— Je t’ai déjà expliqué…
— Oui oui, après le travail tu vas à l’université ! D’ailleurs, je trouve que tu es fou.

Je souris un peu et reposa mes doigts sur le clavier.

— Florian ?
— … Oui
— Mais ta spécialisation ? L’économie je comprends, mais le marketing, pourquoi !?

L’imprimante s’arrêta et l’employé au regard vide entra dans notre bureau. « C’est l’heure de la pause ». Et, comme à chaque fois à ce moment-là, tout le monde se leva, car ici, le café n’attendait pas.
Ma collègue, debout, se tourna vers moi, l’air étonné.
— Tu nous suis pas Florian ?
— Je vous rejoins !

Je fis résonner les touches grinçantes, terminant un long rapport détaillé. Je lançai ensuite la commande d’impression, faisant ainsi chanter la machine à nouveau. L’imprimante m’offrit ses dernières pages, que je déposai alors sur le bureau, vide, de mon supérieur.

En y sortant, le calme religieux ne se faisait interrompre, que par le brouhaha lointain de tous les autres. Peut-être devrais-je les rejoindre. Ma journée allait être très longue aujourd’hui…


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