Note de la fic : Non notée
Publié le 30/10/2016 à 16:34:06 par PoulpeDeNoel
Une fois Gérard conduit à sa chambre, il s'endormit devant la télévision en attendant l'heure du dîner. Entre deux ronflements, il entendit quelqu'un frapper à la porte. À demi-éveillé, il passa une main sur sa figure et marmonna un « entrez ». Gérard se redressa sur ses coudes, et aperçut Victor entrer.
En dépit de ses trente ans, le majordome arborait des traits d'enfant. Son visage glabre, ses lèvres pincées et ses yeux rieurs contrastaient avec l'aspect sévère de son costume tiré à quatre épingles.
– Bien dormi ? demanda Victor. Madame vous fait savoir que le dîner ne tarderait pas à être servi.
– Okay j'arrive.
Victor fit mine de se retourner, puis redirigea sa tête vers Gérard pour ajouter :
– Oh, j'allais oublier. Madame vous prie également de vous mettre à votre aise ; vous pouvez vous débarrasser de votre uniforme de fonction pour vêtir un des costumes que vous trouverez dans l'armoire de votre chambre.
Victor sortit et laissa Gérard un peu perplexe et déboussolé. Il avait l'impression d'avoir été traité comme un enfant auquel on demande de s'habiller comme il faut pour paraître convenable. Gérard haussa les épaules ; ça partait sûrement d'une bonne intention de madame. Il se dirigea vers l'armoire en bois et en tira un costume crème.
Gérard descendit les deux étages qui le séparaient du rez-de-chaussée. Il se dirigea vers une des trois portes à la gauche du salon et traversa un petit couloir pour atterrir dans la fastueuse salle à manger. Salle à manger que Gérard trouva vide. Au centre, se dressait une immense table, nappée d'un long tissu immaculé, sur lequel étaient déposés plusieurs chandeliers dorés et petites statuettes représentant de petits anges potelés. Les couverts étaient également déjà mis. Gérard, à moitié perturbé par l'absence des convives et à moitié éberlué par le décor fantaisiste de la salle laissa traîner son regard. Il y avait là des objets tout à fait hétéroclites : Gérard nota des couverts d'or et d'argent accrochés aux murs, des tableaux représentant des scènes de repas, mais, également des objets plus contemporains. Sûrement de l'art moderne, pensa Gérard. Il y avait des espèces de fourchettes agrippées au plafond de différentes couleurs fluo dont les dents se prolongeaient et retombaient mollement, courbées, jusqu'au sol.
Puis Gérard se demanda s'il avait été bien réveillé lorsque Victor lui eut annoncé le dîner. J'espère que mon ventre a pas parlé à sa place, se dit Gérard. Ou alors peut-être que je me suis trompé de salle ?
Gérard songea quelques instants à s'asseoir en attendant les autres, puis il se dit que ça ferait sûrement d'un très mauvais genre. Il se décida à regagner sa chambre pour redescendre plus tard. Il était dans le couloir lorsqu'il entendit, par derrière la porte, venant du salon, de courts éclats de voix qui se muèrent en chuchotements. Il ne parvenait pas à saisir ce qu'ils se disaient, mais il identifiait les voix de la Tourbière et Victor. Quelques secondes plus tard, les voix se turent, remplacées par des bruits de pas qui se dirigeaient vers Gérard. Merde ! Je peux pas me tenir là comme une asperge ! pensa Gérard, ils vont penser que je les écoutais.
Gérard se retourna et fila vers la salle à manger. Il aperçut une porte qu'il s'empressa d'ouvrir. Il referma la porte et entendit derrière lui Victor et la Tourbière entrer dans la salle qu'il venait de quitter. Des sueurs dans le dos, il attendit, la tête collée contre la porte pour écouter d'éventuels nouveaux pas dans sa direction. Aucun bruit. L'inspecteur souffla. Puis une voix surgit derrière son dos, et Gérard se retourna dans un sursaut. C'était Andréa. Une spatule à la main, elle redemanda à Gérard, sans hostilité dans la voix, ce qu'il faisait là. Gérard passa une main à son col :
– Euh... Il y avait personne dans la salle à manger, alors je suis venu voir si personne était ici par hasard.
