Note de la fic :
Publié le 02/04/2015 à 16:24:06 par Absolenko
Chapitre 4 :
Yevhen se rendit rapidement jusqu'au commissariat. Une fois arrivé, il se gara puis entra sans plus attendre dans le gros hall commun. La pièce était nettement plus bondée que ce matin. Le soufflé était retombé depuis l'éclatement de l'affaire Nikolai. Plusieurs agents devaient être déjà retournés à leurs occupations quotidiennes ou planchaient sur d'autres affaires.
Il se fraya un chemin jusque son bureau. Roman était déjà assis devant son bureau assigné. Quand il aperçut son fidèle compagnon, il lui fit un signe de la main, tout sourire. C'est ça que Yevhen appréciait chez Roman, son naturel enthousiasme malgré l'atmosphère ambiante, contrastant avec son propre caractère plus renfermé et sombre. Toutefois, Roman savait être sérieux dans les moments opportuns, faisant ainsi un agréable et efficace coéquipier.
- Tu as bien mangé avec ta fille ?, lui demanda Roman aussitôt que son ami s'était assis.
Yevhen fut soulagé qu'il ne lui en voulait pas de l'avoir lâché ce midi, bien que le contraire l'aurait étonné.
- Tu parles, il y avait Volodymyr... Je ne peux plus le voir.
- Ouh... Mais ça a été ?
- Plus ou moins... Enfin, c'était pas si mal jusqu'à ce que Yulia m'apprenne qu'elle était fiancée à Volodymyr, et qu'elle lui avait donné la bague de ma mère.
- La bague de ta famille ?!
- Yep.
Roman fronça les sourcils puis fixa son coéquipier :
- Tu n'as pas l'air de mal le prendre.
- Détrompe-toi. Je suis juste sous le choc. Puis je n'ai pas le temps d'y penser. Nous avons une affaire sous les bras, rappelle-toi !
- La perquisition chez les mafieux n'a rien donné, tu sais..., lui apprit Roman.
- Sérieusement ?, s'étonna Yevhen, déçu, j'étais pourtant persuadé que Pietro cachait quelque chose.
Roman lâcha un petit rire sans joie :
- Ne t'inquiètes pas pour ça, il cachait effectivement quelque chose. Sa femme. Morte. Dans une malle.
- Il a fait... ça ?, bloqua Yevhen, dégoûté.
- Il accuse son fils. En attendant de mettre la main sur ce dernier, Votchyevka l'a placé dans nos cellules provisoires. Puis Votchyevka a donné l'affaire à d'autres. Il est toujours à 100% sur l'enlèvement de Nikolai.
- Je suis quand même surpris concernant Pietro. Je comprends désormais pourquoi il était tant nerveux et stressé.
- D'ailleurs, un conseil : ne va pas le voir. Il nous en veut à mort. Il ne pensait pas que l'on aurait appelé des renforts. Il croyait sans doute que ses dossiers sur nous deux nous en empêcheraient. Pas de chance, il a perdu son pari et résultat : son empire s'effondre. Même s'il dit la vérité, il a caché le meurtre de sa femme et devra purger une faible peine. A sa sortie, quelqu'un aura déjà repris le flambeau au sein de la mafia. Il est en rage. Là, il est calmé. Mais je t'assure qu'il y a quelques minutes on l'entendait crier d'ici...
Yevhen ne répondit pas. La colère de Pietro à son égard lui faisait ni chaud ni froid. En effet, c'était une réaction normale de criminel pris sur le fait et qui déversait donc leur rage sur les policiers. De plus, il avait le sentiment du devoir accompli. Peu de policiers auraient balancé la mafia en sachant que cette dernière pouvait balancer des dossiers à tout moment.
Son regard se posa alors sur Andriy Votchyevka. Le commissaire était debout au milieu du hall en train de discuter avec un homme mûr à la barbe de trois jours.
- Qui est-ce ?, demanda Yevhen en désignant du menton l'interlocuteur de Votchyevka.
- Le fils de Nikolai et d'Olga. Sasha, je crois. Votchyevka passe pas mal de temps avec lui. En ce moment, il doit sûrement lui apprendre l'implication de son père dans la mafia.
Roman avait vu juste. Aussitôt revenu de sa perquisition à « l'Ukrainien Volant », le commissaire avait contacté Sasha Hotchenko qui rappliqua immédiatement. Votchyevka n'avait cesse de ressasser comment annoncer à cet homme en deuil que son père s'était sali les mains avec la mafia locale.
- Commissaire, le salua Sasha en arrivant à sa hauteur.
- Mr. Hotchenko. Je vous ai appelés par rapport à l'enlèvement de votre père.
- Vous avez du nouveau sur l'identité de l'agresseur ?
- Euh... Pas tout à fait. Deux de mes majors ont fouillé le domicile de mes parents, et ont retrouvé de la drogue cachée dans des chaussettes. Étiez-vous au courant des agissements de votre père ?
La bouche de Sasha s'ouvrit mais aucun son n'en sortit. Il reprit rapidement ses esprit et bégaya :
- Non... Non, pas du tout ! Il doit y avoir une erreur... Mon père n'aurait jamais fait une chose pareille ! C'était un homme bon et honnête !
Alors qu'il était étonné dans un premier temps, Sasha commença par hausser le ton. Votchyevka craignait cette réaction.
- Certains hommes bons et honnêtes peuvent transgresser les lois. Calmez-vous. Je ne vous attaque ni vous ni votre père. Souvenez-vous, vous m'aviez dit ce matin que vos parents avaient des problèmes d'argent. Il a dû succomber à la tentation d'arrondir ses fins de mois en vendant de la drogue. Ou pire, la mafia a peut-être procédé au chantage pour s'assurer ses services. Tout est encore flou concernant votre père, je vous ai juste tenu au courant comme convenu.
- Mon père... Dealer de drogue ?, répéta Sasha Hotchenko, toujours un poil dubitatif.
Le commissaire tapota l'épaule de Sasha en guise d'encouragement, sentant qu'il n'y avait plus rien à dire. Il raccompagna le pauvre homme endeuillé jusque la sortie du commissariat. Ensuite, il se dirigea vers Yevhen et Roman qui s'arrêtèrent de parler lorsqu'ils virent leur supérieur arriver.
- Commissaire, le saluèrent-ils.
- Chevakova, Szarszus.
- Tout s'est bien passé avec le fils de Nikolai et d'Olga ?, demanda Yevhen.
Votchyevka approuva d'un hochement de tête.
- Il est un peu abasourdi par tout ce qui lui tombe sur la tête depuis ce matin. L'enlèvement de son père, le meurtre de sa mère... Je me serais bien passé de la carrière de dealer de son cher papa. Mais que voulez-vous, je n'allais pas lui mentir.
- Vous avez bien fait, chef.
- Maintenant refermons la parenthèse de la mafia, ordonna-t-il, cette piste pourtant intéressante au premier abord n'a rien donné, encore. Nous revoilà au point mort.
- Ce qui me chiffonne le plus, commenta Yevhen, c'est que plus les minutes défilent sans que nous avançons, plus je me dis qu'il y ait des chances pour que l'agression ait été perpétré par un fou... Un simple fou sans but et sans ligne directrice.
- Ce serait problématique..., fit Roman.
- Pas de précipitations, calma le commissaire, attendons encore avant de conclure qu'un nouvel Onoprienko se balade en ville.
Roman frissonna en songeant à cet homme tristement célèbre pour avoir décimer des dizaines de familles au fusil de chasse. Il ne s'était jamais remis du choc que les scènes de crime avaient provoqué en son être, gardant un dégoût viscéral des cadavres.
- J'ai envoyé Nygmenko et son équipe enquêter dans la propriété de Nikolai et d'Olga, continua Votchyevka, on ne pourra plus rien obtenir par de simples fouilles. J'espère que la science si chère à Edgar nous viendra en aide.
- Et nous ? Que faisons-nous pendant ce temps-là ?, questionna Roman.
- Vous reprenez vos habitudes. Si j'ai bonne mémoire, vous êtes encore de patrouille cette nuit.
Sur ces mots, le commissaire s'en alla, laissant un Yevhen plutôt déçu. Il espérait secrètement que leur patrouille soit annulée compte tenu de l'affaire actuelle, ce qui lui aurait permis de rentrer tôt et de passer un peu de temps avec Yulia.
De son côté, Roman afficha un grand sourire.
- Tu as l'air heureux de veiller cette nuit, dis donc..., remarqua Yevhen.
- Bien sûr ! J'ai entendu parler qu'un nouveau fast-food venait d'ouvrir dans notre zone. Il me tarde d'aller l'inaugurer !
- Je me disais aussi..., sourit Yevhen.
