Note de la fic :
Publié le 20/08/2016 à 03:18:57 par Absolenko
Chapitre 5 :
L'annonce de l'émetteur laissa place à un silence pesant dans la voiture de police. Chacun des deux hommes venait d'encaisser cette information avec surprise et consternation. Yevhen lâcha dans un murmure :
- Un autre meurtre...
- Tu crois qu'il est lié à celui de ce matin ?, demanda Roman.
- En si peu de temps ? Il y a des chances. On ferait mieux de se dépêcher de s'y rendre. Votchyevka doit déjà nous attendre.
Yevhen démarra en trombe et se rendit sur les lieux du crime, rue Flyenko. C'était un pavillon assez semblable à la maison de Nikolai et d'Olga. Yevhen et Roman pouvaient discerner le jardin de devant grâce aux quelques réverbères de la rue. Quelques policiers étaient déjà en train d'inspecter les alentours. Sans plus attendre, les deux majors descendirent et se dirigèrent vers la porte d'entrée. Ils saluèrent vaguement les brigadiers puis entrèrent, soucieux de ce qu'ils allaient trouver à l'intérieur.
A leur arrivée, le commissaire Andriy Votchyevka tourna vivement la tête. Il remarqua Yevhen et déclara :
- Tiens, tu n'es pas en retard ce coup-ci ?
L'attaque était purement gratuite mais Yevhen n'en tint pas rigueur à son supérieur. Il était d'humeur massacrante et cela pouvait aisément se comprendre à la vue des circonstances. Roman ne laissa de toute façon pas à son ami le temps de répondre :
- Où se trouve la victime ?
- Dans le salon, répondit le commissaire.
- Vous avez déjà tiré des conclusions ?
- Non. Je vous attendais. J'ai donné l'ordre au reste des mes hommes d'inspecter le jardin et les alentours.
En effet, ils semblaient être les seuls dans la propriété. Votchyevka marcha en direction du salon, Yevhen et Roman le suivirent. Ils débouchèrent finalement sur les lieux du crime.
C'était une boucherie. La victime, une vieille dame âgée à vue d’œil de 70 ans, gisait piètrement au milieu de la salle, la tête en sang. Yevhen pouvait apercevoir des éclaboussures de ce liquide rouge un peu partout dans la pièce, aussi bien sur le plafond que sur le mur. Le meurtrier avait dû s'en donner à cœur joie.
Ne tenant pas devant ce spectacle horrible, Roman porta les mains à sa bouche et réprima un haut-le-cœur.
- Contenez-vous, Szarszus !, le réprimanda Votchyevka.
Yevhen posa une main sur l'épaule de son ami pour le soutenir. Il savait à quel point il détestait de telles scènes de meurtre.
- Vous avez pu identifier la victime ?, questionna Yevhen.
- Natasha Smirnov. 75 ans. Retraitée et sans histoires apparentes.
- Son profil est quasiment le même que Olga. Avait-elle un mari ?
- Je n'en ai aucune idée. Cependant, j'ai envoyé Boris me chercher le voisin qui a donné l'alerte à la police. Il a entendu des cris et a directement appelé les autorités avant de descendre de lui-même essayer de coincer l'agresseur.
- Très courageux, respecta Yevhen.
- En effet. Malheureusement, il ne trouva que le cadavre de la septuagénaire. Le bougre s'est vite enfui. Le voisin s'est tenu à l'écart de la scène de crime. Il a très bien réagi. Tiens, quand on parle du loup...
Yevhen et Roman, toujours aussi silencieux, tournèrent la tête et virent apparaître un jeune homme, dans la vingtaine, en jean et t-shirt simple. Il avait un visage juvénile qui allait de pair avec ses longs cheveux blonds.
Peu timide, le nouveau venu serra les mains des trois policiers et se présenta :
- Artem Milevenko. Je suis le voisin qui a donné l'alerte. Désolé du retard, j'ai dû enlever mon pyjama et enfiler des affaires plus présentables, vous comprenez. En tant que témoin, dois-je faire une déposition ou autre ?
- Nous n'avons pas le temps d'officialiser la démarche, rétorqua le commissaire, les circonstances sont trop aggravantes. Dites ce que vous savez, nous aviserons après.
Le jeune Artem obtempéra :
- Je m'étais couché vers 23 heures comme je travaillais demain, tôt. Cependant, j'ai mal dormi et je me suis réveillé à 1 heure 30. N'arrivant pas à me rendormir, je me suis levé et j'ai lu un livre histoire de m'occuper. C'est vers 2 heures 35 que j'ai entendu des forts cris aigus provenant de chez les voisins. J'ai appelé la police puis j'ai décidé d'y aller moi-même. Je n'ai vu personne, si ce n'est cette pauvre Natasha.
- Etait-elle mariée ?
- Bien sûr. Avec un homme appelé Nazar. Il avait approximativement le même age que sa compagne. Je ne leur parlais pas tous les jours, mais j'ai déjà discuté vite fait avec eux. Couple très sympathique. Ils ont toujours toléré lorsque je faisais des soirées ou autres. Cela m'attriste vraiment ce qui est arrivé à Natasha.
- Mais ce Nazar, où est-il ? Etait-il en voyage ou absent ?, insista Votchyevka.
- Pas que je sache. Mais ça m'étonnerait, je l'ai vu cet après-midi. Il jardinait.
Andriy Votchyevka se prit la tête dans ses mains et soupira fortement.
- Le mari a sûrement été enlevé, non ?, fit Yevhen.
- En tant que professionnel, je te dirais de ne pas tirer de telles conclusions hâtives, répliqua son supérieur, mais mon instinct me crie la même chose. Malheureusement.
- Mais rien ne nous dit que c'est le même homme qui a agressé Olga et enlevé Nikolai. Cela pourrait être un imitateur ou tout simplement un cas isolé sans aucun lien avec l'affaire Hotchenko. Ne crions pas de suite au tueur en série.
Votchyevka regarda longuement la victime et répondit finalement :
- Tu as raison, Yevhen. Mais dans les deux cas, rien ne change. On a une nouvelle affaire sous les bras.
Yevhen inspecta la salle et ne remarqua que maintenant la quantité de sang se trouvant sur les murs ou sur le mobilier. Ce mobilier-même était sans dessus dessous, il y avait eu un affrontement. Exactement comme chez Olga et Nikolai Hotchenko. Là où les deux affaires différaient était à propos du mode opératoire. Olga avait été étranglée avec ses propres mains tandis que Natasha avait eu le crâne fracassé avec un quelconque objet contondant. Tout du moins était-ce ce que Yevhen concluait avec ses propres yeux. Roman tentait toujours de ne pas vomir et Votchyevka grommelait dans son coin.
- Merci pour votre aide, fit Votchyevka à Artem, nous vous recontacterons en cas de besoin. Allez finir votre nuit.
Artem inclina la tête et sortit de la maison. Il croisa en chemin un autre homme. Un homme plus grand, plus nuancé, aux lunettes rectangulaires et portant un costume complet affreusement vert. Son apparition fit un bien fou à Votchyevka.
- Nygmenko ! Enfin !
- Commissaire, le salua le scientifique.
Edgar Nygmenko serra la main avec entrain de Yevhen et Roman, puis celle d'Andriy Votchyevka. Alors qu'il était silencieux depuis une dizaine de minutes, se sentant trop mal, Roman ne put s'empêcher d'émettre un commentaire sur la tenue vestimentaire de son confrère, fidèle à lui-même.
- Tu te reconvertis en farfadet ou quoi ?
- Bien tenté, sourit Edgar, mais pour ta gouverne, sache que les créatures imaginaires à dominante verte sont en réalité les leprechaun, qui viennent d'Irlande. Je ne te blâme pas, ils sont souvent à tort confondus avec les farfadets, qui eux font partie du folklore français.
Yevhen ne put s'empêcher de rire en voyant la mine déconfite de son ami, qui n'aimait pas qu'on riposte à une de ces vannes. Roman, grinça des dents et rétorqua :
- C'était ça la blague. Que je me trompe de mot.
- Oh. Joli dans ce cas. Mais trop subtil à mon goût.
Votchyevka, qui détestait les divagations de Nygmenko et les boutades de Roman lorsqu'ils étaient en pleine affaire, s'énerva :
- Vous avez terminé oui ?! Je vous rappelle qu'on a peut-être un tueur en série en liberté ! Et un nouveau cadavre qui attend tes examens, Nygmenko.
- Excusez-moi, commissaire.
Edgar Nygmenko posa sa valise sur le sol, près du corps de Natasha. Il s'agenouilla ensuite et inspecta avec minutie la victime. Il plissa les yeux et rajusta ses lunettes. Pendant ce temps, Yevhen, Roman et leur supérieur attendirent dans le silence le plus total.
Chacun était dans ses pensées. Andriy Votchyevka triturait cette affaire dans tous les sens dans son esprit. Cela ne lui disait rien qui vaille. Il espérait secrètement que l'épisode Hotchenko soit un cas isolé et qui serait résolu rapidement. Mais ce nouveau meurtre présageait l'arrivée d'un tueur en série et surtout apportait de la complexité à l'enquête. Yevhen, quant à lui, avait laissé divaguer son esprit, ce dernier quittant la scène de crime. Il pensait à sa fille, qui lui avait menti. Pourquoi ? Pour quoi faire ? Cette question le préoccupait bien plus que le meurtre de cette Natasha. Enfin, Roman tentait seulement de ne pas vomir.
- L'arme est un marteau, annonça soudainement Edgar, le crâne est enfoncé si bien que les yeux ressortent un peu de leurs orbites. Cela coïncide également avec les éclaboussures de sang qui s'étendent jusqu'au plafond.
- Szarszus, inspecte la pièce pour voir si le marteau ne traîne pas quelque part. On ne sait jamais.
Roman ne se fit pas attendre et s'exécuta, trop heureux d'être arraché à la contemplation du cadavre. Votchyevka se tourna ensuite vers Nygmenko et demanda :
- Tu peux tirer quelque chose d'autre du corps ?
- Je peux examiner les différentes empreintes sur le corps ou sur les meubles alentours, voir si le coupable s'est trahi lui-même...
- Parfait. Fais donc ça.
- Pourquoi ne pas avoir fait la même chose chez Olga et Nikolai Hotchenko ?, intervint Yevhen.
- Ce fut fait, l'informa Votchyevka, mais Edgar et son équipe n'ont rien trouvé. Aucune empreintes autres que celles de Nikolai et de sa défunte femme.
Nygmenko se mit au travail aussitôt. Il sortit ses multiples affaires puis appela son équipe afin qu'ils viennent l'aider. Il se tourna ensuite vers Yevhen et Votchyevka.
- Je vais avoir besoin d'espace. Vous pouvez vous en aller. De plus, nous n'obtiendrons des résultats que dans la matinée, avec de la chance. Vous devriez aller dormir.
Le commissaire accueillit la proposition d'Edgar avec un hochement de tête. Yevhen s'étonna :
- C'est tout ? On ne fait rien ?
- Pour le moment. Ce meurtre offre des nouvelles pistes et possibilités. J'aurais besoin de toi et de Roman aussi frais que possible. Oubliez votre patrouille et allez vous reposer. D'ailleurs, en parlant de Roman, où est-il ? Je l'avais fait chercher le marteau du crime.
- Aux toilettes, sans doute.
Andriy Votchyevka leva les yeux au ciel. Yevhen lui demanda ensuite :
- Et vous ? Vous restez ici ?
- En effet. Il a beau être trois heures du matin, je mettrais ma main à couper que les premiers journalistes se pointeront d'ici quelques minutes. Je serais prêt à les accueillir.
Yevhen prit congé de son commissaire et alla récupérer Roman qui était toujours aussi pâle.
- Ca va ?, s'enquit-il.
- J'ai connu mieux... Que fait-on ?
- Je te dépose chez toi. On a ordre de dormir pour être opérationnel dès l'aube.
Les deux agents sortirent du pavillon et se dirigèrent vers leur voiture de fonction tout en souhaitant bonne chance à leurs collègues occupés à l'extérieur. Ils s'installèrent, Yevhen au volant, Roman côté passager. Ce dernier répondit avec un sourire :
- J'aime quand Votchyevka nous donne de tels ordres.
- Arrête de sourire... Si je te connaissais pas aussi bien, je croirais que tu te fous de l'affaire.
- Mais tu me connais, non ?, rétorqua Roman, ce qui est en train de se passer m'inquiète tout autant. Juste que ce n'est pas pour autant que je dois faire la gueule et tomber en déprime. Hein, Yevhen ?
- Ca va, ça va...
Yevhen n'ajouta rien d'autre et démarra aussitôt. En chemin, ils ne s'échangèrent aucune parole. Chacun avait l'esprit occupé par la scène de crime qu'ils venaient de découvrir. Ils attendaient avec appréhension les résultats de l'équipe de Nygmenko. On arrivait à un tournant majeur de l'enquête.
Yevhen s'arrêta devant l'immeuble où logeait Roman. Ce dernier sortit puis salua son ami avant de fermer la portière. Il soupira. Yevhen n'avait pas répondu, il s'isolait de nouveau.
Ensuite Yevhen reprit sa route et s'arrêta cette fois devant chez lui. Lorsqu'il pénétra dans le salon, il trouva sa fille endormie devant la télévision, toujours allumée et diffusant une série policière. Il l'éteignit puis regarda sa fille. Une boule vint lui serrer la gorge. Pourquoi lui avait-elle menti ?
Il se dirigea vers sa chambre. Il enleva sa veste et la balança au sol avec négligence. Il vit alors un petit sachet qui tomba par terre : de l'herbe. Celle qu'il avait confisqué à Volodymyr. Il se pencha pour la ramasser et la tritura entre ses doigts. Cela lui rappelait sa dépendance à la drogue il y a déjà plusieurs années, lorsqu'il était dans une longue période de déprime et de faiblesse. Il lui avait fallu toute l'aide de Yulia avant que celle de Roman pour s'en sortir et remonter la pente. Il n'avait plus retouché à de telles substances depuis.
Il sentit avec effroi la tentation ressurgir. Fébrilement, il rangea le sachet dans le tiroir de son bureau. Juste au cas où...
* * *
Yulia se réveilla subitement, à la sonnerie de son téléphone portable qu'elle avait placé au préalable en mode « réveil ». Elle émergea doucement puis se leva du canapé. Il était 7 heures. Yulia ne commençait pourtant à travailler au centre social qu'à partir 8 heures 30. Et pour cause, elle avait prévu de passer au QG de l'association caritative « Plats pour tous » avant de se rendre à son boulot. Elle savait que les bénévoles se réunissaient tous les matins, très tôt pour ne pas louper leurs emplois respectifs, afin de réunir les repas et de les distribuer aux sans-abris ou aux familles en difficulté. Elle voulait y faire une petite visite pour en apprendre plus sur sa mère. Elle espérait y trouver des personnes l'ayant connu à l'époque.
Elle s'habilla à la hâte, enfourna deux barres de céréales comme petit déjeuner puis laissa un mot à son père où elle lui souhaitait une bonne journée.
Yulia prit ensuite sa voiture et roula jusqu'au centre-ville. Elle se gara juste en face du centre de « Plats pour tous ». Elle pouvait déjà voir quelques bénévoles décharger des cartons d'un camion.
- Bonjour, salua-t-elle poliment en approchant du camion.
- Bonjour, que puis-je faire pour vous, mademoiselle ?, lui sourit un solide homme d'une trentaine d'années.
- Je...
Trop pressée voire excitée par sa petite enquête, elle n'avait même pas pensé à comment aborder le sujet. En outre, son interlocuteur était trop jeune pour avoir connu Zlata.
- C'est compliqué... J'aimerais parler aux plus vieux membres de l'association, s'il vous plaît.
L'homme haussa les sourcils. Il ne comprenait pas la requête de Yulia. Cependant, il n'y voyait aucun inconvénient et lui montra à l'intérieur du bâtiment :
- Vous pouvez entrer. C'est ceux qui ont le plus de rides.
Yulia gloussa puis le remercia d'un signe de tête. Elle pénétra dans la salle où se trouvait des dizaines de cartons. Des personnes en sortait leur contenu, des plats pré-cuisinés. Aucun bénévole n'avait remarqué son entrée si bien qu'elle resta plantée là sans savoir qui aborder.
Elle décida alors de suivre la plaisanterie de l'homme qu'elle venait de rencontrer et se dirigea vers une vieille dame qui semblait faire les comptes des plats, assise à une table.
- Bonjour.
- C'est pour quoi ?, fit la bénévole en levant la tête.
- Eh bien... Je me présente, je suis Yulia, je suis la fille de Zlata Kryukova. Ce nom vous dit quelque chose ?
Yulia vit les yeux de la dame s'agrandir.
- Vraiment ?
- Euh... Oui...
- Daniel ! Ivan ! Venez-voir !
Surprise, Yulia se laissa faire lorsque la bénévole lui fit la bise en se présentant :
- Moi c'est Mary, heureuse de te rencontrer Yulia.
Les dénommés Ivan et Daniel vinrent la saluer également, intrigués.
