Note de la fic :
Publié le 28/08/2016 à 01:44:12 par Absolenko
Chapitre 6 :
Le réveil sonna à 8 heures du matin. Le bruit réveilla Yevhen brusquement. Le policier se redressa à contrecœur sur son lit, puis se massa le front. Il se sentait lessivé. Il essayait de se remémorer ce qu'il avait fait la nuit dernière, mais rien ne vint à son esprit. Il avait un black-out total.
Il se leva, puis fit quelques pas quand son pied nu marcha sur un bout de plastique. Yevhen s'accroupit et le récupéra. Soudain, plusieurs bribes de mémoires lui revinrent tels des flashs lumineux. Il y vit Lilya, le restaurant, les toilettes, son malaise et... Zlata. Il se rappelait maintenant toute la tristesse qui l'avait envahi la veille. Puis ses yeux se posèrent sur le sachet en plastique qu'il tenait entre ses doigts. La drogue. C'était le sachet de drogue qu'il avait confisqué à Volodymyr. Mais... Il était désormais vide.
- Oh putain.
Un vent de panique s'empara de lui. Il fonça vers la salle de bains et s'examiner devant le miroir : ses yeux étaient éclatés.
- Putain de merde, murmura-t-il.
Il se prit la tête dans ses mains. Qu'avait-il fait ? Il se souvenait maintenant d'avoir ouvert le sachet et d'avoir consommé tout son contenu. Il s'en voulait terriblement. Il avait flanché. Il était dans un état de faiblesse et était retombé dans ses travers.
Il s'habilla convenablement puis se rendit dans le salon. Sa fille n'était pas là. Il se demandait quoi quand il se souvint qu'elle dormait chez son fiancé. Ou alors elle avait encore menti, après tout elle l'avait déjà fait.
Yevhen pensait que sa relation avec sa fille se détériorait depuis quelques jours, et que cela lui faisait déjà pas mal de problèmes. Il sentait tout cela comme un gros poids sur ses épaules. Et il ne savait pas jusqu'à quand il pourrait le supporter. Il avait déjà fléchi hier en retombant dans ses problèmes de drogue.
Il sortit de son appartement, prit sa voiture et se rendit jusqu'au commissariat. Contrairement à son habitude depuis vingt ans, il ne prit pas de détour et passa volontairement devant l'orphelinat où Zlata logeait à l'époque. Il ralentit et contempla la devanture austère du bâtiment mais qui avait signifié tellement de joie pour lui.
Dans un état second, plongé dans une nostalgie qui ne lui apportait qu'un bien superficiel, il se gara puis rentra dans le commissariat. Il ne vit pas Votchyevka, ce qui était une bonne nouvelle car il était légèrement retard. Et il n'aurait pas supporté une remarque de son grincheux de supérieur.
Roman était là, lui. Sans même lui accorder un regard, de peur qu'il ne voit ses yeux rougeâtres, il fonça sur le siège de son bureau et s'y assit, tête baissée.
Son ami remarqua son étrange comportement et s'inquiéta :
- Vieux, ça va ?
- Hein ? Oui, oui, ne t'inquiète pas.
Roman regarda Yevhen avec des yeux étonnés. Il était au contraire très inquiet. Il connaissait Yevhen et savait quand il se refermait sur lui-même. Bien déterminé à briser sa carapace, Roman commença :
- J'ai croisé Lilya, tout à l'heure.
- Ah bon ? Elle va bien ?
- Elle avait l'air... Elle avait l'air déprimée et inquiète. Elle m'a aussi dit que vous aviez été au restaurant hier soir.
- Oui, c'est vrai. Et alors ?
- Et alors vu vos deux mines de déterrées je suppose que cela s'est mal passé. Raconte.
Yevhen, toujours la tête orientée vers le bas pour cacher ses yeux, répondit :
- Ça n'a pas accroché, c'est tout.
- Pas accroché ?
- Je ne suis pas la personne qu'il lui fait. T'es satisfait ? J'ai essayé Roman.
Le ton assez agressif qu'avait employé Yevhen se transforma peu à peu en un ton assez triste. Roman aperçut alors une larme couler sur la joue de son ami.
- J'ai essayé. J'ai vraiment essayé, je suis désolé.
- Écoute Yevhen, je voulais vraiment que tu sortes avec elle, mais si accroche pas c'est pas grave, hein. Te mets pas dans des états pareils.
- Je suis désolé, répéta Yevhen.
Oubliant ses yeux, il leva la tête et regarda son partenaire. Ce dernier ouvrit des grands yeux et son attitude changea.
- Bordel Yevhen !!, rugit-il dans un cri de rage qu'il essayait d'étouffer pour ne pas alerter les policiers du commissariat.
Roman se leva, contourna les deux bureaux puis empoigna Yevhen par l'avant-bras. Il l'emmena de force jusque dans un couloir désert, à l'abri des regards et oreilles indiscrets. Yevhen avait rarement vu Roman autant énervé. Celui-ci le plaqua même contre le mur.
- Qu'est-ce qui t'as pris ?
- Mais de quoi tu parles ?
- Ne joue pas l'innocent ! Tes yeux sont explosés ! Tu as repris de la drogue, Yevhen !! Bon sang !
Roman était bouleversé. Cela fit mal au cœur déjà bien surchargé de Yevhen. Voir son ami s'impliquait autant dans sa vie alors qu'il ne faisait que le décevoir et se refermer sur lui-même. Yevhen se dit alors qu'il lui devait quelques explications :
- Je... Je suis désolé. J'ai été faible...
- Mais pourquoi ? Pourquoi ? Tu avais surmonté ce problème, depuis bien longtemps.
- Zlata... Lilya m'a emmené au restaurant où elle et m...
- Le « Pervark », comprit Roman.
- Je me suis rappelé de tout, de toutes mes pensées la concernant que j'avais enfoui au plus profond de mon être. C'était trop. Ça, puis Yulia qui me ment, puis Volodymyr, puis les meurtres... J'ai pas pu supporter.
- Et moi qui n'était pas là, se maudit Roman en se frappant sur le sommet du crâne.
- Ne dis pas de bêtises, tu étais à Kharkiv avec Votchyevka. Ne te rejette pas la faute.
- Écoute Yevhen. Tout va s'arranger, ok ? Je suis là pour toi. Promets-moi de ne plus toucher à cette saloperie.
- Je te le promets. Je m'en veux.
- Bien, fut soulagé Roman qui sentait son ami sincère, maintenant rentre chez toi.
- Quoi ? Mais non, je ne p...
- Yevhen ! Tu prends Votchyevka pour un abruti ? Il va voir tes yeux, et saura de suite de quoi il en retourne. Je te rappelle que tu as failli être viré la dernière fois. Tu veux perdre ton job ?
La pensée de perdre son travail, qui constituait toute sa vie, raisonna Yevhen. Il acquiesça, signe de son abdication.
- C'est d'accord... Mais que diras-tu à Votchyevka ?
- Ça, je m'en occupe. Maintenant file, repose-toi et vide ton esprit, lui ordonna Roman.
Yevhen hocha la tête, il allait se retourner mais il fit volte-face et prit Roman dans ses bras. Si quelqu'un avait assisté à cette scène, il aurait jugé cela très peu viril. Mais cela témoignait la profonde et sincère amitié qu'entretenaient ces deux hommes.
- Merci, Roman.
- Tu te rappelles ce que je t'ai dit juste après qu'on nous a mis ensemble ?
- Oui. « Salut, partenaire. Pour toujours j'espère ».
- Voilà. Et bien en tant que partenaire éternel, je me dois d'être là pour toi.
Yevhen eut un faible sourire, puis il se retira. Roman s'esclaffa puis lui dit :
- Maintenant dégage avant que Votchyevka ne ramène ses fesses !
Yevhen s'exécuta. Roman le vit s'éloigner puis disparaître de son champ de vision. Il soupira. Il était vraiment énervé quand il avait appris que Yevhen avait consommé de la drogue de nouveau. Un énervement imprégné d'inquiétude.
Puis il constata la tristesse qui rongeait Yehven. Il s'était replongé dans les souvenirs qu'il avait de Zlata. Comment aurait-il pu continuer à lui en vouloir ? Il avait traversé tellement d'épreuves très difficiles. Il avait besoin de soutien.
Il se résigna finalement à revenir à son bureau. Comme d'habitude depuis que le premier meurtre s'était produit, le hall était vide, quasiment tous les bureaux étant inoccupées. Il n'y avait plus que quelques policiers ici et là qui passaient en coup de vent.
Roman trouvait quand même qu'il y avait encore moins de monde que d'habitude. Il y avait-il eu un nouveau meurtre ? Non, impossible, Votchyevka l'aurait appelé.
A peine eut-il pensé à son commissaire que ce dernier rentra précipitamment dans le commissariat. La mine soucieuse et encore plus grincheuse que d'ordinaire, le commissaire Andriy Votchyevka se dirigea vers Roman.
- Où est Chevakova ?, demanda-t-il abruptement.
- Oh, Yevhen... Il est malade, il s'excuse de ne pas pouvoir venir. Il est resté chez lui pour récupérer. Il sait que en ce moment, ce n'est...
- Ce n'est pas grave.
- … pas le temps... Pardon ?
- J'ai dit que ce n'était pas grave, répéta Votchyevka en levant les sourcils.
