Note de la fic : Non notée
Publié le 29/10/2016 à 17:39:10 par PoulpeDeNoel
À grands efforts de gyrophare, Gérard quitta la circulation urbaine pour se retrouver en campagne. Il conduisait d'une main en se massant les tempes de l'autre. Gérard Bétrache était bien embêté d'avoir un mort entre les pattes. Il espérait pouvoir en finir rapidement ; il avait trop de temps à ne pas dépenser pour le perdre. Il souffla. Il traversa Montvincent pour trouver à sa sortie, tout de même assez éloignée des dernières habitations, la villa.
Il aperçut près des haies un espace goudronné où stationnaient plusieurs voitures. Il y dirigea précautionneusement sa voiture de fonction, tira la langue d'un air appliqué et entama un créneau.
– Eh merde ! s'étrangla Gérard en rentrant dans le pare-choc d'une BMW.
Gérard jeta un coup d'œil dans le rétroviseur et recula pour se garer entre deux voitures aux lignes sportives. Il sortit et, impressionné par la courbe de ses voisines de parkings, leur caressa quelques secondes le capot, en sifflant d'admiration. Beaux engins, pensa-t-il.
Il se dirigea ensuite vers l'entrée de la villa. Face à lui, un important portail de bronze, qui décrivait en son milieu de majestueuses courbes, qui formaient en belles lettres dorées un immanquable « La Tourbière ». Gérard pressa la sonnette. Une poignée de secondes plus tard, le portail s'écarta des deux côtés pour laisser entrer l'inspecteur. Gérard s'engagea dans l'allée et aperçut une dame courant à sa rencontre, sur une voie parsemée de fins cailloux blancs située entre deux longs parterres fleuris. Gérard ne voulait ni donner l'impression de la faire courir, ni se donner en spectacle à piquer un sprint ; il avança à larges enjambées. Finalement, les deux individus se rencontrèrent au milieu du chemin.
Gérard scruta le visage rougi de la femme. Derrière le tablier blanc qu'elle portait, s'établissaient quelques kilos en trop, qui accordaient par ailleurs à son visage une certaine bonhomie, complétée par des cheveux grisonnants qu'elle portait courts, mais assez longs tout de même pour que l'on puisse y deviner de courtes bouclettes. Gérard fut immédiatement pris d'un grand sentiment de sympathie pour cette belle face. Il reconnut la voix qui l'avait plus tôt interpellé au téléphone :
– C'est tragique, tragique, c'est une tragédie ! s'exclama la femme en empoignant le policier.
Ce dernier la pria de se calmer et de le mener au corps. À toute allure, elle le conduisit à travers l'extraordinaire jardin. Y'a pas à dire, ça doit être du boulot, tout ça, médita Gérard.
Tout en se malaxant convulsivement les mains, sa guide le mena à l'arrière d'un bosquet, puis ils traversèrent plusieurs arches de roseraies. Elle le pria de regarder parmi les orchidées. Au milieu des fleurs rouges, bleues et jaunes, reposait le visage livide d'une femme de la cinquantaine, bien en chair, un collier clinquant autour du cou. La dame, effondrée, se laissa tomber dans les bras de Gérard. Pauvre fille, eut-il pitié.
– Horrible, horrible... se lamenta-t-elle la face écrasée par les pleurs dans le cou de Gérard.
– Personne n'a touché au cadavre ?
– Non monsieur, non !
– Bien, je prends l'affaire en main, et, foi de Bétrache, madame, le coupable se retrouvera très vite sous les barreaux !
– Merci monsieur, merci, vous êtes très gentil ! dit-elle en relevant la tête.
Pris d'orgueil, l'inspecteur embraya :
– Mais madame, je fais qu'accomplir mon devoir ! Vous êtes la maîtresse de maison ?
– Non monsieur, je suis jardinière et cuisinière !
– Vous pouvez me mener à monsieur et madame de la Tourbière ?
– Oh, monsieur est mort il y a plusieurs années déjà ! Venez monsieur, venez, je vous mène à madame ! Oh, madame de la Tourbière est si bonne ! Vous verrez ! Elle est effondrée d'avoir perdu son amie !