Roman allait répondre quand Lilya passa devant leur bureau et leur adressa un « boujour » des plus joyeux. La jeune femme continua sa route pour s'asseoir à son propre bureau, situé non loin du leur. Les deux compères restèrent un moment silencieux, mais Roman n'attendit pas bien longtemps avant de rebondir sur le passage de la policière.
- Le sourire qu'elle t'a fait mon gars !, fit-il.
- Tais-toi. Elle nous a souris à tous les deux.
- Certes. Mais elle t'a dévoré des yeux ! Et ose me dire qu'elle ne t'intéresse pas. Sérieusement.
Yevhen soupira devant l'insistance de son ami, il regarda la jeune femme de loin puis répondit à Roman surtout pour lui faire plaisir :
- Bah, elle est plutôt jolie...
- J'approuve. Sur l'échelle de Szarszus, elle vaut au moins un 7.
Yevhen éclata de rire. Il y avait longtemps que Roman ne lui avait pas ressorti la fameuse échelle qu'il avait inventé et qui portait son nom. Il s'en servait pour noter les femmes dans la rue, chose qu'il faisait énormément à l'époque où ils passaient la majeure partie de leur temps à patrouiller le jour.
- Va l'inviter à bouffer au restaurant.
- Un jour, peut-être...
- Maintenant.
- Maintenant ?!, s'exclama Yevhen, tu crois que c'est le moment ? On n'a pas le temps, nous sommes en pleine affaire majeure !
- On a toujours le temps d'aimer, répliqua Roman d'une voix qui se voulait poète.
- Même... Je ne pense pas être prêt. Admettons qu'elle accepte...
- Elle acceptera, assura Roman.
- J'ai dit admettons. Tu me connais. Je ne sais pas m'y prendre...
- Je te conseille par derrière.
- Mais ta gueule..., soupira Yevhen mi-exaspéré, mi-amusé.
- Son regard la trahit. Elle te veut ! Puis elle en vaut pas la peine. T'as vu ce corps qu'elle a ? Au lit tu devrais te faire plais... Oh, salut Lilya !
Roman s'arrêta à temps lorsqu'il aperçut Lilya qui s'était dirigé vers eux. Alerté par son camarade, Yevhen se tourna vers la jeune femme. Elle se tenait près de lui mais s'adressa aux deux :
- Vous voulez un café ? Je vais au distributeur, je vous en apporte ?
- Oh, merci. Pourquoi pas ? Un expresso pour moi, s'il te plaît, répondit Roman.
- Ca marche, et toi Yevhen ?
- Euh...
Roman ne put s'empêcher d'afficher un grand sourire devant la scène qui se déroulait sous ses yeux. L'intérêt que portait Lilya sur son coéquipier était tellement évident... Elle s'était levé pour leur proposer un café, était plus proche de Yevhen que de lui, et surtout elle ne regardait que lui. Voyant que son ami perdait ses moyens, il eut peur qu'il laisse passer l'occasion. Il décida alors de passer à l'action. Il frappa assez violemment le tibia de Yevhen à l'abri des regards, sous le bureau, puis déclara :
- Tu abuses Yevhen, tu fais attendre la jeune demoiselle. Accompagne-la au pire, tu choisiras là-bas.
- Euh... Oui, je vais faire ça. Ça te dérange pas ?, demanda Yevhen à l'adresse de Lilya.
- Pas du tout, sourit la jeune femme.
Il se leva puis emboîta le pas à sa collègue. Il retourna subtilement la tête pour adresser un regard noir à son ami. Roman lui adressa le même genre de regard en guise de réplique. Un regard qui signifiait : « Invite-la au resto, sinon je t'égorge ».
Yevhen inspira et expira profondément pour ne pas tomber dans le stress qui lui nouerait la gorge. Lui et Lilya arrivèrent au distributeur. La jeune femme se prit un cappuccino puis un expresso pour Roman. N'ayant même pas envie d'un café, Yevhen appuya sur un bouton au hasard. Durant la préparation, Yevhen tenta d'engager la conversation :
- Euh... Alors, le travail ? Ça va ?
- Je viens d'être affecté à l'affaire de Pietro et du meurtre de sa femme, répondit-elle avec entrain, j'ai cru comprendre que tu y étais lié ?
- Disons que Roman et moi avons découvert la victime alors que l'on enquêtait sur l'enlèvement de Nikolai. Sois prudente. Tout ce qui touche à la mafia n'est pas sûr...
- Ne t'inquiètes pas pour moi. Tu as déjà tant à penser avec l'affaire dont tu t'occupes, j'imagine. Mais c'est gentil.
Une lumière clignotante les informa soudain que leurs cafés étaient prêts. Lilya prit le sien tandis que Yevhen s'occupa de celui de Roman, et du sien. Lilya dit alors :
- Bon, je dois te laisser. Merci de m'avoir accompagné.
La charmante policière allait s'éloigner, ce qui désespéra soudainement Yevhen, conscient qu'il laissait échapper une occasion en or. Précipitamment, il débita des mots dont il n'était pas sûr de l'ordre, bien qu'il soit persuadé d'avoir au moins évoqué le « restaurant ».
Sa tentative eut au moins le mérite d'avoir alerté la jeune femme qui se retourna, toujours souriante. Peut-être qu'elle aussi eut un regain d'espoir. Cette pensée encouragea Yevhen :
- Si tu veux.. Euh... On pourrait un jour aller dîner au restaurant.
Une fois sa proposition finie, Yevhen attrapa automatiquement le syndrome dit de la « fin du monde ». Il se mit à imaginer cent scénarios à la seconde, dans lesquels Lilya lui riait soit au nez, soit le giflait, accepterait avant de se faire tuer par Pietro ou Volodymyr, et ainsi de suite.
Mais il fut heureux de constater qu'il n'en fut rien. Le visage de Lilya s'illumina et elle répondit :
- Bien sûr, avec plaisir. Puis je n'ai pas encore eu l'occasion de manger dans un restaurant de Kiev. Tu as déjà une idée de lieu ?
- J'y réfléchirais, assura un Yevhen soulagé, surtout pas « l'Ukrainien Volant » en tout cas !
Au courant que ce restaurant à thème de pirate hébergeait le noyau de la mafia kievoise, elle émit un rire qui parut mélodieux aux oreilles de Yevhen. Elle fit enfin :
- Pas de soucis. On en reparlera pour se fixer une date.
Puis elle s'en alla véritablement cette fois-ci, jusqu'à son bureau. Elle salua Roman au passage, ce dernier cachant avec panique sa paire de jumelles.
- Qu'est-ce que tu fous avec ces jumelles ?!, s'exclama Yevhen en posant les cafés sur leur bureau.
- Des jumelles ? Ah non, je t'assure que je ne les ai pas mis enceintes !
- Joue pas l'innocent, je les ai vus. Tu nous as vraiment espionnés ? Puis où tu les as trouvés ?
- Je les ai empruntés à Aleksandr, merci d'ailleurs, mon vieux !, répondit-il en balançant les jumelles à un policier dont le bureau juxtaposait le leur.
Voyant le regard courroucé de son ami, il se défendit ensuite :
- C'était pour mieux apercevoir vos visages, vos expressions, vos réactions !... Et les jumelles ne m'ont pas menti, j'ai cru voir ton visage heureux... Elle a accepté ?
- Ouais... Mais maintenant je stresse, si le rendez-vous foire ?
- C'est une bonne nouvelle. Ca signifie qu'elle t'intéresse vraiment. Enfin tu vas sortir de ton célibat ! Ne te formalise pas, un premier rendez-vous est toujours stressant. Mais tout ira bien. Ah je suis fier de toi !
Yevhen sourit faiblement aux dires de Roman. Il n'était pas pour autant complètement rassuré.
Son regard se posa alors sur la grande horloge qui ornait le long mur du hall, cette dernière indiquait 17 heures. Déjà ? L'après-midi fut rapide, pensa-t-il. Il se leva et prit son manteau. Roman remarqua l'activité de son coéquipier mais ne réagit pas. Depuis qu'il avait intégré la police, et ce dès son plus jeune âge, Yevhen avait pour habitude de partir s'acheter un en-cas à la boulangerie située deux rues plus loin. Roman ne se souvenait pas qu'il ait un jour oublié cette institution.
Sachant donc pertinemment où il se dirigeait, il lui lança :
- Tu me prends un truc ?
- Quoi donc ?
- Je prends comme toi, ça m'ira.
Yevhen opina de la tête puis se dirigea vers la sortie. Une fois son ami sorti, Roman se plongea dans les papiers qui étaient sur son bureau. C'étaient divers dossiers concernant plusieurs mafieux connus de la police. Il avait demandé au responsable des archives de lui amener ces paperasses dans l'espoir de trouver des indices à propos de Nikolai, ou tout du moins du mobile du crime.