- Attendez, j'ai préparé dans ma tête un long discours pour pas que Yevhen se fasse réprimander, et vous abdiquez si facilement ?
- Je n'ai pas la tête à ça, fit Votchyevka en haussant les épaules, puis que veux-tu qu'on fasse ? Nikolai est introuvable. Je viens d'assigner d'autres brigadiers pour renforcer les barrages et le quadrillage de la zone kievoise.
Roman comprenait maintenant pourquoi il lui semblait qu'il y avait moins de monde au commissariat.
- Mais c'est tout ce que je peux faire !, se lamenta Votchyevka, nous n'avons aucune piste. Les empreintes, la mafia, Nikolai dealer puis meurtrier, le deuxième enlèvement et meurtre, les affaires de Kharkiv...
- Chef, rien n'indique que les meurtres à Kharkiv soient directement liés à ceux de Kiev, intervint Roman.
- Mon instinct me le crie. Et crois-moi, si y'a bien un truc sur lequel je peux faire confiance, c'est mon instinct. Bref, cette affaire n'a ni queue ni tête. Nygmenko et son équipe de soi-disant génies ne trouvent aucune piste valable, même avec les cadavres de Kharkiv. Nous sommes impuissants. Je n'ai jamais eu une enquête aussi improbable de toute ma vie...
- Je..., commença Roman.
Puis il se tut, un peu pris au dépourvu. Ce n'était pas le genre de Votchyevka de s'ouvrir et de parler autant, lui qui se contentait de mots grommelés que ses interlocuteurs devaient ensuite rassembler pour former une phrase correcte.
Votchyevka s'assit sur le siège vacant du bureau de Yevhen, puis plaqua sa tête contre le bureau. Les pensées de Roman s'interrompirent quand il entendit son supérieur sangloter. Oui, Votchyevka pleurait.
- Euh... Chef... Dites-moi, depuis combien de temps n'avez-vous pas dormi ?
- J'ai dormi deux heures cette nuit, ça compte ?
Roman cerna de suite le problème. Son commissaire était à bout de forces, il perdait un peu la boule, à cause de la fatigue.
- Vous devriez rentrer chez vous, pour dormir.
- Quoi ?! Vous avez perdu la tête Szarszus ? Avec ce qui se passe en ce moment ?
- Vous venez de dire que l'on ne pouvait rien faire, tiqua Roman désormais un poil agacé, déjà que vous êtes impuissants, pas le peine d'être crevé en prime. Soyez raisonnables.
Votchyevka se redressa, sécha une larme puis dit :
- Je suppose que vous avez raison. Je laisse mon portable allumé, appelez-moi en cas d'urgences.
- Voilà qui est sage, chef.
Votchyevka se leva, se dirigea vers la grande double-porte qui servait d'entrée, puis il se retourna :
- Oh, et Szarszus ?
- Oui, chef ?
- Pas un mot sur ce que vous venez de voir de moi, compris ?
- Cela ne m'a jamais traversé l'esprit, chef.
Ne sachant pas s'il était sincère ou non, Votchyevka quitta le commissariat. Il laissait un Roman qui se demandait de quelle manière il allait avouer à tous ses collègues qu'il venait de voir le dur, le rugueux Votchyevka pleurer toutes les larmes de son corps.
Sourire au visage rien que d'y penser, ses yeux firent le tour du grand hall. Il était désert. Cela lui mit un gros coup de cafard. Les choses avaient bien changé depuis que ce bordel avait éclaté. Il lui semblait d'ailleurs que ça s'empirait. Yevhen dépérissait à vue d’œil, Yulia était devenue mystérieuse et s'était mis en tête de déterrer tout le passé de son père, le commissariat perdait de sa bonne atmosphère qu'il aimait tant ambiancé, et même Votchyevka se mettait à pleurer.
Il perdit soudain tout envie de rire ou même de sourire.
Instinctivement, il prit la télécommande et alluma la grande télévision murale qui ornait le mur du fond. Il mit la première chaîne d'informations ukrainienne. Il ne fut pas surpris de se retrouver devant un portrait de Nikolai. Son signalement était diffusé dans tout le pays.
Quelques minutes plus tard, la grande porte d'entrée s'ouvrit. Il vit Lilya, le major Den Ilchyuk et quatre brigadiers entrer. Lilya et Den balayèrent la salle du regard, puis marchèrent dans sa direction.
- Roman, où est Votchyevka ?, demanda Den.
- Il est chez lui, il pionce.
- Écoute, vieux, j'adore tes blagues d'habitude, mais c'est urgent et..
- C'était pas une vanne, il est vraiment en train de se reposer chez lui.
- Votchyevka ? Se reposer ?, bloqua Den.
- Il n'a pas beaucoup dormi ces derniers temps, expliqua Roman.
- Tant pis, soupira Lilya.
- C'est pour quoi ? Je peux toujours l'appeler et lui dire de rappliquer.
- Laisse tomber, fit Den, on va le laisser, il l'a bien mérité. On va se débrouiller. On revient de la planque de Youri.
- On a retrouvé plein d'armes et d'objets divers illégaux, enchaîna Lilya.
- Cet après-midi auront lieu les interrogatoires de Youri et de Pietro. J'aurais espéré que Votchyevka puisse m'assister. Tant pis.
Den indiqua aux quatre brigadiers de l'accompagner. Ils descendirent les escaliers qui menaient aux cellules et où se trouvaient Pietro et Youri. Lilya quant à elle n'avait pas bougé d'un pouce et faisait toujours face à Roman.
- Où est Yevhen ?, demanda-t-elle.
- Il est malade, il est resté chez lui.
- Ah... Tu lui souhaiteras bon rétablissement de ma part. Et dis lui aussi que je ne lui en veux pas pour hier soir. Je comprends mieux son malaise, s'il était malade. Il n'a pas à s'en faire.
- Son malaise ? Il a fait un malaise ?
- Oui. Pourquoi ?
- Rien, rien. Tu ferais mieux de rejoindre Den.
Lilya acquiesça puis descendit aux cellules à son tour.
Roman recommença à s'inquiéter pour Yevhen. Il n'avait jamais fait une crise d'angoisse qui avait mené à un malaise auparavant.
* * *
L'après-midi était déjà bien entamé tandis que le soleil amorçait sa descente dans le ciel, disparaissant derrière un nuage. Le commissariat était bien plus animé que ce matin. Et pour cause, les interrogatoires sur l'affaire du meurtre de la femme de Pietro allaient commencer sans plus attarder. Pietro accusait son fils du meurtre, et tout le monde attendait la version de ce dernier, Youri.
Roman, qui s'ennuyait fermement, rejoignit Lilya et plusieurs brigadiers dans la petite salle qui collait à la pièce d'interrogatoire. Ils apercevaient, et ce grâce à la glace sans tain, Pietro et Den assis face à face. La salle d'interrogatoire était petite, et n'avait que pour seul mobilier une table et deux chaises. Elle n'était éclairée que par une ampoule défectueuse au plafond, ce qui donnait une atmosphère pesante et étouffante, digne des grands films policiers. Pietro était menotté à sa chaise.
- Allons-y, Pietro, donnez-moi votre version des faits, le somma le major Den Ilchyuk.
- Je vous l'ai déjà répété des centaines de fois. Je suis resté travailler jusque très tard le soir, en toute légalité bien entendu, puis lorsque je suis rentré, j'ai retrouvé ma femme poignardée à plusieurs reprises dans le dos. Son cadavre gisait par terre. C'est une vision horrible que je garderai toute ma vie... Sur la table basse qui se trouvait près du corps, j'ai retrouvé un mot de Youri. Il y disait qu'ils s'étaient disputés et qu'il s'était emporté. Il disait être désolé. Lui pardonner sera difficile, mais j'ai pris la décision de ne pas le dévoiler à la police et de le protéger en cachant le corps. Je le reconnais et je m'en excuse.
- Où est le papier que Youri vous a laissé ?
- Ce n'est pas le genre de truc que l'on garde en souvenir.., rétorqua Pietro.
« Comme c'est pratique », pensa Roman qui ne perdait pas une miette de la scène qui se déroulait devant ses yeux à travers le miroir.
- Et vous avez un alibi ? Le meurtre aurait été perpétré vers vingt heures.
- Je vous l'ai dit, j'étais en train de bosser.
- Au sous-sol de « L'Ukrainien Volant », j'imagine ?
- Oui. Demandez à mes collègues, vous verrez.
- Le problème, Pietro, c'est que vos « collègues » sont tous officieusement des criminels et sont de mèche avec vous. Leur parole n'a que peu de valeur.
- Et la mienne de parole, elle n'a pas de valeur ? Je vous dis que j'étais à « L'Ukrainien Volant » !
- Ca suffit pour le moment. Bogdan, emmène-le, puis ramène-moi Youri.
Bogdan, qui était le garde des cellules, rentra dans la salle d'interrogatoire puis emmena Pietro avec lui. Dans le même temps, Den sortit aussi et rejoignit Roman et Lilya.
- Alors ?, leur demanda-t-il.
- Je ne suis pas fan de son attitude d'ange irréprochable, commenta Roman en fronçant les sourcils.
- Il en fait trop, l'appuya Lilya en hochant la tête.
