Note de la fic :
Publié le 21/12/2014 à 02:18:58 par MonsieurF
C'est fou ce qu'en une année, les choses peuvent radicalement changer, ou au contraire rester implacablement les mêmes.
C'était une année qu'il avait fallu attendre avant que la route sur laquelle j'avais choisi de mourir puisse être de nouveau empruntée par les voitures. Le temps de l'enquête puis celui des travaux de rénovation des lieux de l'incident furent si longs, qu'ils avaient rendu les lieux impraticables pendant une année entière. Et il n'est pas question d’approximation dans les faits que je décris; la nouvelle portion de route rouvrait un an jour pour jour après ma mort.
Deux évènements, un triste anniversaire et une inauguration eurent donc lieu le même jour. Dans la ville, il y avait ceux qui se foutaient du premier et jubilait à propos du deuxième, ceux qui pleuraient à cause du premier et dénigraient le deuxième, et les autres, qui ne voyaient aucun intérêt au premier comme au deuxième.
Ce qui restait de ma famille, comptait bien sûr parmi ceux qui me pleuraient encore et toujours.
Ma petite sœur et mon grand frère se serraient les coudes depuis qu'ils avaient appris la nouvelle. Ils ne comptaient que l'un sur l'autre pour tenter de venir à bout de leur peine. Malheureusement pour eux, jamais, l'un comme l'autre, n'y arriverait. Cela conduira d'ailleurs l'un des deux à me rejoindre. Mais je vous en parlerais le moment venu.
Mes parents n'avaient eux, plus aucune considération pour mon frère et ma sœur. Ils vivaient leur deuil, chacun dans leurs coins, sans même en parler, sans même daigner s'ouvrir. Reclus dans leurs douleurs, ils avaient décidé de construire une muraille et de se réfugier derrière, dans une noirceur intense. Tout ça en croyant que la solution vers la fin de leurs deuils se trouverait en remuant les souvenirs et en buvant de l'alcool.
Pour la petite anecdote, je n'ai pas été un enfant désiré. Papa m'a toujours dit le contraire, mais ma mère elle, ne tenait pas le même discours, parlant d'accident plutôt que d'heureux évènement. Ils avaient voulu une fille et un garçon à 5 ans d'intervalle, ils avaient eu un garçon, une fille trois ans plus tard, et une autre fille deux autres années plus tard. J'aurais pu croire ce que mon père disait, si tout au long de mon enfance je n'avais pas eu l'impression que ma mère ne m'aimait pas comme elle aimait mon frère et ma sœur. Mais mon père, lui, n'avait d'yeux que pour moi, allez savoir pourquoi.
Avec Fleur, j'avais ce que toute grande sœur rêvait d'avoir; une petite sœur avec qui passer d'uniques moments. J'aimais passer du temps avec, et j'aimais la pouponner. Je voulais absolument me montrer indispensable pour cette fragile fillette qui avait droit à une part d'amour venant de ma mère, que je n'avais jamais eu la chance de recevoir. Pourquoi, alors que j'aurais dû la haïr précisément pour cette raison, je ressentais plutôt le besoin d'être là et de lui donner encore plus d'amour qu'elle en recevait déjà? Je n'ai jamais eu la réponse à cette interrogation, même s'il m'arrivait de trouver plus de raisons de l'égorger plutôt que d'être aussi affectueuse avec.
Paul et moi étions beaucoup plus distants. C'était déjà un grand homme quand je suis née. Je me suis toujours dit qu'il était né comme ça, "grand" et "homme".
Ils étaient du genre protecteur, mais aussi du genre à ne pas s’éterniser sur tout ce qui était question de sentiments. Quand j'étais jeune et innocente, que je ne comprenais pas grand-chose à la vie, je lui avais posé la question. "Pourquoi tu ne dis jamais rien?" lui avais-je demandé. "Parce que je ne ressens pas le besoin de parler" m'avait-il répondu. Et alors que je lui avais lancé en pleine face que de toute façon, on n’avait pas l'impression qu'il ressentait quoi que ce soit, sa réponse fût cinglante
"Ce n'est pas parce que je ne dis rien, que je ne ressens rien. Tu apprendras plus tard que cloisonner ses sentiments en soi te sera bien plus bénéfique que de laisser tout le monde s'en approcher. Tu ne mesures pas l'effet destructeur que cela peut avoir, de laisser les gens s'approcher un peu trop près de ce que tu ressens."