- C'est la fille de Zlata, leur expliqua Mary.
La réaction d'Ivan et de Daniel fut la même que celle de Mary. Ils bloquèrent pendant un cours instant.
- Vous connaissiez ma mère, donc ?, demanda Yulia.
- En effet, répondit Mary, elle avait été bénévole durant plusieurs mois. Elle était adorable.
- Maintenant que tu nous le dis, tu lui ressembles beaucoup, intervint Ivan.
Daniel acquiesça de la tête. Mary reprit :
- Tu as des nouvelles de ta mère ?
- Non, répondit Yulia, pourquoi ? Je devrais ?
Les trois vieux bénévoles s'échangèrent des regards gênés.
- On pensait qu'elle te contacterait..., s'excusa Mary.
- Ecoutez. Si je suis venu ici, c'est que je cherche à connaître la vérité à propos de ma mère. Quand est-ce que vous l'aviez vu pour la dernière fois ?
Mary réfléchit quelques secondes puis répondit :
- La veille de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, donc.
- Elle avait le ventre très arrondi, précisa Daniel, on lui avait dit de rester chez elle le temps qu'elle accouche. Mais elle n'en faisait qu'à sa tête, surtout lorsqu'il s'agissait d'aider les plus démunis.
- Puis elle s'est rendue à l'hôpital le soir-même, elle avait des contractions très fortes. Je suppose qu'ensuite elle t'a donné naissance.
- Je suis née le lendemain, approuva Yulia, et depuis ? Vous ne l'avez plus vu ?
Mary fit « non » de la tête.
- Nous avions effectué une collecte entre bénévoles pour lui offrir un cadeau, pour son accouchement. Elle passait énormément de temps ici, dès qu'elle le pouvait. C'est pour ça qu'elle nous a laissé un souvenir ineffaçable. Nous étions très proches, d'où le cadeau. Puis...
Elle soupira et continua :
- Puis quelques jours plus tard, Yevhen vint nous voir pour nous dire que Zlata l'avait quitté. Subitement. Abandonnant son enfant.
Le visage de Yulia s'assombrit, elle venait de réaliser que son père n'avait pas menti qu'à elle.
- Vous ne vous étiez pas rendus directement à la maternité ?, fit-elle.
- Nous avions préféré les laisser profiter ce moment seuls. De plus, nous ne connaissions ton père que de vue. Puis tu sais, il y eut la catastrophe de cette fichue centrale nucléaire. Nos pensées étaient quelque peu... désordonnées.
- Et vous croyez ce que vous avez dit mon père ?
Ivan haussa les épaules puis prit la parole :
- Ça nous a parus extrêmement bizarre. Ce n'était pas le genre de Zlata qui attendait ta venue avec des étoiles dans les yeux. Puis c'était une orpheline. Pour aller où ?
- Elle transpirait la joie de vivre. Je ne voyais pas non plus pourquoi elle quittait sa vie où elle était si épanouie, ajouta Daniel.
- Mais que veux-tu Yulia ? Nous ne voyions pas pourquoi il nous aurait mentis... Nous l'avions cru puis nous sommes passés à autre chose, peu à peu. Tu crois qu'il ment ?
- Je connais mon père. Je sais qu'il s'est isolé sur lui-même depuis des années. Il s'enferme dans son mensonge. Je veux savoir ce qui est vraiment arrivé à ma mère.
Mary, Daniel et Ivan se regardèrent entre eux, perplexes. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne s'attendaient pas à voir ressurgir un fragment de leur passé qui datait d'il y a 21 ans.
Les deux hommes posèrent leur main sur les épaules de Yulia et l'encouragèrent dans sa démarche. Mary fit de même mais la prévint :
- Yulia, si ta mère a disparu depuis 21 ans, l'issue ne peut en être que tragique. Es-tu sûr de toi ?
- Evidemment !, répondit la jeune femme avec véhémence, quelque soit la vérité, je veux la découvrir. J'espère également que cela forcera mon père à sortir de sa bulle.
Les trois bénévoles lui souhaitèrent bonne chance puis Yulia sortit de la salle, plus déterminée que jamais. Certes, sa visite n'avait pas été un franc succès, Yevhen leur avait menti aussi. Mais elle était désormais persuadée que quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire.
Elle saura la vérité sur sa mère.
* * *
Le réveil de Yevhen sonna dès l'aube à 7 heures 50. Il n'avait dormi que 4 heures et eut du mal à émerger. C'était la dure vie de policier, surtout lors d'une telle enquête. Il n'avait que peu de temps à se consacrer, à lui ou à sa fille.
Yulia, justement. Il trouva son mot sur la table de la cuisine. « Bonne chance pour aujourd'hui ». Il le contempla avec mélancolie. Il n'avait pas toujours digéré le mensonge de sa fille. Il allait lui en parler dès qu'ils en auraient l'occasion.
Pour le moment, il se contenta de s'habiller rapidement et de se rendre au commissariat dans les plus brefs délais. Une fois sur place, il rentra dans l'immense hall aux multiples bureaux puis se dirigea vers le sien et celui de Roman. Il y vit son supérieur, Andriy Votchyevka, qui discutait avec son partenaire de toujours.
Il vint se joindre à eux en s'asseyant sur sa chaise. Il les salua. Roman et Votchyevka firent de même et se tournèrent vers lui. C'est là que Yevhen vit les impressionnantes cernes de son chef. Il n'avait sûrement pas dormi de la nuit.
- Wow, souffla-t-il, vous allez bien ?
- Je survivrais, fit Votchyevka, je suis claqué mais mon esprit est de toute façon trop occupé pour pouvoir se reposer. J'ai dû faire face aux journalistes une grande partie de la nuit, puis j'ai eu un entretien avec le maire.
- Sérieux ?, s'étonna Yevhen.
Lui-même habitant à Kiev depuis une vingtaine d'années, il n'avait que très peu rencontré les maires successifs.
- Ce n'est pas si étonnant, répondit le commissaire en haussant les épaules, il n'apparaît que quand sa place est menacée. Il s'en moque des victimes. Il a juste peur que cette affaire sordide retourne l'opinion public et compromette sa ré-élection.
- Et il y a des rumeurs qui ne font pas de lui un personnage honnête, surenchérit Roman, qu'est-ce qu'il vous a dit ?
- Le bazar habituel.
Votchyevka prit alors une voix niaise et singea le maire :
- « Vous comprenez, avec tout le respect que je vous dois, j'ai l'impression que l'affaire traîne en longueur ». « J'exige des résultats prochainement ». « Activez-vous, que diable ! »
Yevhen ne peut réprimer un sourire. Votchyevka était un râleur-né si bien qu'il rendait certaines situations bien comiques. Ce dernier soupira et enchaîna :
- Faut qu'il comprenne aussi que d'autres affaires secouent également Kiev. Par exemple, Nygmenko et son équipe n'ont pas encore fini d'examiner le cadavre de Natasha. Tout simplement parce que dans le même temps, ils ont aussi la femme de Pietro à examiner, entre autres.
Yevhen avait complètement oublié la femme de l'ex-chef de la mafia. Ils avaient contribué à découvrir sa défunte femme, alors que lui et Roman pensaient être sur la piste de l'agresseur de Nikolai.
- Où est Pietro ?, demanda-t-il.
- Toujours en détention provisoire. Il accuse son fils du meurtre de sa femme. On attend d'attraper le fils en question, pour avoir l'autre version de l'histoire. Mais j'ai confié l'affaire à d'autres. Nous avons assez de préoccupations comme ça.
Roman ouvrit la bouche lorsqu'une sonnerie l'empêcha de parler. Andriy Votchyevka sortit son téléphone portable, le colla à son oreille et répondit :
- Allô ? Edgar ? … Ok, ça marche. On arrive.
Il raccrocha et rangea son portable. Puis il se tourna vers ses deux majors.
- Nygmenko nous demande de le rejoindre dans son labo. Il dit que c'est urgent.
Sans plus attendre, Yevhen et Roman se levèrent et emboîtèrent le pas à leur commissaire.
Le laboratoire affilié au commissariat se trouvait juste à côté. C'était un petit bâtiment annexe. Ainsi, ils durent sortir à l'extérieur avant de pénétrer dans le-dit labo.
Yevhen n'y était allé que rarement. En général il n'avait pas besoin de se déplacer, les scientifiques venant d'eux-mêmes ou envoyant les résultats par e-mail. Quand il avait dû s'y rendre, il n'était jamais allé plus loin que le hall d'accueil.
Cette fois-ci, ils dépassèrent le comptoir, la secrétaire de l'accueil les saluant furtivement, puis passèrent une porte qui donnait sur un escalier. Yevhen fut surpris de constater que le laboratoire était bien plus grand qu'il n'en avait l'air. En effet, si de l'extérieur il ne payait pas de mine, il s'étendait en réalité par le dessous.
Ils empruntèrent un long escalier puis débarquèrent dans une immense salle regroupant des dizaines d'ordinateurs dernier cri et d'autres appareils que Roman et Yevhen ne purent identifier au vue de leurs maigres connaissances scientifiques.
- Ouah..., lâcha Roman, on a des moyens au commissariat.
- Tu n'y étais jamais allé ?, lui demanda Yevhen.
- Non. Ces engins doivent coûter une fortune. Si j'avais su, j'aurais demandé une augmentation !
Votchyevka, silencieux jusque-là, se tourna et rétorqua :
- Ne t'emballe pas, Szarszus, c'est bien plus complexe. Le laboratoire n'est que partenaire du commissariat de Kiev. Il appartient à une communauté de scientifiques, qui a financé tous ces joujous électroniques.
- Vous n'êtes donc pas l'employeur d'Edgar ? Vous ne pouvez donc pas le virer ?, devina Yevhen.
- C'est exact. Néanmoins, je peux émettre une réserve à ses supérieurs qui peuvent le faire à ma place.
- On en apprend tous les jours, commenta Roman.
De multiples portes ornaient les quatre murs de cette grande salle. Elles donnaient sur les laboratoires à proprement parlé, là où on étudiait les cadavres ou on effectuait certains tests. Votchyevka avait l'air de connaître l'emplacement du labo de Nygmenko et ouvrit la porte correspondante, toujours suivi de ses deux majors.
Yevhen, qui pensait trouver une pièce tout aussi sophistiquée que la salle principale, fut déçu de voir une pièce rustique et étroite. Sur une table était posée le cadavre de Natasha, la seconde victime de l'affaire. Elle était nue et allongée bras tendus au corps. Edgar Nygmenko, en tenue de travail, se trouvait à côté et semblait les attendre.
Votchyevka se tourna alors vers Roman :
- Ca va aller ?
L'intéressé hocha la tête et répondit :
- C'est juste sur les scènes de crimes que j'ai du mal.
- Bien. Pourquoi nous as-tu appelés, Nygmenko ? Tu as du nouveau ?
Edgar était assez embarrassé. Ses mains se caressaient machinalement et il peinait à trouver ses mots. Il commença finalement :
- Le meurtre de cette pauvre femme est une horreur, comme je n'en ai jamais vu. Son agresseur lui a démonté l'arrière du crâne à plusieurs reprises. D'où les éclaboussures de sang trouvées un peu partout sur le lieu du crime ainsi que ses yeux sortant de leurs orbites. A ce stade, Natasha était déjà morte. D'une crise cardiaque. Son cœur n'a pas tenu le choc. Cependant, l'agresseur continua à frapper la victime, toujours au marteau, sur ses jambes, ses bras... Il lui notamment pété le genou.
- Celui qui a fait ça est un monstre, chuchota Yevhen, littéralement sous le choc.
- Nous n'avons pas retrouvé le fameux marteau, fit Votchyevka, j'osais espérer qu'il y ait des empreintes ADN sur la victime.
- Il y en a. L'agresseur n'a pas été prudent sur ce coup. J'ai retrouvé plusieurs empreintes sur l'ensemble du corps de la victime. Il semblerait que cette dernière se soit débattue et qu'il ait dû la maintenir. Sur le bras, le ventre... Je n'avais que l'embarras du choix.
- Et donc ?, le pressa Votchyevka, tu as pu identifier le coupable ?
- J'ai comparé ces empreintes obtenues à la base de données ADN que l'on dispose. Et... Oui. L'agresseur de Natasha répond au nom de Nikolai Hotchenko.
Andriy Votchyevka se bloqua et resta immobile, sous le choc.
- Nikolai ? Le mari de la première victime ? Celui qui était censé avoir été enlevé ?, fit Roman.
Edgar approuva d'un hochement de tête. Yevhen demanda alors au scientifique :
- C'est fiable ton truc ? Tu es sûr de toi ?
- Nous sommes en 2007, plus à l'âge de pierre, gloussa Edgar, le résultat est fiable à 99%.
- Chef ? Vous allez bien ?, s'inquiéta Roman en voyant son commissaire toujours sans aucune réaction.
Ce dernier sortit finalement de sa léthargie et se massa les tempes, sourcils froncés. Il grommela :
- Non. Non, je ne vais pas bien... Nous avons fait une erreur de débutant. On a décidé d'emblée que Nikolai avait été enlevé. Jamais on a envisagé la possibilité que ce soit lui qui ait étranglé sa propre femme.
- C'est quand même étrange, commenta Roman, le corps d'Olga se trouvait dans le salon pourtant le hall d'entrée était dévasté.
- De plus, du sang de Nikolai avait été trouvé sur les meubles de ce hall, ajouta Edgar, ce n'est pas votre faute chef. Vous avez été victime d'une mise en scène. Nikolai a vraisemblablement manipulé la scène de crime pour que nos soupçons ne le concernent pas.
- Même, Nygmenko, même, insista Votchyevka, j'aurais dû envisager toutes les possibilités. On revient à zéro. Encore. Qu'en penses-tu, Chevakova ?
Jusque là, Yevhen était resté passablement silencieux, perdu dans ses pensées. Il ne se rendit compte que son supérieur lui avait adressé la parole que quelques secondes plus tard :
- Hein ?
- Que penses-tu de cette affaire ?, répéta Votchyevka, agacé de devoir répéter.
- Oh. Et bien c'est un retournement de situation inattendu. Cependant, il faut voir le bon côté des choses. Désormais nous connaissons le coupable du meurtre d'Olga et de Natasha. On peut mettre un visage sur ces crimes. Cela reste une avancée dans l'enquête.
- C'est une vision des choses. Bien, on a assez traîné. Il nous faut rebondir sur cette information. Beau travail, Nygmenko. Crois-tu pouvoir obtenir encore quelque chose des deux scènes de crime ?
- Je ne pense pas. Mais ça ne coûte rien de vérifier à nouveau.
- Fais donc ça. Chevakova, Szarszus, allez aux archives et demandez les dossiers des affaires non-élucidées depuis trente ans à Kiev. Le dossier judiciaire de Nikolai était vierge, mais il se peut qu'il ait déjà commis un crime dont on n'a pas pu déterminer le coupable. De mon côté, je vais encore convoquer Sasha et lui annoncer la mauvaise nouvelle...
Roman soupira longuement en secouant la tête :
- Le pauvre... Apprendre que son père est un tueur en série en puissance, je ne souhaite ça à personne.
- Je ne suis pas non plus enthousiaste à lui ruiner une nouvelle fois le morale, fit Votchyevka avec fatalité, mais je le dois. Il est possible qu'il ait des informations précieuses. Je dois également recevoir la famille de Natasha et de Najar.
- C'est vraiment du sale boulot de s'entretenir avec les familles des victimes..., chuchota Edgar.
- Il faut bien que quelqu'un s'en charge, répondit le commissaire en haussant les épaules. Bon, je vous souhaite bonne chance. On y va.
Roman fut le premier à sortir de la pièce tandis que Nygmenko rangeait son bureau. Yevhen allait suivre son comparse de toujours lorsque Votchyevka lui tint le bras. Surpris, Yevhen se retourna et questionna son supérieur du regard :
- Tu m'as l'air assez pensif ce matin, Chevakova. Tout va bien ?
- Oui, chef, mentit-il.
Excédé, Votchyevka lâcha le bras de son major et haussa légèrement la voix :
- Arrête ton char. Je vois bien que quelque chose te tracasse. En tant que commissaire, je me dois aussi de veiller à l'état moral de mes hommes. Ça a toujours été ton problème. Depuis que je suis au poste tu n'es jamais sorti de ta bulle.
- Je suis désolé, mais mes problèmes ne vous regardent pas. Vous êtes mon supérieur et non mon père. Du moment que je fais bien mon boulot, je n'ai aucun comptes à vous rendre.
Sans laisser à Votchyevka le temps de répondre, Yevhen rejoignit Roman qui l'attendait près des escaliers permettant de monter vers la sortie :
- Qu'est-ce qu'il te voulait ?
- Rien, oublie.
- Très bien, soupira son ami en levant les yeux au ciel.
Roman n'insista pas. Il savait que c'était inutile. De plus, il en avait l'habitude depuis plusieurs années, et Votchyevka leur avait donné une tâche à effectuer. Ils remontèrent les escaliers qui les menèrent à l'accueil du laboratoire. En saluant la réceptionniste, ils sortirent et se dirigèrent vers le commissariat.