- C'est aussi mon avis, soupira Den, mais son histoire n'est pas impossible. On verra comment cela se passe avec Youri. D'ailleurs avant qu'il arrive je vais aller me faire un café, ajouta-t-il en se dirigeant vers la machine à café.
Quand Den fut éloigné d'eux, Lilya demanda à Roman :
- Yevhen va mieux ?
- Oui, mentit Roman, il est résistant. Demain il reviendra tout frais !
- Ok ok...
- Sviatoslav va bien ?, questionna Roman.
- Oui, son malaise n'était pas grave. Il est toujours à l'hôpital cependant.
- Je vois.
Roman sentit la gêne qu'il y avait entre lui et la jeune femme. Il sentait qu'elle ne l'appréciait pas pleinement et qu'elle lui adressait la parole plus pour son amitié avec Yevhen que pour lui-même.
Bogdan entra dans la salle d'interrogatoire, Youri à sa suite. Il le menotta à la chaise comme son père auparavant puis quitta la salle. Den but une gorgée de son café puis rejoignit Youri. Il s'assit en face de lui. Roman, Lilya et les quatre autres policiers fixaient la scène avec attention.
- Bien, Youri, où étais-tu le 10 Avril aux alentours de vingt heures ?
- J'étais chez mon pote Alexy. Il pourra vous le confirmer.
- Ton père maintient que tu es celui qui a tué Elena.
- Enfin, je ne vais pas tuer ma propre mère ! C'est insensé !
- Je ne traite pas de menteur, mais alors pourquoi s'être caché de la police ? C'est une attitude de coupable.
- De quoi ? Je n'étais pas du tout au courant de la mort de ma mère ! Je ne l'ai appris qu'hier lorsque je me suis rendu à « L'Ukrainien volant », quelques heures avant que vous ne vous introduisiez chez mon pote.
- Attends, tu n'étais pas au courant ? Cela passait en bouche à la télé et à la radio, aux infos !
- Est-ce que j'ai une tête à écouter les infos ? Je ne savais pas que j'étais recherché par la police.
- Très bien, admit Den, donc ton père serait le meurtrier ?
- Je ne l'accuse pas, je n'en ai aucune idée. Il a juste menti, peut-être pour me faire porter le chapeau.
Den ferma les yeux quelques secondes. Il ne voyait pas le bout de cette affaire. Les deux hommes se dédouanaient chacun du meurtre d'Elena, tout en prenant soin d'avoir des alibis invérifiables.
- Tu peux le ramener en cellule, Bogdan.
Puis il se leva et quitta la salle.
- Tout cela n'a rien donné, grogna Den en rejoignant Roman et Lilya.
- En effet, fit Lilya, quelque peu déçue.
- Qu'en penses-tu Roman ?
- Ils se protègent. Ils disent tous les deux être innocents et se contentent de fausses déclarations pour brouiller les pistes et coincer notre enquête. Aucune de leur histoire n'est vérifiable. Pour le coup, il faudra espérer que l'examen du corps d'Elena donne quelque chose.
- Cela fait depuis hier qu'ils sont dessus, et ils n'ont toujours rien trouvé, intervint Lilya.
- Ça, c'est parce que Nygmenko ne s'en est pas encore occupé personnellement.
Den Ilchyuk acquiesça :
- Il est trop occupé par votre affaire.
Il marqua une pause puis reprit :
- Avec du recul, je regrette que Votchyevka ne se soit pas occupé des interrogatoires. Quelque chose me dit que cela se serait passé différemment...
* * *
Yulia aurait bien aimé continuer son enquête sur sa mère et le passé de son père, mais Volodymyr l'avait invité à passer chez lui après qu'elle ait fini sa journée de boulot. Comme cela faisait pas mal de temps qu'ils n'avaient pas eu de moment seuls en tête à tête, elle accepta, sans oublier son enquête pour autant.
Elle arriva devant l'immeuble réservé aux logements sociaux à bas prix, et où habitait son fiancé. Elle y entra et frappa à la porte de l'appartement de Volodymyr. Ce dernier lui ouvrit, et son visage s'illumina :
- Yulia !
- Salut, le salua Yulia en l'embrassant tendrement.
- Ça a été ta journée ?
- Comme d'habitude, et toi ?
- Eh bien... J'ai un truc à te dire. Viens.
Il l'emmena dans le salon et la fit s'asseoir sur le canapé. L'appartement était très petit. Il n'y avait que trois pièces des plus sommaires : chambre, salle de bains et salon. De plus, le manque de mobilier compte tenu du mode de vie de Volodymyr rendait le tout encore plus austère et peu accueillant. Yulia n'en prenait compte, elle trouvait juste géniale que Volodymyr ait un appartement pour lui, elle pensait que ça le rendait plus responsable.
Volodymyr se mordait la lèvre. Pas par peur de la réaction de Yulia. Au contraire, il allait lui annoncer une chose positive qui allait la faire sauter de joie à coup sûr. Non, c'est juste que c'est qu'il s'apprêtait à dire ne l'enchantait guère, mais il n'avait pas le choix.
En effet, la mafia de Kiev ne voulait plus travailler avec lui depuis que son abruti de beau-père lui était tombé dessus. Erik et Mark, les nouveaux chefs en place, avaient peur des risques que son lien avec Yevhen pouvait causer. Ils l'avaient viré. Cela l'avait mis dans l'embarras. En effet, l'argent qu'il percevait en jouant les dealers constituait son seul revenu, en plus des aides sociales. Si l'argent de ces aides pouvait suffire à payer son loyer, l'argent de la drogue lui permettait de vivre normalement et de pouvoir se permettre des excès, sans que Yulia ne le sache, évidemment.
Il avait alors tenté de mettre en place son propre réseau de drogue, mais eut vite abandonné. Aucun fournisseur ne voulait s'associer avec lui, de peur de se mettre à dos la mafia kievoise. Volodymyr reconnu qu'il avait eut une idée en l'air en plus d'inconsciente, il ne vit alors qu'une seule solution.
- Qu'est-ce qu'il y a, alors ?, demanda Yulia un peu inquiète.
- Voilà... J'ai bien réfléchi. Je me sens plus responsable, je me sens donc prêt à... à travailler.
- Sérieux ? Mais Volodymyr c'est merveilleux !, se réjouit Yulia en sautant au cou de son chéri.
- Tu pourrais me donner un coup de pouce ?
- Je peux m'arranger, lui sourit Yulia, je suis si fière ! Tu as tellement su remonter la pente depuis que je t'ai rencontré. Rappelle-toi, tu dealais de la drogue et tu passais tes journées en prison ! Je suis fière de ton parcours !
Elle l'embrassa. Volodymyr n'en revint pas : il allait avoir un travail. Il savait que Yulia avait un truc en réserve à lui confier. Il demanda ensuite à sa petite amie :
- Et tu sais ce que ça signifie ?
- Non, à quoi tu penses ?
- Tu m'avais dit que l'on emménagerait ensemble à condition que j'ai un travail.
Il affichait un grand sourire qui s'estompa quelque peu quand il vit Yulia la mine déconfite.
- Oh.. Je disais ça pour rire.
- Tu avais l'air assez sérieuse, insista Volodymyr.
- Bah...
- Je sais ce qu'il y a. Ton père. J'ai raison ?
Il prit le silence gênée de Yulia pour un « oui ». Il s'énerva :
- Je n'y crois pas ! Il se met toujours en travers de notre relation celui-là !!
- Sois indulgent Volodymyr ! Je suis si important à ses yeux, cela va lui faire de la peine.. Bien sûr que j'ai envie qu'on emménage à deux, mais je redoute de briser le cœur de papa.
Bien que sa haine pour Yevhen ne faisait que s'accroître, il sourit tout de même et tenta de réconforter Yulia :
- Oh, ma chérie... Je comprends... Mais tu ne fais que retarder l'échéance. Dis-lui le plus vite possible et ça ira.
- Je ne sais pas...
- S'il te plaît, la supplia Volodymyr en lui prenant les mains, j'en rêve tellement depuis quelques mois. Fais-le pour moi.
- Je... D'accord... Je suppose que tu as raison, j'ai juste peur de la réaction de mon père. Cela ne devrait pas bloquer notre vie de couple.
- Ne t'inquiète pas pour Yevhen. Il le prendra mal mais il s'en remettra.
- Je n'en suis pas sûre, chuchota Yulia en se mordant la lèvre inférieure.
* * *
Yulia chercha les clefs de l'appartement dans son sac à main, puis elle ouvrit la porte. Aucune lumière n'était allumée, et seule la télévision apportait un peu de clarté. Intriguée et un peu inquiète, elle avança jusque dans le salon et aperçut son père avachi dans le canapé.
Tout le long de la journée, Yevhen y était resté campé devant la télévision sans vraiment la regarder. Il était perdu dans ses pensées depuis le matin où Roman l'avait renvoyé chez lui. De plus, il avait prié pour que ses yeux redeviennent normaux quand sa fille rentrerait. Yulia n'avait jamais été au courant de sa consommation de drogue - elle était plus jeune et donc plus facile à berner -, et il voudrait éviter qu'elle découvre cette mauvaise habitude.
- Papa... Ça va ?
- Hein ? Oui.
La voix de sa fille l'avait sorti de sa torpeur. Il essaya de paraître naturel.