Sous le doux soleil d'avril, la jardinière le conduisit à pas rapides en direction du luxueux bâtiment, que l'on pouvait apercevoir depuis le fond du chemin. Tout autour, de somptueux jardins prenaient place, avec ses fontaines, statues, jets d'eau, labyrinthes taillés à travers les haies...
– C'est beau ici, commenta Gérard. On dirait le jardin de Versailles.
– Oh merci ! Vous êtes déjà allé à Versailles ? J'aimerais beaucoup visiter, beaucoup !
Pris de court, il respira un coup et mentit :
– Oui, plusieurs fois, c'est magnifique.
Gérard n'était jamais allé à Versailles. Enfin, il avait bien failli y aller, une fois, avec sa première fiancée, c'était presque pareil. Et puis il avait bien vu des photos. Il ne voulait pas que la jardinière puisse penser que sa comparaison n'était que de pure formalité, il voulait mettre de la sincérité dans cette expression. Pour ne pas se faire plus longtemps interroger sur Versailles, il embraya :
– Mais au fait, je vous ai pas demandé comment vous vous appelez ?
– Andréa ! Andréa Klosowitz, monsieur !
– Oh, vous pouvez m'appeler Gérard, hein !
– D'accord Gérard, répondit-elle dans un sourire.
Ils approchaient. Devant l'entrée principale de la villa, se tenait en réunion un petit comité, composé d'une dizaine de personnes à l'air grave autour d'une large table de jardin. L'inspecteur les salua d'un geste de la main accompagné d'un léger bonjour. La compagnie répondit à ses salutations par des hochements de tête. L'inspecteur passa une main dans ses cheveux. Ou ce qu'il en restait. Les joies de la cinquantaine... pensa-t-il dépité. Il ascensionna avec Andréa les marches marbrées de la villa, puis celle-ci invita le visiteur à pénétrer dans le salon.
– Wouah ! C'est le luxe ici ! C'est du vachement beau mobilier qu'il y a là, et des peintures et tout !
– Il faut savoir s'entourer de belles choses, commenta une voix féminine du haut des escaliers, qui occupaient la partie centrale du salon.
Gérard leva la tête. Il aperçut une femme d'environ cinquante ans, dressée d'une longue robe rouge et des chaussures à talons de la même couleur. Ses cheveux bruns étaient relevés sur sa tête à l'aide d'une broche. Elle descendait les majestueux escaliers à pas lents, appuyée à la rambarde recouverte de feuilles d'or. Elle tenait, de l'autre main, un fume-cigarettes orange mimolette, qu'elle porta à ses lèvres après son intervention. Elle s'arrêta au milieu de l'escalier, souffla un panache de fumée puis lança, l'air ravi :
– Mais serait-ce donc déjà ce cher Inspecteur qui nous est arrivé ?
Elle marqua un temps d'arrêt, s'assombrit légèrement puis continua :
– Je pense que madame Klosowitz vous a expliqué cette triste affaire, n'est-ce pas ?
– Oui... D'ailleurs il faudrait que je vous parle à ce propos...
– Oh, mais, montez, je vous en prie, je vais vous conduire à mes appartements, si nous avons à nous entretenir ! Victor prendra vos bagages. Victor ! s'époumona-t-elle.
Impressionné par la prestance de la femme, Gérard balbutia pour réponse :
– C'est que... j'ai pas vraiment de bagages...
– Vraiment ? Oh, mais montez donc, allons, je ne vais pas vous manger mon bon inspecteur, plaisanta-t-elle.
Tandis que Gérard posa le pied sur la première marche, le fameux Victor apparut par une des portes du salon de gauche. Le salon était composé de deux parties, délimitées par le large tapis rouge menant de l'entrée aux escaliers. À droite, l'on pouvait voir un canapé et plusieurs vieux fauteuils, entourant une solide table de chêne. Les murs étaient parsemés de tableaux de tous genres, dont notamment une gigantesque peinture surmontant une non-moins imposante porte nacrée, aux rainures dorées et la poignée d'ivoire. À gauche, un piano, et à l'arrière, trois plus modestes portes.
– Madame m'a demandé ?
