Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Six semaines en Allemagne | Réécriture |


Par : Non-Lus
Genre : Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2 : La case


Publié le 24/03/2014 à 18:00:00 par Non-Lus

Les reflets lunaires se mariaient tendrement aux parois de notre salon. Ses timides éclats argentés dévoilaient, au fond de la pièce, notre aquarium endormi. J’entendais ses bulles tourbillonner dans le calme paisible de notre appartement. Une reposante mélodie, propice aux souvenirs enfouis dans les profondeurs de mon esprit. Julia m’observait. Je percevais dans son regard les interrogations grandissantes. Je pris une profonde inspiration et fermais une dernière fois les yeux, me projetant ainsi dans l’océan d’un passé lointain.

De douloureux souvenirs m’encerclaient alors, laissant plonger chacune de mes pensées dans une certaine agonie. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas ressenti. Cette ambiance. Si glaciale. Celle qui me faisait sombrer plus intensément dans les abysses de ma secrète adolescence. Le souffle coupé, j’ouvris les yeux et me découvrais soudainement piégé dans l’inconnu. En levant la tête, je remarquais un faisceau de lumière qui anéantissait l’obscurité dans laquelle j’étais absorbé. Je restais là, égaré, jusqu’au retentissement de cette voix.

—Florian !? Mais que fais-tu ici !!?

Je l’entendais, derrière moi. Sévère. Assassine. Narguant mon incompréhension. Je songeais à me retourner. J’osais vraiment me retourner. Foutue curiosité. Je découvrais alors son auteur. Une femme, grande et autoritaire, dont les traits du visage, si profonds, semblaient être marqués par le long cours de la vie. Ses cheveux raides et interminables s’imprégnaient tristement des couleurs hivernales. Son aura, impitoyable, glissait sur un tailleur obscur enveloppant son corps, sans doute bien trop frêle. Et puis, il y avait ses yeux, gris, semblables au plus angoissant des brouillards.

—Ou suis-je ?

Des murs, sombres, s’érigèrent lentement du sol et s’élevèrent autour de nous. Invraisemblablement, nous nous retrouvions piégés dans la sobriété d’une simple pièce. Je ne comprendrais rien. J’observais le meuble qui s’interposait entre elle et moi, un sordide bureau de marbre faisant face à un fauteuil de cuir, dans lequel elle prit soin de s’assoir confortablement. Sous son air méprisant, je me laissais porter par le torrent de ce cauchemar inquiétant.

—Qui êtes-vous !?

Elle restait silencieuse. A l’image d’un soldat d’une époque déchue, elle leva son bras brusquement vers le haut. Du néant, apparu alors un dossier sur sa paume ridée. Je reconnaissais mon prénom inscrit sur sa couverture de cuir. Elle le feuilletait calmement dans le silence implacable, sans omettre d’assassiner chacune de mes questions de ses yeux cendrés et accusateurs. Arrivé à la dernière page, elle mit une énergie certaine à refermer le dossier, d’une ferveur presque forcée. Ses lèvres s’entrouvrirent délicatement ; juste assez, pour y faire surgir ses flèches empoisonnées.

—Résumons ta situation. Tes parents, jeunes mariés, débarquent dans cette petite ville sans histoires. Lorsque ta mère te met au monde, tu manques de te tuer en naissant avec le cordon ombilical autour du cou. Tiens, ça m’aurais fait moins de travail ça ! Bref. En grandissant, les médecins te diagnostiquent une myopie énorme et te prescrivent des verres de lunettes épais. Très épais. Ton père, bien trop absent, finit par partir. Tu grandis dans l’indifférence de ton entourage. Enfant calme. Enfant moyen. Et maintenant, du haut de tes seize ans, tu te retrouves ici. Cela n’a pas de sens !

Touché par ces mots je souffrais, comme un homme sous les tirs d’une armée sanguinaire. Des millions de questions s’installèrent dans ma tête.

—Co…Co…Comment savez-vous ça !?
—Tais-toi ! Tu ne peux pas être présent ici. Non. Ce n’est pas la bonne case !
—De quoi parlez-vous !?
—C’est pourtant EVIDENT ! Cette case-là, notre préférée, contient les gens qui ont du style. Notre style. Qui s’habillent comme on leur dit de s’habiller. Qui parlent comme on leur dit de parler. Mais surtout, surtout… Qui anéantissent toutes formes de différences venant s’opposer aux fondations de cette case. Nous l’adorons.
—« Nous » ?
—Comment ça « Nous » !!? Tu vois ! C’est pour ce genre de remarque, Florian, que tu n’en fais pas parti ! Répond moi maintenant ! REPOND je te dis ! Que fais-tu ici !?

Sur les murs, apparurent, soudainement, des écrans de télévision allumés ainsi que de grands haut-parleurs sur les côtés. D’insistantes publicités se mirent à défiler. J’avais l’impression qu’elles essayaient de me défier. Ces écrans, hypnotisant et provocateurs, diffusaient les mêmes spots en boucle. Ils anéantissaient chaque parcelle de mon esprit. J’étais là, impuissant, les yeux fixés sur ces écrans dévastateurs. Elle s’adressa à moi, de son air dédaigneux, satisfaite de ces nouvelles apparitions.