Evidemment, c'était avant qu'il apprenne de Votchyevka en personne que la mafia n'était pas concernée. Et après réflexion, pourquoi auraient-ils supprimés un simple dealer qui ne faisait aucun remous ? De plus, la mafia avait l'habitude de régler ses comptes discrètement. Comment dire que la scène de crime trouvée chez Nikolai et Olga était loin d'être discrète ? Non, la réponse se trouvait autre part.
Roman était en pleine réflexion quand une voix l'interrompit soudainement :
- Salut tonton !
Il releva la tête, surpris, puis aperçut Yulia Chevakova, la fille de son meilleur ami. Son visage s'éclaircit et il répondit avec enthousiasme :
- Mais bonjour princesse ! Qu'est-ce qui t'amènes ? Ton père est à la boulangerie.
- Je sais, il ne changera jamais ses habitudes. C'est toi que je venais voir.
- Voyons Yulia, si je te manque je peux passer à la maison quand tu veux, blagua-t-il, qu'est-ce qu'il y a ? Tu as un soucis ?
- Bien... J'en ai marre que mon père me mente. J'ai envie de connaître la vérité, sur son passé, sur lui... Sur ma mère... Sur mes grand-parents... J'y ai droit non ? J'ai 21 ans, merde !
Roman répondit d'une voix gênée mais qui se voulut posée :
- Je ne vois pas ce que j'ai à voir là-dedans... Ni ce que je peux y faire.
- Tu sais, toi. Tu le connais depuis longtemps. Tu sais.
- C'est le cas, en effet. On se connaît depuis vingt ans, on a vécu énormément de choses ensembles. Mais je ne vois pas toujours ce que tu attends de moi.
- Raconte-moi !
- Désolé Yulia, mais non.
Yulia prit ce refus comme une claque. Elle ne voyait pas Roman un jour lui refuser quelque chose. Lui qui l'appelait « princesse » depuis sa naissance, lui qui avait été comme un second père pour elle. Lui qui n'est jamais sérieux, qui l'a toujours fait rire... Voilà qu'au moment où elle a le plus besoin de lui, il la lâche. Énervée, elle répliqua :
- Pourquoi ? Tu es le premier à dire qu'il faut que mon père se bouge et arrête d'être enfermé sur lui-même !
- Je ne vais pas le trahir pour autant. Ce n'est pas à moi de raconter la vérité.
Devant la mine déconfite de Yulia, il ajouta avec un clin d’œil :
- Cependant, je ne lui dirais pas si tu te mets à fouiller un peu. Maintenant excuse-moi, mais j'ai du travail. On a toujours un agresseur à attraper. De plus, si tu ne veux pas que ton père ait des soupçons, tu devrais vite t'en aller. Il ne va pas tarder.
- Ok..., céda Yulia, très déçue. Merci quand même...
Sur ce, elle tourna les talons et sortit du commissariat. Sa visite à Roman fut peu fructueuse. L'ami de son père n'avait pas accepté de l'aider. Tout du moins il promit de ne pas alerter son père qu'elle s'était décidée à fouiner un peu. Oui, mais par où ? Elle ne disposait que de peu d'éléments constituant un début de piste.
Dans ses pensées, elle ouvrit machinalement la portière de sa voiture et s'y assit. Elle ne démarra pas le moteur de suite et resta plantée là un instant, à songer. A son père, à ce qu'il aurait pu laisser comme indices. Le problème étant ses mensonges réguliers, elle n'arrivait pas à démêler le vrai du faux.
Soudain, ses yeux s'agrandirent. Et si... ? Son esprit lui avait remémoré leur discussion tendue de ce midi, et une phrase en particulier de son père lui avait fait comme un électrochoc.
« Pff, t'es vraiment comme ta mère. Toujours à aider son prochain, à vouloir percer dans le social, aider les jeunes en difficulté. Je n'étais pas de cet avis. Elle se justifiait en disant que son passé d'orpheline lui avait ouvert les yeux sur le monde. ».
Elle se rappelait parfaitement de ce passage. Malgré la colère de son père, elle avait été surtout choquée car son père ne mentionnait que très rarement son ancienne fiancée. Il l'avait évoqué spontanément. Spontanément. Ce n'était pas un mensonge ce coup-ci, Yulia en était sûre, son instinct le lui assurait.
Et dire qu'elle venait d'apprendre à 21 ans que sa mère avait passé sa jeunesse dans un orphelinat ! Ce fait absurde l'encouragea à maintenir ses recherches sur le passé de son père. Cependant, il existait plusieurs orphelinats à Kiev. Et quand bien même, venait-elle seulement de la capitale ? Cette éventualité découragea la jeune femme.
Afin de se redonner du courage, elle sortit une carte d'identité et la fit tourner entre ses doigts. Elle admira le beau visage féminin présenté dessus. Elle avait les mêmes yeux qu'elle. Sa mère. Zlata Kryukova. Cette carte était le seul élément ayant appartenu à sa mère qu'elle possédait. Elle l'avait trouvé lorsqu'elle avait 15 ans. Ce jour-là, elle était montée dans le grenier afin d'y déposer d'anciens jouets pour enfants dont elle ne se servait plus. Elle en avait profité pour vider quelques cartons pour ré-organiser l'endroit, tombant alors sur cette carte d'identité. Elle avait aisément deviné que c'était celle de sa mère. Depuis, elle gardait précieusement ce qui était pour elle la seule attache à sa mère absente, tout en la dissimulant auprès de son père.
Reprenant ses initiatives, elle décida de se rendre au seul orphelinat dont elle connaissait l'emplacement, puisqu'elle y passait tous les matins en allant au boulot. Le directeur de l'établissement l'accueillit avec gentillesse mais dut lui répondre avec regret que les archives n'indiquaient aucune Zlata Kryukova. Déçue, elle prit congé en remerciant cependant le directeur.
Pendant les heures qui suivirent, Yulia parcourut les quelques orphelinats de Kiev. Et ce malgré la nuit qui gagnait la capitale. Elle s'était justifiée auprès de son père de son absence en évoquant une fausse sortie en ville avec Volodymyr.
Malheureusement, elle revint bredouille des autres orphelinats. Aucune Zlata Kryukova à l'horizon. Sentant sa motivation faiblir de par les déceptions répétées, Yulia trouva néanmoins la force de se rendre jusqu'au dernier orphelinat de Kiev sur sa liste. L'orphelinat Morelenko.
Elle y entra et demanda si le directeur était disponible pour un rapide entretien. On lui répondit par l'affirmatif et on l'emmena jusqu'au bureau principal. Le directeur, un certain Vedelsky, l'accueillit avec autant de bonne humeur que les précédents. Il fit asseoir Yulia et prit place à son tour.
- Que puis-je pour vous ?, demanda-t-il avec un sourire.
- D'abord, désolé pour le dérangement. C'est par rapport à un renseignement. Aviez-vous héberger une certaine Kyukova ? Zlata Kryukova.
- Ce nom me dit quelque chose..., réfléchit le directeur, elle a hébergé ici il y a longtemps ?
- Je ne suis pas sûre que ce soit ici, à vrai dire. Mais sinon, oui, c'était il y a environ 25 ans.
Afin d'aider son interlocuteur, elle lui présenta la carte d'identité de sa mère, et en particulier la photo associée. Le visage du directeur s'illumina alors :
- Ah oui, exact ! Je crois que je me souviens d'elle... Cela dit, j'ai beau faire confiance à ma mémoire, je préfère vérifier
Il se tourna vers son ordinateur et pianota quelques instants sur le clavier. Il déclara finalement :
- Zlata Kryukova. Hébergée de 1969 à 1983. Ca fait quand même 24 ans qu'elle a quitté mon orphelinat. Pourtant je me souviens encore très bien d'elle. La pauvre petite avait intégré mon établissement dès l'âge de 3 ans. Son père était un alcoolique et un voleur récidiviste. Sa mère avait divorcé mais n'a pas tenu la charge de Zlata, fauchée. Elle se suicida quelques mois après le divorce et Zlata fut donc placée ici. Aucune famille ne s'était manifestée. Quant à son père, il était en prison à ce moment-là et n'a de toute façon jamais voulu revoir sa fille. Il est mort quelques années plus tard, d'un coma éthylique. Cela m'avait marqué à l'époque tant sa tragique jeunesse contrastait avec son visage d'ange et sa bonne humeur communicative. Que devient-elle ? Vous êtes de sa famille ?
- Je suis sa fille, expliqua Yulia.
- Sa fille ? J'avoue ne pas comprendre...