– Pourriez-vous débarrasser monsieur l'inspecteur, mon cher ?
– Fort bien, répondit Victor en allant recueillir le blouson du nouvel arrivant.
– Ah, et, pensez à lui arranger une chambre.
– Une chambre ? fit Gérard surpris.
– Allons, allons, nous verrons tout cela plus tard. Mais enfin que faites-vous immobile comme ça ? Montez, allons, montez !
– Ah oui j'oubliais, faut que je prévienne les collègues pour le corps... Il faut qu'ils l'embarquent... Vous voyez... dit-il en baissant la voix.
– Faites comme chez vous, inspecteur !
Gérard téléphona à son commissariat sous les yeux de la la Tourbière. Une fois qu'il eût raccroché, il grimpa les marches qui la séparait d'elle, puis elle le prit par le bras et ils montèrent jusqu'au premier étage. Ils se séparèrent de l'escalier, qui continuait encore de deux étages, puis ils s'engagèrent sur le palier de gauche. Au bout de quelques mètres, la maîtresse de maison s'arrêta, tourna la poignée et invita le policier à entrer. L'intérieur était un riche petit salon particulier, avec tout son décorum parfum Ancien Régime. La Tourbière pria son invité de prendre place. Il s'assit sur une chaise aux insignes fleuries et divers emblèmes cousus sur le dossier. Mmmmh le siège est rembourré, remarqua Gérard pour son plus grand plaisir. La Tourbière prit place face à lui. Entre eux, un guéridon, avec une sonnette posée au centre que Madame empoigna et secoua, ce qui eut pour effet de faire accourir Victor.
– Victor, pourriez-vous nous apporter un thé ? Vous êtes un amour.
– Tout ce que madame voudra, répondit Victor en lui adressant un sourire avant de partir s'exécuter.
La Tourbière croisa ses jambes, qu'elle gardait nues sous une robe taillée un peu en-dessous des genoux. Elle aspira une bouffée de cigarette, tourna la tête à sa droite et expira la fumée. Gérard se sentait gêné. Il n'avait pas l'habitude de se retrouver dans de si luxueuses atmosphères, et il ne voulait pas paraître grossier devant son interlocutrice. D'autant plus que la Tourbière devait faire face à un deuil.
– Bon eh bien, pour commencer je vous présente mes condoléances pour votre amie, je suis sincèrement désolé pour vous, dit Gérard tout en se grattant le coude qu'il avait replié sur son ventre.
La Tourbière se gratta légèrement le nez. Gérard était intimidé par le mutisme de la Tourbière : il espérait ne pas avoir gaffé. À plusieurs reprises il ouvrit la bouche pour combler le silence mais ne sut pas quoi dire. Finalement il se racla la gorge et dit :
– Je vais devoir interroger toutes les personnes présentes au moment du meurtre. Comme j'ai pas envie d'abuser de leur temps, je vais pas tarder...
La Tourbière le regarda d'un air pathétique, puis répondit :
– Restez donc. Prenez votre temps. Madame la Duchesse d'Hearn est morte sûrement entre la nuit dernière et ce matin. Quand Andréa l'a retrouvée morte. La Duchesse était ma plus chère amie, je la connaissais depuis mon enfance. Désolée si je vous ai paru désagréable ; le choc sans doute.
– Oh non mais...
– Comme vous avez pu voir j'ai de la compagnie à la villa en ce moment. Ce sont de proches amis avec lesquels on a l'habitude de se retrouver plusieurs fois l'an une ou deux semaines en villégiature.
– Je vois. Je vais prendre leurs coordonnées pour l'enquête.
On frappa à la porte. La Tourbière pria d'entrer. C'était Victor qui apportait sur un plateau thé et biscuits, qu'il disposa sur le guéridon.
– Voudrez-vous encore quoi que ce soit ? demanda-t-il tout sourire.
– Ce sera tout, répondit la Tourbière d'un même affect.
Une fois Victor sorti, la Tourbière reprit la parole :
– Vous disiez ?
– Oui, je disais qu'il faut que je prenne les coordonnées des personnes de votre maison...