Gérard regarda autour d'Andréa et constata qu'il avait atterri dans la cuisine. Andréa releva la tête et consulta l'horloge accrochée au dessus de sa plaque chauffante.
– Il est 19 heures, ils devraient être à table d'ici une petite demi-heure, oui, ou une grosse demi-heure, lui répondit-elle dans un franc sourire.
– Ah ? C'est juste que Victor m'avait dit qu'on allait bientôt manger, alors...
Andréa rit, puis répondit, d'un air où perçait une pointe de moquerie :
– Pas longtemps, ça veut dire le temps aux dames de se pomponner.
Après tout le stress accumulé en quelques minutes, Gérard laissa éclater un long rire.
– Désolé de vous avoir dérangé pendant votre boulot !
– Pas de désolé, faut pas dire désolé Gérard ! sourit-elle.
– Bon je vais vous laisser travailler alors, je vais remonter dans ma chambre en attendant.
– Comme vous voulez, vous pouvez aussi rester, si vous voulez rester.
Gérard regarda quelques instants la cuisinière et lui trouva des traits charmants dans son sourire. Par mimétique, il sourit à son tour et accepta.
Andréa fit tourner sa spatule dans la casserole. Elle la ressortit, goûta son contenu et demanda à Gérard d'y goûter également.
– C'est quoi ?
– Goûte, tu verras ! goûte !
Andréa porta la spatule aux lèvres de l'inspecteur.
– C'est bon ! s'exclama Gérard. C'est de la sauce à quoi ?
– Aux champignons ! une petite sauce aux champignons !
– Ça donne faim.
– Patience ! ria-t-elle.
– Je peux re-goûter ?
– Passe-moi le sel, plutôt !
Andréa et Gérard passèrent ainsi un petit moment aux fourneaux, avant qu'Andréa ne l'avertisse que les convives étaient en train de prendre place à table. Gérard la remercia et partit rejoindre la compagnie.
L'inspecteur entra dans la salle à manger. Se tenaient là une petite dizaine de personnes qui discutaient par petites paires. Le regard de Gérard fit un rapide tour de table des convives : Il y avait trois femmes, un homme et trois adolescents. Ils se turent, pour observer Gérard. La Tourbière fronça involontairement les sourcils ; elle se demandait ce qu'il pouvait bien faire dans ses cuisines.
Gérard fut intimidé par tous ces regards dirigés vers lui. Il se demanda s'ils savaient qu'il était inspecteur ou s'ils le prenaient pour un nouveau domestique, sortant des cuisines. La Tourbière vola à son secours :
– Monsieur Bétrache est inspecteur au commissariat de Montvincent, il restera plusieurs jours parmi nous. Il aura besoin de toute notre coopération pour pouvoir élucider les malheureux événements.
– Bienvenue parmi nous alors inspecteur ! lança une femme.
– Merci, répliqua Gérard en s'asseyant à la seule place de libre, entre la Tourbière et le seul autre homme de la pièce.
La même femme continua et se présenta. Elle s'appelait madame Creuzot et était accompagnée de son mari et leurs deux enfants, Melvin et Éléonore. Ils étaient amis avec la Tourbière depuis plus de vingt-cinq ans, qu'ils avaient rencontrés par l'intermédiaire de feu la Duchesse d'Hearn. Elle demanda à ses deux enfants de se présenter à monsieur l'inspecteur, puis Victor apporta l'entrée. Gérard, qui voulait faire bonne figure, décida, un vers de bordeaux à la main, de faire connaissance avec les autres convives.
Il discuta avec madame Destouches, une femme d'environ soixante ou soixante-dix ans. Elle avait vu grandir la Tourbière, et amenait pour la seconde fois à la villa sa petite-fille Alicia, que lui avaient confié ses parents. Elle murmura à l'inspecteur, d'une voix rapide et franche :
– Entre nous... euh.... ma petite-fille est très fragile, et j'ai peur que la mort de la Duchesse la trouble encore plus... Elle est un peu spéciale, vous voyez, et, vous qui vous y connaissez en matière de criminalité, qui êtes sur le terrain, vous croyez qu'une fille de son âge à 17 ans puisse en être trop affecté ?