- Je n'ai jamais connu ma mère. Mon père m'a toujours assuré qu'elle nous avait quittés mais je n'y crois pas. J'effectue donc des recherches de mon côté. D'où ma présence ici.
- Dans ce cas, je suis désolé de vous apprendre que je ne puis en rien vous aider. Elle a quitté l'orphelinat peu avant ses 18 ans après qu'elle ait trouvé un petit-ami, peut-être votre père, un appartement et un travail. Je n'ai jamais vraiment eu de nouvelles par la suite. J'espère sincèrement qu'il ne lui est rien arrivé...
- Vous ne sauriez pas où a-t-elle travaillée ?
- Oula... Non désolé... Cependant, je me souviens qu'elle était entrée dans une association d'aide aux plus démunis : « Plats pour tous ». Peut-être devriez-vous enquêter de ce côté.
Yulia se leva pour mettre fin à l'entrevue, elle serra la main du directeur et le remercia avec sincérité :
- Merci de votre aide, je vous tiendrai au courant.
- Au plaisir.
Alors que Yulia allait tourner les talons, le directeur l'interpella :
- En tout cas, vous avez les mêmes yeux que votre mère.
- Je sais, sourit-elle, c'est la seule chose que mon père me dit à propos de ma mère...
* * *
La nuit était vite tombée sur la ville de Kiev. Le ciel était nuageux et ne laissa pas passer les rayons de la Lune, ni les scintillements des étoiles. Yevhen remerciait les lampadaires qui leur éclairement la route. Actuellement, il avait garé la voiture afin que Roman profite pleinement du burger fraîchement acheté.
- Alors, le verdict ?, sourit Yevhen.
- Pas mauvais. Mais j'en ai mangé des meilleurs. Leur steak n'a pas énormément de goût. Tu veux un bout ?
- Non merci. Je n'ai pas la tête à manger.
- Je vois. Tu es tracassé par ton rencard avec Lilya.
- A vrai dire, je pensais aux fiançailles de ma fille avec un voyou. Mais maintenant que tu le dis, ça aussi ça m'angoisse.
- Tu veux en parler, de ta fille ?
- A quoi bon ?, fit Yevhen d'un ton désespéré, ils se sont fiancés il y a un mois, et elle lui a donné la bague familiale, mon héritage ! De plus, c'est le seul exemplaire qu'il reste. Zlata l'a porté, ma mère l'a porté, et je l'avais donné à Yulia pour la tradition. Et voilà qu'elle le donne à cette petite frappe !
Roman ne put s'empêcher de commenter :
- Et beh, heureusement que cette bague est unisexe, il aurait l'air fin sinon...
- Je ne la comprend pas... Elle pourrait avoir qui elle veut. Je me rappelle de la foule de prétendants qu'elle avait au lycée ! Et elle tombe amoureuse d'un cas social...
- Tu sais Yevhen, l'amour ça ne se commande pas. Quant aux fiançailles, tu as surtout toujours rejeté Volodymyr et ce dès son apparition dans ta vie. Essaye de l'accepter et tu accepterais mieux la décision de ta fille.
Yevhen grommela quelques mots inintelligibles et se renfonça dans son siège. Il tourna la tête vers la vitre et fixa l'horizon. Roman soupira tandis qu'il avalait la dernière bouchée de son en-cas. Voilà que son ami se renfermait à nouveau sur lui-même. Il préféra ne pas insister. Soudain Yevhen se redressa et scruta le trottoir d'en face, tout en plissant les yeux. Roman, intrigué, l'imita et vit ce qui avait perturbé son partenaire. Un groupe de jeunes s'était réuni. Un jeune homme encapuchonné leur tendit quelques petits sachets en échange de billets que leur tendait un de ses interlocuteurs. Une transaction classique entre un dealer et de jeunes consommateurs. Roman détourna son regard, impuissant. Il avait appris à ne pas se mêler de la mafia locale, ce qui apportait plus de problèmes qu'elle n'en résout. Surtout après leur incursion à « l'Ukraine Volant » de ce matin, après laquelle il valait mieux faire profil bas.
Cependant, Yevhen poussa brusquement un cri de stupeur. Il ouvrit la portière et accourut vers le groupe de jeunes, faisant fuir ces derniers. Sentant qu'il allait faire une grosse connerie, Roman fit de même et poursuivit son collègue. Celui-ci avait bloqué contre un mur le dealer à capuche qui tentait vainement de se débattre. Lorsqu'il s'approcha suffisamment, Roman reconnut Volodymyr.
- Mais vous êtes fous !, protesta Volodymyr alors que son agresseur le plaquait toujours contre le mur.
- Yevhen, arrête !, s'exclama Roman.
Lorsque Volodymyr entendit le nom de son beau-père, il cessa de se débattre et afficha son sempiternel sourire provocateur :
- Oh, mais c'est beau-papa !
- Sale ordure, ragea littéralement Yevhen, comment oses-tu tremper dans l'empire de la drogue alors que tu es avec ma fille. Tu vas trop loin !
- Ce que je fais ou ce que je décide, ne te regarde pas !, s'emporta Volodymyr, laisse-moi tranquille !
Soudainement, Yevhen prit le poignet de son gendre et l'agita devant son visage.
- La bague ?! Où est-elle ? Vous n'êtes pas censés être fiancés ?!
- Je... Je l'ai perdu, okay ? C'était qu'une babiole sans importance.
Le ton dédaigneux de Volodymyr fit siffler les oreilles de Yevhen, sans parler de la perte de la bague. Sentant son ami céder à une colère incontrôlable, Roman l'enserra et le fit reculer. Yevhen relâcha ainsi l'emprise sur Volodymyr. Ce dernier se frotta les poignets, rougis. Il ajouta :
- Evidemment, pas un mot à Yulia de mes activités ou de la perte de la bague, n'est-ce pas ? Sinon, je lui raconterais que tu m'as agressé sans raison valable.
Le prénom de sa chère fille, prononcé par Volodymyr, produisit un déclic dans la tête de Yevhen. Sa colère stoppa instantanément et il répété pour lui-même :
- Yulia ? Elle... Elle n'était pas censée être avec toi ?
- De quoi tu parles ? Elle m'a dit être fatiguée et vouloir rester chez elle pour se reposer. Tu deviens sénile.
Le père de Yulia resta silencieux. Il comprit que sa fille avait menti à lui, ainsi qu'à son fiancé. Il resta figé ainsi dans ses pensées durant quelques secondes. Jugeant que cette conversation avait assez duré, Volodymyr prit congé en les saluant insolemment de la main sans que Yevhen ne réagisse, ni Roman, trop occupé à s'inquiéter pour son ami.
- Qu'est-ce qui se passe, mon vieux ?, fit-il.
- Yulia m'a dit qu'elle était avec Volodymyr cette nuit. Elle m'a menti !!
Roman comprenait très bien le choc de Yevhen. Papa-poule et aimant, il ne lui était jamais venu à l'esprit que sa fille adorée puisse lui mentir. C'est un monde qui s'écroulait. Roman mit une main sur son épaule pour lui affirmer son soutien mental. Pour toute réponse, Yevhen soupira et se dirigea vers la voiture :
- Il va falloir que je lui en parle...
- Je suis d'accord. Mais sois compréhensif. Elle a dû avoir ses raisons et ce n'est pas pour autant qu'elle te renie.
Yevhen se mit au volant tandis que Roman s'assit à sa place traditionnelle, sur le siège passager. Subitement, Yevhen donna un coup sourd sur le volant.
- Et ce petit con qui perd la bague !
Ce coup-ci, Roman ne voulut pas réconforter son ami. Il abondait même en son sens :
- C'est vrai qu'il a fait fort, ce coup-ci.
- T'es de mon côté toi, maintenant ?
- J'ai toujours défendu l'amour que Yulia lui portait. Ce n'est pas pour autant que Volodymyr est un mec bien. Je ne l'aime pas non plus, ne l'oublie pas. On le croise souvent au commissariat.
Yevhen serra les dents. Il désespérait de ne pas pouvoir dénigrer Volodymyr devant sa fille, celle-ci le réprimanderait sur le champ. Il devait garder toute sa rancoeur pour lui-même et accepter tant bien que mal l'amour de sa fille. Cette situation n'était pas facile tous les jours
- Allez... T'en fais pas, tenta Roman, tu sais, je pense que...
Il ne put continuer sa phrase. Le poste-émetteur de leur voiture se mit en marche et une voix autoritaire que Yevhen identifia comme étant celle d'Andriy Votchyevka, déclara :
- Alerte à toutes les unités. Découverte d'un nouveau meurtre au 14, rue Flyenko. Mobilisation de toutes les unités aux alentours. Je répète, nouveau meurtre découvert.