– Oh non ! S'il vous plaît inspecteur ! Ne pouvez-vous pas les interroger tandis qu'ils sont à la villa ? Je ne veux pas connaître ces trop longues procédures judiciaires, qui nous ennuieront tous encore longtemps... Peut-être pourriez-vous accélérer la chose inspecteur ? Je pense bien que c'est dans notre intérêt commun que l'enquête se conclue au plus vite.
Gérard se gratta la tête. Ce n'était pas vraiment dans la procédure, mais ce n'était pas non plus contre-indiqué. Et lui aussi savait ce qu'était la lenteur de la justice : il devrait sans cesse faire des allers-retours entre le commissariat et la villa, trouver les témoins, se démener avec des horaires et des rendez-vous...
Gérard était gonflé. Gonflé de la veine de la journée : il n'avait qu'une seule envie, c'était de retrouver son bureau et ses Crunchy Chips. S'il interrogeait dès lors les témoins, c'étaient des mois et des mois de gagnés en affaires. Il pourrait vite retrouver sa paperasse à flemmarder. Et avec de la chance ce serait un simple suicide ; l'affaire serait bien vite plié.
– Très bien ! Faisons ça ! s'écria-t-il en piochant un biscuit.
– Notre petite compagnie restera encore une semaine et demi à la villa, vous avez le temps, malgré tout.
Une fois leur thé bu, la Tourbière fit retentir une nouvelle fois la cloche. Victor apparut, à qui elle dit de bien vouloir faire conduire l'inspecteur à sa chambre.
– Ma chambre ? Non, non, non, c'est pas la peine, vous savez...
– Inutile de refuser inspecteur, ce sera bien plus pratique pour tout le monde. Nous sommes neuf à interroger. Et vous aurez sans doute des fouilles et des visites des lieux à faire, tout ça prendra du temps. Ne vous pressez pas, vous avez encore une semaine et demi devant vous. Je tiens à vous faire partager ma demeure pour le temps de votre enquête.
Gérard songea quelques instants à la proposition. Il n'avait personne qui l'attendait chez lui : il était deux fois divorcé, ses enfants étaient chez leur mère et même son chien était mort il y avait peu. Il pourrait profiter du temps de son enquête pour se la couler douce à la villa ; il n'avait pas souvent l'occasion de visiter de tels endroits aussi luxueux. Il pourrait également se passer de rapports journaliers de fonction...
– Très bien alors, si vous insistez !
Il aperçut près des haies un espace goudronné où stationnaient plusieurs voitures. Il y dirigea précautionneusement sa voiture de fonction, tira la langue d'un air appliqué et entama un créneau.
– Eh merde ! s'étrangla Gérard en rentrant dans le pare-choc d'une BMW.
Gérard jeta un coup d'œil dans le rétroviseur et recula pour se garer entre deux voitures aux lignes sportives. Il sortit et, impressionné par la courbe de ses voisines de parkings, leur caressa quelques secondes le capot, en sifflant d'admiration. Beaux engins, pensa-t-il.
Il se dirigea ensuite vers l'entrée de la villa. Face à lui, un important portail de bronze, qui décrivait en son milieu de majestueuses courbes, qui formaient en belles lettres dorées un immanquable « La Tourbière ». Gérard pressa la sonnette. Une poignée de secondes plus tard, le portail s'écarta des deux côtés pour laisser entrer l'inspecteur. Gérard s'engagea dans l'allée et aperçut une dame courant à sa rencontre, sur une voie parsemée de fins cailloux blancs située entre deux longs parterres fleuris. Gérard ne voulait ni donner l'impression de la faire courir, ni se donner en spectacle à piquer un sprint ; il avança à larges enjambées. Finalement, les deux individus se rencontrèrent au milieu du chemin.
Gérard scruta le visage rougi de la femme. Derrière le tablier blanc qu'elle portait, s'établissaient quelques kilos en trop, qui accordaient par ailleurs à son visage une certaine bonhomie, complétée par des cheveux grisonnants qu'elle portait courts, mais assez longs tout de même pour que l'on puisse y deviner de courtes bouclettes. Gérard fut immédiatement pris d'un grand sentiment de sympathie pour cette belle face. Il reconnut la voix qui l'avait plus tôt interpellé au téléphone :
– C'est tragique, tragique, c'est une tragédie ! s'exclama la femme en empoignant le policier.