* * *
Les bras chargés de dossiers plus gros les uns que les autres, Roman et Yevhen débarquèrent dans le hall du commissariat après un tour aux archives. Ils avaient demandé et emprunté les dossiers des meurtres non-résolues depuis vingt ans dans la capitale. Il y en avait beaucoup plus que ce qu'ils avaient imaginé.
Yevhen n'était pas sûr que cette démarche serait concluante. Les chances pour que Nikolai ait déjà perpétré un meurtre, non-résolu de surcroît, étaient très faibles. Et quand bien même c'était le cas, rien n'indiquait qu'ils puissent établir un lien entre cette affaire et les meurtres actuels. Yevhen savait que Votchyevka leur avait collé cette tâche pour les occuper mais aussi parce qu'ils étaient au point mort.
Ils se posèrent à leur bureau, face-à-face comme à leur habitude. Ils posèrent les piles de papiers sur la table.
- Ça ne nous mènera à rien, commenta Roman.
- Ordre de Votchyevka, répondit Yevhen en haussant les épaules, puis nous n'avons aucune piste.
- Ce que je ne comprend pas, c'est pourquoi Nikolai ait allé tué Natasha et enlevé Najar ?
- Ah ? Tu crois que Nikolai est le tueur ? Même s'il cultive un potager ?, le taquina Yevhen.
Roman éclata d'un rire sonore qui fit tiquer un policier non loin qui tentait de se concentrer.
- Désolé Aleksandr, s'excusa-t-il en voyant son camarade soupirer, je ferais moins de bruit.
- J'espère bien. Si tu veux qu'un jour je te passe à nouveau mes jumelles..., répliqua Aleksandr qui avait retrouvé son humour.
Lorsque ce dernier se replongea dans son travail, Roman se tourna vers Yevhen :
- Tu abuses. Tu fais tellement peu de blagues que tu me surprends lorsque t'en fais une.
Il remarqua alors que son ami regardait à sa gauche, ses yeux essayant de repérer quelque chose :
- Qu'est-ce que tu cherches ?
- Lilya... Elle n'est pas là.
- Si j'ai bonne mémoire, elle a été affectée à l'affaire du meurtre de la femme de Pietro. Elle et ses partenaires cherchent son fils. Tu ne la verras pas beaucoup au poste ces prochains jours. C'est pour ça que je voulais absolument que tu l'invites la dernière fois.
- Merde, mon rendez-vous au restaurant avec elle. J'avais oublié ce problème...
- Vous avez fixé une date ?
- On n'a pas vraiment eu le temps de se reparler depuis. Je verrais.
Yevhen allait continuer à répondre à son coéquipier lorsqu'il vit du coin de l’œil un civil entrer dans le commissariat. Il le reconnut aussitôt pour l'avoir aperçu à plusieurs reprises :
- C'est Sasha, le fils de Nikolai.
- Ah ? En effet. Votchyevka l'a convoqué. Pauvre gars.
Ils virent Sasha s'adresser à un policier. Celui-ci lui indiqua avec le doigt une salle destinée aux entretiens privés. Quelques dizaines de seconde plus tard, le commissaire fit son entrée à son tour dans le hall. Le même policier se leva et lui informa que Sasha l'attendait dans la salle d'entretien.
Votchyevka ouvrit la porte de la salle d'entretien puis la referma aussitôt. La pièce était exiguë et n'était éclairé que par une seule lampe, créant ainsi une étrange atmosphère obscure digne des plus grands films policiers. Le commissaire serra ensuite la main de Sasha, assis, avant de prendre place à son tour en face de lui, une table seule les séparant.
- Pourquoi m'avoir convoqué ici ?, s'étonna Sasha, c'est la première fois que j'entre dans une telle pièce. Que se passe-t-il ?
- Hum... Disons que nous avons besoin d'un tant soit peu d'intimité.
- Rien de grave ?, commença par s'inquiéter le fils de Nikolai.
Andriy Votchyevka grimaça nerveusement. Il détestait ce genre de situation. Il n'était que commissaire depuis quelques années mais avait déjà dû faire face à de telles situations gênantes. Annoncer à une personne que son père avait finalement été retrouvé dans un fossé, mort, était un exemple parmi quelques autres cas. Cependant, c'était la première fois que Votchyevka se trouvait confronté face à une telle situation : annoncer à un homme que son père... était le criminel en question.
Sasha remarqua rapidement la gêne de son interlocuteur et répéta :
- Rien de grave ? Commissaire, si vous devez dire quelque chose, dites-le. Il est mort, c'est ça ?, ajouta-t-il sans pouvoir empêcher ses yeux de s'embuer.
- Nous n'avons pas retrouvé votre père. Vous avez lu les nouvelles ce matin ? Ou allumer la télévision ?
- Non. Je n'ai pas vraiment la tête à ça. Pourquoi ?
- Cette nuit, il y a eut un autre meurtre. Une vieille femme, la tête fracassée par un marteau. Son mari est introuvable. Par imprudence de l'agresseur, nous avons cette fois retrouvé ses empreintes sur le corps de la défunte femme. Nos scientifiques ont examiné cette échantillon. Et grâce à la banque de données ADN il a pu déterminer l'identité du coupable. Il s'agit... de votre père.
La bouche du pauvre Sasha s'ouvrit sans émettre de son. Trop abasourdi, il ne pouvait réagir à cette information. D'un air désolé, Votchyevka esquissa un geste de réconfort. C'est là que Sasha se ré-anima et exprima un brusque geste de recul :
- Menteur ! C'est impossible !
- Calmez-vous, je vous prie. Je sais que c'est une terrible épreuve pour vous. Mais il faut voir les choses en face. Je suis désolé de vous asséner une telle chose, mais votre père a maquillé le meurtre de votre mère pour qu'il puisse se volatiliser tout en laissant croire qu'il se fasse enlever !
Excédé, Sasha se leva sans retenue, faisant tomber sa chaise sur le sol :
- Je refuse de laisser une bande de pseudo-experts scientifiques salir ainsi mon père ! Il n'a rien d'un tueur ! Vous l'aviez déjà accuser de dealer de la drogue, et maintenant ça ! C'est quoi votre problème ?
Votchyevka, impuissant, se tordait les mains et était rester assis. A l'évidence, il avait manqué de tact. Néanmoins, il n'avait aucune idée de comment aborder le sujet. Bien sûr, il avait eut à étudier l'approche psychologique avec les victimes lors de sa formation, mais ce n'était pas pour autant son point fort.
Craignant peut-être que Sasha n'esquisse un quelconque geste d'agressivité envers son commissaire, un policier fit son entrée dans la salle et demanda :
- Tout va bien commissaire ?
- Oui, oui. Ne vous inquiétez pas pour moi.
Votchyevka se leva au même moment que Sasha s'affala au sol, en pleurs.
- Son agressivité n'était qu'une étape, expliqua Votchyevka au policier, lorsqu'une personne apprend une telle nouvelle, elle passe par l'hébétement, la colère et puis la tristesse. Seul le temps pourra réparer une telle blessure.
Le brigadier acquiesça silencieusement de la tête tout en ne pouvant s'empêcher de fixer le fils de Nikolai et d'Olga. Il éprouvait un certain malaise à la vue de ce trentenaire pleurant toutes les larmes de son corps tel un enfant. Il n'arrivait pas à imaginer la souffrance que pouvait ressentir cet homme ayant perdu sa mère et ayant comme père un tueur.
Votchyevka sortit de la salle en lâchant un dernier ordre :
- Surveille-le pour pas qu'il ne fasse une chose stupide.
- Bien, commissaire.
Votchyevka fit quelques pas dans le couloir désert. Là, il s'arrêta et frappa violemment le mur. Il avait beau avoir la réputation d'un grognard et d'un dur, il n'était pas resté insensible à la vue de cet homme déchiré par de tels événements.
* * *
Sviatoslav mordit dans son hamburger tout en veillant à ne pas salir le siège de la voiture. Cet homme d'une cinquantaine d'années au ventre bedonnant disposait désormais d'une longue carrière au sein de la police. D'abord affecté dans de petits postes dans des villes mineures, il avait été affecté au commissariat de Kiev il y a 25 ans. Las, trop paresseux et peu intelligent, il avait stagné et n'avait obtenu aucune réelle promotion.
C'est ainsi qu'il s'était vu infligé une banale opération de surveillance au sein de l'affaire du meurtre de la femme de Pietro, l'ex-chef de la mafia. En effet, il avait pour mission de guetter non loin de « l'Ukrainien Volant ». Le fameux restaurant servant de façade aux agissements de la mafia. Ainsi, ses supérieurs espéraient que le fils de Pietro se pointe au restaurant afin de prendre contact avec les ex-collègues de son père.
C'était évidemment une piste à faible probabilité de réussite que s'était vu infligé Sviatoslav. Cependant, il était loin de s'en plaindre. Cela lui permettait d'échapper à d'autres tâches plus éreintantes et de pouvoir glander toute la matinée. De plus, il partageait avec Roman un amour inconditionnel pour les hamburgers. Sauf que contrairement au partenaire de Yevhen, le sport lui était inconnu et son ventre avait gonflé au fil des ans.
Sviatoslav jeta un œil amusé à sa partenaire qui se trouvait à côté de lui, sur le siège passager. Elle semblait prendre sa mission très à cœur et scrutait avec attention la devanture de « l'Ukrainien Volant ». Et à l'évidence, il trouvait cette situation bien comique.
- Eh, déstresse Lilya !, lança-t-il, on dirait que tu as un balai dans le cul !
Lilya ne répondit pas et se contenta de froncer les sourcils. Elle n'appréciait pas vraiment la compagnie de ce Sviatoslav qu'elle considérait comme étant la lie de la police actuelle. Inactif, peu débrouillard et incompétent, il était en outre assez désagréable et sans-gêne. De plus, il ne se cachait même pas d'être corrompu par la mafia, puisqu'il faisait de nombreuses références humoristiques à ses amis mafieux.
Néanmoins, on l'avait affecté avec lui à la surveillance du restaurant pour la matinée, faute d'autres pistes potables.
En enquêtant sur l'affaire d'Olga et de Nikolai Hotchenko, Yevhen et Roman avaient indirectement causé la découverte du cadavre de la femme de Pietro, nommée Alevtina. Rapidement, Pietro avait accusé son fils Youri d'être l'auteur de ce meurtre. Depuis, Votchyevka avait confié l'affaire à un major qui avait là assigné plusieurs policiers, dont elle et Sviatoslav, à l'enquête. Ils avaient dès lors cherché à localiser Youri. Sans succès pour le moment.
- On va vraiment passer les prochaines heures à se faire la gueule dans un silence de mort ?, la pressa Sviatoslav.
- Nous ne sommes pas ici pour parler. On nous a assignés une mission, je te rappelle.
- L'un n'empêche pas l'autre. Crois-en ma grande expérience...
Lilya ne put s'empêcher d'éclater de rire :
- Attends, t'es sérieux ? Ta grande expérience ? Et à quoi ? A engloutir des cochonneries ?
- J'ai 20 ans de plus que toi, répliqua-t-il, profondément vexé par la réaction de la jeune femme.
- Lâche-moi tu veux ? Pour être honnête je ne t'apprécie pas du tout. Donc cesse tes familiarités ou je te les fais bouffer.
Reprenant son air désinvolte, son odieux partenaire partit dans un rire tonitruant :
- On peut dire que tu as ton caractère ! Ça ne sera pas facile tous les jours pour ton futur mari. Je plains Yevhen !
- De.. quoi ?, rougit subitement Lilya, arrête de dire n'importe quoi.
- Ça va. T'as cru que l'on était tous dupes ?
Lilya ne répondit pas et reporta sa complète attention sur la rue donnant sur le restaurant. Prenant ce silence par un aveu, Sviatoslav n'en démordit pas :
- Ceci dit, Yevhen aussi a un sacré caractère. J'ai jamais vu un mec aussi réservé et rongé par les secrets qui l'habitent.
- C'est ça qui le rend intéressant.
- Ah. Donc tu avoues qu'il te plaît ?
- Je pense que ça se voit. Puis si je ne t'avais pas avoué, tu allais me saouler toute la matinée. Le problème avec Yevhen, c'est qu'il est toujours accompagné de l'autre là. Roman je crois. Ce n'est qu'une grande gueule.
Cette fois-ci, ce fut Sviatoslav qui fronça les sourcils et semblait avoir mal pris la remarque de sa partenaire :
- Fais gaffe à tes mots. Ne parle pas de mon ami comme ça.
- Vous êtes amis ? Étonnant !, sourit Lilya.
- C'est l'ami de tout le monde au commissariat. Mais c'est parce que tu es nouvelle. Oui, Roman est un peu extraverti et tout. Cependant c'est vraiment un mec en or. Si tu savais tout ce qu'il a fait pour Yevhen.
Lilya leva les yeux au ciel et rétorqua :
- Ca va, ça va. Je n'ai pas non plus une haine viscérale pour lui, c'est juste qu'il ne m'attire pas forcément. Je ne t'ai pas demandé de lui écrire une ode.
Voulant clore cette discussion, Lilya se remit à sa mission et fixa la rue. Soudain, elle lâcha une faible exclamation et prit précipitamment une photo de Youri qui traînait près du levier de vitesse. Elle venait de remarquer une personne qui se dirigeait vers le restaurant et qui correspondait au signalement. Elle scruta à tour de rôle le suspect puis la photo-témoin. Cependant, Sviatoslav nia :
- Ce n'est pas lui.
- Exact..., soupira la jeune femme, j'y ai cru.
- Eh... Mais attends, c'est ce petit con de Volodymyr !
- Qui ? Tu le connais ?
Sviatoslav approuva d'un hochement de tête tandis que Volodymyr finit par rentrer dans « l'Ukrainien Volant », les mains dans les poches et la tête baissée, comme s'il avait peur de se faire repérer. De toute évidence, il n'y allait pas pour déguster un délicieux repas...
- Qui c'est ce Volodymyr ?, insista Lilya.
- Tu ne le connais pas encore ? Yevhen ne t'en a pas parlé ?
- Qu'est-ce qu'il vient faire là Yevhen ?
- C'est le mec de sa fille.
Surprise, Lilya tenta de se remémorer le visage du fameux Volodymyr, elle jugea alors :
- Il n'a pas l'air d'être clean, comme gars.
Sviatoslav éclata encore de son rire gars qu'elle détestait tant. Ne pouvait-il pas juste répondre, sans se gargariser ainsi ?
- Un peu qu'il est pas clean ! C'est un voyou. Un minable. Au poste il est connu justement pour ce qui le lie à Yevhen. Avec les collègues on trouve la situation très comique. Après on ne se moque pas trop devant Yevhen, il le prend mal. Cela dit, Volodymyr n'avait pas besoin de ça pour qu'on le connaisse. Il fut un temps où le commissariat était comme sa seconde maison...
- « il fut un temps », releva Lilya, il s'est calmé depuis.
- Depuis qu'il sort avec la fille de Yevhen, oui. Un peu, je dois le reconnaître.
Lilya secoua la tête et soupira :
- Pauvre Yevhen. J'imagine que cette situation doit le torturer.
- Énormément. Puis vu que Volodymyr vient d'entrer dans le restaurant hébergeant la mafia locale, quelque chose me dit qu'il est loin de se ranger...
* * *
Sans se douter que deux policiers le fixaient depuis une voiture civile, Volodymyr remonta la rue à pas rapides. Il ouvrit la porte de « l'Ukrainien Volant » et s'engouffra à l'intérieur. Une fois dedans, il salua de la tête un serveur et s'engagea vers la porte du fond. L'apercevant, Maxim, le garde, s'écarta et lui ouvrit la porte :
- Les patrons t'attendent.
- Euh, merci, répondit Volodymyr, un peu intimidé.
Le fiancé de Yulia se mit à descendre les escaliers et fit son apparition dans la fameuse salle depuis laquelle était dirigé la mafia. Plusieurs hommes étaient assis autour d'une grande table de poker, des liasses de billets entre les mains. Manifestement ils étaient en train de faire les comptes.
Volodymyr posa ses pieds sur la moquette rouge. Aussitôt, Erik se retourna vers lui, se leva et alla lui serrer la main avec son naturel enthousiasme qui contrastait tant avec ses occupations illégales.
- Salut, Volodymyr !
Mark, toujours immobilisé depuis que Pietro lui avait tiré une balle dans le genou, se contenta de lui faire un signe de tête.
Volodymyr appréhendait totalement ce qui allait se passer. Ce matin, il avait reçu un appel de la part du mafieux qui le fournissait en drogue, pour qu'il puisse ensuite le vendre aux consommateurs. Il était surpris car il ne devait récupérer un nouveau stock que dans une dizaine de jours. Son interlocuteur l'avait alors pris à contre pied en l'informant qu'il était convoqué devant les dirigeants de la mafia de Kiev.
- Heureux de te rencontrer, continua Erik.
Bien qu'inquiet par rapport à sa situation personnelle, il ne put s'empêcher de poser une question qui le taraudait :
- Qui remplace Pietro ?