Yevhen se rendit rapidement jusqu'au commissariat. Une fois arrivé, il se gara puis entra sans plus attendre dans le gros hall commun. La pièce était nettement plus bondée que ce matin. Le soufflé était retombé depuis l'éclatement de l'affaire Nikolai. Plusieurs agents devaient être déjà retournés à leurs occupations quotidiennes ou planchaient sur d'autres affaires.
Il se fraya un chemin jusque son bureau. Roman était déjà assis devant son bureau assigné. Quand il aperçut son fidèle compagnon, il lui fit un signe de la main, tout sourire. C'est ça que Yevhen appréciait chez Roman, son naturel enthousiasme malgré l'atmosphère ambiante, contrastant avec son propre caractère plus renfermé et sombre. Toutefois, Roman savait être sérieux dans les moments opportuns, faisant ainsi un agréable et efficace coéquipier.
- Tu as bien mangé avec ta fille ?, lui demanda Roman aussitôt que son ami s'était assis.
Yevhen fut soulagé qu'il ne lui en voulait pas de l'avoir lâché ce midi, bien que le contraire l'aurait étonné.
- Tu parles, il y avait Volodymyr... Je ne peux plus le voir.
- Ouh... Mais ça a été ?
- Plus ou moins... Enfin, c'était pas si mal jusqu'à ce que Yulia m'apprenne qu'elle était fiancée à Volodymyr, et qu'elle lui avait donné la bague de ma mère.
- La bague de ta famille ?!
- Yep.
Roman fronça les sourcils puis fixa son coéquipier :
- Tu n'as pas l'air de mal le prendre.
- Détrompe-toi. Je suis juste sous le choc. Puis je n'ai pas le temps d'y penser. Nous avons une affaire sous les bras, rappelle-toi !
- La perquisition chez les mafieux n'a rien donné, tu sais..., lui apprit Roman.
- Sérieusement ?, s'étonna Yevhen, déçu, j'étais pourtant persuadé que Pietro cachait quelque chose.
Roman lâcha un petit rire sans joie :
- Ne t'inquiètes pas pour ça, il cachait effectivement quelque chose. Sa femme. Morte. Dans une malle.
- Il a fait... ça ?, bloqua Yevhen, dégoûté.
- Il accuse son fils. En attendant de mettre la main sur ce dernier, Votchyevka l'a placé dans nos cellules provisoires. Puis Votchyevka a donné l'affaire à d'autres. Il est toujours à 100% sur l'enlèvement de Nikolai.
- Je suis quand même surpris concernant Pietro. Je comprends désormais pourquoi il était tant nerveux et stressé.
- D'ailleurs, un conseil : ne va pas le voir. Il nous en veut à mort. Il ne pensait pas que l'on aurait appelé des renforts. Il croyait sans doute que ses dossiers sur nous deux nous en empêcheraient. Pas de chance, il a perdu son pari et résultat : son empire s'effondre. Même s'il dit la vérité, il a caché le meurtre de sa femme et devra purger une faible peine. A sa sortie, quelqu'un aura déjà repris le flambeau au sein de la mafia. Il est en rage. Là, il est calmé. Mais je t'assure qu'il y a quelques minutes on l'entendait crier d'ici...
Yevhen ne répondit pas. La colère de Pietro à son égard lui faisait ni chaud ni froid. En effet, c'était une réaction normale de criminel pris sur le fait et qui déversait donc leur rage sur les policiers. De plus, il avait le sentiment du devoir accompli. Peu de policiers auraient balancé la mafia en sachant que cette dernière pouvait balancer des dossiers à tout moment.
Son regard se posa alors sur Andriy Votchyevka. Le commissaire était debout au milieu du hall en train de discuter avec un homme mûr à la barbe de trois jours.
- Qui est-ce ?, demanda Yevhen en désignant du menton l'interlocuteur de Votchyevka.
- Le fils de Nikolai et d'Olga. Sasha, je crois. Votchyevka passe pas mal de temps avec lui. En ce moment, il doit sûrement lui apprendre l'implication de son père dans la mafia.
Roman avait vu juste. Aussitôt revenu de sa perquisition à « l'Ukrainien Volant », le commissaire avait contacté Sasha Hotchenko qui rappliqua immédiatement. Votchyevka n'avait cesse de ressasser comment annoncer à cet homme en deuil que son père s'était sali les mains avec la mafia locale.
- Commissaire, le salua Sasha en arrivant à sa hauteur.
- Mr. Hotchenko. Je vous ai appelés par rapport à l'enlèvement de votre père.
- Vous avez du nouveau sur l'identité de l'agresseur ?
- Euh... Pas tout à fait. Deux de mes majors ont fouillé le domicile de mes parents, et ont retrouvé de la drogue cachée dans des chaussettes. Étiez-vous au courant des agissements de votre père ?
La bouche de Sasha s'ouvrit mais aucun son n'en sortit. Il reprit rapidement ses esprit et bégaya :
- Non... Non, pas du tout ! Il doit y avoir une erreur... Mon père n'aurait jamais fait une chose pareille ! C'était un homme bon et honnête !
Alors qu'il était étonné dans un premier temps, Sasha commença par hausser le ton. Votchyevka craignait cette réaction.
- Certains hommes bons et honnêtes peuvent transgresser les lois. Calmez-vous. Je ne vous attaque ni vous ni votre père. Souvenez-vous, vous m'aviez dit ce matin que vos parents avaient des problèmes d'argent. Il a dû succomber à la tentation d'arrondir ses fins de mois en vendant de la drogue. Ou pire, la mafia a peut-être procédé au chantage pour s'assurer ses services. Tout est encore flou concernant votre père, je vous ai juste tenu au courant comme convenu.
- Mon père... Dealer de drogue ?, répéta Sasha Hotchenko, toujours un poil dubitatif.
Le commissaire tapota l'épaule de Sasha en guise d'encouragement, sentant qu'il n'y avait plus rien à dire. Il raccompagna le pauvre homme endeuillé jusque la sortie du commissariat. Ensuite, il se dirigea vers Yevhen et Roman qui s'arrêtèrent de parler lorsqu'ils virent leur supérieur arriver.
- Commissaire, le saluèrent-ils.
- Chevakova, Szarszus.
- Tout s'est bien passé avec le fils de Nikolai et d'Olga ?, demanda Yevhen.
Votchyevka approuva d'un hochement de tête.
- Il est un peu abasourdi par tout ce qui lui tombe sur la tête depuis ce matin. L'enlèvement de son père, le meurtre de sa mère... Je me serais bien passé de la carrière de dealer de son cher papa. Mais que voulez-vous, je n'allais pas lui mentir.
- Vous avez bien fait, chef.
- Maintenant refermons la parenthèse de la mafia, ordonna-t-il, cette piste pourtant intéressante au premier abord n'a rien donné, encore. Nous revoilà au point mort.
- Ce qui me chiffonne le plus, commenta Yevhen, c'est que plus les minutes défilent sans que nous avançons, plus je me dis qu'il y ait des chances pour que l'agression ait été perpétré par un fou... Un simple fou sans but et sans ligne directrice.
- Ce serait problématique..., fit Roman.
- Pas de précipitations, calma le commissaire, attendons encore avant de conclure qu'un nouvel Onoprienko se balade en ville.
Roman frissonna en songeant à cet homme tristement célèbre pour avoir décimer des dizaines de familles au fusil de chasse. Il ne s'était jamais remis du choc que les scènes de crime avaient provoqué en son être, gardant un dégoût viscéral des cadavres.
- J'ai envoyé Nygmenko et son équipe enquêter dans la propriété de Nikolai et d'Olga, continua Votchyevka, on ne pourra plus rien obtenir par de simples fouilles. J'espère que la science si chère à Edgar nous viendra en aide.
- Et nous ? Que faisons-nous pendant ce temps-là ?, questionna Roman.
- Vous reprenez vos habitudes. Si j'ai bonne mémoire, vous êtes encore de patrouille cette nuit.
Sur ces mots, le commissaire s'en alla, laissant un Yevhen plutôt déçu. Il espérait secrètement que leur patrouille soit annulée compte tenu de l'affaire actuelle, ce qui lui aurait permis de rentrer tôt et de passer un peu de temps avec Yulia.
De son côté, Roman afficha un grand sourire.
- Tu as l'air heureux de veiller cette nuit, dis donc..., remarqua Yevhen.
- Bien sûr ! J'ai entendu parler qu'un nouveau fast-food venait d'ouvrir dans notre zone. Il me tarde d'aller l'inaugurer !
- Je me disais aussi..., sourit Yevhen.