Ce dernier la pria de se calmer et de le mener au corps. À toute allure, elle le conduisit à travers l'extraordinaire jardin. Y'a pas à dire, ça doit être du boulot, tout ça, médita Gérard.
Tout en se malaxant convulsivement les mains, sa guide le mena à l'arrière d'un bosquet, puis ils traversèrent plusieurs arches de roseraies. Elle le pria de regarder parmi les orchidées. Au milieu des fleurs rouges, bleues et jaunes, reposait le visage livide d'une femme de la cinquantaine, bien en chair, un collier clinquant autour du cou. La dame, effondrée, se laissa tomber dans les bras de Gérard. Pauvre fille, eut-il pitié.
– Horrible, horrible... se lamenta-t-elle la face écrasée par les pleurs dans le cou de Gérard.
– Personne n'a touché au cadavre ?
– Non monsieur, non !
– Bien, je prends l'affaire en main, et, foi de Bétrache, madame, le coupable se retrouvera très vite sous les barreaux !
– Merci monsieur, merci, vous êtes très gentil ! dit-elle en relevant la tête.
Pris d'orgueil, l'inspecteur embraya :
– Mais madame, je fais qu'accomplir mon devoir ! Vous êtes la maîtresse de maison ?
– Non monsieur, je suis jardinière et cuisinière !
– Vous pouvez me mener à monsieur et madame de la Tourbière ?
– Oh, monsieur est mort il y a plusieurs années déjà ! Venez monsieur, venez, je vous mène à madame ! Oh, madame de la Tourbière est si bonne ! Vous verrez ! Elle est effondrée d'avoir perdu son amie !
Sous le doux soleil d'avril, la jardinière le conduisit à pas rapides en direction du luxueux bâtiment, que l'on pouvait apercevoir depuis le fond du chemin. Tout autour, de somptueux jardins prenaient place, avec ses fontaines, statues, jets d'eau, labyrinthes taillés à travers les haies...
– C'est beau ici, commenta Gérard. On dirait le jardin de Versailles.
– Oh merci ! Vous êtes déjà allé à Versailles ? J'aimerais beaucoup visiter, beaucoup !
Pris de court, il respira un coup et mentit :
– Oui, plusieurs fois, c'est magnifique.
Gérard n'était jamais allé à Versailles. Enfin, il avait bien failli y aller, une fois, avec sa première fiancée, c'était presque pareil. Et puis il avait bien vu des photos. Il ne voulait pas que la jardinière puisse penser que sa comparaison n'était que de pure formalité, il voulait mettre de la sincérité dans cette expression. Pour ne pas se faire plus longtemps interroger sur Versailles, il embraya :
– Mais au fait, je vous ai pas demandé comment vous vous appelez ?
– Andréa ! Andréa Klosowitz, monsieur !
– Oh, vous pouvez m'appeler Gérard, hein !
– D'accord Gérard, répondit-elle dans un sourire.
Ils approchaient. Devant l'entrée principale de la villa, se tenait en réunion un petit comité, composé d'une dizaine de personnes à l'air grave autour d'une large table de jardin. L'inspecteur les salua d'un geste de la main accompagné d'un léger bonjour. La compagnie répondit à ses salutations par des hochements de tête. L'inspecteur passa une main dans ses cheveux. Ou ce qu'il en restait. Les joies de la cinquantaine... pensa-t-il dépité. Il ascensionna avec Andréa les marches marbrées de la villa, puis celle-ci invita le visiteur à pénétrer dans le salon.
– Wouah ! C'est le luxe ici ! C'est du vachement beau mobilier qu'il y a là, et des peintures et tout !
– Il faut savoir s'entourer de belles choses, commenta une voix féminine du haut des escaliers, qui occupaient la partie centrale du salon.