L'arrestation du désormais ex-chef de la mafia avait évidemment fait le tour de la ville via les médias. Volodymyr s'était alors demandé comment serait organisé la succession de Pietro.
- Mark et moi avons pris les commandes des opérations. Cela s'est décidé très vite pour qu'il n'y ait pas une répercussion sur les revenus. C'est donc une co-direction.
Volodymyr hocha la tête et se dit que c'était une très bonne chose pour la mafia. Erik avait beau être déroutant par son attitude trop jovial pour le poste, il était reconnu publiquement comme quelqu'un de très intelligent, posé et réfléchi. D'un autre côté, Mark était plus rude et dur dans ses méthodes, apportant un contre-équilibre parfait.
Cependant, il se doutait de la réussite à long terme d'une co-direction. Tôt ou tard, l'un des deux aura soif de pouvoir et tentera d'évincer l'autre.
- Pourquoi m'avoir convoqué ?, demanda-t-il de but en blanc.
Avant de répondre, le sourire d'Erik s’affaissa quelque peu. Ce qui l'inquiéta beaucoup.
- Une rapide chose à clarifier. On a eu vent de plaintes de la part de clients, à ton sujet.
- Co... Comment ça ? Qu'est-ce que j'ai fait ?, fut surpris le petit ami de Yulia.
Mark prit alors la parole pour la première fois :
- A vrai dire, rien. Ce n'est pas toi le problème. Apparemment, lors d'une transaction, un policier en service vous est tombé dessus, effrayant les clients. Tu confirmes ?
- Je... Oui, confessa Volodymyr qui jugeait que mentir ne lui apporterait que plus de problèmes, surtout qu'ils avaient dû réaliser leur petite enquête.
- Qui était ce policier ?, demanda Mark dans ce qui avait tout l'air d'être une question rhétorique.
- Le major Chevakova... Je... Je suis le fiancé de sa fille.
Cette annonce fit éclater de rire l'ensemble des mafieux présents dans la pièce. De toute évidence, ils étaient déjà au courant mais devaient trouver que de l'entendre de sa bouche était une situation très drôle.
- Et ce major saute à la gorge de son gendre ? Étranges méthodes, s'étonna un mafieux autour de la table.
- Il m'aime pas trop, à vrai dire, répondit Volodymyr en haussant les épaules.
- Tu m'étonnes, gloussa Erik, Yevhen sur-protège sa fille, la voir traîner avec un jeune des rues...
- Ah, c'est Yevhen ?, s'exclama le même mafieux, je ne savais pas. Courage, ça doit pas être facile tous les jours avec lui.
Mark leva la main pour le faire taire :
- Je disais donc. On a rapidement découvert qu'effectivement, tu sortais avec sa fille. Et je n'ai pas besoin d'être Sherlock Holmes pour deviner qu'il te déteste de par ta mauvaise réputation. A quoi croyais-tu en nous cachant ce fait, le jour où on t'a embauché ? Tu crois qu'on filerait de nos produits à un mec qui fricote avec la fille d'un des plus haut gradés du commissariat ?
- Et si Yevhen pétait à nouveau un plomb ? Et s'il perturbait encore une transaction ?, continua Erik.
Sans voix, sans défense, Volodymyr ne put que se résoudre au silence.
- La solution est toute simple, finalement, poursuivit Erik.
- Quitte sa fille, compléta Mark.
- Non !, répliqua d'instinct Volodymyr.
- Le pauvre, il est amoureux, ricana un mafieux.
Tandis que la plupart des truands se moquaient sans façade de Volodymyr, la tête de Mark et d'Erik marquèrent le désemparement :
- Écoute Volodymyr, lui fit Mark, on aurait pu simplement te virer. Cependant, tu es un jeune toujours disponible et qui n'a pas peur des risques. On veut te garder.
- Surtout depuis que la ville a mis en place leurs projets, approuva Erik, leur aides sociales ont considérablement baissé le nombre de jeunes en difficulté.
- Et nous te proposons une solution simple. Quitte-la et tu pourras travailler de nouveau pour nous. Yevhen en serait même ravi.
- Je... Je ne peux pas...
- Mais tu es vraiment amoureux ?, s'étonna Erik.
Pour la première fois depuis l'entrevue, Volodymyr laissa apparaître son caractère volcanique.
- Vous croyez que je me coltine son abruti de père pour le plaisir ?, ragea-t-il, évidemment que j'aime Yulia ! Je ne la quitterais pas pour vos beaux yeux !
Le problème sembla alors régler pour Erik et Mark. Ce dernier fit un geste de rejet de la main et conclut :
- Alors on te vire. Bonne continuation.
- S'il vous plaît ! J'ai besoin d'argent !
- Écoute !, explosa Mark, je t'ai certes brossé dans le sens du poil il y a cinq minutes, mais ne crois pas que tu es irremplaçable. Tu n'es qu'un pion, qu'un engrenage. Maintenant, tu dégages !
Beaucoup moins accueillant qu'à l'accoutumée, Erik le prit par le bras et le ramena vers l'escalier amenant au rez-de-chaussée. Sombre, Volodymyr se dégagea et grommela :
- C'est bon. Je connais la sortie.
Alors qu'il grimpait les escaliers, la porte s'ouvrit et un jeune homme à peine plus âgé que lui s'engagea dans les escaliers. Celui-ci le contourna et lui adressa un bref signe de tête. N'y prêtant pas attention, il salua Maxim de mauvaise humeur et sortit du restaurant, très déçu.
Il avait perdu son job. Illégal, certes, mais job quand même. Et ce alors qu'il avait désespérément besoin d'argent. Et tout ça à cause de son beau-père. Il allait devoir trouver une autre solution à ses problèmes financiers.
Et il allait le faire payer à Yevhen.
* * *
Volodymyr ne se doutait pas que le jeune homme qu'il venait de rencontrer dans les escaliers en sortant, n'était autre que Youri, le fils de Pietro. Ne l'ayant jamais rencontré auparavant, il continua sa route et prit la direction de chez lui, sans se douter que dans une voiture à quelques mètres de là, c'était le branle-bas de combat.
- Tu es sûr que c'est lui ?, répéta Sviatoslav pour la énième fois.
- Puisque je te dis que j'en suis persuadée !, l'assura Lilya.
Sviatoslav grogna, visiblement mécontent de la tournure que prenaient les événements et qui le dérangeaient pendant son repas.
- Bon. Appelle le commissariat alors, fit-il.
Excitée, Lilya prit le talkie-walkie du poste-émetteur et dit :
- Ici Dobrenko et Bezuschuk, avons repéré la cible. Il vient d'entrer dans le restaurant « L'Ukrainien Volant ». On attend les ordres.
- Bien reçu. Filez-le dès sa sortie, il nous faut une adresse !, lui répondit le chef des opérations.
La jeune femme reposa le talkie-walkie et respira un grand coup :
- Il va falloir être discrets..., lâcha-t-elle en se mordant les lèvres.
Quelques minutes plus tard, Youri sortit de « l'Ukrainien Volant ».
- Il n'est pas très méfiant. Il n'a pas l'air de se douter de quoique ce soit..., commenta Sviatoslav.
- Il est jeune, que veux-tu... Excuse-le de ne pas avoir ton expérience.
- Pas la peine d'être désagréable.
- Je préférerais que tu te concentres. C'est toi qui conduit je te signale. Ne te fais pas remarquer, sous peine de foutre la mission en l'air.
Le fils de Pietro s'engagea dans une rue. Sviatoslav démarra la voiture et roula au pas jusqu'à tourner dans cette rue à son tour. Lui et sa partenaire le virent alors enfourcher un vélo.
Le jeu de piste dura pendant quelques minutes. A l'intérieur de la voiture, Sviatoslav était à cran, tout comme sa coéquipière. Craignant de se faire griller par le jeune homme, il tentait tant bien que mal de rester à une distance respectable du vélo. Par chance, Youri se mit à passer par des routes à la circulation dense sans être pour autant embouteillée. Sviatoslav put alors rouler plus rapidement et moins stresser.
Finalement, ils sortirent du centre-ville et se dirigèrent vers la périphérie, un quartier résidentiel. La circulation étant redevenue plus rare, Sviatoslav ralentit. Cette filature se passait plutôt bien. Youri ne se retournait pas, et les vélos n'avaient pas de rétroviseurs.
Youri s'arrêta brusquement et stoppa son vélo devant une maison pavillonnaire quelconque au beau milieu d'une rue. Sviatoslav eut un bon réflexe et continua sa route, le dépassant. Lilya se retourna et vit Youri entrer effectivement dans la-dite maison.
- C'est le numéro 25. Quel est le nom de la rue ?
- Euh... Rue.. Rue Makerenko, je crois, bégaya Sviatoslav.
Intriguée par le ton hésitant de son équipier, Lilya se retourna vers ce dernier et demanda :
- Eh ? Tu vas bien ?
Soudain, Sviatoslav eut quelques spasmes et lâcha plusieurs râles avant de tomber évanoui. Lilya laissa échapper un juron. Réactive, elle attrapa le talkie-walkie du poste-émetteur et appela à l'aide :
- Bezuschuk a fait un malaise. On se trouve au bout de la rue Makarenko en périphérie. Appelez les secours.
- Bien reçu. On fait vite.
Elle sentit alors la panique la gagner. Effectuer les premiers secours en cours théorique était une chose, les reproduire en situation réelle, en était une autre. Tremblante et inquiète, elle reproduit ce qu'elle savait afin de mettre Sviatoslav hors de danger.
Puis, une voix s'échappa du poste-émetteur :
- Les secours arrivent. Avez-vous eu le temps de repérer la planque de Youri ?
- Oui. Il se cache dans la même rue Makarenko, numéro 25, répondit Lilya.
- Ok. On envoie nos troupes l'encercler. Attendez-nous.
La jeune femme regarda alors le corps inerte de son coéquipier. Elle n'avait aucune idée de la gravité de son malaise. Mais quelque chose lui disait que le cholestérol, le stress et l'adrénaline ne faisaient pas un bon mélange...
* * *
Le major Den Ilchyuk nota l'adresse que lui avait indiqué Lilya. Dans un premier temps, il appela les secours pour pallier au malaise soudain de Sviatoslav. Ensuite, il rassembla les officiers sous ses ordres, qui étaient soit en mission, soit déjà au commissariat, afin d'organiser l'encerclement du lotissement où se planquait le fils de Pietro : Youri.
Il était étonné que Youri se cache dans une maison toute simple alors qu'ils avaient écumé toutes les adresses en lien avec le fugitif. Il devait se faire loger par une de ses connaissances non reconnues par les forces de l'ordre.
Après avoir passé tous ses appels, il se leva de son bureau et se dirigea vers son supérieur, le commissaire Votchyevka, qui venait lui aussi de raccrocher le téléphone.
- Commissaire !, le héla Ilchyuk.
- Ilchyuk ? Qu'y a-t-il ?
- Nous avons besoin de votre aide. On a repéré Youri Nazarenko.
- Le fils de Pietro ? Excellent travail, major.
- Il se cache dans une maison située dans une banlieue tranquille en bordure du centre-ville. On a besoin de vous pour gérer les opérations.
- Je n'ai pas le temps.
- Voyons, commissaire ! Youri a hérité du même tempérament que son père, c'est une tête brûlée ! Il n'hésitera pas à faire feu et il y a un sérieux risque de blessures. Sans compter qu'il va falloir évacuer avec discipline tous les résidents de la rue. La situation requiert votre présence ! De plus, Sviatoslav va être transféré à l'hôpital, il a fait un malaise. Il me manque un homme.
- Désolé, Ilchyuk. Tu sais bien qu'une autre affaire d'une importance extrême me préoccupe en ce moment.
- Sauf votre respect, commissaire, répliqua le major Ilchyuk, c'est au point mort. Regardez Chevakova et Szarszus ! Ils n'ont pas bougé de leur bureau de toute la matinée !
Accompagnant les gestes à la parole, il montra de la main Yevhen et Roman, assis à leur bureau devant de la paperasse. Votchyevka soupira :
- Je sais que nous sommes dans une impasse. Mais cette affaire devient critique. Je viens de recevoir un appel du commissariat de la ville de Kharkiv. Ils ont eu deux meurtres, les scènes de crime ressemblant étrangement aux nôtres...
- Vous rigolez ?, s'étrangla Den.
- J'en ai l'air ? Rien ne nous dit que c'est Nikolai qui ait également tué ces personnes de Kharkiv. Mais c'est assez mystérieux pour que je dois me rendre à Kharkiv dès cet après-midi.
- Oh. Je comprends. Excusez-moi.
- Il te manque un homme c'est bien ça ? Écoute, je vais prendre Szarszus avec moi pour m'accompagner à Kharkiv. Je dirais à Chevakova de rejoindre ton groupe d'opérations. Il a de l'expérience.
Den opina de la tête et partit finir d'organiser l'opération visant à appréhender Youri. De son côté, Votchyevka se rendit vers bureau de Yevhen et de Roman. Ce dernier s'aperçut de la mine ombrageuse de son commissaire et prit les devants :
- Une mauvaise nouvelle, commissaire ?
- Appel du poste de Kharkiv. Ces deux derniers jours il y eut deux meurtres dans leur ville. Dans les deux cas, on constate le meurtre de deux dames âgées et la disparition de leurs maris respectifs.
- Comme nos affaires..., murmura Yevhen.
- Vous croyez que c'est Nikolai qui a fait ça ?, interrogea Roman.
- Leur équipe scientifique n'a trouvé aucune empreintes sur les deux scènes de crime. Les deux femmes ont été tuées par des objets contondants. Quant à Nikolai, soit c'est lui, soit c'est un imitateur. Dans le premier cas, cela voudrait dire que Nikolai a échappé à nos forces et s'est exilé à Kharkiv. Dans le deuxième cas, on a un autre fou sur les bras.
- Ce qui m'inquiète c'est la tournure nationale que prenne les événements..., réfléchit à voix haute Yevhen.
- Roman, prépare-toi, ordonna Votchyevka, on part pour Kharkiv dans l'heure qui suit. J'ai déjà réservé les billets de train.
- Et moi ?, fit Yevhen.
- Le major Ilchyuk est passé me voir à l'instant. Ils ont repéré le fils de Pietro. Néanmoins, Sviatoslav a fait un malaise et il m'a demandé de l'aide. Ne pouvant pas intervenir comme je pars pour Kharkiv, je vais t'envoyer leur apporter ton expérience. Va le voir pour les informations complémentaires.
- Bien, commissaire.
- Sviatoslav va bien ?, s'inquiéta Roman.
- Apparemment, le malaise n'a rien de gravissime.
Yevhen était flatté d'avoir été choisi par son supérieur pour une opération assez importante. De plus, il aimait l'adrénaline et les sensations que lui procuraient de tels événements. Cela changeait avec les patrouilles barbantes et les vulgaires opérations de routine. Il était bien content d'échapper à la visite des deux scènes de crimes de Kharkiv.
Quand le commissaire Andriy Votchyevka s'éloigna, il ne put s'empêcher de narguer Roman.
- Je suis impatient de partir en opération. Rage pas trop !
- Je ne vois pas de quoi tu parles, rétorqua Roman, je vais passer toute une après-midi en tête-à-tête avec le beau commissaire. Puis je sens que ça avance, il ne peut tellement plus se passer de moi qu'il m'emmène partout avec lui.
- Si tu le dis, sourit Yevhen.
- Puis je préfère que ce soit toi qui accompagne Den. Comme ça, tu passeras toute une après-midi avec Lilya !
- Merde ! J'avais oublié qu'elle faisait partie du groupe chargé d'enquêter sur le meurtre de la femme de Pietro !
Roman lui fit un clin d’œil tout en se levant et ajouta :
- Impressionne-la.
* * *
Le major Den Ilchyuk sortit un mégaphone du coffre de sa voiture de fonction. Il l'alluma et s'en servit afin d'avertir Youri Nazarenko.
- Youri ! Tu es cerné. Rends-toi !
Il baissa son mégaphone et attendit quelques secondes. Aucune réponse ne se fit entendre de la part du fils de Pietro. Il ne se manifesta même pas.
Dans le même temps, Yevhen aida quelques officiers à faire évacuer les multiples voisins de la maison où se planquait Youri. Une fois que ce fut fait, il rejoignit Lilya qui se tenait non loin de Den. Celle-ci lui sourit, un poil crispée.
- Tu es stressée ?, s'enquit-il.
- Un peu, c'est la première fois que je prends part à une telle opération.
Yevhen lui tapota l'épaule d'un geste qui se voulait apaisant. Lilya le regarda dans les yeux et il sentit automatiquement une bouffée de gêne l'envahir. Il enleva sa main, surpris de sa propre hardiesse. Il était obligé d'admettre que cette fille ne le laissait pas indifférent.
- Dis, reprit la policière, je sais que ce n'est pas vraiment le moment, mais je n'ai pas eu l'occasion de te voir avant. Ta proposition de resto est toujours valable ?
- Évidemment, déglutit Yevhen.
- Ça te dit d'y aller ce soir ?
- Oui, bien sûr.