- Je suis juste un peu malade, continua-t-il, je ne suis pas allé au commissariat aujourd'hui. Et toi ?
- Je vais bien. Ca n'a pas dérangé ton absence au vu des actualités ?
- Rien n'avance, lui apprit Yevhen, Roman m'a envoyé un SMS pour me dire qu'il s'ennuyait au poste.
- C'est triste. Ces histoires de meurtre sont tellement horribles.
Yevhen hocha la tête et se félicita que sa fille crut à son histoire de maladie. Il profita du silence pour aborder un sujet qui lui tenait à cœur :
- Mais... Tu es sûre que ça va, ma chérie ?
- Oui, papa, pourquoi ?, s'étonna Yulia.
- Écoute, ça me dérange, je ne peux pas m'empêcher de te parler. Je sais que tu m'as menti.
- De quoi ?, ne comprit pas sa fille.
- Le soir où tu m'as dit être avec Volodymyr, mais je sais que tu n'étais pas avec lui.
Yulia comprit de suite qu'il parlait du soir où elle avait fait le tour des orphelinats pour retrouver la trace de sa mère. Cependant, un truc la faisait tiquer :
- Comment tu l'as su ?
- Je... Ne change pas de sujet !
- Comment tu l'as su ?, répéta-t-elle.
Elle connaissait son père aussi bien qu'il la connaissait, et elle savait qu'il n'avait jamais pu se montrer autoritaire. Elle avait toujours été clairement en position de force contre lui au cours des disputes. Elle avait toujours eu des regrets quand elle utilisait ça à son avantage, comme en ce moment.
- Bien... J'ai rencontré Volodymyr, et il m'a dit que vous n'aviez pas prévu de vous rencontrer.
Il avait caché une grosse partie de la vérité, et ça s'est senti au ton de sa voix. Yulia l'avait cramé direct. Ça, puis la peur de se faire prendre, la fit passer par un état de colère :
- Tu me reproches de mentir, et qu'est-ce que t'es en train de faire là ?!
- Ne hausse pas le ton ! C'est moi qui pose les questions !, s'énerva également Yevhen.
- J'en ai marre, papa ! Ok ? Tu me mens sur ton passé et sur toi depuis que je suis née ! Tu es plutôt mal placé pour me faire des leçons de morale.
- Mal placé ? Je suis ton père !!
- Peut-être, mais tu sais quoi ? J'ai 21 ans ! J'ai un fiancé, que tu n'es même pas capable d'accepter par manque de maturité. D'ailleurs, je pense aller vivre chez lui !
Elle avait asséné cette information sans y penser, alors qu'elle avait échafaudé des tas de plans pour le lui apprendre subtilement. Cela eut le mérite de calmer Yevhen.
- Pardon ?
- Tu... Tu as bien entendu !, assura Yulia d'une voix pourtant tremblante.
- Tu m'abandonnes c'est ça ?
- Mais arrête de dire n'importe quoi ! Tu extrapoles toujours tout... Je vais juste emménager avec mon fiancé, ce qui est une chose normale à mon âge. Je te rappelle qu'à mon âge tu avais déjà eu un enfant !
- Et bien dégage ! Va voir ton délinquant de copain !
L'insinuation sur Volodymyr fit redémarrer Yulia au quart de tour :
- Tu es pas possible ! Je m'en vais, je ne veux pas en entendre plus.
- C'est ça...
Yulia prit son manteau, son sac à main, et partit sans lancer un regard à son père. La porte claqua, avec Yulia derrière. Yevhen était de nouveau seul. La colère tombait petit à petit, et il se rendit compte de ce qui venait de se passer : il venait de se disputer lourdement avec sa fille. Ils n'avaient jamais eu d'engueulade aussi forte. La tristesse se propagea rapidement dans chaque parcelle de son esprit et des larmes commencèrent à rouler sur sa joue.
- Yulia..., murmura-t-il.
Il s'en voulait. Il avait sûrement dépassé les bornes. Il savait qu'il était en tort.
Yevhen s'allongea sur le canapé, fixa le plafond.
Puis se mit à pleurer.
* * *
En l'absence de Votchyeva, Roman avait pris le contrôle du commissariat d'une façon presque naturelle. Il avait pris tous les appels que Votchyevka recevait. La plupart de ces coups de fil étaient de la part des brigadiers chargés de quadriller la région pour retrouver Nikolai, qui venaient en quête de nouvelles instructions.
Après la fin des interrogatoires de Youri et de Pietro, qui avaient finalement accouchés d'une souris, il avait longuement discuté avec Bogdan, le gardien des cellules. Ils avaient ri de bon cœur, et cela avait mis de bonne humeur dans son quotidien miné depuis quelques jours par les problèmes. Ensuite, il revint à son bureau, et se contenta de répondre au téléphone tout en jouant au Démineur sur son ordinateur.
Il était bientôt 23 heures et commençait à s'ennuyer ferme. Il n'avait pas prévu de rester aussi longtemps au bureau, mais par les temps qui courent il préférait rester au poste pendant l'absence de son supérieur.
- Il y a une mine ici, fit une voix derrière lui.
Roman sursauta violemment et se retourna en hâte. Votchyevka l'observait avec un air mi-exaspéré, mi amusé.
- Chef ! Vous êtes de retour ! Je... Je participais à une simulation de déminage, vous savez si un fou envisage de poser une bom...
- Vous êtes viré.
Devant l'expression figé et apeuré du major Szarszus, Votchyevka partit cette fois dans un vrai fou rire. C'était vraiment la première fois que Roman le voyait rire.
- Alors Szarszus ? Vous croyiez avoir le monopole de la blague pourrie ici ?, hoqueta-t-il entre deux crises de rire.
- Très drôle, commenta un Roman très soulagé, je ne savais pas que vous étiez doté d'humeur.
- Je suppose que mon jour de repos m'a été bénéfique. Blague à part, je voulais vous remercier de m'avoir remplacé aujourd'hui, et d'avoir fait des heures supplémentaires.
- Ce n'est rien.
- Il n'empêche que j'ai eu de la chance qu'il n'y ait pas eu de meurtre aujourd'hui, sinon mon absence aurait fait jaser notre cher maire.
Il y eut un silence jusqu'à ce que Votchyevka reprit :
- Je suppose que nos barrages n'ont rien donné ?
- Oui... Nikolai est toujours introuvable.
- Nygmenko n'a pas appelé ?
Roman fit « non » de la tête. Soudain, le téléphone sonna. Instinctivement, Roman tendit son bras. Votchyevka l'arrêta :
- Laissez, je suis revenu, je le prends.
Et il décrocha.
- Commissariat de Kiev, ici le commissaire Votchyevka.
- Allo ? Oui, je m'appelle Sergy Petrov, je suis le voisin de Nikolai et d'Olga Hotchenko. C'était pour vous informer que la lumière s'est allumée à l'instant chez eux. C'est peut-être un de vos hommes, mais on n'est jamais trop prudent.
Aussitôt Votchyevka tourna la tête vers son major :
- Szarszus, vous avez envoyé quelqu'un à la maison de Nikolai ?
- Bah non, répondit Roman en haussant les épaules.
- Tu es sûr ?
- Je vous ai dit que non !
Le cœur du commissaire s'accéléra :
- Quelqu'un est entré par effraction, s'emballa-t-il, avez-vous aperçu l'individu ?, demanda-t-il ensuite à Sergy.
- Non.. Ah, je viens de l'apercevoir rapidement par la fenêtre du salon. Je... Je crois que c'est Nikolai ! C'est Nikolai !
Les yeux de Votchyevka s'agrandirent sous la surprise. Il sentit l'adrénaline monter.
- Merci, on arrive !
Il balança le téléphone à terre au lieu de raccrocher puis prit Roman par le bras. Ils sortirent du commissariat et entrèrent dans la première voiture de police garée qu'ils rencontrèrent. Votchyevka était au volant. Roman demanda :
- Que se passe-t-il, chef ?
- Nikolai.
- Nikol... Ne me dites pas qu'il est revenu à son domicile ?!
- Il semblerait. Je ne sais pas comment il a pu déjouer les barrages et les patrouilles, mais on va le choper.
Il démarra en trombe et roula bien au-dessus de la vitesse autorisée. Ils atteignirent la maison de Nikolai en moins de cinq minutes. Votchyevka ne prit pas la peine de garer convenablement la voiture et sortit de celle-ci avant même qu'elle ne fut à l'arrêt. Roman lui emboîta le pas.
Le commissaire sortit son revolver, imité par son major. Il fit signe à Roman de le suivre silencieusement. A pas prudents, il s'approcha de la porte d'entrée, qui était resté entrouverte. Il l'ouvrit puis entra dans l'entrée, toujours à pas feutrés.
Il constata que seule la lumière du salon était allumée. Il tendit l'oreille mais aucun son ne lui parvint. Roman se contentait de suivre son supérieur.
Votchyevka se dirigea vers le salon, pointant son arme bien haut et bien devant lui. Il pénétra dans le salon. Il s'immobilisa soudainement, Roman manqua de lui rentrer dedans.
- Mon dieu..., murmura Votchyevka.
Roman ne voyait toujours pas ce qui avait tétaniser son commissaire, il contourna ce dernier et vit.
Sasha. Sasha, le fils de Nikolai. Une corde encerclait son cou, ses pieds ne touchaient pas le sol.