Gérard leva la tête. Il aperçut une femme d'environ cinquante ans, dressée d'une longue robe rouge et des chaussures à talons de la même couleur. Ses cheveux bruns étaient relevés sur sa tête à l'aide d'une broche. Elle descendait les majestueux escaliers à pas lents, appuyée à la rambarde recouverte de feuilles d'or. Elle tenait, de l'autre main, un fume-cigarettes orange mimolette, qu'elle porta à ses lèvres après son intervention. Elle s'arrêta au milieu de l'escalier, souffla un panache de fumée puis lança, l'air ravi :
– Mais serait-ce donc déjà ce cher Inspecteur qui nous est arrivé ?
Elle marqua un temps d'arrêt, s'assombrit légèrement puis continua :
– Je pense que madame Klosowitz vous a expliqué cette triste affaire, n'est-ce pas ?
– Oui... D'ailleurs il faudrait que je vous parle à ce propos...
– Oh, mais, montez, je vous en prie, je vais vous conduire à mes appartements, si nous avons à nous entretenir ! Victor prendra vos bagages. Victor ! s'époumona-t-elle.
Impressionné par la prestance de la femme, Gérard balbutia pour réponse :
– C'est que... j'ai pas vraiment de bagages...
– Vraiment ? Oh, mais montez donc, allons, je ne vais pas vous manger mon bon inspecteur, plaisanta-t-elle.
Tandis que Gérard posa le pied sur la première marche, le fameux Victor apparut par une des portes du salon de gauche. Le salon était composé de deux parties, délimitées par le large tapis rouge menant de l'entrée aux escaliers. À droite, l'on pouvait voir un canapé et plusieurs vieux fauteuils, entourant une solide table de chêne. Les murs étaient parsemés de tableaux de tous genres, dont notamment une gigantesque peinture surmontant une non-moins imposante porte nacrée, aux rainures dorées et la poignée d'ivoire. À gauche, un piano, et à l'arrière, trois plus modestes portes.
– Madame m'a demandé ?
– Pourriez-vous débarrasser monsieur l'inspecteur, mon cher ?
– Fort bien, répondit Victor en allant recueillir le blouson du nouvel arrivant.
– Ah, et, pensez à lui arranger une chambre.
– Une chambre ? fit Gérard surpris.
– Allons, allons, nous verrons tout cela plus tard. Mais enfin que faites-vous immobile comme ça ? Montez, allons, montez !
– Ah oui j'oubliais, faut que je prévienne les collègues pour le corps... Il faut qu'ils l'embarquent... Vous voyez... dit-il en baissant la voix.
– Faites comme chez vous, inspecteur !
Gérard téléphona à son commissariat sous les yeux de la la Tourbière. Une fois qu'il eût raccroché, il grimpa les marches qui la séparait d'elle, puis elle le prit par le bras et ils montèrent jusqu'au premier étage. Ils se séparèrent de l'escalier, qui continuait encore de deux étages, puis ils s'engagèrent sur le palier de gauche. Au bout de quelques mètres, la maîtresse de maison s'arrêta, tourna la poignée et invita le policier à entrer. L'intérieur était un riche petit salon particulier, avec tout son décorum parfum Ancien Régime. La Tourbière pria son invité de prendre place. Il s'assit sur une chaise aux insignes fleuries et divers emblèmes cousus sur le dossier. Mmmmh le siège est rembourré, remarqua Gérard pour son plus grand plaisir. La Tourbière prit place face à lui. Entre eux, un guéridon, avec une sonnette posée au centre que Madame empoigna et secoua, ce qui eut pour effet de faire accourir Victor.
– Victor, pourriez-vous nous apporter un thé ? Vous êtes un amour.
– Tout ce que madame voudra, répondit Victor en lui adressant un sourire avant de partir s'exécuter.
La Tourbière croisa ses jambes, qu'elle gardait nues sous une robe taillée un peu en-dessous des genoux. Elle aspira une bouffée de cigarette, tourna la tête à sa droite et expira la fumée. Gérard se sentait gêné. Il n'avait pas l'habitude de se retrouver dans de si luxueuses atmosphères, et il ne voulait pas paraître grossier devant son interlocutrice. D'autant plus que la Tourbière devait faire face à un deuil.
– Bon eh bien, pour commencer je vous présente mes condoléances pour votre amie, je suis sincèrement désolé pour vous, dit Gérard tout en se grattant le coude qu'il avait replié sur son ventre.