Gérard fit glisser une gorgée de vin dans son palais et glissa un regard à la jeune Alicia. Placée aux côtés de Melvin et Éléonore, qui eux plaisantaient gaiement, elle contemplait seule son assiette en mangeant. La noblesse de ses traits, ses yeux bleus et ses longs cheveux blonds qui descendaient sur ses épaules accentuaient la candeur de sa peau, blanche de nacre. Gérard redirigea son regard vers Destouches. Elle était tout le contraire de sa petite-fille : elle avait sa peau bronzée et ses cheveux teints couleur noisette. Une couche de maquillage tentait de dissimuler la sécheresse de son visage et ses rides apparentes, mais ne faisait que les rendre plus évidentes. Destouches ramena de son index ses lunettes sur son nez, et Gérard, qui ne savait pas quoi répondre, chuchota son tour :
– La mort est toujours quelque chose de difficile à vivre. Mais je suis certain que votre petite-fille s'en sortira, il n'y a aucune raison du contraire.
– Merci, inspecteur, glissa Destouches l'air rassuré.
Vint ensuite le plat principal, et Gérard retrouva sa sauce aux champignons avec du faisan. Tout fier d'avoir aidé à la préparation de la sauce, il voulut se vanter d'avoir mis la main à la pâte, mais il se ravisa. Il se tourna plutôt du côté du mari Creuzot, et avança :
– C'est bon, hein ?
Monsieur Creuzot opina de la tête. Après quelques coups de fourchettes, il désigna les assiettes de sa femme et sa fille :
– Enfin, c'est pas elles qui vont être d'accord, elles sont végans, comme elles disent.
– Végans ? C'est quoi ?
Madame Creuzot, qui avait surpris la conversation, intervint, l'air piqué :
– C'est ne pas manger des produits issus de la souffrance animale ! Vous ne connaissez donc pas ?
– Pas vraiment, non... Je croyais que c'étaient les végétariens, ça, moi.
– Ah non ! ne confondez pas les végans à ces gens-là qui consomment de la souffrance ! Quand on boit du lait de vache, vous vous êtes jamais dit que vous faisiez mal aux veaux et aux vaches ? Ça doit faire mal de se faire retirer son lait pour des humains ! Vous ne vous êtes jamais inquiétés du sort des animaux, monsieur l'inspecteur ?
– Non, pas vraiment...
Le mari Creuzot vint en aide à Gérard :
– Je comprends pas pourquoi je me priverais de viande...
– Ah Eliot ! l'engueula à voix basse sa femme, tu sais que je déteste quand tu dis ça en public ! Le véganisme, c'est l'avenir de l'alimentation ! C'est à la mode ! Pour qui on va passer ? Déjà, chez Sylvie, tu avais fait la fine-bouche devant son tofu aux carottes, et là, tu remets une couche ! On va passer pour des arriérés ! Tu sais que c'est barbare de manger de la viande ! Le progrès, c'est les plantes, mon chou.
Le mari Creuzot retourna à son faisan en marmonnant.
Après le dessert, la petite troupe de convives resta palabrer un peu. La Tourbière expliqua, en élevant la voix pour que chacun entendît, à Gérard :
– Nous organisons demain un petite partie de croquet. On espère que vous pourrez vous joindre à nous !
– C'est gentil... j'espérais quand même pouvoir entamer quelques petites recherches, vous voyez...
– Allons, vous aurez bien le temps de jouer avec nous quelques instants, ça ne vous engage à rien ! Et puis, on verra bien ce qu'il va se passer demain ! Vous avez encore le temps pour votre enquête, mon cher !
Gérard appréhendait jouer au croquet. Il ne connaissait le jeu que de nom, il avait peur de se ridiculiser. Mais pour ne pas paraître impoli à celle qui lui avait offert le gîte et le couvert, il accepta.