Roman allait répondre quand Lilya passa devant leur bureau et leur adressa un « boujour » des plus joyeux. La jeune femme continua sa route pour s'asseoir à son propre bureau, situé non loin du leur. Les deux compères restèrent un moment silencieux, mais Roman n'attendit pas bien longtemps avant de rebondir sur le passage de la policière.
- Le sourire qu'elle t'a fait mon gars !, fit-il.
- Tais-toi. Elle nous a souris à tous les deux.
- Certes. Mais elle t'a dévoré des yeux ! Et ose me dire qu'elle ne t'intéresse pas. Sérieusement.
Yevhen soupira devant l'insistance de son ami, il regarda la jeune femme de loin puis répondit à Roman surtout pour lui faire plaisir :
- Bah, elle est plutôt jolie...
- J'approuve. Sur l'échelle de Szarszus, elle vaut au moins un 7.
Yevhen éclata de rire. Il y avait longtemps que Roman ne lui avait pas ressorti la fameuse échelle qu'il avait inventé et qui portait son nom. Il s'en servait pour noter les femmes dans la rue, chose qu'il faisait énormément à l'époque où ils passaient la majeure partie de leur temps à patrouiller le jour.
- Va l'inviter à bouffer au restaurant.
- Un jour, peut-être...
- Maintenant.
- Maintenant ?!, s'exclama Yevhen, tu crois que c'est le moment ? On n'a pas le temps, nous sommes en pleine affaire majeure !
- On a toujours le temps d'aimer, répliqua Roman d'une voix qui se voulait poète.
- Même... Je ne pense pas être prêt. Admettons qu'elle accepte...
- Elle acceptera, assura Roman.
- J'ai dit admettons. Tu me connais. Je ne sais pas m'y prendre...
- Je te conseille par derrière.
- Mais ta gueule..., soupira Yevhen mi-exaspéré, mi-amusé.
- Son regard la trahit. Elle te veut ! Puis elle en vaut pas la peine. T'as vu ce corps qu'elle a ? Au lit tu devrais te faire plais... Oh, salut Lilya !
Roman s'arrêta à temps lorsqu'il aperçut Lilya qui s'était dirigé vers eux. Alerté par son camarade, Yevhen se tourna vers la jeune femme. Elle se tenait près de lui mais s'adressa aux deux :
- Vous voulez un café ? Je vais au distributeur, je vous en apporte ?
- Oh, merci. Pourquoi pas ? Un expresso pour moi, s'il te plaît, répondit Roman.
- Ca marche, et toi Yevhen ?
- Euh...
Roman ne put s'empêcher d'afficher un grand sourire devant la scène qui se déroulait sous ses yeux. L'intérêt que portait Lilya sur son coéquipier était tellement évident... Elle s'était levé pour leur proposer un café, était plus proche de Yevhen que de lui, et surtout elle ne regardait que lui. Voyant que son ami perdait ses moyens, il eut peur qu'il laisse passer l'occasion. Il décida alors de passer à l'action. Il frappa assez violemment le tibia de Yevhen à l'abri des regards, sous le bureau, puis déclara :
- Tu abuses Yevhen, tu fais attendre la jeune demoiselle. Accompagne-la au pire, tu choisiras là-bas.
- Euh... Oui, je vais faire ça. Ça te dérange pas ?, demanda Yevhen à l'adresse de Lilya.
- Pas du tout, sourit la jeune femme.
Il se leva puis emboîta le pas à sa collègue. Il retourna subtilement la tête pour adresser un regard noir à son ami. Roman lui adressa le même genre de regard en guise de réplique. Un regard qui signifiait : « Invite-la au resto, sinon je t'égorge ».
Yevhen inspira et expira profondément pour ne pas tomber dans le stress qui lui nouerait la gorge. Lui et Lilya arrivèrent au distributeur. La jeune femme se prit un cappuccino puis un expresso pour Roman. N'ayant même pas envie d'un café, Yevhen appuya sur un bouton au hasard. Durant la préparation, Yevhen tenta d'engager la conversation :
- Euh... Alors, le travail ? Ça va ?
- Je viens d'être affecté à l'affaire de Pietro et du meurtre de sa femme, répondit-elle avec entrain, j'ai cru comprendre que tu y étais lié ?
- Disons que Roman et moi avons découvert la victime alors que l'on enquêtait sur l'enlèvement de Nikolai. Sois prudente. Tout ce qui touche à la mafia n'est pas sûr...
- Ne t'inquiètes pas pour moi. Tu as déjà tant à penser avec l'affaire dont tu t'occupes, j'imagine. Mais c'est gentil.
Une lumière clignotante les informa soudain que leurs cafés étaient prêts. Lilya prit le sien tandis que Yevhen s'occupa de celui de Roman, et du sien. Lilya dit alors :
- Bon, je dois te laisser. Merci de m'avoir accompagné.
La charmante policière allait s'éloigner, ce qui désespéra soudainement Yevhen, conscient qu'il laissait échapper une occasion en or. Précipitamment, il débita des mots dont il n'était pas sûr de l'ordre, bien qu'il soit persuadé d'avoir au moins évoqué le « restaurant ».
Sa tentative eut au moins le mérite d'avoir alerté la jeune femme qui se retourna, toujours souriante. Peut-être qu'elle aussi eut un regain d'espoir. Cette pensée encouragea Yevhen :
- Si tu veux.. Euh... On pourrait un jour aller dîner au restaurant.
Une fois sa proposition finie, Yevhen attrapa automatiquement le syndrome dit de la « fin du monde ». Il se mit à imaginer cent scénarios à la seconde, dans lesquels Lilya lui riait soit au nez, soit le giflait, accepterait avant de se faire tuer par Pietro ou Volodymyr, et ainsi de suite.
Mais il fut heureux de constater qu'il n'en fut rien. Le visage de Lilya s'illumina et elle répondit :
- Bien sûr, avec plaisir. Puis je n'ai pas encore eu l'occasion de manger dans un restaurant de Kiev. Tu as déjà une idée de lieu ?
- J'y réfléchirais, assura un Yevhen soulagé, surtout pas « l'Ukrainien Volant » en tout cas !
Au courant que ce restaurant à thème de pirate hébergeait le noyau de la mafia kievoise, elle émit un rire qui parut mélodieux aux oreilles de Yevhen. Elle fit enfin :
- Pas de soucis. On en reparlera pour se fixer une date.
Puis elle s'en alla véritablement cette fois-ci, jusqu'à son bureau. Elle salua Roman au passage, ce dernier cachant avec panique sa paire de jumelles.
- Qu'est-ce que tu fous avec ces jumelles ?!, s'exclama Yevhen en posant les cafés sur leur bureau.
- Des jumelles ? Ah non, je t'assure que je ne les ai pas mis enceintes !
- Joue pas l'innocent, je les ai vus. Tu nous as vraiment espionnés ? Puis où tu les as trouvés ?
- Je les ai empruntés à Aleksandr, merci d'ailleurs, mon vieux !, répondit-il en balançant les jumelles à un policier dont le bureau juxtaposait le leur.
Voyant le regard courroucé de son ami, il se défendit ensuite :
- C'était pour mieux apercevoir vos visages, vos expressions, vos réactions !... Et les jumelles ne m'ont pas menti, j'ai cru voir ton visage heureux... Elle a accepté ?
- Ouais... Mais maintenant je stresse, si le rendez-vous foire ?
- C'est une bonne nouvelle. Ca signifie qu'elle t'intéresse vraiment. Enfin tu vas sortir de ton célibat ! Ne te formalise pas, un premier rendez-vous est toujours stressant. Mais tout ira bien. Ah je suis fier de toi !
Yevhen sourit faiblement aux dires de Roman. Il n'était pas pour autant complètement rassuré.
Son regard se posa alors sur la grande horloge qui ornait le long mur du hall, cette dernière indiquait 17 heures. Déjà ? L'après-midi fut rapide, pensa-t-il. Il se leva et prit son manteau. Roman remarqua l'activité de son coéquipier mais ne réagit pas. Depuis qu'il avait intégré la police, et ce dès son plus jeune âge, Yevhen avait pour habitude de partir s'acheter un en-cas à la boulangerie située deux rues plus loin. Roman ne se souvenait pas qu'il ait un jour oublié cette institution.
Sachant donc pertinemment où il se dirigeait, il lui lança :
- Tu me prends un truc ?
- Quoi donc ?
- Je prends comme toi, ça m'ira.
Yevhen opina de la tête puis se dirigea vers la sortie. Une fois son ami sorti, Roman se plongea dans les papiers qui étaient sur son bureau. C'étaient divers dossiers concernant plusieurs mafieux connus de la police. Il avait demandé au responsable des archives de lui amener ces paperasses dans l'espoir de trouver des indices à propos de Nikolai, ou tout du moins du mobile du crime.