Il n'eut pas le temps d'ajouter un moment, le major Den Ilchyuk s'approch
L'annonce de l'émetteur laissa place à un silence pesant dans la voiture de police. Chacun des deux hommes venait d'encaisser cette information avec surprise et consternation. Yevhen lâcha dans un murmure :
- Un autre meurtre...
- Tu crois qu'il est lié à celui de ce matin ?, demanda Roman.
- En si peu de temps ? Il y a des chances. On ferait mieux de se dépêcher de s'y rendre. Votchyevka doit déjà nous attendre.
Yevhen démarra en trombe et se rendit sur les lieux du crime, rue Flyenko. C'était un pavillon assez semblable à la maison de Nikolai et d'Olga. Yevhen et Roman pouvaient discerner le jardin de devant grâce aux quelques réverbères de la rue. Quelques policiers étaient déjà en train d'inspecter les alentours. Sans plus attendre, les deux majors descendirent et se dirigèrent vers la porte d'entrée. Ils saluèrent vaguement les brigadiers puis entrèrent, soucieux de ce qu'ils allaient trouver à l'intérieur.
A leur arrivée, le commissaire Andriy Votchyevka tourna vivement la tête. Il remarqua Yevhen et déclara :
- Tiens, tu n'es pas en retard ce coup-ci ?
L'attaque était purement gratuite mais Yevhen n'en tint pas rigueur à son supérieur. Il était d'humeur massacrante et cela pouvait aisément se comprendre à la vue des circonstances. Roman ne laissa de toute façon pas à son ami le temps de répondre :
- Où se trouve la victime ?
- Dans le salon, répondit le commissaire.
- Vous avez déjà tiré des conclusions ?
- Non. Je vous attendais. J'ai donné l'ordre au reste des mes hommes d'inspecter le jardin et les alentours.
En effet, ils semblaient être les seuls dans la propriété. Votchyevka marcha en direction du salon, Yevhen et Roman le suivirent. Ils débouchèrent finalement sur les lieux du crime.
C'était une boucherie. La victime, une vieille dame âgée à vue d’œil de 70 ans, gisait piètrement au milieu de la salle, la tête en sang. Yevhen pouvait apercevoir des éclaboussures de ce liquide rouge un peu partout dans la pièce, aussi bien sur le plafond que sur le mur. Le meurtrier avait dû s'en donner à cœur joie.
Ne tenant pas devant ce spectacle horrible, Roman porta les mains à sa bouche et réprima un haut-le-cœur.
- Contenez-vous, Szarszus !, le réprimanda Votchyevka.
Yevhen posa une main sur l'épaule de son ami pour le soutenir. Il savait à quel point il détestait de telles scènes de meurtre.
- Vous avez pu identifier la victime ?, questionna Yevhen.
- Natasha Smirnov. 75 ans. Retraitée et sans histoires apparentes.
- Son profil est quasiment le même que Olga. Avait-elle un mari ?
- Je n'en ai aucune idée. Cependant, j'ai envoyé Boris me chercher le voisin qui a donné l'alerte à la police. Il a entendu des cris et a directement appelé les autorités avant de descendre de lui-même essayer de coincer l'agresseur.
- Très courageux, respecta Yevhen.
- En effet. Malheureusement, il ne trouva que le cadavre de la septuagénaire. Le bougre s'est vite enfui. Le voisin s'est tenu à l'écart de la scène de crime. Il a très bien réagi. Tiens, quand on parle du loup...
Yevhen et Roman, toujours aussi silencieux, tournèrent la tête et virent apparaître un jeune homme, dans la vingtaine, en jean et t-shirt simple. Il avait un visage juvénile qui allait de pair avec ses longs cheveux blonds.
Peu timide, le nouveau venu serra les mains des trois policiers et se présenta :
- Artem Milevenko. Je suis le voisin qui a donné l'alerte. Désolé du retard, j'ai dû enlever mon pyjama et enfiler des affaires plus présentables, vous comprenez. En tant que témoin, dois-je faire une déposition ou autre ?
- Nous n'avons pas le temps d'officialiser la démarche, rétorqua le commissaire, les circonstances sont trop aggravantes. Dites ce que vous savez, nous aviserons après.
Le jeune Artem obtempéra :
- Je m'étais couché vers 23 heures comme je travaillais demain, tôt. Cependant, j'ai mal dormi et je me suis réveillé à 1 heure 30. N'arrivant pas à me rendormir, je me suis levé et j'ai lu un livre histoire de m'occuper. C'est vers 2 heures 35 que j'ai entendu des forts cris aigus provenant de chez les voisins. J'ai appelé la police puis j'ai décidé d'y aller moi-même. Je n'ai vu personne, si ce n'est cette pauvre Natasha.
- Etait-elle mariée ?
- Bien sûr. Avec un homme appelé Nazar. Il avait approximativement le même age que sa compagne. Je ne leur parlais pas tous les jours, mais j'ai déjà discuté vite fait avec eux. Couple très sympathique. Ils ont toujours toléré lorsque je faisais des soirées ou autres. Cela m'attriste vraiment ce qui est arrivé à Natasha.
- Mais ce Nazar, où est-il ? Etait-il en voyage ou absent ?, insista Votchyevka.
- Pas que je sache. Mais ça m'étonnerait, je l'ai vu cet après-midi. Il jardinait.
Andriy Votchyevka se prit la tête dans ses mains et soupira fortement.
- Le mari a sûrement été enlevé, non ?, fit Yevhen.
- En tant que professionnel, je te dirais de ne pas tirer de telles conclusions hâtives, répliqua son supérieur, mais mon instinct me crie la même chose. Malheureusement.
- Mais rien ne nous dit que c'est le même homme qui a agressé Olga et enlevé Nikolai. Cela pourrait être un imitateur ou tout simplement un cas isolé sans aucun lien avec l'affaire Hotchenko. Ne crions pas de suite au tueur en série.
Votchyevka regarda longuement la victime et répondit finalement :
- Tu as raison, Yevhen. Mais dans les deux cas, rien ne change. On a une nouvelle affaire sous les bras.
Yevhen inspecta la salle et ne remarqua que maintenant la quantité de sang se trouvant sur les murs ou sur le mobilier. Ce mobilier-même était sans dessus dessous, il y avait eu un affrontement. Exactement comme chez Olga et Nikolai Hotchenko. Là où les deux affaires différaient était à propos du mode opératoire. Olga avait été étranglée avec ses propres mains tandis que Natasha avait eu le crâne fracassé avec un quelconque objet contondant. Tout du moins était-ce ce que Yevhen concluait avec ses propres yeux. Roman tentait toujours de ne pas vomir et Votchyevka grommelait dans son coin.
- Merci pour votre aide, fit Votchyevka à Artem, nous vous recontacterons en cas de besoin. Allez finir votre nuit.
Artem inclina la tête et sortit de la maison. Il croisa en chemin un autre homme. Un homme plus grand, plus nuancé, aux lunettes rectangulaires et portant un costume complet affreusement vert. Son apparition fit un bien fou à Votchyevka.
- Nygmenko ! Enfin !
- Commissaire, le salua le scientifique.
Edgar Nygmenko serra la main avec entrain de Yevhen et Roman, puis celle d'Andriy Votchyevka. Alors qu'il était silencieux depuis une dizaine de minutes, se sentant trop mal, Roman ne put s'empêcher d'émettre un commentaire sur la tenue vestimentaire de son confrère, fidèle à lui-même.
- Tu te reconvertis en farfadet ou quoi ?
- Bien tenté, sourit Edgar, mais pour ta gouverne, sache que les créatures imaginaires à dominante verte sont en réalité les leprechaun, qui viennent d'Irlande. Je ne te blâme pas, ils sont souvent à tort confondus avec les farfadets, qui eux font partie du folklore français.
Yevhen ne put s'empêcher de rire en voyant la mine déconfite de son ami, qui n'aimait pas qu'on riposte à une de ces vannes. Roman, grinça des dents et rétorqua :
- C'était ça la blague. Que je me trompe de mot.
- Oh. Joli dans ce cas. Mais trop subtil à mon goût.
Votchyevka, qui détestait les divagations de Nygmenko et les boutades de Roman lorsqu'ils étaient en pleine affaire, s'énerva :
- Vous avez terminé oui ?! Je vous rappelle qu'on a peut-être un tueur en série en liberté ! Et un nouveau cadavre qui attend tes examens, Nygmenko.
- Excusez-moi, commissaire.
Edgar Nygmenko posa sa valise sur le sol, près du corps de Natasha. Il s'agenouilla ensuite et inspecta avec minutie la victime. Il plissa les yeux et rajusta ses lunettes. Pendant ce temps, Yevhen, Roman et leur supérieur attendirent dans le silence le plus total.
Chacun était dans ses pensées. Andriy Votchyevka triturait cette affaire dans tous les sens dans son esprit. Cela ne lui disait rien qui vaille. Il espérait secrètement que l'épisode Hotchenko soit un cas isolé et qui serait résolu rapidement. Mais ce nouveau meurtre présageait l'arrivée d'un tueur en série et surtout apportait de la complexité à l'enquête. Yevhen, quant à lui, avait laissé divaguer son esprit, ce dernier quittant la scène de crime. Il pensait à sa fille, qui lui avait menti. Pourquoi ? Pour quoi faire ? Cette question le préoccupait bien plus que le meurtre de cette Natasha. Enfin, Roman tentait seulement de ne pas vomir.
- L'arme est un marteau, annonça soudainement Edgar, le crâne est enfoncé si bien que les yeux ressortent un peu de leurs orbites. Cela coïncide également avec les éclaboussures de sang qui s'étendent jusqu'au plafond.
- Szarszus, inspecte la pièce pour voir si le marteau ne traîne pas quelque part. On ne sait jamais.
Roman ne se fit pas attendre et s'exécuta, trop heureux d'être arraché à la contemplation du cadavre. Votchyevka se tourna ensuite vers Nygmenko et demanda :
- Tu peux tirer quelque chose d'autre du corps ?
- Je peux examiner les différentes empreintes sur le corps ou sur les meubles alentours, voir si le coupable s'est trahi lui-même...
- Parfait. Fais donc ça.
- Pourquoi ne pas avoir fait la même chose chez Olga et Nikolai Hotchenko ?, intervint Yevhen.
- Ce fut fait, l'informa Votchyevka, mais Edgar et son équipe n'ont rien trouvé. Aucune empreintes autres que celles de Nikolai et de sa défunte femme.
Nygmenko se mit au travail aussitôt. Il sortit ses multiples affaires puis appela son équipe afin qu'ils viennent l'aider. Il se tourna ensuite vers Yevhen et Votchyevka.
- Je vais avoir besoin d'espace. Vous pouvez vous en aller. De plus, nous n'obtiendrons des résultats que dans la matinée, avec de la chance. Vous devriez aller dormir.
Le commissaire accueillit la proposition d'Edgar avec un hochement de tête. Yevhen s'étonna :
- C'est tout ? On ne fait rien ?
- Pour le moment. Ce meurtre offre des nouvelles pistes et possibilités. J'aurais besoin de toi et de Roman aussi frais que possible. Oubliez votre patrouille et allez vous reposer. D'ailleurs, en parlant de Roman, où est-il ? Je l'avais fait chercher le marteau du crime.
- Aux toilettes, sans doute.
Andriy Votchyevka leva les yeux au ciel. Yevhen lui demanda ensuite :
- Et vous ? Vous restez ici ?
- En effet. Il a beau être trois heures du matin, je mettrais ma main à couper que les premiers journalistes se pointeront d'ici quelques minutes. Je serais prêt à les accueillir.
Yevhen prit congé de son commissaire et alla récupérer Roman qui était toujours aussi pâle.
- Ca va ?, s'enquit-il.
- J'ai connu mieux... Que fait-on ?
- Je te dépose chez toi. On a ordre de dormir pour être opérationnel dès l'aube.
Les deux agents sortirent du pavillon et se dirigèrent vers leur voiture de fonction tout en souhaitant bonne chance à leurs collègues occupés à l'extérieur. Ils s'installèrent, Yevhen au volant, Roman côté passager. Ce dernier répondit avec un sourire :
- J'aime quand Votchyevka nous donne de tels ordres.
- Arrête de sourire... Si je te connaissais pas aussi bien, je croirais que tu te fous de l'affaire.
- Mais tu me connais, non ?, rétorqua Roman, ce qui est en train de se passer m'inquiète tout autant. Juste que ce n'est pas pour autant que je dois faire la gueule et tomber en déprime. Hein, Yevhen ?
- Ca va, ça va...
Yevhen n'ajouta rien d'autre et démarra aussitôt. En chemin, ils ne s'échangèrent aucune parole. Chacun avait l'esprit occupé par la scène de crime qu'ils venaient de découvrir. Ils attendaient avec appréhension les résultats de l'équipe de Nygmenko. On arrivait à un tournant majeur de l'enquête.
Yevhen s'arrêta devant l'immeuble où logeait Roman. Ce dernier sortit puis salua son ami avant de fermer la portière. Il soupira. Yevhen n'avait pas répondu, il s'isolait de nouveau.
Ensuite Yevhen reprit sa route et s'arrêta cette fois devant chez lui. Lorsqu'il pénétra dans le salon, il trouva sa fille endormie devant la télévision, toujours allumée et diffusant une série policière. Il l'éteignit puis regarda sa fille. Une boule vint lui serrer la gorge. Pourquoi lui avait-elle menti ?
Il se dirigea vers sa chambre. Il enleva sa veste et la balança au sol avec négligence. Il vit alors un petit sachet qui tomba par terre : de l'herbe. Celle qu'il avait confisqué à Volodymyr. Il se pencha pour la ramasser et la tritura entre ses doigts. Cela lui rappelait sa dépendance à la drogue il y a déjà plusieurs années, lorsqu'il était dans une longue période de déprime et de faiblesse. Il lui avait fallu toute l'aide de Yulia avant que celle de Roman pour s'en sortir et remonter la pente. Il n'avait plus retouché à de telles substances depuis.
Il sentit avec effroi la tentation ressurgir. Fébrilement, il rangea le sachet dans le tiroir de son bureau. Juste au cas où...
* * *
Yulia se réveilla subitement, à la sonnerie de son téléphone portable qu'elle avait placé au préalable en mode « réveil ». Elle émergea doucement puis se leva du canapé. Il était 7 heures. Yulia ne commençait pourtant à travailler au centre social qu'à partir 8 heures 30. Et pour cause, elle avait prévu de passer au QG de l'association caritative « Plats pour tous » avant de se rendre à son boulot. Elle savait que les bénévoles se réunissaient tous les matins, très tôt pour ne pas louper leurs emplois respectifs, afin de réunir les repas et de les distribuer aux sans-abris ou aux familles en difficulté. Elle voulait y faire une petite visite pour en apprendre plus sur sa mère. Elle espérait y trouver des personnes l'ayant connu à l'époque.
Elle s'habilla à la hâte, enfourna deux barres de céréales comme petit déjeuner puis laissa un mot à son père où elle lui souhaitait une bonne journée.
Yulia prit ensuite sa voiture et roula jusqu'au centre-ville. Elle se gara juste en face du centre de « Plats pour tous ». Elle pouvait déjà voir quelques bénévoles décharger des cartons d'un camion.
- Bonjour, salua-t-elle poliment en approchant du camion.
- Bonjour, que puis-je faire pour vous, mademoiselle ?, lui sourit un solide homme d'une trentaine d'années.
- Je...
Trop pressée voire excitée par sa petite enquête, elle n'avait même pas pensé à comment aborder le sujet. En outre, son interlocuteur était trop jeune pour avoir connu Zlata.
- C'est compliqué... J'aimerais parler aux plus vieux membres de l'association, s'il vous plaît.
L'homme haussa les sourcils. Il ne comprenait pas la requête de Yulia. Cependant, il n'y voyait aucun inconvénient et lui montra à l'intérieur du bâtiment :
- Vous pouvez entrer. C'est ceux qui ont le plus de rides.
Yulia gloussa puis le remercia d'un signe de tête. Elle pénétra dans la salle où se trouvait des dizaines de cartons. Des personnes en sortait leur contenu, des plats pré-cuisinés. Aucun bénévole n'avait remarqué son entrée si bien qu'elle resta plantée là sans savoir qui aborder.
Elle décida alors de suivre la plaisanterie de l'homme qu'elle venait de rencontrer et se dirigea vers une vieille dame qui semblait faire les comptes des plats, assise à une table.
- Bonjour.
- C'est pour quoi ?, fit la bénévole en levant la tête.
- Eh bien... Je me présente, je suis Yulia, je suis la fille de Zlata Kryukova. Ce nom vous dit quelque chose ?
Yulia vit les yeux de la dame s'agrandir.
- Vraiment ?
- Euh... Oui...
- Daniel ! Ivan ! Venez-voir !
Surprise, Yulia se laissa faire lorsque la bénévole lui fit la bise en se présentant :
- Moi c'est Mary, heureuse de te rencontrer Yulia.
Les dénommés Ivan et Daniel vinrent la saluer également, intrigués.
- C'est la fille de Zlata, leur expliqua Mary.