Après un bon repas, chacun retourna à ses appartements. Gérard alluma la télévision et regarda une série policière. Il s'endormit rapidement, le ventre plein.
En dépit de ses trente ans, le majordome arborait des traits d'enfant. Son visage glabre, ses lèvres pincées et ses yeux rieurs contrastaient avec l'aspect sévère de son costume tiré à quatre épingles.
– Bien dormi ? demanda Victor. Madame vous fait savoir que le dîner ne tarderait pas à être servi.
– Okay j'arrive.
Victor fit mine de se retourner, puis redirigea sa tête vers Gérard pour ajouter :
– Oh, j'allais oublier. Madame vous prie également de vous mettre à votre aise ; vous pouvez vous débarrasser de votre uniforme de fonction pour vêtir un des costumes que vous trouverez dans l'armoire de votre chambre.
Victor sortit et laissa Gérard un peu perplexe et déboussolé. Il avait l'impression d'avoir été traité comme un enfant auquel on demande de s'habiller comme il faut pour paraître convenable. Gérard haussa les épaules ; ça partait sûrement d'une bonne intention de madame. Il se dirigea vers l'armoire en bois et en tira un costume crème.
Gérard descendit les deux étages qui le séparaient du rez-de-chaussée. Il se dirigea vers une des trois portes à la gauche du salon et traversa un petit couloir pour atterrir dans la fastueuse salle à manger. Salle à manger que Gérard trouva vide. Au centre, se dressait une immense table, nappée d'un long tissu immaculé, sur lequel étaient déposés plusieurs chandeliers dorés et petites statuettes représentant de petits anges potelés. Les couverts étaient également déjà mis. Gérard, à moitié perturbé par l'absence des convives et à moitié éberlué par le décor fantaisiste de la salle laissa traîner son regard. Il y avait là des objets tout à fait hétéroclites : Gérard nota des couverts d'or et d'argent accrochés aux murs, des tableaux représentant des scènes de repas, mais, également des objets plus contemporains. Sûrement de l'art moderne, pensa Gérard. Il y avait des espèces de fourchettes agrippées au plafond de différentes couleurs fluo dont les dents se prolongeaient et retombaient mollement, courbées, jusqu'au sol.
Puis Gérard se demanda s'il avait été bien réveillé lorsque Victor lui eut annoncé le dîner. J'espère que mon ventre a pas parlé à sa place, se dit Gérard. Ou alors peut-être que je me suis trompé de salle ?
Gérard songea quelques instants à s'asseoir en attendant les autres, puis il se dit que ça ferait sûrement d'un très mauvais genre. Il se décida à regagner sa chambre pour redescendre plus tard. Il était dans le couloir lorsqu'il entendit, par derrière la porte, venant du salon, de courts éclats de voix qui se muèrent en chuchotements. Il ne parvenait pas à saisir ce qu'ils se disaient, mais il identifiait les voix de la Tourbière et Victor. Quelques secondes plus tard, les voix se turent, remplacées par des bruits de pas qui se dirigeaient vers Gérard. Merde ! Je peux pas me tenir là comme une asperge ! pensa Gérard, ils vont penser que je les écoutais.
Gérard se retourna et fila vers la salle à manger. Il aperçut une porte qu'il s'empressa d'ouvrir. Il referma la porte et entendit derrière lui Victor et la Tourbière entrer dans la salle qu'il venait de quitter. Des sueurs dans le dos, il attendit, la tête collée contre la porte pour écouter d'éventuels nouveaux pas dans sa direction. Aucun bruit. L'inspecteur souffla. Puis une voix surgit derrière son dos, et Gérard se retourna dans un sursaut. C'était Andréa. Une spatule à la main, elle redemanda à Gérard, sans hostilité dans la voix, ce qu'il faisait là. Gérard passa une main à son col :
– Euh... Il y avait personne dans la salle à manger, alors je suis venu voir si personne était ici par hasard.