Evidemment, c'était avant qu'il apprenne de Votchyevka en personne que la mafia n'était pas concernée. Et après réflexion, pourquoi auraient-ils supprimés un simple dealer qui ne faisait aucun remous ? De plus, la mafia avait l'habitude de régler ses comptes discrètement. Comment dire que la scène de crime trouvée chez Nikolai et Olga était loin d'être discrète ? Non, la réponse se trouvait autre part.
Roman était en pleine réflexion quand une voix l'interrompit soudainement :
- Salut tonton !
Il releva la tête, surpris, puis aperçut Yulia Chevakova, la fille de son meilleur ami. Son visage s'éclaircit et il répondit avec enthousiasme :
- Mais bonjour princesse ! Qu'est-ce qui t'amènes ? Ton père est à la boulangerie.
- Je sais, il ne changera jamais ses habitudes. C'est toi que je venais voir.
- Voyons Yulia, si je te manque je peux passer à la maison quand tu veux, blagua-t-il, qu'est-ce qu'il y a ? Tu as un soucis ?
- Bien... J'en ai marre que mon père me mente. J'ai envie de connaître la vérité, sur son passé, sur lui... Sur ma mère... Sur mes grand-parents... J'y ai droit non ? J'ai 21 ans, merde !
Roman répondit d'une voix gênée mais qui se voulut posée :
- Je ne vois pas ce que j'ai à voir là-dedans... Ni ce que je peux y faire.
- Tu sais, toi. Tu le connais depuis longtemps. Tu sais.
- C'est le cas, en effet. On se connaît depuis vingt ans, on a vécu énormément de choses ensembles. Mais je ne vois pas toujours ce que tu attends de moi.
- Raconte-moi !
- Désolé Yulia, mais non.
Yulia prit ce refus comme une claque. Elle ne voyait pas Roman un jour lui refuser quelque chose. Lui qui l'appelait « princesse » depuis sa naissance, lui qui avait été comme un second père pour elle. Lui qui n'est jamais sérieux, qui l'a toujours fait rire... Voilà qu'au moment où elle a le plus besoin de lui, il la lâche. Énervée, elle répliqua :
- Pourquoi ? Tu es le premier à dire qu'il faut que mon père se bouge et arrête d'être enfermé sur lui-même !
- Je ne vais pas le trahir pour autant. Ce n'est pas à moi de raconter la vérité.
Devant la mine déconfite de Yulia, il ajouta avec un clin d’œil :
- Cependant, je ne lui dirais pas si tu te mets à fouiller un peu. Maintenant excuse-moi, mais j'ai du travail. On a toujours un agresseur à attraper. De plus, si tu ne veux pas que ton père ait des soupçons, tu devrais vite t'en aller. Il ne va pas tarder.
- Ok..., céda Yulia, très déçue. Merci quand même...
Sur ce, elle tourna les talons et sortit du commissariat. Sa visite à Roman fut peu fructueuse. L'ami de son père n'avait pas accepté de l'aider. Tout du moins il promit de ne pas alerter son père qu'elle s'était décidée à fouiner un peu. Oui, mais par où ? Elle ne disposait que de peu d'éléments constituant un début de piste.
Dans ses pensées, elle ouvrit machinalement la portière de sa voiture et s'y assit. Elle ne démarra pas le moteur de suite et resta plantée là un instant, à songer. A son père, à ce qu'il aurait pu laisser comme indices. Le problème étant ses mensonges réguliers, elle n'arrivait pas à démêler le vrai du faux.
Soudain, ses yeux s'agrandirent. Et si... ? Son esprit lui avait remémoré leur discussion tendue de ce midi, et une phrase en particulier de son père lui avait fait comme un électrochoc.
« Pff, t'es vraiment comme ta mère. Toujours à aider son prochain, à vouloir percer dans le social, aider les jeunes en difficulté. Je n'étais pas de cet avis. Elle se justifiait en disant que son passé d'orpheline lui avait ouvert les yeux sur le monde. ».
Elle se rappelait parfaitement de ce passage. Malgré la colère de son père, elle avait été surtout choquée car son père ne mentionnait que très rarement son ancienne fiancée. Il l'avait évoqué spontanément. Spontanément. Ce n'était pas un mensonge ce coup-ci, Yulia en était sûre, son instinct le lui assurait.
Et dire qu'elle venait d'apprendre à 21 ans que sa mère avait passé sa jeunesse dans un orphelinat ! Ce fait absurde l'encouragea à maintenir ses recherches sur le passé de son père. Cependant, il existait plusieurs orphelinats à Kiev. Et quand bien même, venait-elle seulement de la capitale ? Cette éventualité découragea la jeune femme.
Afin de se redonner du courage, elle sortit une carte d'identité et la fit tourner entre ses doigts. Elle admira le beau visage féminin présenté dessus. Elle avait les mêmes yeux qu'elle. Sa mère. Zlata Kryukova. Cette carte était le seul élément ayant appartenu à sa mère qu'elle possédait. Elle l'avait trouvé lorsqu'elle avait 15 ans. Ce jour-là, elle était montée dans le grenier afin d'y déposer d'anciens jouets pour enfants dont elle ne se servait plus. Elle en avait profité pour vider quelques cartons pour ré-organiser l'endroit, tombant alors sur cette carte d'identité. Elle avait aisément deviné que c'était celle de sa mère. Depuis, elle gardait précieusement ce qui était pour elle la seule attache à sa mère absente, tout en la dissimulant auprès de son père.
Reprenant ses initiatives, elle décida de se rendre au seul orphelinat dont elle connaissait l'emplacement, puisqu'elle y passait tous les matins en allant au boulot. Le directeur de l'établissement l'accueillit avec gentillesse mais dut lui répondre avec regret que les archives n'indiquaient aucune Zlata Kryukova. Déçue, elle prit congé en remerciant cependant le directeur.
Pendant les heures qui suivirent, Yulia parcourut les quelques orphelinats de Kiev. Et ce malgré la nuit qui gagnait la capitale. Elle s'était justifiée auprès de son père de son absence en évoquant une fausse sortie en ville avec Volodymyr.
Malheureusement, elle revint bredouille des autres orphelinats. Aucune Zlata Kryukova à l'horizon. Sentant sa motivation faiblir de par les déceptions répétées, Yulia trouva néanmoins la force de se rendre jusqu'au dernier orphelinat de Kiev sur sa liste. L'orphelinat Morelenko.
Elle y entra et demanda si le directeur était disponible pour un rapide entretien. On lui répondit par l'affirmatif et on l'emmena jusqu'au bureau principal. Le directeur, un certain Vedelsky, l'accueillit avec autant de bonne humeur que les précédents. Il fit asseoir Yulia et prit place à son tour.
- Que puis-je pour vous ?, demanda-t-il avec un sourire.
- D'abord, désolé pour le dérangement. C'est par rapport à un renseignement. Aviez-vous héberger une certaine Kyukova ? Zlata Kryukova.
- Ce nom me dit quelque chose..., réfléchit le directeur, elle a hébergé ici il y a longtemps ?
- Je ne suis pas sûre que ce soit ici, à vrai dire. Mais sinon, oui, c'était il y a environ 25 ans.
Afin d'aider son interlocuteur, elle lui présenta la carte d'identité de sa mère, et en particulier la photo associée. Le visage du directeur s'illumina alors :
- Ah oui, exact ! Je crois que je me souviens d'elle... Cela dit, j'ai beau faire confiance à ma mémoire, je préfère vérifier
Il se tourna vers son ordinateur et pianota quelques instants sur le clavier. Il déclara finalement :
- Zlata Kryukova. Hébergée de 1969 à 1983. Ca fait quand même 24 ans qu'elle a quitté mon orphelinat. Pourtant je me souviens encore très bien d'elle. La pauvre petite avait intégré mon établissement dès l'âge de 3 ans. Son père était un alcoolique et un voleur récidiviste. Sa mère avait divorcé mais n'a pas tenu la charge de Zlata, fauchée. Elle se suicida quelques mois après le divorce et Zlata fut donc placée ici. Aucune famille ne s'était manifestée. Quant à son père, il était en prison à ce moment-là et n'a de toute façon jamais voulu revoir sa fille. Il est mort quelques années plus tard, d'un coma éthylique. Cela m'avait marqué à l'époque tant sa tragique jeunesse contrastait avec son visage d'ange et sa bonne humeur communicative. Que devient-elle ? Vous êtes de sa famille ?
- Je suis sa fille, expliqua Yulia.
- Sa fille ? J'avoue ne pas comprendre...