La réaction d'Ivan et de Daniel fut la même que celle de Mary. Ils bloquèrent pendant un cours instant.
- Vous connaissiez ma mère, donc ?, demanda Yulia.
- En effet, répondit Mary, elle avait été bénévole durant plusieurs mois. Elle était adorable.
- Maintenant que tu nous le dis, tu lui ressembles beaucoup, intervint Ivan.
Daniel acquiesça de la tête. Mary reprit :
- Tu as des nouvelles de ta mère ?
- Non, répondit Yulia, pourquoi ? Je devrais ?
Les trois vieux bénévoles s'échangèrent des regards gênés.
- On pensait qu'elle te contacterait..., s'excusa Mary.
- Ecoutez. Si je suis venu ici, c'est que je cherche à connaître la vérité à propos de ma mère. Quand est-ce que vous l'aviez vu pour la dernière fois ?
Mary réfléchit quelques secondes puis répondit :
- La veille de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, donc.
- Elle avait le ventre très arrondi, précisa Daniel, on lui avait dit de rester chez elle le temps qu'elle accouche. Mais elle n'en faisait qu'à sa tête, surtout lorsqu'il s'agissait d'aider les plus démunis.
- Puis elle s'est rendue à l'hôpital le soir-même, elle avait des contractions très fortes. Je suppose qu'ensuite elle t'a donné naissance.
- Je suis née le lendemain, approuva Yulia, et depuis ? Vous ne l'avez plus vu ?
Mary fit « non » de la tête.
- Nous avions effectué une collecte entre bénévoles pour lui offrir un cadeau, pour son accouchement. Elle passait énormément de temps ici, dès qu'elle le pouvait. C'est pour ça qu'elle nous a laissé un souvenir ineffaçable. Nous étions très proches, d'où le cadeau. Puis...
Elle soupira et continua :
- Puis quelques jours plus tard, Yevhen vint nous voir pour nous dire que Zlata l'avait quitté. Subitement. Abandonnant son enfant.
Le visage de Yulia s'assombrit, elle venait de réaliser que son père n'avait pas menti qu'à elle.
- Vous ne vous étiez pas rendus directement à la maternité ?, fit-elle.
- Nous avions préféré les laisser profiter ce moment seuls. De plus, nous ne connaissions ton père que de vue. Puis tu sais, il y eut la catastrophe de cette fichue centrale nucléaire. Nos pensées étaient quelque peu... désordonnées.
- Et vous croyez ce que vous avez dit mon père ?
Ivan haussa les épaules puis prit la parole :
- Ça nous a parus extrêmement bizarre. Ce n'était pas le genre de Zlata qui attendait ta venue avec des étoiles dans les yeux. Puis c'était une orpheline. Pour aller où ?
- Elle transpirait la joie de vivre. Je ne voyais pas non plus pourquoi elle quittait sa vie où elle était si épanouie, ajouta Daniel.
- Mais que veux-tu Yulia ? Nous ne voyions pas pourquoi il nous aurait mentis... Nous l'avions cru puis nous sommes passés à autre chose, peu à peu. Tu crois qu'il ment ?
- Je connais mon père. Je sais qu'il s'est isolé sur lui-même depuis des années. Il s'enferme dans son mensonge. Je veux savoir ce qui est vraiment arrivé à ma mère.
Mary, Daniel et Ivan se regardèrent entre eux, perplexes. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne s'attendaient pas à voir ressurgir un fragment de leur passé qui datait d'il y a 21 ans.
Les deux hommes posèrent leur main sur les épaules de Yulia et l'encouragèrent dans sa démarche. Mary fit de même mais la prévint :
- Yulia, si ta mère a disparu depuis 21 ans, l'issue ne peut en être que tragique. Es-tu sûr de toi ?
- Evidemment !, répondit la jeune femme avec véhémence, quelque soit la vérité, je veux la découvrir. J'espère également que cela forcera mon père à sortir de sa bulle.
Les trois bénévoles lui souhaitèrent bonne chance puis Yulia sortit de la salle, plus déterminée que jamais. Certes, sa visite n'avait pas été un franc succès, Yevhen leur avait menti aussi. Mais elle était désormais persuadée que quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire.
Elle saura la vérité sur sa mère.
* * *
Le réveil de Yevhen sonna dès l'aube à 7 heures 50. Il n'avait dormi que 4 heures et eut du mal à émerger. C'était la dure vie de policier, surtout lors d'une telle enquête. Il n'avait que peu de temps à se consacrer, à lui ou à sa fille.
Yulia, justement. Il trouva son mot sur la table de la cuisine. « Bonne chance pour aujourd'hui ». Il le contempla avec mélancolie. Il n'avait pas toujours digéré le mensonge de sa fille. Il allait lui en parler dès qu'ils en auraient l'occasion.
Pour le moment, il se contenta de s'habiller rapidement et de se rendre au commissariat dans les plus brefs délais. Une fois sur place, il rentra dans l'immense hall aux multiples bureaux puis se dirigea vers le sien et celui de Roman. Il y vit son supérieur, Andriy Votchyevka, qui discutait avec son partenaire de toujours.
Il vint se joindre à eux en s'asseyant sur sa chaise. Il les salua. Roman et Votchyevka firent de même et se tournèrent vers lui. C'est là que Yevhen vit les impressionnantes cernes de son chef. Il n'avait sûrement pas dormi de la nuit.
- Wow, souffla-t-il, vous allez bien ?
- Je survivrais, fit Votchyevka, je suis claqué mais mon esprit est de toute façon trop occupé pour pouvoir se reposer. J'ai dû faire face aux journalistes une grande partie de la nuit, puis j'ai eu un entretien avec le maire.
- Sérieux ?, s'étonna Yevhen.
Lui-même habitant à Kiev depuis une vingtaine d'années, il n'avait que très peu rencontré les maires successifs.
- Ce n'est pas si étonnant, répondit le commissaire en haussant les épaules, il n'apparaît que quand sa place est menacée. Il s'en moque des victimes. Il a juste peur que cette affaire sordide retourne l'opinion public et compromette sa ré-élection.
- Et il y a des rumeurs qui ne font pas de lui un personnage honnête, surenchérit Roman, qu'est-ce qu'il vous a dit ?
- Le bazar habituel.
Votchyevka prit alors une voix niaise et singea le maire :
- « Vous comprenez, avec tout le respect que je vous dois, j'ai l'impression que l'affaire traîne en longueur ». « J'exige des résultats prochainement ». « Activez-vous, que diable ! »
Yevhen ne peut réprimer un sourire. Votchyevka était un râleur-né si bien qu'il rendait certaines situations bien comiques. Ce dernier soupira et enchaîna :
- Faut qu'il comprenne aussi que d'autres affaires secouent également Kiev. Par exemple, Nygmenko et son équipe n'ont pas encore fini d'examiner le cadavre de Natasha. Tout simplement parce que dans le même temps, ils ont aussi la femme de Pietro à examiner, entre autres.
Yevhen avait complètement oublié la femme de l'ex-chef de la mafia. Ils avaient contribué à découvrir sa défunte femme, alors que lui et Roman pensaient être sur la piste de l'agresseur de Nikolai.
- Où est Pietro ?, demanda-t-il.
- Toujours en détention provisoire. Il accuse son fils du meurtre de sa femme. On attend d'attraper le fils en question, pour avoir l'autre version de l'histoire. Mais j'ai confié l'affaire à d'autres. Nous avons assez de préoccupations comme ça.
Roman ouvrit la bouche lorsqu'une sonnerie l'empêcha de parler. Andriy Votchyevka sortit son téléphone portable, le colla à son oreille et répondit :
- Allô ? Edgar ? … Ok, ça marche. On arrive.
Il raccrocha et rangea son portable. Puis il se tourna vers ses deux majors.
- Nygmenko nous demande de le rejoindre dans son labo. Il dit que c'est urgent.
Sans plus attendre, Yevhen et Roman se levèrent et emboîtèrent le pas à leur commissaire.
Le laboratoire affilié au commissariat se trouvait juste à côté. C'était un petit bâtiment annexe. Ainsi, ils durent sortir à l'extérieur avant de pénétrer dans le-dit labo.
Yevhen n'y était allé que rarement. En général il n'avait pas besoin de se déplacer, les scientifiques venant d'eux-mêmes ou envoyant les résultats par e-mail. Quand il avait dû s'y rendre, il n'était jamais allé plus loin que le hall d'accueil.
Cette fois-ci, ils dépassèrent le comptoir, la secrétaire de l'accueil les saluant furtivement, puis passèrent une porte qui donnait sur un escalier. Yevhen fut surpris de constater que le laboratoire était bien plus grand qu'il n'en avait l'air. En effet, si de l'extérieur il ne payait pas de mine, il s'étendait en réalité par le dessous.
Ils empruntèrent un long escalier puis débarquèrent dans une immense salle regroupant des dizaines d'ordinateurs dernier cri et d'autres appareils que Roman et Yevhen ne purent identifier au vue de leurs maigres connaissances scientifiques.
- Ouah..., lâcha Roman, on a des moyens au commissariat.
- Tu n'y étais jamais allé ?, lui demanda Yevhen.
- Non. Ces engins doivent coûter une fortune. Si j'avais su, j'aurais demandé une augmentation !
Votchyevka, silencieux jusque-là, se tourna et rétorqua :
- Ne t'emballe pas, Szarszus, c'est bien plus complexe. Le laboratoire n'est que partenaire du commissariat de Kiev. Il appartient à une communauté de scientifiques, qui a financé tous ces joujous électroniques.
- Vous n'êtes donc pas l'employeur d'Edgar ? Vous ne pouvez donc pas le virer ?, devina Yevhen.
- C'est exact. Néanmoins, je peux émettre une réserve à ses supérieurs qui peuvent le faire à ma place.
- On en apprend tous les jours, commenta Roman.
De multiples portes ornaient les quatre murs de cette grande salle. Elles donnaient sur les laboratoires à proprement parlé, là où on étudiait les cadavres ou on effectuait certains tests. Votchyevka avait l'air de connaître l'emplacement du labo de Nygmenko et ouvrit la porte correspondante, toujours suivi de ses deux majors.
Yevhen, qui pensait trouver une pièce tout aussi sophistiquée que la salle principale, fut déçu de voir une pièce rustique et étroite. Sur une table était posée le cadavre de Natasha, la seconde victime de l'affaire. Elle était nue et allongée bras tendus au corps. Edgar Nygmenko, en tenue de travail, se trouvait à côté et semblait les attendre.
Votchyevka se tourna alors vers Roman :
- Ca va aller ?
L'intéressé hocha la tête et répondit :
- C'est juste sur les scènes de crimes que j'ai du mal.
- Bien. Pourquoi nous as-tu appelés, Nygmenko ? Tu as du nouveau ?
Edgar était assez embarrassé. Ses mains se caressaient machinalement et il peinait à trouver ses mots. Il commença finalement :
- Le meurtre de cette pauvre femme est une horreur, comme je n'en ai jamais vu. Son agresseur lui a démonté l'arrière du crâne à plusieurs reprises. D'où les éclaboussures de sang trouvées un peu partout sur le lieu du crime ainsi que ses yeux sortant de leurs orbites. A ce stade, Natasha était déjà morte. D'une crise cardiaque. Son cœur n'a pas tenu le choc. Cependant, l'agresseur continua à frapper la victime, toujours au marteau, sur ses jambes, ses bras... Il lui notamment pété le genou.
- Celui qui a fait ça est un monstre, chuchota Yevhen, littéralement sous le choc.
- Nous n'avons pas retrouvé le fameux marteau, fit Votchyevka, j'osais espérer qu'il y ait des empreintes ADN sur la victime.
- Il y en a. L'agresseur n'a pas été prudent sur ce coup. J'ai retrouvé plusieurs empreintes sur l'ensemble du corps de la victime. Il semblerait que cette dernière se soit débattue et qu'il ait dû la maintenir. Sur le bras, le ventre... Je n'avais que l'embarras du choix.
- Et donc ?, le pressa Votchyevka, tu as pu identifier le coupable ?
- J'ai comparé ces empreintes obtenues à la base de données ADN que l'on dispose. Et... Oui. L'agresseur de Natasha répond au nom de Nikolai Hotchenko.
Andriy Votchyevka se bloqua et resta immobile, sous le choc.
- Nikolai ? Le mari de la première victime ? Celui qui était censé avoir été enlevé ?, fit Roman.
Edgar approuva d'un hochement de tête. Yevhen demanda alors au scientifique :
- C'est fiable ton truc ? Tu es sûr de toi ?
- Nous sommes en 2007, plus à l'âge de pierre, gloussa Edgar, le résultat est fiable à 99%.
- Chef ? Vous allez bien ?, s'inquiéta Roman en voyant son commissaire toujours sans aucune réaction.
Ce dernier sortit finalement de sa léthargie et se massa les tempes, sourcils froncés. Il grommela :
- Non. Non, je ne vais pas bien... Nous avons fait une erreur de débutant. On a décidé d'emblée que Nikolai avait été enlevé. Jamais on a envisagé la possibilité que ce soit lui qui ait étranglé sa propre femme.
- C'est quand même étrange, commenta Roman, le corps d'Olga se trouvait dans le salon pourtant le hall d'entrée était dévasté.
- De plus, du sang de Nikolai avait été trouvé sur les meubles de ce hall, ajouta Edgar, ce n'est pas votre faute chef. Vous avez été victime d'une mise en scène. Nikolai a vraisemblablement manipulé la scène de crime pour que nos soupçons ne le concernent pas.
- Même, Nygmenko, même, insista Votchyevka, j'aurais dû envisager toutes les possibilités. On revient à zéro. Encore. Qu'en penses-tu, Chevakova ?
Jusque là, Yevhen était resté passablement silencieux, perdu dans ses pensées. Il ne se rendit compte que son supérieur lui avait adressé la parole que quelques secondes plus tard :
- Hein ?
- Que penses-tu de cette affaire ?, répéta Votchyevka, agacé de devoir répéter.
- Oh. Et bien c'est un retournement de situation inattendu. Cependant, il faut voir le bon côté des choses. Désormais nous connaissons le coupable du meurtre d'Olga et de Natasha. On peut mettre un visage sur ces crimes. Cela reste une avancée dans l'enquête.
- C'est une vision des choses. Bien, on a assez traîné. Il nous faut rebondir sur cette information. Beau travail, Nygmenko. Crois-tu pouvoir obtenir encore quelque chose des deux scènes de crime ?
- Je ne pense pas. Mais ça ne coûte rien de vérifier à nouveau.
- Fais donc ça. Chevakova, Szarszus, allez aux archives et demandez les dossiers des affaires non-élucidées depuis trente ans à Kiev. Le dossier judiciaire de Nikolai était vierge, mais il se peut qu'il ait déjà commis un crime dont on n'a pas pu déterminer le coupable. De mon côté, je vais encore convoquer Sasha et lui annoncer la mauvaise nouvelle...
Roman soupira longuement en secouant la tête :
- Le pauvre... Apprendre que son père est un tueur en série en puissance, je ne souhaite ça à personne.
- Je ne suis pas non plus enthousiaste à lui ruiner une nouvelle fois le morale, fit Votchyevka avec fatalité, mais je le dois. Il est possible qu'il ait des informations précieuses. Je dois également recevoir la famille de Natasha et de Najar.
- C'est vraiment du sale boulot de s'entretenir avec les familles des victimes..., chuchota Edgar.
- Il faut bien que quelqu'un s'en charge, répondit le commissaire en haussant les épaules. Bon, je vous souhaite bonne chance. On y va.
Roman fut le premier à sortir de la pièce tandis que Nygmenko rangeait son bureau. Yevhen allait suivre son comparse de toujours lorsque Votchyevka lui tint le bras. Surpris, Yevhen se retourna et questionna son supérieur du regard :
- Tu m'as l'air assez pensif ce matin, Chevakova. Tout va bien ?
- Oui, chef, mentit-il.
Excédé, Votchyevka lâcha le bras de son major et haussa légèrement la voix :
- Arrête ton char. Je vois bien que quelque chose te tracasse. En tant que commissaire, je me dois aussi de veiller à l'état moral de mes hommes. Ça a toujours été ton problème. Depuis que je suis au poste tu n'es jamais sorti de ta bulle.
- Je suis désolé, mais mes problèmes ne vous regardent pas. Vous êtes mon supérieur et non mon père. Du moment que je fais bien mon boulot, je n'ai aucun comptes à vous rendre.
Sans laisser à Votchyevka le temps de répondre, Yevhen rejoignit Roman qui l'attendait près des escaliers permettant de monter vers la sortie :
- Qu'est-ce qu'il te voulait ?
- Rien, oublie.
- Très bien, soupira son ami en levant les yeux au ciel.
Roman n'insista pas. Il savait que c'était inutile. De plus, il en avait l'habitude depuis plusieurs années, et Votchyevka leur avait donné une tâche à effectuer. Ils remontèrent les escaliers qui les menèrent à l'accueil du laboratoire. En saluant la réceptionniste, ils sortirent et se dirigèrent vers le commissariat.