Je n'avais plus tenté d'aborder le sujet avec lui. Mon frère était ainsi, responsable, mature, fort, mais jamais démonstratif. Quand je suis entré dans l'âge ingrat, celui de l'adolescence, sa présence m'était presque indispensable. Un rock sur lequel me reposer totalement quand mes parents m’étouffaient lourdement. Il me permettait d'avoir un recul, d'avoir un regard différent lors des conflits. J'adorais le serrer fort dans mes bras et de sentir son odeur protectrice sur moi, me sentir bien au creux du corps d'un homme me procurait des sensations inédites et uniques au monde.
J'ai su quelque temps après mes premiers pas dans l'adolescence que ce besoin, ces pulsions, je ne pourrais pas les assouvir avec mon frère. Ce serait bizarre, ce serait malsain, et je ne l'aime pas de cette manière.
Nageant dans un mal-être considérable, aidé par des histoires de familles aussi noires que le ciel la nuit, j'ai commencé petit à petit à rencontrer des hommes plus âgés que moi en sortant en douce. D'abord les week-ends, puis le vendredi, puis le jeudi, puis le mardi... Ce besoin, mais il était là, au fond de moi, et me contrôlait. Bientôt, ce fut 6 nuits sur 7 que je passais dehors, avec des hommes plus âgés, à baiser dans des chambres sales, à prendre du plaisir dans l'interdit, et rentrer au petit matin le plus discrètement possible pour endosser le costume de la jeune fille adolescente, sage et sans histoires que mes parents croyaient que j'étais. Paul devait probablement savoir; au matin de toutes les nuits que j'ai passées hors de mon lit, il me regardait toujours de son regard lourd, désapprobateur, avec un brin de pitié. Je préférais ne pas m'attarder là-dessus.
Pourquoi étais-je comme ça? Pourquoi ressentais-je ce besoin? Pourquoi avais-je autant voulu me faire du mal toutes ces années? Personne mieux que moi ne pouvait comprendre. Pendant longtemps les choses étaient ce qu'elles étaient. Dans cette ville, je vivais mon existence, cette difficile existence. Personne ne connaissait le véritable moi, personne ne savait ce que Gabrielle vivait. Puis "c'est" arrivé. Je ne parle pas de ma mort, mais de ce qui m'a poussée à être aussi sûre que rien ne cesserait si je ne passais pas sous un pick-up une nuit de décembre.
Mes parents, mon frère, ma sœur, ne liront probablement jamais tout ça. Ils ne connaitront jamais l'entière vérité sur ce qu'était réellement l'existence torturée de Gabrielle. Mais je dois lever le voile, pour me pardonner à moi même, pour coucher à l'écrit, cette addition de tourments et de cicatrices qui ont composé ma vie pendant 20 ans.
C'était une année qu'il avait fallu attendre avant que la route sur laquelle j'avais choisi de mourir puisse être de nouveau empruntée par les voitures. Le temps de l'enquête puis celui des travaux de rénovation des lieux de l'incident furent si longs, qu'ils avaient rendu les lieux impraticables pendant une année entière. Et il n'est pas question d’approximation dans les faits que je décris; la nouvelle portion de route rouvrait un an jour pour jour après ma mort.
Deux évènements, un triste anniversaire et une inauguration eurent donc lieu le même jour. Dans la ville, il y avait ceux qui se foutaient du premier et jubilait à propos du deuxième, ceux qui pleuraient à cause du premier et dénigraient le deuxième, et les autres, qui ne voyaient aucun intérêt au premier comme au deuxième.
Ce qui restait de ma famille, comptait bien sûr parmi ceux qui me pleuraient encore et toujours.
Ma petite sœur et mon grand frère se serraient les coudes depuis qu'ils avaient appris la nouvelle. Ils ne comptaient que l'un sur l'autre pour tenter de venir à bout de leur peine. Malheureusement pour eux, jamais, l'un comme l'autre, n'y arriverait. Cela conduira d'ailleurs l'un des deux à me rejoindre. Mais je vous en parlerais le moment venu.
Mes parents n'avaient eux, plus aucune considération pour mon frère et ma sœur. Ils vivaient leur deuil, chacun dans leurs coins, sans même en parler, sans même daigner s'ouvrir. Reclus dans leurs douleurs, ils avaient décidé de construire une muraille et de se réfugier derrière, dans une noirceur intense. Tout ça en croyant que la solution vers la fin de leurs deuils se trouverait en remuant les souvenirs et en buvant de l'alcool.
Pour la petite anecdote, je n'ai pas été un enfant désiré. Papa m'a toujours dit le contraire, mais ma mère elle, ne tenait pas le même discours, parlant d'accident plutôt que d'heureux évènement. Ils avaient voulu une fille et un garçon à 5 ans d'intervalle, ils avaient eu un garçon, une fille trois ans plus tard, et une autre fille deux autres années plus tard. J'aurais pu croire ce que mon père disait, si tout au long de mon enfance je n'avais pas eu l'impression que ma mère ne m'aimait pas comme elle aimait mon frère et ma sœur. Mais mon père, lui, n'avait d'yeux que pour moi, allez savoir pourquoi.