Il s'était pendu.
Le réveil sonna à 8 heures du matin. Le bruit réveilla Yevhen brusquement. Le policier se redressa à contrecœur sur son lit, puis se massa le front. Il se sentait lessivé. Il essayait de se remémorer ce qu'il avait fait la nuit dernière, mais rien ne vint à son esprit. Il avait un black-out total.
Il se leva, puis fit quelques pas quand son pied nu marcha sur un bout de plastique. Yevhen s'accroupit et le récupéra. Soudain, plusieurs bribes de mémoires lui revinrent tels des flashs lumineux. Il y vit Lilya, le restaurant, les toilettes, son malaise et... Zlata. Il se rappelait maintenant toute la tristesse qui l'avait envahi la veille. Puis ses yeux se posèrent sur le sachet en plastique qu'il tenait entre ses doigts. La drogue. C'était le sachet de drogue qu'il avait confisqué à Volodymyr. Mais... Il était désormais vide.
- Oh putain.
Un vent de panique s'empara de lui. Il fonça vers la salle de bains et s'examiner devant le miroir : ses yeux étaient éclatés.
- Putain de merde, murmura-t-il.
Il se prit la tête dans ses mains. Qu'avait-il fait ? Il se souvenait maintenant d'avoir ouvert le sachet et d'avoir consommé tout son contenu. Il s'en voulait terriblement. Il avait flanché. Il était dans un état de faiblesse et était retombé dans ses travers.
Il s'habilla convenablement puis se rendit dans le salon. Sa fille n'était pas là. Il se demandait quoi quand il se souvint qu'elle dormait chez son fiancé. Ou alors elle avait encore menti, après tout elle l'avait déjà fait.
Yevhen pensait que sa relation avec sa fille se détériorait depuis quelques jours, et que cela lui faisait déjà pas mal de problèmes. Il sentait tout cela comme un gros poids sur ses épaules. Et il ne savait pas jusqu'à quand il pourrait le supporter. Il avait déjà fléchi hier en retombant dans ses problèmes de drogue.
Il sortit de son appartement, prit sa voiture et se rendit jusqu'au commissariat. Contrairement à son habitude depuis vingt ans, il ne prit pas de détour et passa volontairement devant l'orphelinat où Zlata logeait à l'époque. Il ralentit et contempla la devanture austère du bâtiment mais qui avait signifié tellement de joie pour lui.
Dans un état second, plongé dans une nostalgie qui ne lui apportait qu'un bien superficiel, il se gara puis rentra dans le commissariat. Il ne vit pas Votchyevka, ce qui était une bonne nouvelle car il était légèrement retard. Et il n'aurait pas supporté une remarque de son grincheux de supérieur.
Roman était là, lui. Sans même lui accorder un regard, de peur qu'il ne voit ses yeux rougeâtres, il fonça sur le siège de son bureau et s'y assit, tête baissée.
Son ami remarqua son étrange comportement et s'inquiéta :
- Vieux, ça va ?
- Hein ? Oui, oui, ne t'inquiète pas.
Roman regarda Yevhen avec des yeux étonnés. Il était au contraire très inquiet. Il connaissait Yevhen et savait quand il se refermait sur lui-même. Bien déterminé à briser sa carapace, Roman commença :
- J'ai croisé Lilya, tout à l'heure.
- Ah bon ? Elle va bien ?
- Elle avait l'air... Elle avait l'air déprimée et inquiète. Elle m'a aussi dit que vous aviez été au restaurant hier soir.
- Oui, c'est vrai. Et alors ?
- Et alors vu vos deux mines de déterrées je suppose que cela s'est mal passé. Raconte.
Yevhen, toujours la tête orientée vers le bas pour cacher ses yeux, répondit :
- Ça n'a pas accroché, c'est tout.
- Pas accroché ?
- Je ne suis pas la personne qu'il lui fait. T'es satisfait ? J'ai essayé Roman.
Le ton assez agressif qu'avait employé Yevhen se transforma peu à peu en un ton assez triste. Roman aperçut alors une larme couler sur la joue de son ami.
- J'ai essayé. J'ai vraiment essayé, je suis désolé.
- Écoute Yevhen, je voulais vraiment que tu sortes avec elle, mais si accroche pas c'est pas grave, hein. Te mets pas dans des états pareils.
- Je suis désolé, répéta Yevhen.
Oubliant ses yeux, il leva la tête et regarda son partenaire. Ce dernier ouvrit des grands yeux et son attitude changea.
- Bordel Yevhen !!, rugit-il dans un cri de rage qu'il essayait d'étouffer pour ne pas alerter les policiers du commissariat.
Roman se leva, contourna les deux bureaux puis empoigna Yevhen par l'avant-bras. Il l'emmena de force jusque dans un couloir désert, à l'abri des regards et oreilles indiscrets. Yevhen avait rarement vu Roman autant énervé. Celui-ci le plaqua même contre le mur.
- Qu'est-ce qui t'as pris ?
- Mais de quoi tu parles ?
- Ne joue pas l'innocent ! Tes yeux sont explosés ! Tu as repris de la drogue, Yevhen !! Bon sang !
Roman était bouleversé. Cela fit mal au cœur déjà bien surchargé de Yevhen. Voir son ami s'impliquait autant dans sa vie alors qu'il ne faisait que le décevoir et se refermer sur lui-même. Yevhen se dit alors qu'il lui devait quelques explications :
- Je... Je suis désolé. J'ai été faible...
- Mais pourquoi ? Pourquoi ? Tu avais surmonté ce problème, depuis bien longtemps.
- Zlata... Lilya m'a emmené au restaurant où elle et m...
- Le « Pervark », comprit Roman.
- Je me suis rappelé de tout, de toutes mes pensées la concernant que j'avais enfoui au plus profond de mon être. C'était trop. Ça, puis Yulia qui me ment, puis Volodymyr, puis les meurtres... J'ai pas pu supporter.
- Et moi qui n'était pas là, se maudit Roman en se frappant sur le sommet du crâne.
- Ne dis pas de bêtises, tu étais à Kharkiv avec Votchyevka. Ne te rejette pas la faute.
- Écoute Yevhen. Tout va s'arranger, ok ? Je suis là pour toi. Promets-moi de ne plus toucher à cette saloperie.
- Je te le promets. Je m'en veux.
- Bien, fut soulagé Roman qui sentait son ami sincère, maintenant rentre chez toi.
- Quoi ? Mais non, je ne p...
- Yevhen ! Tu prends Votchyevka pour un abruti ? Il va voir tes yeux, et saura de suite de quoi il en retourne. Je te rappelle que tu as failli être viré la dernière fois. Tu veux perdre ton job ?
La pensée de perdre son travail, qui constituait toute sa vie, raisonna Yevhen. Il acquiesça, signe de son abdication.
- C'est d'accord... Mais que diras-tu à Votchyevka ?
- Ça, je m'en occupe. Maintenant file, repose-toi et vide ton esprit, lui ordonna Roman.
Yevhen hocha la tête, il allait se retourner mais il fit volte-face et prit Roman dans ses bras. Si quelqu'un avait assisté à cette scène, il aurait jugé cela très peu viril. Mais cela témoignait la profonde et sincère amitié qu'entretenaient ces deux hommes.
- Merci, Roman.
- Tu te rappelles ce que je t'ai dit juste après qu'on nous a mis ensemble ?
- Oui. « Salut, partenaire. Pour toujours j'espère ».
- Voilà. Et bien en tant que partenaire éternel, je me dois d'être là pour toi.
Yevhen eut un faible sourire, puis il se retira. Roman s'esclaffa puis lui dit :
- Maintenant dégage avant que Votchyevka ne ramène ses fesses !
Yevhen s'exécuta. Roman le vit s'éloigner puis disparaître de son champ de vision. Il soupira. Il était vraiment énervé quand il avait appris que Yevhen avait consommé de la drogue de nouveau. Un énervement imprégné d'inquiétude.
Puis il constata la tristesse qui rongeait Yehven. Il s'était replongé dans les souvenirs qu'il avait de Zlata. Comment aurait-il pu continuer à lui en vouloir ? Il avait traversé tellement d'épreuves très difficiles. Il avait besoin de soutien.
Il se résigna finalement à revenir à son bureau. Comme d'habitude depuis que le premier meurtre s'était produit, le hall était vide, quasiment tous les bureaux étant inoccupées. Il n'y avait plus que quelques policiers ici et là qui passaient en coup de vent.
Roman trouvait quand même qu'il y avait encore moins de monde que d'habitude. Il y avait-il eu un nouveau meurtre ? Non, impossible, Votchyevka l'aurait appelé.
A peine eut-il pensé à son commissaire que ce dernier rentra précipitamment dans le commissariat. La mine soucieuse et encore plus grincheuse que d'ordinaire, le commissaire Andriy Votchyevka se dirigea vers Roman.
- Où est Chevakova ?, demanda-t-il abruptement.
- Oh, Yevhen... Il est malade, il s'excuse de ne pas pouvoir venir. Il est resté chez lui pour récupérer. Il sait que en ce moment, ce n'est...
- Ce n'est pas grave.
- … pas le temps... Pardon ?
- J'ai dit que ce n'était pas grave, répéta Votchyevka en levant les sourcils.