- Je n'ai jamais connu ma mère. Mon père m'a toujours assuré qu'elle nous avait quittés mais je n'y crois pas. J'effectue donc des recherches de mon côté. D'où ma présence ici.
- Dans ce cas, je suis désolé de vous apprendre que je ne puis en rien vous aider. Elle a quitté l'orphelinat peu avant ses 18 ans après qu'elle ait trouvé un petit-ami, peut-être votre père, un appartement et un travail. Je n'ai jamais vraiment eu de nouvelles par la suite. J'espère sincèrement qu'il ne lui est rien arrivé...
- Vous ne sauriez pas où a-t-elle travaillée ?
- Oula... Non désolé... Cependant, je me souviens qu'elle était entrée dans une association d'aide aux plus démunis : « Plats pour tous ». Peut-être devriez-vous enquêter de ce côté.
Yulia se leva pour mettre fin à l'entrevue, elle serra la main du directeur et le remercia avec sincérité :
- Merci de votre aide, je vous tiendrai au courant.
- Au plaisir.
Alors que Yulia allait tourner les talons, le directeur l'interpella :
- En tout cas, vous avez les mêmes yeux que votre mère.
- Je sais, sourit-elle, c'est la seule chose que mon père me dit à propos de ma mère...
* * *
La nuit était vite tombée sur la ville de Kiev. Le ciel était nuageux et ne laissa pas passer les rayons de la Lune, ni les scintillements des étoiles. Yevhen remerciait les lampadaires qui leur éclairement la route. Actuellement, il avait garé la voiture afin que Roman profite pleinement du burger fraîchement acheté.
- Alors, le verdict ?, sourit Yevhen.
- Pas mauvais. Mais j'en ai mangé des meilleurs. Leur steak n'a pas énormément de goût. Tu veux un bout ?
- Non merci. Je n'ai pas la tête à manger.
- Je vois. Tu es tracassé par ton rencard avec Lilya.
- A vrai dire, je pensais aux fiançailles de ma fille avec un voyou. Mais maintenant que tu le dis, ça aussi ça m'angoisse.
- Tu veux en parler, de ta fille ?
- A quoi bon ?, fit Yevhen d'un ton désespéré, ils se sont fiancés il y a un mois, et elle lui a donné la bague familiale, mon héritage ! De plus, c'est le seul exemplaire qu'il reste. Zlata l'a porté, ma mère l'a porté, et je l'avais donné à Yulia pour la tradition. Et voilà qu'elle le donne à cette petite frappe !
Roman ne put s'empêcher de commenter :
- Et beh, heureusement que cette bague est unisexe, il aurait l'air fin sinon...
- Je ne la comprend pas... Elle pourrait avoir qui elle veut. Je me rappelle de la foule de prétendants qu'elle avait au lycée ! Et elle tombe amoureuse d'un cas social...
- Tu sais Yevhen, l'amour ça ne se commande pas. Quant aux fiançailles, tu as surtout toujours rejeté Volodymyr et ce dès son apparition dans ta vie. Essaye de l'accepter et tu accepterais mieux la décision de ta fille.
Yevhen grommela quelques mots inintelligibles et se renfonça dans son siège. Il tourna la tête vers la vitre et fixa l'horizon. Roman soupira tandis qu'il avalait la dernière bouchée de son en-cas. Voilà que son ami se renfermait à nouveau sur lui-même. Il préféra ne pas insister. Soudain Yevhen se redressa et scruta le trottoir d'en face, tout en plissant les yeux. Roman, intrigué, l'imita et vit ce qui avait perturbé son partenaire. Un groupe de jeunes s'était réuni. Un jeune homme encapuchonné leur tendit quelques petits sachets en échange de billets que leur tendait un de ses interlocuteurs. Une transaction classique entre un dealer et de jeunes consommateurs. Roman détourna son regard, impuissant. Il avait appris à ne pas se mêler de la mafia locale, ce qui apportait plus de problèmes qu'elle n'en résout. Surtout après leur incursion à « l'Ukraine Volant » de ce matin, après laquelle il valait mieux faire profil bas.
Cependant, Yevhen poussa brusquement un cri de stupeur. Il ouvrit la portière et accourut vers le groupe de jeunes, faisant fuir ces derniers. Sentant qu'il allait faire une grosse connerie, Roman fit de même et poursuivit son collègue. Celui-ci avait bloqué contre un mur le dealer à capuche qui tentait vainement de se débattre. Lorsqu'il s'approcha suffisamment, Roman reconnut Volodymyr.
- Mais vous êtes fous !, protesta Volodymyr alors que son agresseur le plaquait toujours contre le mur.
- Yevhen, arrête !, s'exclama Roman.
Lorsque Volodymyr entendit le nom de son beau-père, il cessa de se débattre et afficha son sempiternel sourire provocateur :
- Oh, mais c'est beau-papa !
- Sale ordure, ragea littéralement Yevhen, comment oses-tu tremper dans l'empire de la drogue alors que tu es avec ma fille. Tu vas trop loin !
- Ce que je fais ou ce que je décide, ne te regarde pas !, s'emporta Volodymyr, laisse-moi tranquille !
Soudainement, Yevhen prit le poignet de son gendre et l'agita devant son visage.
- La bague ?! Où est-elle ? Vous n'êtes pas censés être fiancés ?!
- Je... Je l'ai perdu, okay ? C'était qu'une babiole sans importance.
Le ton dédaigneux de Volodymyr fit siffler les oreilles de Yevhen, sans parler de la perte de la bague. Sentant son ami céder à une colère incontrôlable, Roman l'enserra et le fit reculer. Yevhen relâcha ainsi l'emprise sur Volodymyr. Ce dernier se frotta les poignets, rougis. Il ajouta :
- Evidemment, pas un mot à Yulia de mes activités ou de la perte de la bague, n'est-ce pas ? Sinon, je lui raconterais que tu m'as agressé sans raison valable.
Le prénom de sa chère fille, prononcé par Volodymyr, produisit un déclic dans la tête de Yevhen. Sa colère stoppa instantanément et il répété pour lui-même :
- Yulia ? Elle... Elle n'était pas censée être avec toi ?
- De quoi tu parles ? Elle m'a dit être fatiguée et vouloir rester chez elle pour se reposer. Tu deviens sénile.
Le père de Yulia resta silencieux. Il comprit que sa fille avait menti à lui, ainsi qu'à son fiancé. Il resta figé ainsi dans ses pensées durant quelques secondes. Jugeant que cette conversation avait assez duré, Volodymyr prit congé en les saluant insolemment de la main sans que Yevhen ne réagisse, ni Roman, trop occupé à s'inquiéter pour son ami.
- Qu'est-ce qui se passe, mon vieux ?, fit-il.
- Yulia m'a dit qu'elle était avec Volodymyr cette nuit. Elle m'a menti !!
Roman comprenait très bien le choc de Yevhen. Papa-poule et aimant, il ne lui était jamais venu à l'esprit que sa fille adorée puisse lui mentir. C'est un monde qui s'écroulait. Roman mit une main sur son épaule pour lui affirmer son soutien mental. Pour toute réponse, Yevhen soupira et se dirigea vers la voiture :
- Il va falloir que je lui en parle...
- Je suis d'accord. Mais sois compréhensif. Elle a dû avoir ses raisons et ce n'est pas pour autant qu'elle te renie.
Yevhen se mit au volant tandis que Roman s'assit à sa place traditionnelle, sur le siège passager. Subitement, Yevhen donna un coup sourd sur le volant.
- Et ce petit con qui perd la bague !
Ce coup-ci, Roman ne voulut pas réconforter son ami. Il abondait même en son sens :
- C'est vrai qu'il a fait fort, ce coup-ci.
- T'es de mon côté toi, maintenant ?
- J'ai toujours défendu l'amour que Yulia lui portait. Ce n'est pas pour autant que Volodymyr est un mec bien. Je ne l'aime pas non plus, ne l'oublie pas. On le croise souvent au commissariat.
Yevhen serra les dents. Il désespérait de ne pas pouvoir dénigrer Volodymyr devant sa fille, celle-ci le réprimanderait sur le champ. Il devait garder toute sa rancoeur pour lui-même et accepter tant bien que mal l'amour de sa fille. Cette situation n'était pas facile tous les jours
- Allez... T'en fais pas, tenta Roman, tu sais, je pense que...
Il ne put continuer sa phrase. Le poste-émetteur de leur voiture se mit en marche et une voix autoritaire que Yevhen identifia comme étant celle d'Andriy Votchyevka, déclara :
- Alerte à toutes les unités. Découverte d'un nouveau meurtre au 14, rue Flyenko. Mobilisation de toutes les unités aux alentours. Je répète, nouveau meurtre découvert.