* * *
Les bras chargés de dossiers plus gros les uns que les autres, Roman et Yevhen débarquèrent dans le hall du commissariat après un tour aux archives. Ils avaient demandé et emprunté les dossiers des meurtres non-résolues depuis vingt ans dans la capitale. Il y en avait beaucoup plus que ce qu'ils avaient imaginé.
Yevhen n'était pas sûr que cette démarche serait concluante. Les chances pour que Nikolai ait déjà perpétré un meurtre, non-résolu de surcroît, étaient très faibles. Et quand bien même c'était le cas, rien n'indiquait qu'ils puissent établir un lien entre cette affaire et les meurtres actuels. Yevhen savait que Votchyevka leur avait collé cette tâche pour les occuper mais aussi parce qu'ils étaient au point mort.
Ils se posèrent à leur bureau, face-à-face comme à leur habitude. Ils posèrent les piles de papiers sur la table.
- Ça ne nous mènera à rien, commenta Roman.
- Ordre de Votchyevka, répondit Yevhen en haussant les épaules, puis nous n'avons aucune piste.
- Ce que je ne comprend pas, c'est pourquoi Nikolai ait allé tué Natasha et enlevé Najar ?
- Ah ? Tu crois que Nikolai est le tueur ? Même s'il cultive un potager ?, le taquina Yevhen.
Roman éclata d'un rire sonore qui fit tiquer un policier non loin qui tentait de se concentrer.
- Désolé Aleksandr, s'excusa-t-il en voyant son camarade soupirer, je ferais moins de bruit.
- J'espère bien. Si tu veux qu'un jour je te passe à nouveau mes jumelles..., répliqua Aleksandr qui avait retrouvé son humour.
Lorsque ce dernier se replongea dans son travail, Roman se tourna vers Yevhen :
- Tu abuses. Tu fais tellement peu de blagues que tu me surprends lorsque t'en fais une.
Il remarqua alors que son ami regardait à sa gauche, ses yeux essayant de repérer quelque chose :
- Qu'est-ce que tu cherches ?
- Lilya... Elle n'est pas là.
- Si j'ai bonne mémoire, elle a été affectée à l'affaire du meurtre de la femme de Pietro. Elle et ses partenaires cherchent son fils. Tu ne la verras pas beaucoup au poste ces prochains jours. C'est pour ça que je voulais absolument que tu l'invites la dernière fois.
- Merde, mon rendez-vous au restaurant avec elle. J'avais oublié ce problème...
- Vous avez fixé une date ?
- On n'a pas vraiment eu le temps de se reparler depuis. Je verrais.
Yevhen allait continuer à répondre à son coéquipier lorsqu'il vit du coin de l’œil un civil entrer dans le commissariat. Il le reconnut aussitôt pour l'avoir aperçu à plusieurs reprises :
- C'est Sasha, le fils de Nikolai.
- Ah ? En effet. Votchyevka l'a convoqué. Pauvre gars.
Ils virent Sasha s'adresser à un policier. Celui-ci lui indiqua avec le doigt une salle destinée aux entretiens privés. Quelques dizaines de seconde plus tard, le commissaire fit son entrée à son tour dans le hall. Le même policier se leva et lui informa que Sasha l'attendait dans la salle d'entretien.
Votchyevka ouvrit la porte de la salle d'entretien puis la referma aussitôt. La pièce était exiguë et n'était éclairé que par une seule lampe, créant ainsi une étrange atmosphère obscure digne des plus grands films policiers. Le commissaire serra ensuite la main de Sasha, assis, avant de prendre place à son tour en face de lui, une table seule les séparant.
- Pourquoi m'avoir convoqué ici ?, s'étonna Sasha, c'est la première fois que j'entre dans une telle pièce. Que se passe-t-il ?
- Hum... Disons que nous avons besoin d'un tant soit peu d'intimité.
- Rien de grave ?, commença par s'inquiéter le fils de Nikolai.
Andriy Votchyevka grimaça nerveusement. Il détestait ce genre de situation. Il n'était que commissaire depuis quelques années mais avait déjà dû faire face à de telles situations gênantes. Annoncer à une personne que son père avait finalement été retrouvé dans un fossé, mort, était un exemple parmi quelques autres cas. Cependant, c'était la première fois que Votchyevka se trouvait confronté face à une telle situation : annoncer à un homme que son père... était le criminel en question.
Sasha remarqua rapidement la gêne de son interlocuteur et répéta :
- Rien de grave ? Commissaire, si vous devez dire quelque chose, dites-le. Il est mort, c'est ça ?, ajouta-t-il sans pouvoir empêcher ses yeux de s'embuer.
- Nous n'avons pas retrouvé votre père. Vous avez lu les nouvelles ce matin ? Ou allumer la télévision ?
- Non. Je n'ai pas vraiment la tête à ça. Pourquoi ?
- Cette nuit, il y a eut un autre meurtre. Une vieille femme, la tête fracassée par un marteau. Son mari est introuvable. Par imprudence de l'agresseur, nous avons cette fois retrouvé ses empreintes sur le corps de la défunte femme. Nos scientifiques ont examiné cette échantillon. Et grâce à la banque de données ADN il a pu déterminer l'identité du coupable. Il s'agit... de votre père.
La bouche du pauvre Sasha s'ouvrit sans émettre de son. Trop abasourdi, il ne pouvait réagir à cette information. D'un air désolé, Votchyevka esquissa un geste de réconfort. C'est là que Sasha se ré-anima et exprima un brusque geste de recul :
- Menteur ! C'est impossible !
- Calmez-vous, je vous prie. Je sais que c'est une terrible épreuve pour vous. Mais il faut voir les choses en face. Je suis désolé de vous asséner une telle chose, mais votre père a maquillé le meurtre de votre mère pour qu'il puisse se volatiliser tout en laissant croire qu'il se fasse enlever !
Excédé, Sasha se leva sans retenue, faisant tomber sa chaise sur le sol :
- Je refuse de laisser une bande de pseudo-experts scientifiques salir ainsi mon père ! Il n'a rien d'un tueur ! Vous l'aviez déjà accuser de dealer de la drogue, et maintenant ça ! C'est quoi votre problème ?
Votchyevka, impuissant, se tordait les mains et était rester assis. A l'évidence, il avait manqué de tact. Néanmoins, il n'avait aucune idée de comment aborder le sujet. Bien sûr, il avait eut à étudier l'approche psychologique avec les victimes lors de sa formation, mais ce n'était pas pour autant son point fort.
Craignant peut-être que Sasha n'esquisse un quelconque geste d'agressivité envers son commissaire, un policier fit son entrée dans la salle et demanda :
- Tout va bien commissaire ?
- Oui, oui. Ne vous inquiétez pas pour moi.
Votchyevka se leva au même moment que Sasha s'affala au sol, en pleurs.
- Son agressivité n'était qu'une étape, expliqua Votchyevka au policier, lorsqu'une personne apprend une telle nouvelle, elle passe par l'hébétement, la colère et puis la tristesse. Seul le temps pourra réparer une telle blessure.
Le brigadier acquiesça silencieusement de la tête tout en ne pouvant s'empêcher de fixer le fils de Nikolai et d'Olga. Il éprouvait un certain malaise à la vue de ce trentenaire pleurant toutes les larmes de son corps tel un enfant. Il n'arrivait pas à imaginer la souffrance que pouvait ressentir cet homme ayant perdu sa mère et ayant comme père un tueur.
Votchyevka sortit de la salle en lâchant un dernier ordre :
- Surveille-le pour pas qu'il ne fasse une chose stupide.
- Bien, commissaire.
Votchyevka fit quelques pas dans le couloir désert. Là, il s'arrêta et frappa violemment le mur. Il avait beau avoir la réputation d'un grognard et d'un dur, il n'était pas resté insensible à la vue de cet homme déchiré par de tels événements.
* * *
Sviatoslav mordit dans son hamburger tout en veillant à ne pas salir le siège de la voiture. Cet homme d'une cinquantaine d'années au ventre bedonnant disposait désormais d'une longue carrière au sein de la police. D'abord affecté dans de petits postes dans des villes mineures, il avait été affecté au commissariat de Kiev il y a 25 ans. Las, trop paresseux et peu intelligent, il avait stagné et n'avait obtenu aucune réelle promotion.
C'est ainsi qu'il s'était vu infligé une banale opération de surveillance au sein de l'affaire du meurtre de la femme de Pietro, l'ex-chef de la mafia. En effet, il avait pour mission de guetter non loin de « l'Ukrainien Volant ». Le fameux restaurant servant de façade aux agissements de la mafia. Ainsi, ses supérieurs espéraient que le fils de Pietro se pointe au restaurant afin de prendre contact avec les ex-collègues de son père.
C'était évidemment une piste à faible probabilité de réussite que s'était vu infligé Sviatoslav. Cependant, il était loin de s'en plaindre. Cela lui permettait d'échapper à d'autres tâches plus éreintantes et de pouvoir glander toute la matinée. De plus, il partageait avec Roman un amour inconditionnel pour les hamburgers. Sauf que contrairement au partenaire de Yevhen, le sport lui était inconnu et son ventre avait gonflé au fil des ans.
Sviatoslav jeta un œil amusé à sa partenaire qui se trouvait à côté de lui, sur le siège passager. Elle semblait prendre sa mission très à cœur et scrutait avec attention la devanture de « l'Ukrainien Volant ». Et à l'évidence, il trouvait cette situation bien comique.
- Eh, déstresse Lilya !, lança-t-il, on dirait que tu as un balai dans le cul !
Lilya ne répondit pas et se contenta de froncer les sourcils. Elle n'appréciait pas vraiment la compagnie de ce Sviatoslav qu'elle considérait comme étant la lie de la police actuelle. Inactif, peu débrouillard et incompétent, il était en outre assez désagréable et sans-gêne. De plus, il ne se cachait même pas d'être corrompu par la mafia, puisqu'il faisait de nombreuses références humoristiques à ses amis mafieux.
Néanmoins, on l'avait affecté avec lui à la surveillance du restaurant pour la matinée, faute d'autres pistes potables.
En enquêtant sur l'affaire d'Olga et de Nikolai Hotchenko, Yevhen et Roman avaient indirectement causé la découverte du cadavre de la femme de Pietro, nommée Alevtina. Rapidement, Pietro avait accusé son fils Youri d'être l'auteur de ce meurtre. Depuis, Votchyevka avait confié l'affaire à un major qui avait là assigné plusieurs policiers, dont elle et Sviatoslav, à l'enquête. Ils avaient dès lors cherché à localiser Youri. Sans succès pour le moment.
- On va vraiment passer les prochaines heures à se faire la gueule dans un silence de mort ?, la pressa Sviatoslav.
- Nous ne sommes pas ici pour parler. On nous a assignés une mission, je te rappelle.
- L'un n'empêche pas l'autre. Crois-en ma grande expérience...
Lilya ne put s'empêcher d'éclater de rire :
- Attends, t'es sérieux ? Ta grande expérience ? Et à quoi ? A engloutir des cochonneries ?
- J'ai 20 ans de plus que toi, répliqua-t-il, profondément vexé par la réaction de la jeune femme.
- Lâche-moi tu veux ? Pour être honnête je ne t'apprécie pas du tout. Donc cesse tes familiarités ou je te les fais bouffer.
Reprenant son air désinvolte, son odieux partenaire partit dans un rire tonitruant :
- On peut dire que tu as ton caractère ! Ça ne sera pas facile tous les jours pour ton futur mari. Je plains Yevhen !
- De.. quoi ?, rougit subitement Lilya, arrête de dire n'importe quoi.
- Ça va. T'as cru que l'on était tous dupes ?
Lilya ne répondit pas et reporta sa complète attention sur la rue donnant sur le restaurant. Prenant ce silence par un aveu, Sviatoslav n'en démordit pas :
- Ceci dit, Yevhen aussi a un sacré caractère. J'ai jamais vu un mec aussi réservé et rongé par les secrets qui l'habitent.
- C'est ça qui le rend intéressant.
- Ah. Donc tu avoues qu'il te plaît ?
- Je pense que ça se voit. Puis si je ne t'avais pas avoué, tu allais me saouler toute la matinée. Le problème avec Yevhen, c'est qu'il est toujours accompagné de l'autre là. Roman je crois. Ce n'est qu'une grande gueule.
Cette fois-ci, ce fut Sviatoslav qui fronça les sourcils et semblait avoir mal pris la remarque de sa partenaire :
- Fais gaffe à tes mots. Ne parle pas de mon ami comme ça.
- Vous êtes amis ? Étonnant !, sourit Lilya.
- C'est l'ami de tout le monde au commissariat. Mais c'est parce que tu es nouvelle. Oui, Roman est un peu extraverti et tout. Cependant c'est vraiment un mec en or. Si tu savais tout ce qu'il a fait pour Yevhen.
Lilya leva les yeux au ciel et rétorqua :
- Ca va, ça va. Je n'ai pas non plus une haine viscérale pour lui, c'est juste qu'il ne m'attire pas forcément. Je ne t'ai pas demandé de lui écrire une ode.
Voulant clore cette discussion, Lilya se remit à sa mission et fixa la rue. Soudain, elle lâcha une faible exclamation et prit précipitamment une photo de Youri qui traînait près du levier de vitesse. Elle venait de remarquer une personne qui se dirigeait vers le restaurant et qui correspondait au signalement. Elle scruta à tour de rôle le suspect puis la photo-témoin. Cependant, Sviatoslav nia :
- Ce n'est pas lui.
- Exact..., soupira la jeune femme, j'y ai cru.
- Eh... Mais attends, c'est ce petit con de Volodymyr !
- Qui ? Tu le connais ?
Sviatoslav approuva d'un hochement de tête tandis que Volodymyr finit par rentrer dans « l'Ukrainien Volant », les mains dans les poches et la tête baissée, comme s'il avait peur de se faire repérer. De toute évidence, il n'y allait pas pour déguster un délicieux repas...
- Qui c'est ce Volodymyr ?, insista Lilya.
- Tu ne le connais pas encore ? Yevhen ne t'en a pas parlé ?
- Qu'est-ce qu'il vient faire là Yevhen ?
- C'est le mec de sa fille.
Surprise, Lilya tenta de se remémorer le visage du fameux Volodymyr, elle jugea alors :
- Il n'a pas l'air d'être clean, comme gars.
Sviatoslav éclata encore de son rire gars qu'elle détestait tant. Ne pouvait-il pas juste répondre, sans se gargariser ainsi ?
- Un peu qu'il est pas clean ! C'est un voyou. Un minable. Au poste il est connu justement pour ce qui le lie à Yevhen. Avec les collègues on trouve la situation très comique. Après on ne se moque pas trop devant Yevhen, il le prend mal. Cela dit, Volodymyr n'avait pas besoin de ça pour qu'on le connaisse. Il fut un temps où le commissariat était comme sa seconde maison...
- « il fut un temps », releva Lilya, il s'est calmé depuis.
- Depuis qu'il sort avec la fille de Yevhen, oui. Un peu, je dois le reconnaître.
Lilya secoua la tête et soupira :
- Pauvre Yevhen. J'imagine que cette situation doit le torturer.
- Énormément. Puis vu que Volodymyr vient d'entrer dans le restaurant hébergeant la mafia locale, quelque chose me dit qu'il est loin de se ranger...
* * *
Sans se douter que deux policiers le fixaient depuis une voiture civile, Volodymyr remonta la rue à pas rapides. Il ouvrit la porte de « l'Ukrainien Volant » et s'engouffra à l'intérieur. Une fois dedans, il salua de la tête un serveur et s'engagea vers la porte du fond. L'apercevant, Maxim, le garde, s'écarta et lui ouvrit la porte :
- Les patrons t'attendent.
- Euh, merci, répondit Volodymyr, un peu intimidé.
Le fiancé de Yulia se mit à descendre les escaliers et fit son apparition dans la fameuse salle depuis laquelle était dirigé la mafia. Plusieurs hommes étaient assis autour d'une grande table de poker, des liasses de billets entre les mains. Manifestement ils étaient en train de faire les comptes.
Volodymyr posa ses pieds sur la moquette rouge. Aussitôt, Erik se retourna vers lui, se leva et alla lui serrer la main avec son naturel enthousiasme qui contrastait tant avec ses occupations illégales.
- Salut, Volodymyr !
Mark, toujours immobilisé depuis que Pietro lui avait tiré une balle dans le genou, se contenta de lui faire un signe de tête.
Volodymyr appréhendait totalement ce qui allait se passer. Ce matin, il avait reçu un appel de la part du mafieux qui le fournissait en drogue, pour qu'il puisse ensuite le vendre aux consommateurs. Il était surpris car il ne devait récupérer un nouveau stock que dans une dizaine de jours. Son interlocuteur l'avait alors pris à contre pied en l'informant qu'il était convoqué devant les dirigeants de la mafia de Kiev.
- Heureux de te rencontrer, continua Erik.
Bien qu'inquiet par rapport à sa situation personnelle, il ne put s'empêcher de poser une question qui le taraudait :
- Qui remplace Pietro ?