- Attendez, j'ai préparé dans ma tête un long discours pour pas que Yevhen se fasse réprimander, et vous abdiquez si facilement ?
- Je n'ai pas la tête à ça, fit Votchyevka en haussant les épaules, puis que veux-tu qu'on fasse ? Nikolai est introuvable. Je viens d'assigner d'autres brigadiers pour renforcer les barrages et le quadrillage de la zone kievoise.
Roman comprenait maintenant pourquoi il lui semblait qu'il y avait moins de monde au commissariat.
- Mais c'est tout ce que je peux faire !, se lamenta Votchyevka, nous n'avons aucune piste. Les empreintes, la mafia, Nikolai dealer puis meurtrier, le deuxième enlèvement et meurtre, les affaires de Kharkiv...
- Chef, rien n'indique que les meurtres à Kharkiv soient directement liés à ceux de Kiev, intervint Roman.
- Mon instinct me le crie. Et crois-moi, si y'a bien un truc sur lequel je peux faire confiance, c'est mon instinct. Bref, cette affaire n'a ni queue ni tête. Nygmenko et son équipe de soi-disant génies ne trouvent aucune piste valable, même avec les cadavres de Kharkiv. Nous sommes impuissants. Je n'ai jamais eu une enquête aussi improbable de toute ma vie...
- Je..., commença Roman.
Puis il se tut, un peu pris au dépourvu. Ce n'était pas le genre de Votchyevka de s'ouvrir et de parler autant, lui qui se contentait de mots grommelés que ses interlocuteurs devaient ensuite rassembler pour former une phrase correcte.
Votchyevka s'assit sur le siège vacant du bureau de Yevhen, puis plaqua sa tête contre le bureau. Les pensées de Roman s'interrompirent quand il entendit son supérieur sangloter. Oui, Votchyevka pleurait.
- Euh... Chef... Dites-moi, depuis combien de temps n'avez-vous pas dormi ?
- J'ai dormi deux heures cette nuit, ça compte ?
Roman cerna de suite le problème. Son commissaire était à bout de forces, il perdait un peu la boule, à cause de la fatigue.
- Vous devriez rentrer chez vous, pour dormir.
- Quoi ?! Vous avez perdu la tête Szarszus ? Avec ce qui se passe en ce moment ?
- Vous venez de dire que l'on ne pouvait rien faire, tiqua Roman désormais un poil agacé, déjà que vous êtes impuissants, pas le peine d'être crevé en prime. Soyez raisonnables.
Votchyevka se redressa, sécha une larme puis dit :
- Je suppose que vous avez raison. Je laisse mon portable allumé, appelez-moi en cas d'urgences.
- Voilà qui est sage, chef.
Votchyevka se leva, se dirigea vers la grande double-porte qui servait d'entrée, puis il se retourna :
- Oh, et Szarszus ?
- Oui, chef ?
- Pas un mot sur ce que vous venez de voir de moi, compris ?
- Cela ne m'a jamais traversé l'esprit, chef.
Ne sachant pas s'il était sincère ou non, Votchyevka quitta le commissariat. Il laissait un Roman qui se demandait de quelle manière il allait avouer à tous ses collègues qu'il venait de voir le dur, le rugueux Votchyevka pleurer toutes les larmes de son corps.
Sourire au visage rien que d'y penser, ses yeux firent le tour du grand hall. Il était désert. Cela lui mit un gros coup de cafard. Les choses avaient bien changé depuis que ce bordel avait éclaté. Il lui semblait d'ailleurs que ça s'empirait. Yevhen dépérissait à vue d’œil, Yulia était devenue mystérieuse et s'était mis en tête de déterrer tout le passé de son père, le commissariat perdait de sa bonne atmosphère qu'il aimait tant ambiancé, et même Votchyevka se mettait à pleurer.
Il perdit soudain tout envie de rire ou même de sourire.
Instinctivement, il prit la télécommande et alluma la grande télévision murale qui ornait le mur du fond. Il mit la première chaîne d'informations ukrainienne. Il ne fut pas surpris de se retrouver devant un portrait de Nikolai. Son signalement était diffusé dans tout le pays.
Quelques minutes plus tard, la grande porte d'entrée s'ouvrit. Il vit Lilya, le major Den Ilchyuk et quatre brigadiers entrer. Lilya et Den balayèrent la salle du regard, puis marchèrent dans sa direction.
- Roman, où est Votchyevka ?, demanda Den.
- Il est chez lui, il pionce.
- Écoute, vieux, j'adore tes blagues d'habitude, mais c'est urgent et..
- C'était pas une vanne, il est vraiment en train de se reposer chez lui.
- Votchyevka ? Se reposer ?, bloqua Den.
- Il n'a pas beaucoup dormi ces derniers temps, expliqua Roman.
- Tant pis, soupira Lilya.
- C'est pour quoi ? Je peux toujours l'appeler et lui dire de rappliquer.
- Laisse tomber, fit Den, on va le laisser, il l'a bien mérité. On va se débrouiller. On revient de la planque de Youri.
- On a retrouvé plein d'armes et d'objets divers illégaux, enchaîna Lilya.
- Cet après-midi auront lieu les interrogatoires de Youri et de Pietro. J'aurais espéré que Votchyevka puisse m'assister. Tant pis.
Den indiqua aux quatre brigadiers de l'accompagner. Ils descendirent les escaliers qui menaient aux cellules et où se trouvaient Pietro et Youri. Lilya quant à elle n'avait pas bougé d'un pouce et faisait toujours face à Roman.
- Où est Yevhen ?, demanda-t-elle.
- Il est malade, il est resté chez lui.
- Ah... Tu lui souhaiteras bon rétablissement de ma part. Et dis lui aussi que je ne lui en veux pas pour hier soir. Je comprends mieux son malaise, s'il était malade. Il n'a pas à s'en faire.
- Son malaise ? Il a fait un malaise ?
- Oui. Pourquoi ?
- Rien, rien. Tu ferais mieux de rejoindre Den.
Lilya acquiesça puis descendit aux cellules à son tour.
Roman recommença à s'inquiéter pour Yevhen. Il n'avait jamais fait une crise d'angoisse qui avait mené à un malaise auparavant.
* * *
L'après-midi était déjà bien entamé tandis que le soleil amorçait sa descente dans le ciel, disparaissant derrière un nuage. Le commissariat était bien plus animé que ce matin. Et pour cause, les interrogatoires sur l'affaire du meurtre de la femme de Pietro allaient commencer sans plus attarder. Pietro accusait son fils du meurtre, et tout le monde attendait la version de ce dernier, Youri.
Roman, qui s'ennuyait fermement, rejoignit Lilya et plusieurs brigadiers dans la petite salle qui collait à la pièce d'interrogatoire. Ils apercevaient, et ce grâce à la glace sans tain, Pietro et Den assis face à face. La salle d'interrogatoire était petite, et n'avait que pour seul mobilier une table et deux chaises. Elle n'était éclairée que par une ampoule défectueuse au plafond, ce qui donnait une atmosphère pesante et étouffante, digne des grands films policiers. Pietro était menotté à sa chaise.
- Allons-y, Pietro, donnez-moi votre version des faits, le somma le major Den Ilchyuk.
- Je vous l'ai déjà répété des centaines de fois. Je suis resté travailler jusque très tard le soir, en toute légalité bien entendu, puis lorsque je suis rentré, j'ai retrouvé ma femme poignardée à plusieurs reprises dans le dos. Son cadavre gisait par terre. C'est une vision horrible que je garderai toute ma vie... Sur la table basse qui se trouvait près du corps, j'ai retrouvé un mot de Youri. Il y disait qu'ils s'étaient disputés et qu'il s'était emporté. Il disait être désolé. Lui pardonner sera difficile, mais j'ai pris la décision de ne pas le dévoiler à la police et de le protéger en cachant le corps. Je le reconnais et je m'en excuse.
- Où est le papier que Youri vous a laissé ?
- Ce n'est pas le genre de truc que l'on garde en souvenir.., rétorqua Pietro.
« Comme c'est pratique », pensa Roman qui ne perdait pas une miette de la scène qui se déroulait devant ses yeux à travers le miroir.
- Et vous avez un alibi ? Le meurtre aurait été perpétré vers vingt heures.
- Je vous l'ai dit, j'étais en train de bosser.
- Au sous-sol de « L'Ukrainien Volant », j'imagine ?
- Oui. Demandez à mes collègues, vous verrez.
- Le problème, Pietro, c'est que vos « collègues » sont tous officieusement des criminels et sont de mèche avec vous. Leur parole n'a que peu de valeur.
- Et la mienne de parole, elle n'a pas de valeur ? Je vous dis que j'étais à « L'Ukrainien Volant » !
- Ca suffit pour le moment. Bogdan, emmène-le, puis ramène-moi Youri.
Bogdan, qui était le garde des cellules, rentra dans la salle d'interrogatoire puis emmena Pietro avec lui. Dans le même temps, Den sortit aussi et rejoignit Roman et Lilya.
- Alors ?, leur demanda-t-il.
- Je ne suis pas fan de son attitude d'ange irréprochable, commenta Roman en fronçant les sourcils.
- Il en fait trop, l'appuya Lilya en hochant la tête.