Avec Fleur, j'avais ce que toute grande sœur rêvait d'avoir; une petite sœur avec qui passer d'uniques moments. J'aimais passer du temps avec, et j'aimais la pouponner. Je voulais absolument me montrer indispensable pour cette fragile fillette qui avait droit à une part d'amour venant de ma mère, que je n'avais jamais eu la chance de recevoir. Pourquoi, alors que j'aurais dû la haïr précisément pour cette raison, je ressentais plutôt le besoin d'être là et de lui donner encore plus d'amour qu'elle en recevait déjà? Je n'ai jamais eu la réponse à cette interrogation, même s'il m'arrivait de trouver plus de raisons de l'égorger plutôt que d'être aussi affectueuse avec.
Paul et moi étions beaucoup plus distants. C'était déjà un grand homme quand je suis née. Je me suis toujours dit qu'il était né comme ça, "grand" et "homme".
Ils étaient du genre protecteur, mais aussi du genre à ne pas s’éterniser sur tout ce qui était question de sentiments. Quand j'étais jeune et innocente, que je ne comprenais pas grand-chose à la vie, je lui avais posé la question. "Pourquoi tu ne dis jamais rien?" lui avais-je demandé. "Parce que je ne ressens pas le besoin de parler" m'avait-il répondu. Et alors que je lui avais lancé en pleine face que de toute façon, on n’avait pas l'impression qu'il ressentait quoi que ce soit, sa réponse fût cinglante
"Ce n'est pas parce que je ne dis rien, que je ne ressens rien. Tu apprendras plus tard que cloisonner ses sentiments en soi te sera bien plus bénéfique que de laisser tout le monde s'en approcher. Tu ne mesures pas l'effet destructeur que cela peut avoir, de laisser les gens s'approcher un peu trop près de ce que tu ressens."
Je n'avais plus tenté d'aborder le sujet avec lui. Mon frère était ainsi, responsable, mature, fort, mais jamais démonstratif. Quand je suis entré dans l'âge ingrat, celui de l'adolescence, sa présence m'était presque indispensable. Un rock sur lequel me reposer totalement quand mes parents m’étouffaient lourdement. Il me permettait d'avoir un recul, d'avoir un regard différent lors des conflits. J'adorais le serrer fort dans mes bras et de sentir son odeur protectrice sur moi, me sentir bien au creux du corps d'un homme me procurait des sensations inédites et uniques au monde.
J'ai su quelque temps après mes premiers pas dans l'adolescence que ce besoin, ces pulsions, je ne pourrais pas les assouvir avec mon frère. Ce serait bizarre, ce serait malsain, et je ne l'aime pas de cette manière.
Nageant dans un mal-être considérable, aidé par des histoires de familles aussi noires que le ciel la nuit, j'ai commencé petit à petit à rencontrer des hommes plus âgés que moi en sortant en douce. D'abord les week-ends, puis le vendredi, puis le jeudi, puis le mardi... Ce besoin, mais il était là, au fond de moi, et me contrôlait. Bientôt, ce fut 6 nuits sur 7 que je passais dehors, avec des hommes plus âgés, à baiser dans des chambres sales, à prendre du plaisir dans l'interdit, et rentrer au petit matin le plus discrètement possible pour endosser le costume de la jeune fille adolescente, sage et sans histoires que mes parents croyaient que j'étais. Paul devait probablement savoir; au matin de toutes les nuits que j'ai passées hors de mon lit, il me regardait toujours de son regard lourd, désapprobateur, avec un brin de pitié. Je préférais ne pas m'attarder là-dessus.
Pourquoi étais-je comme ça? Pourquoi ressentais-je ce besoin? Pourquoi avais-je autant voulu me faire du mal toutes ces années? Personne mieux que moi ne pouvait comprendre. Pendant longtemps les choses étaient ce qu'elles étaient. Dans cette ville, je vivais mon existence, cette difficile existence. Personne ne connaissait le véritable moi, personne ne savait ce que Gabrielle vivait. Puis "c'est" arrivé. Je ne parle pas de ma mort, mais de ce qui m'a poussée à être aussi sûre que rien ne cesserait si je ne passais pas sous un pick-up une nuit de décembre.
Mes parents, mon frère, ma sœur, ne liront probablement jamais tout ça. Ils ne connaitront jamais l'entière vérité sur ce qu'était réellement l'existence torturée de Gabrielle. Mais je dois lever le voile, pour me pardonner à moi même, pour coucher à l'écrit, cette addition de tourments et de cicatrices qui ont composé ma vie pendant 20 ans.