L'arrestation du désormais ex-chef de la mafia avait évidemment fait le tour de la ville via les médias. Volodymyr s'était alors demandé comment serait organisé la succession de Pietro.
- Mark et moi avons pris les commandes des opérations. Cela s'est décidé très vite pour qu'il n'y ait pas une répercussion sur les revenus. C'est donc une co-direction.
Volodymyr hocha la tête et se dit que c'était une très bonne chose pour la mafia. Erik avait beau être déroutant par son attitude trop jovial pour le poste, il était reconnu publiquement comme quelqu'un de très intelligent, posé et réfléchi. D'un autre côté, Mark était plus rude et dur dans ses méthodes, apportant un contre-équilibre parfait.
Cependant, il se doutait de la réussite à long terme d'une co-direction. Tôt ou tard, l'un des deux aura soif de pouvoir et tentera d'évincer l'autre.
- Pourquoi m'avoir convoqué ?, demanda-t-il de but en blanc.
Avant de répondre, le sourire d'Erik s’affaissa quelque peu. Ce qui l'inquiéta beaucoup.
- Une rapide chose à clarifier. On a eu vent de plaintes de la part de clients, à ton sujet.
- Co... Comment ça ? Qu'est-ce que j'ai fait ?, fut surpris le petit ami de Yulia.
Mark prit alors la parole pour la première fois :
- A vrai dire, rien. Ce n'est pas toi le problème. Apparemment, lors d'une transaction, un policier en service vous est tombé dessus, effrayant les clients. Tu confirmes ?
- Je... Oui, confessa Volodymyr qui jugeait que mentir ne lui apporterait que plus de problèmes, surtout qu'ils avaient dû réaliser leur petite enquête.
- Qui était ce policier ?, demanda Mark dans ce qui avait tout l'air d'être une question rhétorique.
- Le major Chevakova... Je... Je suis le fiancé de sa fille.
Cette annonce fit éclater de rire l'ensemble des mafieux présents dans la pièce. De toute évidence, ils étaient déjà au courant mais devaient trouver que de l'entendre de sa bouche était une situation très drôle.
- Et ce major saute à la gorge de son gendre ? Étranges méthodes, s'étonna un mafieux autour de la table.
- Il m'aime pas trop, à vrai dire, répondit Volodymyr en haussant les épaules.
- Tu m'étonnes, gloussa Erik, Yevhen sur-protège sa fille, la voir traîner avec un jeune des rues...
- Ah, c'est Yevhen ?, s'exclama le même mafieux, je ne savais pas. Courage, ça doit pas être facile tous les jours avec lui.
Mark leva la main pour le faire taire :
- Je disais donc. On a rapidement découvert qu'effectivement, tu sortais avec sa fille. Et je n'ai pas besoin d'être Sherlock Holmes pour deviner qu'il te déteste de par ta mauvaise réputation. A quoi croyais-tu en nous cachant ce fait, le jour où on t'a embauché ? Tu crois qu'on filerait de nos produits à un mec qui fricote avec la fille d'un des plus haut gradés du commissariat ?
- Et si Yevhen pétait à nouveau un plomb ? Et s'il perturbait encore une transaction ?, continua Erik.
Sans voix, sans défense, Volodymyr ne put que se résoudre au silence.
- La solution est toute simple, finalement, poursuivit Erik.
- Quitte sa fille, compléta Mark.
- Non !, répliqua d'instinct Volodymyr.
- Le pauvre, il est amoureux, ricana un mafieux.
Tandis que la plupart des truands se moquaient sans façade de Volodymyr, la tête de Mark et d'Erik marquèrent le désemparement :
- Écoute Volodymyr, lui fit Mark, on aurait pu simplement te virer. Cependant, tu es un jeune toujours disponible et qui n'a pas peur des risques. On veut te garder.
- Surtout depuis que la ville a mis en place leurs projets, approuva Erik, leur aides sociales ont considérablement baissé le nombre de jeunes en difficulté.
- Et nous te proposons une solution simple. Quitte-la et tu pourras travailler de nouveau pour nous. Yevhen en serait même ravi.
- Je... Je ne peux pas...
- Mais tu es vraiment amoureux ?, s'étonna Erik.
Pour la première fois depuis l'entrevue, Volodymyr laissa apparaître son caractère volcanique.
- Vous croyez que je me coltine son abruti de père pour le plaisir ?, ragea-t-il, évidemment que j'aime Yulia ! Je ne la quitterais pas pour vos beaux yeux !
Le problème sembla alors régler pour Erik et Mark. Ce dernier fit un geste de rejet de la main et conclut :
- Alors on te vire. Bonne continuation.
- S'il vous plaît ! J'ai besoin d'argent !
- Écoute !, explosa Mark, je t'ai certes brossé dans le sens du poil il y a cinq minutes, mais ne crois pas que tu es irremplaçable. Tu n'es qu'un pion, qu'un engrenage. Maintenant, tu dégages !
Beaucoup moins accueillant qu'à l'accoutumée, Erik le prit par le bras et le ramena vers l'escalier amenant au rez-de-chaussée. Sombre, Volodymyr se dégagea et grommela :
- C'est bon. Je connais la sortie.
Alors qu'il grimpait les escaliers, la porte s'ouvrit et un jeune homme à peine plus âgé que lui s'engagea dans les escaliers. Celui-ci le contourna et lui adressa un bref signe de tête. N'y prêtant pas attention, il salua Maxim de mauvaise humeur et sortit du restaurant, très déçu.
Il avait perdu son job. Illégal, certes, mais job quand même. Et ce alors qu'il avait désespérément besoin d'argent. Et tout ça à cause de son beau-père. Il allait devoir trouver une autre solution à ses problèmes financiers.
Et il allait le faire payer à Yevhen.
* * *
Volodymyr ne se doutait pas que le jeune homme qu'il venait de rencontrer dans les escaliers en sortant, n'était autre que Youri, le fils de Pietro. Ne l'ayant jamais rencontré auparavant, il continua sa route et prit la direction de chez lui, sans se douter que dans une voiture à quelques mètres de là, c'était le branle-bas de combat.
- Tu es sûr que c'est lui ?, répéta Sviatoslav pour la énième fois.
- Puisque je te dis que j'en suis persuadée !, l'assura Lilya.
Sviatoslav grogna, visiblement mécontent de la tournure que prenaient les événements et qui le dérangeaient pendant son repas.
- Bon. Appelle le commissariat alors, fit-il.
Excitée, Lilya prit le talkie-walkie du poste-émetteur et dit :
- Ici Dobrenko et Bezuschuk, avons repéré la cible. Il vient d'entrer dans le restaurant « L'Ukrainien Volant ». On attend les ordres.
- Bien reçu. Filez-le dès sa sortie, il nous faut une adresse !, lui répondit le chef des opérations.
La jeune femme reposa le talkie-walkie et respira un grand coup :
- Il va falloir être discrets..., lâcha-t-elle en se mordant les lèvres.
Quelques minutes plus tard, Youri sortit de « l'Ukrainien Volant ».
- Il n'est pas très méfiant. Il n'a pas l'air de se douter de quoique ce soit..., commenta Sviatoslav.
- Il est jeune, que veux-tu... Excuse-le de ne pas avoir ton expérience.
- Pas la peine d'être désagréable.
- Je préférerais que tu te concentres. C'est toi qui conduit je te signale. Ne te fais pas remarquer, sous peine de foutre la mission en l'air.
Le fils de Pietro s'engagea dans une rue. Sviatoslav démarra la voiture et roula au pas jusqu'à tourner dans cette rue à son tour. Lui et sa partenaire le virent alors enfourcher un vélo.
Le jeu de piste dura pendant quelques minutes. A l'intérieur de la voiture, Sviatoslav était à cran, tout comme sa coéquipière. Craignant de se faire griller par le jeune homme, il tentait tant bien que mal de rester à une distance respectable du vélo. Par chance, Youri se mit à passer par des routes à la circulation dense sans être pour autant embouteillée. Sviatoslav put alors rouler plus rapidement et moins stresser.
Finalement, ils sortirent du centre-ville et se dirigèrent vers la périphérie, un quartier résidentiel. La circulation étant redevenue plus rare, Sviatoslav ralentit. Cette filature se passait plutôt bien. Youri ne se retournait pas, et les vélos n'avaient pas de rétroviseurs.
Youri s'arrêta brusquement et stoppa son vélo devant une maison pavillonnaire quelconque au beau milieu d'une rue. Sviatoslav eut un bon réflexe et continua sa route, le dépassant. Lilya se retourna et vit Youri entrer effectivement dans la-dite maison.
- C'est le numéro 25. Quel est le nom de la rue ?
- Euh... Rue.. Rue Makerenko, je crois, bégaya Sviatoslav.
Intriguée par le ton hésitant de son équipier, Lilya se retourna vers ce dernier et demanda :
- Eh ? Tu vas bien ?
Soudain, Sviatoslav eut quelques spasmes et lâcha plusieurs râles avant de tomber évanoui. Lilya laissa échapper un juron. Réactive, elle attrapa le talkie-walkie du poste-émetteur et appela à l'aide :
- Bezuschuk a fait un malaise. On se trouve au bout de la rue Makarenko en périphérie. Appelez les secours.
- Bien reçu. On fait vite.
Elle sentit alors la panique la gagner. Effectuer les premiers secours en cours théorique était une chose, les reproduire en situation réelle, en était une autre. Tremblante et inquiète, elle reproduit ce qu'elle savait afin de mettre Sviatoslav hors de danger.
Puis, une voix s'échappa du poste-émetteur :
- Les secours arrivent. Avez-vous eu le temps de repérer la planque de Youri ?
- Oui. Il se cache dans la même rue Makarenko, numéro 25, répondit Lilya.
- Ok. On envoie nos troupes l'encercler. Attendez-nous.
La jeune femme regarda alors le corps inerte de son coéquipier. Elle n'avait aucune idée de la gravité de son malaise. Mais quelque chose lui disait que le cholestérol, le stress et l'adrénaline ne faisaient pas un bon mélange...
* * *
Le major Den Ilchyuk nota l'adresse que lui avait indiqué Lilya. Dans un premier temps, il appela les secours pour pallier au malaise soudain de Sviatoslav. Ensuite, il rassembla les officiers sous ses ordres, qui étaient soit en mission, soit déjà au commissariat, afin d'organiser l'encerclement du lotissement où se planquait le fils de Pietro : Youri.
Il était étonné que Youri se cache dans une maison toute simple alors qu'ils avaient écumé toutes les adresses en lien avec le fugitif. Il devait se faire loger par une de ses connaissances non reconnues par les forces de l'ordre.
Après avoir passé tous ses appels, il se leva de son bureau et se dirigea vers son supérieur, le commissaire Votchyevka, qui venait lui aussi de raccrocher le téléphone.
- Commissaire !, le héla Ilchyuk.
- Ilchyuk ? Qu'y a-t-il ?
- Nous avons besoin de votre aide. On a repéré Youri Nazarenko.
- Le fils de Pietro ? Excellent travail, major.
- Il se cache dans une maison située dans une banlieue tranquille en bordure du centre-ville. On a besoin de vous pour gérer les opérations.
- Je n'ai pas le temps.
- Voyons, commissaire ! Youri a hérité du même tempérament que son père, c'est une tête brûlée ! Il n'hésitera pas à faire feu et il y a un sérieux risque de blessures. Sans compter qu'il va falloir évacuer avec discipline tous les résidents de la rue. La situation requiert votre présence ! De plus, Sviatoslav va être transféré à l'hôpital, il a fait un malaise. Il me manque un homme.
- Désolé, Ilchyuk. Tu sais bien qu'une autre affaire d'une importance extrême me préoccupe en ce moment.
- Sauf votre respect, commissaire, répliqua le major Ilchyuk, c'est au point mort. Regardez Chevakova et Szarszus ! Ils n'ont pas bougé de leur bureau de toute la matinée !
Accompagnant les gestes à la parole, il montra de la main Yevhen et Roman, assis à leur bureau devant de la paperasse. Votchyevka soupira :
- Je sais que nous sommes dans une impasse. Mais cette affaire devient critique. Je viens de recevoir un appel du commissariat de la ville de Kharkiv. Ils ont eu deux meurtres, les scènes de crime ressemblant étrangement aux nôtres...
- Vous rigolez ?, s'étrangla Den.
- J'en ai l'air ? Rien ne nous dit que c'est Nikolai qui ait également tué ces personnes de Kharkiv. Mais c'est assez mystérieux pour que je dois me rendre à Kharkiv dès cet après-midi.
- Oh. Je comprends. Excusez-moi.
- Il te manque un homme c'est bien ça ? Écoute, je vais prendre Szarszus avec moi pour m'accompagner à Kharkiv. Je dirais à Chevakova de rejoindre ton groupe d'opérations. Il a de l'expérience.
Den opina de la tête et partit finir d'organiser l'opération visant à appréhender Youri. De son côté, Votchyevka se rendit vers bureau de Yevhen et de Roman. Ce dernier s'aperçut de la mine ombrageuse de son commissaire et prit les devants :
- Une mauvaise nouvelle, commissaire ?
- Appel du poste de Kharkiv. Ces deux derniers jours il y eut deux meurtres dans leur ville. Dans les deux cas, on constate le meurtre de deux dames âgées et la disparition de leurs maris respectifs.
- Comme nos affaires..., murmura Yevhen.
- Vous croyez que c'est Nikolai qui a fait ça ?, interrogea Roman.
- Leur équipe scientifique n'a trouvé aucune empreintes sur les deux scènes de crime. Les deux femmes ont été tuées par des objets contondants. Quant à Nikolai, soit c'est lui, soit c'est un imitateur. Dans le premier cas, cela voudrait dire que Nikolai a échappé à nos forces et s'est exilé à Kharkiv. Dans le deuxième cas, on a un autre fou sur les bras.
- Ce qui m'inquiète c'est la tournure nationale que prenne les événements..., réfléchit à voix haute Yevhen.
- Roman, prépare-toi, ordonna Votchyevka, on part pour Kharkiv dans l'heure qui suit. J'ai déjà réservé les billets de train.
- Et moi ?, fit Yevhen.
- Le major Ilchyuk est passé me voir à l'instant. Ils ont repéré le fils de Pietro. Néanmoins, Sviatoslav a fait un malaise et il m'a demandé de l'aide. Ne pouvant pas intervenir comme je pars pour Kharkiv, je vais t'envoyer leur apporter ton expérience. Va le voir pour les informations complémentaires.
- Bien, commissaire.
- Sviatoslav va bien ?, s'inquiéta Roman.
- Apparemment, le malaise n'a rien de gravissime.
Yevhen était flatté d'avoir été choisi par son supérieur pour une opération assez importante. De plus, il aimait l'adrénaline et les sensations que lui procuraient de tels événements. Cela changeait avec les patrouilles barbantes et les vulgaires opérations de routine. Il était bien content d'échapper à la visite des deux scènes de crimes de Kharkiv.
Quand le commissaire Andriy Votchyevka s'éloigna, il ne put s'empêcher de narguer Roman.
- Je suis impatient de partir en opération. Rage pas trop !
- Je ne vois pas de quoi tu parles, rétorqua Roman, je vais passer toute une après-midi en tête-à-tête avec le beau commissaire. Puis je sens que ça avance, il ne peut tellement plus se passer de moi qu'il m'emmène partout avec lui.
- Si tu le dis, sourit Yevhen.
- Puis je préfère que ce soit toi qui accompagne Den. Comme ça, tu passeras toute une après-midi avec Lilya !
- Merde ! J'avais oublié qu'elle faisait partie du groupe chargé d'enquêter sur le meurtre de la femme de Pietro !
Roman lui fit un clin d’œil tout en se levant et ajouta :
- Impressionne-la.
* * *
Le major Den Ilchyuk sortit un mégaphone du coffre de sa voiture de fonction. Il l'alluma et s'en servit afin d'avertir Youri Nazarenko.
- Youri ! Tu es cerné. Rends-toi !
Il baissa son mégaphone et attendit quelques secondes. Aucune réponse ne se fit entendre de la part du fils de Pietro. Il ne se manifesta même pas.
Dans le même temps, Yevhen aida quelques officiers à faire évacuer les multiples voisins de la maison où se planquait Youri. Une fois que ce fut fait, il rejoignit Lilya qui se tenait non loin de Den. Celle-ci lui sourit, un poil crispée.
- Tu es stressée ?, s'enquit-il.
- Un peu, c'est la première fois que je prends part à une telle opération.
Yevhen lui tapota l'épaule d'un geste qui se voulait apaisant. Lilya le regarda dans les yeux et il sentit automatiquement une bouffée de gêne l'envahir. Il enleva sa main, surpris de sa propre hardiesse. Il était obligé d'admettre que cette fille ne le laissait pas indifférent.
- Dis, reprit la policière, je sais que ce n'est pas vraiment le moment, mais je n'ai pas eu l'occasion de te voir avant. Ta proposition de resto est toujours valable ?
- Évidemment, déglutit Yevhen.
- Ça te dit d'y aller ce soir ?
- Oui, bien sûr.
Il n'eut pas le temps d'ajouter un moment, le major Den Ilchyuk s'approch