- C'est aussi mon avis, soupira Den, mais son histoire n'est pas impossible. On verra comment cela se passe avec Youri. D'ailleurs avant qu'il arrive je vais aller me faire un café, ajouta-t-il en se dirigeant vers la machine à café.
Quand Den fut éloigné d'eux, Lilya demanda à Roman :
- Yevhen va mieux ?
- Oui, mentit Roman, il est résistant. Demain il reviendra tout frais !
- Ok ok...
- Sviatoslav va bien ?, questionna Roman.
- Oui, son malaise n'était pas grave. Il est toujours à l'hôpital cependant.
- Je vois.
Roman sentit la gêne qu'il y avait entre lui et la jeune femme. Il sentait qu'elle ne l'appréciait pas pleinement et qu'elle lui adressait la parole plus pour son amitié avec Yevhen que pour lui-même.
Bogdan entra dans la salle d'interrogatoire, Youri à sa suite. Il le menotta à la chaise comme son père auparavant puis quitta la salle. Den but une gorgée de son café puis rejoignit Youri. Il s'assit en face de lui. Roman, Lilya et les quatre autres policiers fixaient la scène avec attention.
- Bien, Youri, où étais-tu le 10 Avril aux alentours de vingt heures ?
- J'étais chez mon pote Alexy. Il pourra vous le confirmer.
- Ton père maintient que tu es celui qui a tué Elena.
- Enfin, je ne vais pas tuer ma propre mère ! C'est insensé !
- Je ne traite pas de menteur, mais alors pourquoi s'être caché de la police ? C'est une attitude de coupable.
- De quoi ? Je n'étais pas du tout au courant de la mort de ma mère ! Je ne l'ai appris qu'hier lorsque je me suis rendu à « L'Ukrainien volant », quelques heures avant que vous ne vous introduisiez chez mon pote.
- Attends, tu n'étais pas au courant ? Cela passait en bouche à la télé et à la radio, aux infos !
- Est-ce que j'ai une tête à écouter les infos ? Je ne savais pas que j'étais recherché par la police.
- Très bien, admit Den, donc ton père serait le meurtrier ?
- Je ne l'accuse pas, je n'en ai aucune idée. Il a juste menti, peut-être pour me faire porter le chapeau.
Den ferma les yeux quelques secondes. Il ne voyait pas le bout de cette affaire. Les deux hommes se dédouanaient chacun du meurtre d'Elena, tout en prenant soin d'avoir des alibis invérifiables.
- Tu peux le ramener en cellule, Bogdan.
Puis il se leva et quitta la salle.
- Tout cela n'a rien donné, grogna Den en rejoignant Roman et Lilya.
- En effet, fit Lilya, quelque peu déçue.
- Qu'en penses-tu Roman ?
- Ils se protègent. Ils disent tous les deux être innocents et se contentent de fausses déclarations pour brouiller les pistes et coincer notre enquête. Aucune de leur histoire n'est vérifiable. Pour le coup, il faudra espérer que l'examen du corps d'Elena donne quelque chose.
- Cela fait depuis hier qu'ils sont dessus, et ils n'ont toujours rien trouvé, intervint Lilya.
- Ça, c'est parce que Nygmenko ne s'en est pas encore occupé personnellement.
Den Ilchyuk acquiesça :
- Il est trop occupé par votre affaire.
Il marqua une pause puis reprit :
- Avec du recul, je regrette que Votchyevka ne se soit pas occupé des interrogatoires. Quelque chose me dit que cela se serait passé différemment...
* * *
Yulia aurait bien aimé continuer son enquête sur sa mère et le passé de son père, mais Volodymyr l'avait invité à passer chez lui après qu'elle ait fini sa journée de boulot. Comme cela faisait pas mal de temps qu'ils n'avaient pas eu de moment seuls en tête à tête, elle accepta, sans oublier son enquête pour autant.
Elle arriva devant l'immeuble réservé aux logements sociaux à bas prix, et où habitait son fiancé. Elle y entra et frappa à la porte de l'appartement de Volodymyr. Ce dernier lui ouvrit, et son visage s'illumina :
- Yulia !
- Salut, le salua Yulia en l'embrassant tendrement.
- Ça a été ta journée ?
- Comme d'habitude, et toi ?
- Eh bien... J'ai un truc à te dire. Viens.
Il l'emmena dans le salon et la fit s'asseoir sur le canapé. L'appartement était très petit. Il n'y avait que trois pièces des plus sommaires : chambre, salle de bains et salon. De plus, le manque de mobilier compte tenu du mode de vie de Volodymyr rendait le tout encore plus austère et peu accueillant. Yulia n'en prenait compte, elle trouvait juste géniale que Volodymyr ait un appartement pour lui, elle pensait que ça le rendait plus responsable.
Volodymyr se mordait la lèvre. Pas par peur de la réaction de Yulia. Au contraire, il allait lui annoncer une chose positive qui allait la faire sauter de joie à coup sûr. Non, c'est juste que c'est qu'il s'apprêtait à dire ne l'enchantait guère, mais il n'avait pas le choix.
En effet, la mafia de Kiev ne voulait plus travailler avec lui depuis que son abruti de beau-père lui était tombé dessus. Erik et Mark, les nouveaux chefs en place, avaient peur des risques que son lien avec Yevhen pouvait causer. Ils l'avaient viré. Cela l'avait mis dans l'embarras. En effet, l'argent qu'il percevait en jouant les dealers constituait son seul revenu, en plus des aides sociales. Si l'argent de ces aides pouvait suffire à payer son loyer, l'argent de la drogue lui permettait de vivre normalement et de pouvoir se permettre des excès, sans que Yulia ne le sache, évidemment.
Il avait alors tenté de mettre en place son propre réseau de drogue, mais eut vite abandonné. Aucun fournisseur ne voulait s'associer avec lui, de peur de se mettre à dos la mafia kievoise. Volodymyr reconnu qu'il avait eut une idée en l'air en plus d'inconsciente, il ne vit alors qu'une seule solution.
- Qu'est-ce qu'il y a, alors ?, demanda Yulia un peu inquiète.
- Voilà... J'ai bien réfléchi. Je me sens plus responsable, je me sens donc prêt à... à travailler.
- Sérieux ? Mais Volodymyr c'est merveilleux !, se réjouit Yulia en sautant au cou de son chéri.
- Tu pourrais me donner un coup de pouce ?
- Je peux m'arranger, lui sourit Yulia, je suis si fière ! Tu as tellement su remonter la pente depuis que je t'ai rencontré. Rappelle-toi, tu dealais de la drogue et tu passais tes journées en prison ! Je suis fière de ton parcours !
Elle l'embrassa. Volodymyr n'en revint pas : il allait avoir un travail. Il savait que Yulia avait un truc en réserve à lui confier. Il demanda ensuite à sa petite amie :
- Et tu sais ce que ça signifie ?
- Non, à quoi tu penses ?
- Tu m'avais dit que l'on emménagerait ensemble à condition que j'ai un travail.
Il affichait un grand sourire qui s'estompa quelque peu quand il vit Yulia la mine déconfite.
- Oh.. Je disais ça pour rire.
- Tu avais l'air assez sérieuse, insista Volodymyr.
- Bah...
- Je sais ce qu'il y a. Ton père. J'ai raison ?
Il prit le silence gênée de Yulia pour un « oui ». Il s'énerva :
- Je n'y crois pas ! Il se met toujours en travers de notre relation celui-là !!
- Sois indulgent Volodymyr ! Je suis si important à ses yeux, cela va lui faire de la peine.. Bien sûr que j'ai envie qu'on emménage à deux, mais je redoute de briser le cœur de papa.
Bien que sa haine pour Yevhen ne faisait que s'accroître, il sourit tout de même et tenta de réconforter Yulia :
- Oh, ma chérie... Je comprends... Mais tu ne fais que retarder l'échéance. Dis-lui le plus vite possible et ça ira.
- Je ne sais pas...
- S'il te plaît, la supplia Volodymyr en lui prenant les mains, j'en rêve tellement depuis quelques mois. Fais-le pour moi.
- Je... D'accord... Je suppose que tu as raison, j'ai juste peur de la réaction de mon père. Cela ne devrait pas bloquer notre vie de couple.
- Ne t'inquiète pas pour Yevhen. Il le prendra mal mais il s'en remettra.
- Je n'en suis pas sûre, chuchota Yulia en se mordant la lèvre inférieure.
* * *
Yulia chercha les clefs de l'appartement dans son sac à main, puis elle ouvrit la porte. Aucune lumière n'était allumée, et seule la télévision apportait un peu de clarté. Intriguée et un peu inquiète, elle avança jusque dans le salon et aperçut son père avachi dans le canapé.
Tout le long de la journée, Yevhen y était resté campé devant la télévision sans vraiment la regarder. Il était perdu dans ses pensées depuis le matin où Roman l'avait renvoyé chez lui. De plus, il avait prié pour que ses yeux redeviennent normaux quand sa fille rentrerait. Yulia n'avait jamais été au courant de sa consommation de drogue - elle était plus jeune et donc plus facile à berner -, et il voudrait éviter qu'elle découvre cette mauvaise habitude.
- Papa... Ça va ?
- Hein ? Oui.
La voix de sa fille l'avait sorti de sa torpeur. Il essaya de paraître naturel.
- Je suis juste un peu malade, continua-t-il, je ne suis pas allé au commissariat aujourd'hui. Et toi ?