La Tourbière se gratta légèrement le nez. Gérard était intimidé par le mutisme de la Tourbière : il espérait ne pas avoir gaffé. À plusieurs reprises il ouvrit la bouche pour combler le silence mais ne sut pas quoi dire. Finalement il se racla la gorge et dit :
– Je vais devoir interroger toutes les personnes présentes au moment du meurtre. Comme j'ai pas envie d'abuser de leur temps, je vais pas tarder...
La Tourbière le regarda d'un air pathétique, puis répondit :
– Restez donc. Prenez votre temps. Madame la Duchesse d'Hearn est morte sûrement entre la nuit dernière et ce matin. Quand Andréa l'a retrouvée morte. La Duchesse était ma plus chère amie, je la connaissais depuis mon enfance. Désolée si je vous ai paru désagréable ; le choc sans doute.
– Oh non mais...
– Comme vous avez pu voir j'ai de la compagnie à la villa en ce moment. Ce sont de proches amis avec lesquels on a l'habitude de se retrouver plusieurs fois l'an une ou deux semaines en villégiature.
– Je vois. Je vais prendre leurs coordonnées pour l'enquête.
On frappa à la porte. La Tourbière pria d'entrer. C'était Victor qui apportait sur un plateau thé et biscuits, qu'il disposa sur le guéridon.
– Voudrez-vous encore quoi que ce soit ? demanda-t-il tout sourire.
– Ce sera tout, répondit la Tourbière d'un même affect.
Une fois Victor sorti, la Tourbière reprit la parole :
– Vous disiez ?
– Oui, je disais qu'il faut que je prenne les coordonnées des personnes de votre maison...
– Oh non ! S'il vous plaît inspecteur ! Ne pouvez-vous pas les interroger tandis qu'ils sont à la villa ? Je ne veux pas connaître ces trop longues procédures judiciaires, qui nous ennuieront tous encore longtemps... Peut-être pourriez-vous accélérer la chose inspecteur ? Je pense bien que c'est dans notre intérêt commun que l'enquête se conclue au plus vite.
Gérard se gratta la tête. Ce n'était pas vraiment dans la procédure, mais ce n'était pas non plus contre-indiqué. Et lui aussi savait ce qu'était la lenteur de la justice : il devrait sans cesse faire des allers-retours entre le commissariat et la villa, trouver les témoins, se démener avec des horaires et des rendez-vous...
Gérard était gonflé. Gonflé de la veine de la journée : il n'avait qu'une seule envie, c'était de retrouver son bureau et ses Crunchy Chips. S'il interrogeait dès lors les témoins, c'étaient des mois et des mois de gagnés en affaires. Il pourrait vite retrouver sa paperasse à flemmarder. Et avec de la chance ce serait un simple suicide ; l'affaire serait bien vite plié.
– Très bien ! Faisons ça ! s'écria-t-il en piochant un biscuit.
– Notre petite compagnie restera encore une semaine et demi à la villa, vous avez le temps, malgré tout.
Une fois leur thé bu, la Tourbière fit retentir une nouvelle fois la cloche. Victor apparut, à qui elle dit de bien vouloir faire conduire l'inspecteur à sa chambre.
– Ma chambre ? Non, non, non, c'est pas la peine, vous savez...
– Inutile de refuser inspecteur, ce sera bien plus pratique pour tout le monde. Nous sommes neuf à interroger. Et vous aurez sans doute des fouilles et des visites des lieux à faire, tout ça prendra du temps. Ne vous pressez pas, vous avez encore une semaine et demi devant vous. Je tiens à vous faire partager ma demeure pour le temps de votre enquête.
Gérard songea quelques instants à la proposition. Il n'avait personne qui l'attendait chez lui : il était deux fois divorcé, ses enfants étaient chez leur mère et même son chien était mort il y avait peu. Il pourrait profiter du temps de son enquête pour se la couler douce à la villa ; il n'avait pas souvent l'occasion de visiter de tels endroits aussi luxueux. Il pourrait également se passer de rapports journaliers de fonction...
– Très bien alors, si vous insistez !