Gérard regarda autour d'Andréa et constata qu'il avait atterri dans la cuisine. Andréa releva la tête et consulta l'horloge accrochée au dessus de sa plaque chauffante.
– Il est 19 heures, ils devraient être à table d'ici une petite demi-heure, oui, ou une grosse demi-heure, lui répondit-elle dans un franc sourire.
– Ah ? C'est juste que Victor m'avait dit qu'on allait bientôt manger, alors...
Andréa rit, puis répondit, d'un air où perçait une pointe de moquerie :
– Pas longtemps, ça veut dire le temps aux dames de se pomponner.
Après tout le stress accumulé en quelques minutes, Gérard laissa éclater un long rire.
– Désolé de vous avoir dérangé pendant votre boulot !
– Pas de désolé, faut pas dire désolé Gérard ! sourit-elle.
– Bon je vais vous laisser travailler alors, je vais remonter dans ma chambre en attendant.
– Comme vous voulez, vous pouvez aussi rester, si vous voulez rester.
Gérard regarda quelques instants la cuisinière et lui trouva des traits charmants dans son sourire. Par mimétique, il sourit à son tour et accepta.
Andréa fit tourner sa spatule dans la casserole. Elle la ressortit, goûta son contenu et demanda à Gérard d'y goûter également.
– C'est quoi ?
– Goûte, tu verras ! goûte !
Andréa porta la spatule aux lèvres de l'inspecteur.
– C'est bon ! s'exclama Gérard. C'est de la sauce à quoi ?
– Aux champignons ! une petite sauce aux champignons !
– Ça donne faim.
– Patience ! ria-t-elle.
– Je peux re-goûter ?
– Passe-moi le sel, plutôt !
Andréa et Gérard passèrent ainsi un petit moment aux fourneaux, avant qu'Andréa ne l'avertisse que les convives étaient en train de prendre place à table. Gérard la remercia et partit rejoindre la compagnie.
L'inspecteur entra dans la salle à manger. Se tenaient là une petite dizaine de personnes qui discutaient par petites paires. Le regard de Gérard fit un rapide tour de table des convives : Il y avait trois femmes, un homme et trois adolescents. Ils se turent, pour observer Gérard. La Tourbière fronça involontairement les sourcils ; elle se demandait ce qu'il pouvait bien faire dans ses cuisines.
Gérard fut intimidé par tous ces regards dirigés vers lui. Il se demanda s'ils savaient qu'il était inspecteur ou s'ils le prenaient pour un nouveau domestique, sortant des cuisines. La Tourbière vola à son secours :
– Monsieur Bétrache est inspecteur au commissariat de Montvincent, il restera plusieurs jours parmi nous. Il aura besoin de toute notre coopération pour pouvoir élucider les malheureux événements.
– Bienvenue parmi nous alors inspecteur ! lança une femme.
– Merci, répliqua Gérard en s'asseyant à la seule place de libre, entre la Tourbière et le seul autre homme de la pièce.
La même femme continua et se présenta. Elle s'appelait madame Creuzot et était accompagnée de son mari et leurs deux enfants, Melvin et Éléonore. Ils étaient amis avec la Tourbière depuis plus de vingt-cinq ans, qu'ils avaient rencontrés par l'intermédiaire de feu la Duchesse d'Hearn. Elle demanda à ses deux enfants de se présenter à monsieur l'inspecteur, puis Victor apporta l'entrée. Gérard, qui voulait faire bonne figure, décida, un vers de bordeaux à la main, de faire connaissance avec les autres convives.
Il discuta avec madame Destouches, une femme d'environ soixante ou soixante-dix ans. Elle avait vu grandir la Tourbière, et amenait pour la seconde fois à la villa sa petite-fille Alicia, que lui avaient confié ses parents. Elle murmura à l'inspecteur, d'une voix rapide et franche :
– Entre nous... euh.... ma petite-fille est très fragile, et j'ai peur que la mort de la Duchesse la trouble encore plus... Elle est un peu spéciale, vous voyez, et, vous qui vous y connaissez en matière de criminalité, qui êtes sur le terrain, vous croyez qu'une fille de son âge à 17 ans puisse en être trop affecté ?