- Je vais bien. Ca n'a pas dérangé ton absence au vu des actualités ?
- Rien n'avance, lui apprit Yevhen, Roman m'a envoyé un SMS pour me dire qu'il s'ennuyait au poste.
- C'est triste. Ces histoires de meurtre sont tellement horribles.
Yevhen hocha la tête et se félicita que sa fille crut à son histoire de maladie. Il profita du silence pour aborder un sujet qui lui tenait à cœur :
- Mais... Tu es sûre que ça va, ma chérie ?
- Oui, papa, pourquoi ?, s'étonna Yulia.
- Écoute, ça me dérange, je ne peux pas m'empêcher de te parler. Je sais que tu m'as menti.
- De quoi ?, ne comprit pas sa fille.
- Le soir où tu m'as dit être avec Volodymyr, mais je sais que tu n'étais pas avec lui.
Yulia comprit de suite qu'il parlait du soir où elle avait fait le tour des orphelinats pour retrouver la trace de sa mère. Cependant, un truc la faisait tiquer :
- Comment tu l'as su ?
- Je... Ne change pas de sujet !
- Comment tu l'as su ?, répéta-t-elle.
Elle connaissait son père aussi bien qu'il la connaissait, et elle savait qu'il n'avait jamais pu se montrer autoritaire. Elle avait toujours été clairement en position de force contre lui au cours des disputes. Elle avait toujours eu des regrets quand elle utilisait ça à son avantage, comme en ce moment.
- Bien... J'ai rencontré Volodymyr, et il m'a dit que vous n'aviez pas prévu de vous rencontrer.
Il avait caché une grosse partie de la vérité, et ça s'est senti au ton de sa voix. Yulia l'avait cramé direct. Ça, puis la peur de se faire prendre, la fit passer par un état de colère :
- Tu me reproches de mentir, et qu'est-ce que t'es en train de faire là ?!
- Ne hausse pas le ton ! C'est moi qui pose les questions !, s'énerva également Yevhen.
- J'en ai marre, papa ! Ok ? Tu me mens sur ton passé et sur toi depuis que je suis née ! Tu es plutôt mal placé pour me faire des leçons de morale.
- Mal placé ? Je suis ton père !!
- Peut-être, mais tu sais quoi ? J'ai 21 ans ! J'ai un fiancé, que tu n'es même pas capable d'accepter par manque de maturité. D'ailleurs, je pense aller vivre chez lui !
Elle avait asséné cette information sans y penser, alors qu'elle avait échafaudé des tas de plans pour le lui apprendre subtilement. Cela eut le mérite de calmer Yevhen.
- Pardon ?
- Tu... Tu as bien entendu !, assura Yulia d'une voix pourtant tremblante.
- Tu m'abandonnes c'est ça ?
- Mais arrête de dire n'importe quoi ! Tu extrapoles toujours tout... Je vais juste emménager avec mon fiancé, ce qui est une chose normale à mon âge. Je te rappelle qu'à mon âge tu avais déjà eu un enfant !
- Et bien dégage ! Va voir ton délinquant de copain !
L'insinuation sur Volodymyr fit redémarrer Yulia au quart de tour :
- Tu es pas possible ! Je m'en vais, je ne veux pas en entendre plus.
- C'est ça...
Yulia prit son manteau, son sac à main, et partit sans lancer un regard à son père. La porte claqua, avec Yulia derrière. Yevhen était de nouveau seul. La colère tombait petit à petit, et il se rendit compte de ce qui venait de se passer : il venait de se disputer lourdement avec sa fille. Ils n'avaient jamais eu d'engueulade aussi forte. La tristesse se propagea rapidement dans chaque parcelle de son esprit et des larmes commencèrent à rouler sur sa joue.
- Yulia..., murmura-t-il.
Il s'en voulait. Il avait sûrement dépassé les bornes. Il savait qu'il était en tort.
Yevhen s'allongea sur le canapé, fixa le plafond.
Puis se mit à pleurer.
* * *
En l'absence de Votchyeva, Roman avait pris le contrôle du commissariat d'une façon presque naturelle. Il avait pris tous les appels que Votchyevka recevait. La plupart de ces coups de fil étaient de la part des brigadiers chargés de quadriller la région pour retrouver Nikolai, qui venaient en quête de nouvelles instructions.
Après la fin des interrogatoires de Youri et de Pietro, qui avaient finalement accouchés d'une souris, il avait longuement discuté avec Bogdan, le gardien des cellules. Ils avaient ri de bon cœur, et cela avait mis de bonne humeur dans son quotidien miné depuis quelques jours par les problèmes. Ensuite, il revint à son bureau, et se contenta de répondre au téléphone tout en jouant au Démineur sur son ordinateur.
Il était bientôt 23 heures et commençait à s'ennuyer ferme. Il n'avait pas prévu de rester aussi longtemps au bureau, mais par les temps qui courent il préférait rester au poste pendant l'absence de son supérieur.
- Il y a une mine ici, fit une voix derrière lui.
Roman sursauta violemment et se retourna en hâte. Votchyevka l'observait avec un air mi-exaspéré, mi amusé.
- Chef ! Vous êtes de retour ! Je... Je participais à une simulation de déminage, vous savez si un fou envisage de poser une bom...
- Vous êtes viré.
Devant l'expression figé et apeuré du major Szarszus, Votchyevka partit cette fois dans un vrai fou rire. C'était vraiment la première fois que Roman le voyait rire.
- Alors Szarszus ? Vous croyiez avoir le monopole de la blague pourrie ici ?, hoqueta-t-il entre deux crises de rire.
- Très drôle, commenta un Roman très soulagé, je ne savais pas que vous étiez doté d'humeur.
- Je suppose que mon jour de repos m'a été bénéfique. Blague à part, je voulais vous remercier de m'avoir remplacé aujourd'hui, et d'avoir fait des heures supplémentaires.
- Ce n'est rien.
- Il n'empêche que j'ai eu de la chance qu'il n'y ait pas eu de meurtre aujourd'hui, sinon mon absence aurait fait jaser notre cher maire.
Il y eut un silence jusqu'à ce que Votchyevka reprit :
- Je suppose que nos barrages n'ont rien donné ?
- Oui... Nikolai est toujours introuvable.
- Nygmenko n'a pas appelé ?
Roman fit « non » de la tête. Soudain, le téléphone sonna. Instinctivement, Roman tendit son bras. Votchyevka l'arrêta :
- Laissez, je suis revenu, je le prends.
Et il décrocha.
- Commissariat de Kiev, ici le commissaire Votchyevka.
- Allo ? Oui, je m'appelle Sergy Petrov, je suis le voisin de Nikolai et d'Olga Hotchenko. C'était pour vous informer que la lumière s'est allumée à l'instant chez eux. C'est peut-être un de vos hommes, mais on n'est jamais trop prudent.
Aussitôt Votchyevka tourna la tête vers son major :
- Szarszus, vous avez envoyé quelqu'un à la maison de Nikolai ?
- Bah non, répondit Roman en haussant les épaules.
- Tu es sûr ?
- Je vous ai dit que non !
Le cœur du commissaire s'accéléra :
- Quelqu'un est entré par effraction, s'emballa-t-il, avez-vous aperçu l'individu ?, demanda-t-il ensuite à Sergy.
- Non.. Ah, je viens de l'apercevoir rapidement par la fenêtre du salon. Je... Je crois que c'est Nikolai ! C'est Nikolai !
Les yeux de Votchyevka s'agrandirent sous la surprise. Il sentit l'adrénaline monter.
- Merci, on arrive !
Il balança le téléphone à terre au lieu de raccrocher puis prit Roman par le bras. Ils sortirent du commissariat et entrèrent dans la première voiture de police garée qu'ils rencontrèrent. Votchyevka était au volant. Roman demanda :
- Que se passe-t-il, chef ?
- Nikolai.
- Nikol... Ne me dites pas qu'il est revenu à son domicile ?!
- Il semblerait. Je ne sais pas comment il a pu déjouer les barrages et les patrouilles, mais on va le choper.
Il démarra en trombe et roula bien au-dessus de la vitesse autorisée. Ils atteignirent la maison de Nikolai en moins de cinq minutes. Votchyevka ne prit pas la peine de garer convenablement la voiture et sortit de celle-ci avant même qu'elle ne fut à l'arrêt. Roman lui emboîta le pas.
Le commissaire sortit son revolver, imité par son major. Il fit signe à Roman de le suivre silencieusement. A pas prudents, il s'approcha de la porte d'entrée, qui était resté entrouverte. Il l'ouvrit puis entra dans l'entrée, toujours à pas feutrés.
Il constata que seule la lumière du salon était allumée. Il tendit l'oreille mais aucun son ne lui parvint. Roman se contentait de suivre son supérieur.
Votchyevka se dirigea vers le salon, pointant son arme bien haut et bien devant lui. Il pénétra dans le salon. Il s'immobilisa soudainement, Roman manqua de lui rentrer dedans.
- Mon dieu..., murmura Votchyevka.
Roman ne voyait toujours pas ce qui avait tétaniser son commissaire, il contourna ce dernier et vit.
Sasha. Sasha, le fils de Nikolai. Une corde encerclait son cou, ses pieds ne touchaient pas le sol.
Il s'était pendu.