—Tu voulais comprendre !? Bien. Observe attentivement Florian, je te présente… « NOUS » !

La luminosité des écrans publicitaires se mit à attaquer mes yeux fatigués. Chaque son s’incrustait violemment dans mes tympans. Les publicités, elles, brillaient par leur non-sens. J’étais désormais avalé dans une spirale absurde et sans limites.

« Il m’arrive de me sentir mal, parfois. Mais ça, c’était avant que je m’habille en R-Style ! La marque des VRAIS gangsters. Tu veux péter la gueule à tout ton bahu ? R-Style ! Tu veux raper bien fringué ? R-Style ! Tu veux devenir le plus stylé ? Habits-toi chez R-Style !! R-Style : Just fuck it. » / « Putain ! Gustav ! Nos soirées ne sont pas assez cool, que peut-on faire ? REDBOULE ! La boisson qui va te faire grave kiffer ! REDBOULE ! Mélange-là à tes alcools préférés. REDBOULE : Devient le PIMP de toutes tes soirées. » / « Olala Emilie, j’ai des problèmes. - Mais que se passe-t-il Natacha ? Mon string me fait mal ! – Ah ça ! C’est parce que tu n’as pas essayé le nouveau string WHORE. Grâce à sa nouvelle matière révolutionnaire, la ficelle se glisse tendrement dans ton cul et te donne le sentiment d’être fraîche toute la journée ! Oh mais c’est génial Emilie, merci !! - WHORE, achète-le tout simplement. »

Les publicités se mirent à défiler plus vite et de plus en plus forts. Les sons et images s’enchaînaient à vitesse exponentielle, à tel point que je ne comprenais plus que de simples bribes.

« Achète » / « Devient » / « Suit » / « Obéis » / « Détruit » / « Oublie » / « Recommence ».

Et tout disparu. Le faisceau de lumière s’estompait lentement, nous laissant plonger d’avantage dans l’obscurité. Mon sort semblait se jouer ici, dans un monde que je ne comprenais pas, régit par des slogans bidon et cette vieille inconnue.

Celle-ci s’approchait de moi et posait ses doigts glacials sur mes épaules. Je la regardais. J’essayais de lui témoigner mes interrogations. Qu’allait-il se passer ? Etais-je prédestiné à ce qui allait m’arriver ? Elle pointait sa main vers le sol maintenant. Celui-ci trembla avec fureur, se laissant poignarder d’un gouffre, profond, dont les bordures narguaient dangereusement les pieds de ma chaise. La vieille inconnue esquissa alors un sourire démoniaque et me dit, en s’extasiant :

—Voilà. Ta place !
—Qu’est-ce que… !!

Elle fit un simple geste, comme agacée par ma présence et je sentais, instantanément, mon corps sombrer dans l’inlassable profondeur de ce gouffre. Je me laissais engloutir par une glaciale sensation de non-retour. Puis, dans ma course effrénée vers le vide, un bruit. Crispé. Métallique. Harcelait mes tympans. Mes yeux, eux, brulèrent par une incandescence inconnue. J’entendais mon propre souffle. Je ne tombais plus. Je ne souffrais plus. Tout disparu.

Mes yeux s’ouvraient à nouveau. J’étais là, allongé dans mon lit, fixant le plafond. D’où venait ce bruit ? Je tournais la tête vers ma fenêtre et aperçu ma mère qui se tenait là.

—Debout Florian, tu vas être en retard pour l’école !
—Oui maman c’est bon ! Laisse-moi tranquille !

Le regard vide, je repensais au cauchemar auquel j’étais fraîchement arraché. Celui-ci, bien qu’irréel, me marquait cruellement. Comment pouvait-il être aussi criant de vérités ? Victime de l’acharnement aléatoire de la vie, je le trouvais très intriguant. A quoi bon y penser de toute façon. Il fallait se lever. Encore une fois.

Alors que mes pieds atteignaient péniblement le parquet tiède de ma chambre, je regardais le miroir s’élevant fièrement devant moi. J’y voyais un adolescent. Maigre. Silencieux. Ses cheveux longs masquaient presque totalement ses petites lunettes ovales très épaisses. Celles-ci le protégeaient sans doute de ce monde devenu trop hostile. C’est ce que je pensais. Je ne m’y attardais pas trop. La glace passait bien trop de temps à m’engloutir de ses jugements. Et puis, il y avait cette journée, si routinière, qui m’attendait.

Enfin, ça, c’est ce que je croyais.

Cette journée. Cette fameuse journée. Le déclencheur du reste de ma vie. La journée de trop dans la peau de l’adolescent calme et discret que j’étais. Ah… Si j’avais su.

Je m’habillais et me préparais à pénétrer une nouvelle fois dans leur monde. Subir leurs remarques. Subir la pression de ces professeurs incompréhensifs. J’allais, à nouveau, être le spectateur d’un univers qui m’était définitivement incompatible. Il était temps d’y aller. Je fermais la porte de l’appartement familiale et la fixait quelques secondes. D’un soupir, je me retournais, me dirigeant ainsi vers le chemin de l’école. Je rêvais déjà de la fin de cette journée, qui m’ennuyait déjà.

… Si j’avais su.


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