Gérard fit glisser une gorgée de vin dans son palais et glissa un regard à la jeune Alicia. Placée aux côtés de Melvin et Éléonore, qui eux plaisantaient gaiement, elle contemplait seule son assiette en mangeant. La noblesse de ses traits, ses yeux bleus et ses longs cheveux blonds qui descendaient sur ses épaules accentuaient la candeur de sa peau, blanche de nacre. Gérard redirigea son regard vers Destouches. Elle était tout le contraire de sa petite-fille : elle avait sa peau bronzée et ses cheveux teints couleur noisette. Une couche de maquillage tentait de dissimuler la sécheresse de son visage et ses rides apparentes, mais ne faisait que les rendre plus évidentes. Destouches ramena de son index ses lunettes sur son nez, et Gérard, qui ne savait pas quoi répondre, chuchota son tour :
– La mort est toujours quelque chose de difficile à vivre. Mais je suis certain que votre petite-fille s'en sortira, il n'y a aucune raison du contraire.
– Merci, inspecteur, glissa Destouches l'air rassuré.
Vint ensuite le plat principal, et Gérard retrouva sa sauce aux champignons avec du faisan. Tout fier d'avoir aidé à la préparation de la sauce, il voulut se vanter d'avoir mis la main à la pâte, mais il se ravisa. Il se tourna plutôt du côté du mari Creuzot, et avança :
– C'est bon, hein ?
Monsieur Creuzot opina de la tête. Après quelques coups de fourchettes, il désigna les assiettes de sa femme et sa fille :
– Enfin, c'est pas elles qui vont être d'accord, elles sont végans, comme elles disent.
– Végans ? C'est quoi ?
Madame Creuzot, qui avait surpris la conversation, intervint, l'air piqué :
– C'est ne pas manger des produits issus de la souffrance animale ! Vous ne connaissez donc pas ?
– Pas vraiment, non... Je croyais que c'étaient les végétariens, ça, moi.
– Ah non ! ne confondez pas les végans à ces gens-là qui consomment de la souffrance ! Quand on boit du lait de vache, vous vous êtes jamais dit que vous faisiez mal aux veaux et aux vaches ? Ça doit faire mal de se faire retirer son lait pour des humains ! Vous ne vous êtes jamais inquiétés du sort des animaux, monsieur l'inspecteur ?
– Non, pas vraiment...
Le mari Creuzot vint en aide à Gérard :
– Je comprends pas pourquoi je me priverais de viande...
– Ah Eliot ! l'engueula à voix basse sa femme, tu sais que je déteste quand tu dis ça en public ! Le véganisme, c'est l'avenir de l'alimentation ! C'est à la mode ! Pour qui on va passer ? Déjà, chez Sylvie, tu avais fait la fine-bouche devant son tofu aux carottes, et là, tu remets une couche ! On va passer pour des arriérés ! Tu sais que c'est barbare de manger de la viande ! Le progrès, c'est les plantes, mon chou.
Le mari Creuzot retourna à son faisan en marmonnant.
Après le dessert, la petite troupe de convives resta palabrer un peu. La Tourbière expliqua, en élevant la voix pour que chacun entendît, à Gérard :
– Nous organisons demain un petite partie de croquet. On espère que vous pourrez vous joindre à nous !
– C'est gentil... j'espérais quand même pouvoir entamer quelques petites recherches, vous voyez...
– Allons, vous aurez bien le temps de jouer avec nous quelques instants, ça ne vous engage à rien ! Et puis, on verra bien ce qu'il va se passer demain ! Vous avez encore le temps pour votre enquête, mon cher !
Gérard appréhendait jouer au croquet. Il ne connaissait le jeu que de nom, il avait peur de se ridiculiser. Mais pour ne pas paraître impoli à celle qui lui avait offert le gîte et le couvert, il accepta.
Après un bon repas, chacun retourna à ses appartements. Gérard alluma la télévision et regarda une série policière. Il s'endormit rapidement, le ventre plein.